4 novembre 1992

« S'il vous plaît ! » s'écria Pénélope d'une voix retentissante, son insigne de préfète jetant un éclat métallique depuis sa place sur sa poche de poitrine. « De l'ordre et du silence ! »

Il y eut encore quelques raclements de bois et jurons étouffés, puis le silence se fit alors que tous les jeunes sorciers et sorcières appartenant à la maison Serdaigle étaient assis dans leur salle commune, soit sur l'un des sofas, soit sur un fauteuil, soit sur le tapis (lequel était étonnamment confortable et sur lequel de nombreux coussins bleu et bronze avaient été disposés).

« Bien » fit la préfète. « Maintenant que nous sommes tous là, la séance de débat est ouverte. Sujet de la discussion : ce que le professeur Binns nous a raconté sur la Chambre des Secrets. »

Perchée sur le bras d'un canapé, le dos très droit, Hermione plissa imperceptiblement les yeux, sachant que c'était sa demande de tout à l'heure qui avait permis à l'information de se répandre à la maison des aigles dans son ensemble, provoquant l'organisation hâtive d'une réunion.

C'était l'une des grandes traditions de Serdaigle : lorsqu'ils apprenaient quelque chose qui leur paraissait d'une importance cruciale, il leur fallait en débattre, échanger leurs points de vue et discuter de possibles alternatives et solutions. Dans l'ensemble, c'était plutôt louable.

« Qu'est-ce que tu veux discuter ? » lança un quatrième année d'aspect belliqueux. « Salazar Serpentard était un vieux salaud qui aurait tué ses propres élèves simplement parce qu'ils ne collaient pas à son profil du sorcier parfait ! »

Bien entendu, le hic avec les débats, c'était que quand tout le monde pouvait émettre une opinion, alors tout le monde émettait une opinion, aussi rebutante et fermée fusse-t-elle.

« Binns a jamais dit ça » riposta un première année dont Hermione se rappelait très vaguement le nom, Jason Humberston ou Hitchins, non, Huntingdon, « il a juste dit que Salazar ne voulait pas accepter les enfants d'origine moldue à Poudlard ! C'est pas la même chose ! »

« Tu crois qu'il en serait resté là, le nain ? » riposta le quatrième année.

« Grant ! » aboya sèchement Robert Hilliard, le préfet mâle des septième années. « Pas d'insultes, ou je t'arrange une retenue avec Flitwick. Dans les débats, on reste poli. »

Le dénommé Grant foudroya du regard l'adolescent plus vieux mais ravala sa colère, préférant s'affaisser sans grâce sur son fauteuil.

« Mais on est tous d'accord sur le fait que Serpentard ne voulait pas de nés-moldus à Poudlard ? » s'éleva une nouvelle voix, féminine celle-là, et désagréablement perçante.

« Tu m'étonnes que les serpents ne fassent pas bon ménage avec les blaireaux » glissa Anthony Goldstein à son voisin de coussin, Michael Corner. « Eux, ils prennent absolument tout le monde, sang-pur ou né-moldu. »

« C'est pas le sujet » siffla gentiment Terry Boot assis juste derrière eux.

« C'était quand même moche de la part de Serpentard » décréta Morag MacDougall, ses cheveux frisés tremblant d'indignation. « Je veux dire, tous ces gamins, qu'est-ce qu'ils lui avaient fait ? Rien de rien ! »

« Quand on a peur, on fait souvent des choses horribles » commenta rêveusement une première année blonde, qui arborait… des radis en guise de boucles d'oreilles ? « Et les moldus faisaient souvent des choses horribles aux sorciers. »

Morag fronça le nez, visiblement prise au dépourvu.

« Oui, mais c'était les moldus, pas leurs enfants. Ça te plairait, toi, qu'on te reproche ce que fait ton père ? »

« C'est déjà le cas » lui renvoya sereinement la petite blonde, et cette fois, Morag tiqua franchement – pour sa part, Hermione nota mentalement qu'elle devrait probablement garder l'œil sur la première année.

