Bonne nouvelle, la menace de la Sorcière Rouge ne faisait pas mine de se concrétiser hors des pages effritées d'un livre si imbibé de magie noire que sa seule lecture pouvait irrémédiablement corrompre l'âme la plus pure.

Mauvaise nouvelle, l'Ether ou comme si peu d'âmes en vie le connaissaient, la Pierre d'Infinité de la Réalité venait de s'échapper du trou où il avait été jeté.

En rétrospective, ce n'était pas exactement surprenant – cette Pierre avait toujours été un peu trop vivante, un peu plus qu'un simple objet de pouvoir acceptant de se laisser utiliser par le premier assez malchanceux pour le ramasser sur sa route. Et le vivant tendait à évoluer, à dépasser les limites déterminées par la matière inerte. À défier les attentes et les règles.

Donc, ce n'était pas si étonnant. De la même manière qu'un cancer particulièrement virulent refaisant surface après une période de rémission n'était pas si étonnant, surtout lorsqu'on était informé des statistiques. Cela n'en demeurait pas moins une épouvantable mauvaise nouvelle, le type qu'on préférerait ne jamais recevoir.

Non, Leah n'enviait décidément pas Asgard. Le Royaume d'Or n'avait aucune idée de la catastrophe leur pendant au nez, introduite par leur propre prince héritier entre leurs murs ! D'un autre côté, il s'agissait d'Asgard, alors elle n'éprouvait pas réellement de pitié envers eux. Il leur arriverait ce qui devait arriver, et ça ne la regardait pas. Elle n'était pas la Reine d'Asgard, mais celle de Nilfheim. Elle n'avait aucune famille en Asgard, rien que sur Midgard. Elle ne voulait pas d'un lien avec Asgard et Asgard ne la revendiquerait aucunement, il n'y avait plus rien d'autre à dire sur le sujet.

Avec un peu de chance, l'Ether ne trouverait pas de nouveau portail par lequel sauter une deuxième fois. Imaginez un peu la substance en liberté dans les Neuf Mondes, semant la pagaille sans retenue. Ou pire, dénichant un hôte qui s'empresserait de perdre la tête et de mettre le feu à Yggdrasil, histoire de suivre les traces de Malekith.

L'histoire de Malekith n'était pas bien glorieuse, aux yeux de la déesse des morts qui périssaient de faim, de froid, de vieillesse et de maladie, et de tant d'autres raisons en dehors de la bataille. Après des millénaires passés à écouter les murmures des âmes engourdies par l'assoupissement, elle avait appris d'innombrables tragédies, les secrets de milliards d'existences malheureuses, et jamais elle n'avait pensé que c'était autre chose que dommage, la façon dont les évènements s'enchaînaient pour causer l'effondrement de quelqu'un.

Maudit, Malekith méritait décidément d'être considéré tel. Pour commencer, il n'était pas né dans une époque de paix, le monde elfique de Svartalfheim alors en conflit avec la race des trolls depuis plusieurs décennies déjà, un conflit qui avait déjà enfanté des rivières de sang et des montagnes d'os décolorés par les charognards trop gavés pour s'en amuser encore, mais ne donnait aucun signe de s'essouffler. Il n'était pas né dans une grande famille heureuse et impatiente d'accueillir un nouveau bambin, ses douze aînés déjà dévorés par la guerre et sa mère trop vaincue par la faim et le découragement pour voir son nouveau-né comme davantage qu'une monnaie en échange de laquelle obtenir les maigres provisions qui l'empêcheraient de crever encore une semaine.

En grandissant, Malekith avait toujours été entouré de cadavres, ceux qu'il dépouillait après une énième bataille afin de revendre son butin, ceux qu'il brûlait pour empêcher la pestilence de se répandre, ceux qu'il avait tué de ses mains afin de pas rejoindre la masse à n'en plus finir des morts. En de pareilles circonstances, cela tenait du miracle qu'il se fusse suffisamment attaché à un être vivant, et pourtant cela était advenu. Il avait trouvé camaraderie et réconfort parmi les misérables créatures effectuant le même travail que lui, et c'était en compagnie de ces camarades qu'il avait vu Asgard intervenir enfin dans la guerre – et y mettre fin en quelques semaines à peine.

