23 septembre 2013

En rétrospective, Hermione avait probablement eu les yeux un peu trop gros pour le ventre. Même les élèves les plus âgés de la maison des aigles avaient grimacé et demandé si elle était absolument certaine de pouvoir soutenir le rythme imposé par le choix de toutes les options proposées aux troisième années.

Elle devait bien l'avouer, c'était compliqué de s'organiser assez de temps pour manger, pour dormir et pour faire ses devoirs, en dépit de disposer d'un Retourneur de Temps – et elle n'en revenait toujours pas que le professeur Flitwick et la directrice adjointe Macgonagall avaient écrit une lettre au Ministère parce qu'ils pensaient sincèrement qu'elle était assez responsable pour utiliser un artefact pareil – et d'avoir lu tous les livres à l'avance pendant ce qui lui restait de vacances d'été.

C'était aussi pendant les vacances d'été qu'elle avait travaillé sur la cage indestructible que lui avait commandé Madame Locke – une cage destinée à un homme en cavale, qui ne voyait aucun mal à se transformer en simple animal domestique afin de se glisser dans le lit de garçons beaucoup plus jeunes que lui.

Maman et Papa avaient été horrifiés quand la sorcière brune leur avait expliqué cela, malgré leur irritation de voir leur fille embrigadée dans une mission secrète. Cette irritation les avait également poussés à protester que Hermione n'avait nul besoin de se mêler de cette sordide affaire, qu'elle pouvait tout bêtement informer un professeur qu'un possible agresseur se cachait dans un dortoir rempli de mineurs.

« Et pourquoi serait-elle crue, je vous le demande ? » avait répondu sereinement Madame Locke, l'air d'une reine installée sur un trône de brocart alors qu'elle était assise sur le vieux sofa en cuir usé du salon. « Non, les professeurs n'écouteront pas, ou ils ne feront que prétendre écouter comme vous prétendez chasser les monstres sous le lit ou dans le placard, et cela donnera à ce dégoûtant l'opportunité de s'enfuir. Pensez-vous pouvoir vivre avec cela sur la conscience ? »

C'était difficile de protester quand Madame Locke avait décidé de vous convaincre, tous vos arguments fondaient à la manière de la neige exposée au soleil, noyés dans la voix chaude et caressante de la sorcière brune au regard intensément vert. Son parent Loki disposait-il du même talent ? Auquel cas, cela expliquerait pourquoi il se débrouillait si bien pour arnaquer les gens dans la mythologie scandinave, alors que tout le monde se méfiait de lui et aurait dû refuser de l'écouter.

Au bout du compte, Dean et Kimberly Granger s'étaient résignés de manière plutôt morne, après avoir été copieusement rassurés que leur fille se bornerait à enchanter la cage – Hermione avait exploité sa connaissance des runes là-dessus, elle avait dû s'y reprendre à deux reprises pour que sa tutrice et son modèle approuve et lui permette de les graver avec un couteau spécialement conçu pour la besogne – et à expédier ladite cage à Madame Locke via hibou une fois le prisonnier fourré à l'intérieur.

La jeune fille – parce qu'elle était une jeune fille à présent, bientôt quatorze ans et réglée depuis avril dernier, ça faisait mal et c'était dégoûtant de saigner par là mais Hermione n'en éprouvait pas moins une certaine fierté d'avoir été reconnue en tant que femme par Madame Pomfresh, les autres filles du dortoir et sa mère – ne leur avouerait jamais que son complice, qui s'exposait à un risque nettement plus grand puisqu'il se devait d'appréhender le criminel, était dans l'année en-dessous d'elle, et que l'Univers semblait déterminé à garder Colin Crivey aussi petit et frêle que possible malgré les quantités de lait et de soupe qu'il ingurgitait.

D'un autre côté, la petitesse de Colin signifiait que les autres Gryffondor le remarquaient rarement quand il ne papotait pas à toute vitesse et s'abstenait de brandir son appareil photo sous le nez des gens. Et il était très, très rapide dès qu'il s'agissait de déguerpir d'un lieu où il n'était pas supposé se trouver.

