7 octobre 2013
Le plan de Sirius avait fonctionné sur des roulettes en velours. Si seulement James pouvait le voir, il ravalerait ses moqueries sur l'incapacité de l'Animagus chien à construire un plan de bataille plus élaboré que de foncer dans le tas et désorienter l'adversaire au point de lui faire perdre tous ses moyens, ou de suivre un plan plus élaboré que cela.
Afin de mettre les chances de son côté, Sirius avait rassemblé chaque miette d'arrogance aristocratique coulant encore dans ses veines d'amoureux des Moldus, faisant de son mieux pour imiter le tableau de Grand-père Arcturus présent dans le bureau de son père où son aïeul foudroyait du regard quiconque se présentait dans la pièce. Apparemment, ça avait fonctionné du tonnerre, les Aurors l'ayant amené dans la salle où se tenait le procès frémissaient à sa vue et leurs doigts se perdaient machinalement sur la manche dans laquelle ils planquaient leur baguette.
Bon, la gamine aux cheveux multicolores qui flanquait Fol Œil – ce bon vieux paranoïaque, à peine plus gris mais définitivement plus balafré et abîmé – ouvrait des mirettes plus curieuses qu'épouvantées. S'agissait-il de Dora, la petite Métamorphe de cousine Andy ? Par le caleçon avachi de Merlin, c'était bien elle. Dire que la dernière fois que Sirius l'avait vue, Dora n'avait que huit ans – ou six ? Il ne savait plus, Azkaban dévorait les souvenirs avec toute la délicatesse et les égards d'un dragon atteint d'une rage de dents passant sa mauvaise humeur sur les paysans des alentours.
Il n'avait pas eu l'opportunité de regarder grandir Dora, tout comme il n'avait pas pu regarder grandir Harry. Une décennie entière de perdue, tout cela par la faute de Peter…
Inutile de préciser que Sirius n'avait éprouvé aucun élan de compassion lorsque le verdict avait été rendu – et le rat condamné à perpétuité à Azkaban, la peine que le rejeton déshérité des Black était supposé purger en dépit de son innocence. Ça ne manquait certainement pas de poésie – Peter s'en irait-il croupir dans l'ancienne cellule de l'Animagus chien que ce serait la cerise sur le gâteau – mais l'ancien détenu à présent reconnu innocent n'éprouvait pas moins un brin de frustration de ne pas pouvoir obliger le traître à vomir ses propres entrailles pour se pendre avec.
Parfois, il se surprenait à penser que les maléfices concoctés par ses ancêtres afin de tourmenter leurs adversaires n'avaient pas que du mauvais, dans certaines circonstances…
Le procès établissant l'identité du vrai Gardien du Secret pour les Potter étant plié, le Magenmagot avait bien dû aborder la question des réparations que méritait le dernier membre vivant de la Noble et Très Ancienne Maison de Black, pour l'abominable erreur judiciaire dont il avait été victime.
À titre personnel, Sirius aurait aimé contraindre Barty Croupton à se traîner à genoux devant lui afin d'implorer son pardon. Mais comme l'avait fait remarquer le bonhomme de son air le plus guindé, éclater de rire sur la scène d'une explosion alors que vous étiez cerné par des fragments de cadavres et des citoyens traumatisés ne sous-entendait pas exactement que vous étiez pur de toute culpabilité dans l'histoire, si bien qu'Amélia Bones avait décrété que Croupton avait eu de bonnes raisons de considérer l'Animagus chien comme un criminel avéré. L'absence de procès initial, en revanche, c'était là que le Directeur du Département de la Coopération Magique Internationale l'avait senti passer.
Un misérable Né-Moldu se retrouvant affublé d'un casier judiciaire, passe encore. Un sorcier dont le pedigree appartenait à l'une des lignées les plus anciennes et prestigieuses du Royaume-Uni, faussement accusé sans même pouvoir se défendre ni s'expliquer ? Une perspective ô combien alarmante pour la Lumière comme pour les Ténèbres, qui voyaient déjà leurs Héritiers, leurs frères et sœurs ou leurs propres parents succomber à de sinistres manigances visant à traîner le nom de leur famille dans la boue, vider leur coffres en amendes et briser leur influence dans les cercles de la haute société, sans qu'ils puissent lever le petit doigt pour empêcher la situation de se dégrader à ce point.