Malekith n'oublierait jamais la brûlure de la colère, blottie dans ses entrailles. La colère de savoir qu'un autre n'avait pas jugé bon d'empêcher son peuple de souffrir, seulement de les conquérir lorsqu'ils avaient été trop meurtris pour opposer une résistance digne de ce nom, et puis de les abandonner à leur misère après les avoir déclarés un nouveau territoire d'Asgard. Même pas un vrai royaume.

La brûlure était demeurée, des siècles durant, pendant lesquelles les anciens détrousseurs et brûleurs de cadavres avaient tenté de se faire à la paix, de fonder une famille, de rebâtir leurs villes et de faire pousser des légumes dans une terre saturée de sang. La brûlure ne s'était pas éteinte malgré des efforts sincères, et Malekith en avait tiré la conclusion que sa vie n'avait pas de sens en dehors de la guerre, après avoir été forgée par la douleur et l'amertume.

Svartalfheim s'était rebellée contre Asgard, Malekith menant le mouvement de protestation auquel il ne croyait guère, mais s'il était condamné à une existence de conflit alors il y jouerait le premier rôle. Asgard n'avait guère apprécié l'ingratitude de son protectorat, et entrepris d'envoyer l'armée mater les mécontents de la manière la plus brutale possible afin de rappeler aux elfes le cauchemar dans lequel ils avaient autrefois vécus, et auquel ils pouvaient encore être rendus.

La femme de Malekith comptait parmi les morts, lorsque les troupes asgardiennes jugèrent en avoir assez fait pour traumatiser la populace. S'il avait subsisté le plus infime espoir de détourner Malekith de son sentier autodestructeur, celui-ci s'éteignit tel une chandelle humide.

Et puisque la lumière avait cessé d'être pour lui, il n'y avait pas de raison pour que le restant de l'Univers continue à en jouir.

C'était ainsi avec les elfes, on ne faisait jamais dans la demi-mesure. Malekith chercha longtemps la bonne méthode pour accomplir son projet démentiel, et opta pour l'Ether. Bor alors souverain d'Asgard eut vent de l'entreprise et ne la trouva guère à son goût, ce qui se comprenait aisément, provoquant de nouveaux ravages au terme desquels Svartalfheim fut entièrement dévastée, la race des elfes noirs quasi exterminée, et Malekith disparut sans laisser de traces – Hela savait qu'il n'était pas mort, sa présence totalement absente de Nilfheim et il ne pouvait pas se trouver au Valhalla, pas vu ses tactiques pendant la guerre.

La guerre… l'éternelle constante de l'Univers, l'éternelle affliction du vivant. Que disait ce jeu vidéo dont lui avait parlé Anthony, elle croyait que le titre était Fallout si elle ne s'abusait pas ? Ah oui, la guerre ne changeait jamais.

Toujours un gâchis. Pourquoi les gens avaient cru bon d'écrire des poèmes et de tourner des films glorifiant le meurtre à l'échelle nationale, voire globale, ça la dépassait – et elle était une déesse, elle se trouvait sur un plan de compréhension de l'Univers de loin supérieur à la population midgardienne, ne leur en déplaise mais c'était la pure et simple vérité.

Enfin, au moins Anthony avait-il vu la lumière et mis un terme à ses activités de Marchant de Mort – et elle estimait qu'il n'avait pas mérité ce titre, oui ses armes avaient tué des gens mais il fallait bien que des soldats les utilisent, non ? Ce n'était pas comme si ses bombes se déclenchaient toutes seules, du jour au lendemain, sur un coup de tête.

Sauf que voilà, les humains étaient irrationnels et s'amusaient à attribuer la faute à basiquement n'importe qui. Y compris quelqu'un qui n'était relié absolument pas à l'affaire, si bouc émissaire était un métier, les taux de chômage dégringoleraient largement vers le plancher.

Et voilà qu'elle se sentait la furieuse envie de relire La Fée Carabine, avec son bouc émissaire de personnage principal. Dès que la Convergence serait finie, elle repêcherait le bouquin des profondeurs de la bibliothèque.

C'était bien, de disposer d'un appartement entier pour ranger ses livres, mais même avec un classement efficace ça prenait des lustres pour s'y retrouver.