« Sympa, le Salazar » ricana quelqu'un dans le coin des cinquième années, « il fait payer les gens qu'il faut pas. D'abord les nés-moldus pour leurs parents, et maintenant nous alors qu'on était même pas là quand il s'est monté le bourrichon contre les autres fondateurs ! »

Cette déclaration fit naître un frisson de malaise qui balaya l'assemblée avec toute l'implacable grâce d'une vague déferlant sur une plage de galets qu'elle déplaçait sans ménagements.

« Est-ce qu'on va mourir ? » interrogea la petite voix tremblotante de Nanette Desford. « S'il y a un monstre en liberté dans le château qui attaque les gens – comment il fera la différence entre les nés-moldus et les autres ? Si ça se trouve, il ne peut pas – je ne veux pas mourir ! »

Il fallut la prompte intervention de Pénélope armée d'une demi-douzaine de mouchoirs pour que la crise de larmes terrifiées de Nanette s'apaise au lieu de se propager au reste des premières années, et encore les mines épouvantées et reniflements des plus jeunes indiquaient que la partie n'était pas entièrement remportée.

« N'allons pas sombrer dans les scénarios catastrophes » s'empressa de recommander Hilliard, son baryton incontestablement rassurant et parvenant à étouffer la clameur de murmures menaçant de tourner aux cris. « Tant que nous gardons la tête froide, nous n'aurons pas grand-chose à redouter. »

« Qu'est-ce que tu veux faire contre un monstre ? » s'écria Grant, le visage écarlate. « Le défier en duel, peut-être ? »

« Face à un animal sauvage, la stratégie recommandée est de savoir courir plus vite » lança Marcus Turner des quatrième années. « Mais je suppose que le facteur intimidant des groupes marchera aussi ? »

« Excellente suggestion » proclama Pénélope, « la règle du copain. Pour ceux qui ne seraient pas familiers avec cette précaution, il s'agit de toujours se déplacer accompagné d'au moins une personne. De la sorte, vous aurez bien plus de chances de vous défendre ou au moins d'appeler à l'aide s'il vous arrive une mauvaise surprise. »

« Et si c'est le copain qui nous attaque ? » demanda Michael Corner, arborant un large sourire nettement insolent.

« Auquel cas » gronda la préfète, ne goûtant visiblement pas la plaisanterie, « vous le signalerez à un des préfets ou au professeur Flitwick pour que cette personne soit punie. Nous ne prendrons pas cela à la légère, surtout pas dans le contexte actuel. »

Si beaucoup de visages dans la foule étudiante se firent plus calmes, d'autres n'en conservèrent pas moins leur expression sceptique, et Hermione savait qu'elle comptait parmi ces derniers.

Une situation pareille ne pouvait se régler que très simplement et très définitivement, par la capture ou l'élimination de l'élément dangereux en tant que menace. Ce serait comme la bête du Gévaudan, musa la jeune fille qui avait entendu la légende locale alors qu'elle et ses parents s'en étaient allés visiter les Causses du département français de Lozère, une créature parvenant à causer paranoïa et hystérie générales en dépit de rares apparitions.

En y repensant, elle se demandait si cette fameuse bête n'avait pas été une créature magique, elle aussi, qui se serait déchaînée contre les bergers et paysans locaux avant d'être retrouvée et escamotée par les autorités sorcières de l'époque. Ou peut-être un loup-garou ? Il s'agissait certainement d'une supposition importante dans la légende, cette idée d'une intelligence humaine derrière la brutalité du monstre. Dans l'un ou l'autre cas, ça avait frôlé la destruction du Statut du Secret dans le Gévaudan, et ce même pas un siècle après l'application de la mesure.

Ce monstre de Serpentard, serait-il semblable à la bête ? S'agissait-il bien d'une créature magique pour commencer, ou bien n'avait-on affaire qu'à malveillance purement humaine, faisant office d'une mesure de sécurité millénaire ? Simple loup sauvage, meneur de loups ou loup-garou ? Toutes ces options, et pas le début d'une réponse.

La perspective d'attendre que la situation dégénère ne plaisait guère à Hermione, mais c'était la seule s'offrant à elle.