Sirius avait éprouvé une furieuse envie de prendre un bain brûlant et de se récurer jusqu'à la moelle des os quand Lucius Malefoy avait décidé d'intervenir en sa faveur. Même si Narcissa lui avait demandé de le faire, ça n'en demeurait pas moins affreux à endurer.
Le Magenmagot avait finalement tranché sur la somme de mille sept cents gallions – pas du tout une mince affaire, plus d'un spectateur s'était étranglé dans le public autorisé à l'annonce du chiffre – transféré dans le compte Black à Gringotts dès que possible. Ça aurait pu être encore plus, mais quelques uns des jurés avaient chicané sur le fait que Sirius avait techniquement enfreint la loi par vertu d'être un Animagus illégal et de s'être évadé de prison.
L'ancien détenu se fichait éperdument de la compensation financière – malgré ses réserves sur la moralité de SHIELD et son inquiétude devant leur tendance à se mêler des affaires surnaturelles, Sirius reconnaissait que l'agence de renseignements payait extrêmement bien, surtout quand ils vous considéraient un atout majeur. Non, tout ce qu'il avait voulu, c'était pouvoir ressortir du Ministère – de la salle où se déroulait le procès – en homme libre, sans Détraqueurs à ses trousses.
Et il avait obtenu ça.
C'était vraiment une journée fantastique, tant pis si les journalistes avaient attendu le verdict afin de le mitrailler de flashes aveuglants et de crier plus fort que leurs collègues afin que leur question plutôt qu'une autre soit entendue. C'était presque amusant de leur fausser compagnie – oh, il accorderait peut-être un entretien dans l'avenir proche. Comment s'appelait le torchon délirant de Xeno Lovegood, déjà ? Impossible de ne pas prendre ce bougre en affection, pas alors que chaque mot tombant de sa bouche vous donnait des convulsions de rire. Décidément, il avait raté sa carrière, il aurait dû se faire comique au lieu de s'adonner au journalisme…
Et puis le chemin de Sirius croisa celui de quelqu'un qu'il connaissait très bien, quelqu'un qui aurait dû le connaître très bien, et l'homme fraîchement blanchi perdit toute envie de rire.
« Dumbledore » lâcha-t-il platement.
En dépit de ses rides et de la pâleur de sa pilosité, c'était facile d'oublier que le Directeur de Poudlard était un vieillard – principalement à cause de l'étincelle espiègle perpétuelle qui brillait dans ses yeux. Mais à présent, l'étincelle s'était éteinte, et Dumbledore ressemblait exactement à ce qu'on attendait d'un homme comptant un siècle et demi d'existence à son actif.
« Sirius » souffla le vieil homme, « je ne sais même pas comment exprimer… combien je suis navré. »
« Alors ne dites rien » répondit Sirius de la même voix atone. « Ne me dites rien, parce que je ne veux pas l'entendre. Pas maintenant. Peut-être… peut-être plus tard. Je ne sais pas. »
Il ne savait pas s'il pardonnerait au chef de l'Ordre du Phénix pour s'être trompé à ce point sur son compte, et pour avoir perdu Harry. La miséricorde ne lui était jamais venue facilement.
« Bien sûr, mon garçon » murmura le vieil homme. « Prenez tout le temps que vous pensez nécessaire. »
Sirius s'éloigna. Il n'avait plus rien à dire – pour Dumbledore, en tout cas. Mais pour une autre personne – il avait été présent dans le public, et le cœur de l'Animagus chien avait bondi – oui, juste là, il était là, plus mité que la dernière fois qu'ils s'étaient vus, des cernes sous les yeux et les lèvres gercées, hésitation et remords et joie tournoyant dans ce regard ambré…
Sirius ravala la boule dans sa gorge et eut un sourire un peu vulnérable.
« Hé, Lunard. Ça fait un bail. »