Le minuscule deuxième année avait attendu, et guetté, et une fois certain que le dortoir des troisième année était vide à l'exception de sa cible occupée à somnoler sur le lit de son propriétaire – Hermione n'était pas franchement familière avec Ron Weasley, elle savait juste qu'il était prompt à se faire remarquer en cours mais elle ne souhaiterait à personne de partager son lit avec un homme adulte sans avoir pleinement consenti à l'acte, rien que d'y penser elle voulait vomir – il s'était glissé dans la pièce, avait ramassé le soi-disant rat pour le fourrer dans la cage enchantée aussitôt refermée à clef et barrée d'un cadenas, et avait entrepris de quitter la tour des Gryffondor pour se rendre à la volière où se glissait chaque soir Hermione sous prétexte de visiter la splendide chouette des neiges qui lui servait à correspondre avec son ami inscrit à Ilvermorny.

Une affaire rondement menée, donc, et nettement moins excitante que les films de James Bond ou les innombrables bandes dessinées où figurait le propre grand-oncle d'Hermione en compagnie de Capitaine America et des Commandos Hurlants, mais la jeune fille commençait à accepter doucement que la réalité était nettement moins palpitante que la fiction, et que c'était seulement quand le plan tournait si mal qu'il fallait recourir aux explosions et aux coups de feu que ça devenait intéressant. Dans le sens chinois, qui n'était en fait pas chinois du tout mais une invention américaine que tout le monde préférait croire chinoise.

Voilà à quoi songeait Hermione tandis qu'elle considérait le rongeur brun occupé à couiner piteusement derrière les barreaux de sa cage indestructible, espérant visiblement apitoyer sa geôlière afin de se voir relâché – ce qu'elle n'avait aucunement l'intention de faire. Madame Locke s'était abstenue de préciser les crimes précis pour lesquels le fugitif à quatre pattes était recherché, mais la conduite frôlant la pédophilie dont il avait fait preuve pendant une douzaine d'années n'incitait aucunement à l'indulgence.

Si un crime méritait la prison, que ce soit du côté magique ou ordinaire, c'était bien celui-là. Hermione se surprenait même à penser que les Détraqueurs pourraient être justifiés dans le cas présent, et pourtant les créatures n'étaient pas du tout commodes puisque Madame Locke tordait la bouche en une moue dégoûtée quand elle en faisait mention. Et pour dégoûter une déesse des morts qui avait dû en voir de belles, il fallait vraiment être un phénomène particulier.

La jeune fille suspendit donc la cage aux pattes de la chouette des neiges, accompagnée d'un petit mot qui ne disait pratiquement rien mais qui indiquerait à la destinataire que c'était bien le colis attendu, avant de regarder le rapace blanc aux ailes mouchetées de noir s'envoler dans le ciel qui devenait de plus en plus sombre, de plus en plus noir au lieu de bleu.

Madame Locke avait prévenu qu'elle resterait en Grande-Bretagne afin de réceptionner le prisonnier qui se prenait pour un rat, et d'arranger les évènements afin qu'il reçoive ce qu'il mérite, donc les répercussions ne devraient pas tarder à se faire connaître. Ceci étant, le Ministère et la Gazette chercheraient sans doute à cacher la présence d'un criminel entre les murs de Poudlard, après le fiasco du Basilic.

Ron Weasley penserait probablement que son rat s'était enfui ou avait été mangé par Miss Teigne. Peut-être que Hermione devrait lui acheter un autre animal en guise de compensation, même si elle ne pouvait pas exactement avouer la raison de son geste ? Vu que le garçon était une victime dans toute cette sordide affaire, elle ne pouvait pas s'empêcher de se sentir un peu mal à son endroit.

Nouvelle mission : dédommager sa conscience en faisant parvenir un familier anonyme à un garçon auquel elle n'avait jamais adressé la parole. Ce serait du gâteau.