S'il y avait bien une règle transmise au sein de la famille Black que Sirius ne demandait qu'à suivre, c'était de ne pas toucher à quoi que ce soit d'origine cosmique.
Les Black étaient une vieille famille, tellement vieille qu'ils pouvaient se vanter d'avoir été présents dans les îles anglaises avant les invasions romaines, et ils n'avaient pas survécu tout ce temps en allant cracher dans l'œil d'entités nettement plus puissantes et dangereuses que la race humaine, y compris les éléments sorciers.
Même sur Terre, l'humanité n'était pas l'espèce dominante – les gobelins, les centaures, bon sang, les trolls feraient de leur mieux pour commettre un massacre quand on les insultait et souvent, c'était difficile voire impossible de limiter la casse. Certes, la magie aidait beaucoup, mais le problème était que l'autre côté aussi utilisait la magie – pas de la même manière mais ça restait la magie, peu importait à quel point les racistes coupaient les cheveux en quatre et inventaient des catégories afin de mieux justifier leur discrimination.
Et quand vous quittiez le système solaire – pas la dimension, pas la galaxie, rien que le système solaire – c'était encore pire. Si la planète était parvenue à survivre tout ce temps, c'était uniquement grâce à une combinaison d'ignorance et de servilité adressée à divers panthéons suffisamment établis sur la scène politique du cosmos pour casser la binette à quiconque s'avérait assez stupide pour loucher sur leur jouet avec l'air de vouloir le casser.
Alors la Noble et Très Ancienne Maison de Black avait établi la règle capitale, ne pas toucher à quoi que ce soit de cosmique, parce que si un artefact d'origine galactique se retrouvait sur leur misérable petite planète, quelqu'un viendrait le chercher. Quelqu'un probablement capable d'aplatir votre maison comme une galette rien qu'en soufflant dessus, façon le grand méchant loup dans cette histoire avec le trio de cochons que Lily trouvait hilarante pour des raisons connues d'elle seule.
Autrement dit que lorsque Locke avait suggéré la bouche en cœur qu'il joue les nounous – et les espions, il n'était pas né de la dernière pluie hein – auprès d'une jeune érudite étudiant la Convergence entre les Royaumes d'Yggdrasil, événement légendaire placé au même rang que le Déluge dans les cercles ultra-restreints qui en connaissaient l'existence à force de consulter des parchemins tombant en poussière et des tablettes illisibles à force d'érosion, Sirius avait refusé tout net. Le non avait giclé de sa bouche par réflexe, avant qu'il réalise qu'il venait de parler, aussi spontané qu'un éternuement et tout aussi mortifiant.
Locke avait eu l'air amusé. C'en avait été quasi insultant, mais elle était une déesse, à ses yeux immortels les humains n'existaient que pour la divertir, un mélange entre bouffon de la cour et mignon petit animal domestique stupide, et Sirius venait à peine de blanchir son nom et d'obtenir l'autorisation de sortir dans les rues de Londres sans avoir à regarder par-dessus son épaule pour guetter l'arrivée des Détraqueurs, il n'avait pas la moindre envie de se faire zigouiller pour avoir dit à la personne qu'il ne fallait pas quelque chose qu'elle n'aimait pas entendre.
Puis la déesse des morts sans gloire avait appelé son parent à la rescousse – là vous pouviez à juste titre lancer des accusations d'excessivité, franchement qui va mettre le feu à sa baraque pour avoir aperçu une fourmi se promener dans le placard alors qu'il suffisait de répandre du gros sel sur les étagères – et Maria Stark, anciennement connue sous les noms poétiques d'orfèvre du mensonge et de bouche d'or, avait entrepris – très poliment, très gentiment et n'était-ce pas l'expérience la plus abjectement terrifiante vécue par l'Animagus chien, il préférerait encore Azkaban avec les Détraqueurs de mauvais poil plutôt que ça – de le retourner. Comme une crêpe.
Il avait beau se creuser désespérément la cervelle, ses souvenirs brouillés ne lui montraient pas la manière dont elle s'y était prise. Il pouvait juste se rappeler – avec un frisson de tout son être – un sourire radieux, la façon dont elle lui avait maternellement tapoté le bras, le ton de sa voix lorsqu'elle l'avait déclaré un homme très serviable…
Pas étonnant que la femme ait été le sujet de si peu d'attention dans la presse. D'aucuns penseraient que le mari – Howard Stark – commettait assez de scandales pour deux, ou plutôt une quinzaine de personnes, mais si les journalistes s'étaient heurtés à pareil requin, ils avaient sans doute fait de leur mieux pour oublier entièrement leurs interactions avec elle et surtout ne pas publier d'article qui risquerait de la remettre sur leur chemin. Le plus acharné des paparazzi devait être nanti d'un instinct de survie, malgré les apparences qu'ils renvoyaient.
Et forcément, parce que laisser le dieu farceur vous convaincre de faire quoi que ce soit finissait généralement par vous exploser à la figure, Sirius s'était retrouvé traîné dans une catastrophe.
Vous n'avez besoin de toucher à rien, seulement de regarder et d'observer la situation. Tu parles que ce sera une promenade dans le parc !
Parce que l'érudite – Jane Foster, mignonne mais Sirius ne l'avouera pas là où elle peut l'entendre parce que la jeune dame semble taillée du même bois que Lily et l'Animagus chien apprécie sa gorge et ses couilles intactes et en parfait état de fonctionnement, merci de votre compréhension – vient de disparaître dans un portail imprévu et Sirius sait comment finit ce type d'histoire, d'accord ? Un pauvre mortel qui trébuche dans une autre dimension se retrouve dévoré par les résidents, ou changé en abomination nécessitant d'être abattu pour mettre fin à son calvaire, et c'est quand il a de la chance.
Cette pauvre fille ne méritait pas cela, mais le monde n'en avait rien à taper de la justice, autrement James et Lily seraient toujours en vie et Sirius n'aurait pas croupi une décennie dans l'enfer sur Terre.
Quand le portail avait toussoté et recraché sa proie, l'Animagus chien avait tiré sa baguette pour la plus grande incrédulité de Darcy et Ian, il leur expliquerait plus tard une fois que l'urgence serait passée, il devait tester le degré de menace que Foster représentait dorénavant…
Flash rouge, presque aveuglant qui pulvérise sans mal son Stupéfix, et Sirius bondit de côté par réflexe, un qui ne l'a pas quitté en dépit de la décennie passée dans l'inactivité depuis, mais la guerre ne vous quitte pas si facilement, elle s'infiltre dans la moelle de vos os et se met à l'aise.
Foster panique, et la vague rouge se manifeste à nouveau pour se cogner aux murs. Règle numéro un de la magie accidentelle : celle-ci répondait aux émotions, alors quand votre gamin fait un caprice, envoyez-le au lit pour l'obliger à se calmer au lieu de transformer les tasses de thé en merles bleus.
« Foster ! Foster, vous êtes aux commandes du phénomène ! Concentrez-vous, d'accord ? »
Il savait que ça ne réussirait probablement pas, mais il était un incurable optimiste, que voulez-vous dire de plus à son sujet ? Sauf qu'évidemment, Foster n'écoutait rien, trop occupée à laisser la vague rouge déborder de son corps, et Sirius se demanda vaguement si c'était à cela que ressemblait un Obscurial perdant le contrôle de son parasite, si c'était le spectacle qui avait ravagé New York au cours de l'accident Bellebosse de 1927.
Le ciel rugit et se fendit dans un crépitement multicolore. Quand les étincelles se dissipèrent dans le champ de vision de l'Animagus chien, l'incarnation blonde de la maîtrise martiale se tenait dans la rue, cape rouge claquant dans le vent et laissant entrevoir sa cotte de mailles argentée. Le parfait chevalier – si les chevaliers avaient eu le marteau pour arme emblématique.
Un marteau décoré de runes. Même sans ce détail, Sirius aurait reconnu l'intrus. Il a lu les comptes-rendus de l'Incident rédigés par SHIELD, les participants étaient listés avec des photos pour faciliter leur identification et empêcher de leur tirer accidentellement dans les pattes.
Le sorcier ravala un juron retentissant. Décidément, c'était la dernière fois qu'il laisserait Maria Stark le convaincre de quoi que ce soit.
