Bonjour et merci de passer par ici !
Ma dernière petite fic sur Baldur's Gate 3 m'a redonné le virus et quand l'envie de continuer l'écriture rencontre une autre masterclass vidéoludique, j'ai envie de dire fuck yeah !
Certes, Detroit – Become Human a déjà quelques années derrière lui et sans doute son public s'est-il tourné ailleurs vers des choses plus actuelles. Hélas, je ne pouvais pas rester insensible à la profondeur de cette œuvre, son ambiance qui prend aux tripes, ses personnages denses et ses réflexions philosophiques sur notre rapport à la technologie, la définition de la vie et la peur de l'autre qui nous apparaît différent.
Autant de choses qui constituaient un terreau fertile pour mon imaginaire et l'envie de broder quelque chose.
Ceci étant, cette histoire sera quelque peu différente de ce à quoi je vous ai habitués. En effet, contrairement à mes précédents écrits qui sont pour ainsi dire toutes des fanfictions pur jus, (Re)programme-moi n'est pas à proprement parler une fanfiction DBH mais une histoire inspirée de DBH.
Ce que ça veut dire concrètement ? Vous ne rencontrerez hélas aucun des protagonistes du jeu. J'emprunte juste la merveilleuse trame scénaristique nous propulsant dans un monde où l'androïde côtoie l'homme pour y tisser ma propre histoire dérivée.
J'aimerais TRÈS BEAUCOUP faire quelque chose avec Connor qui est un véritable coup de cœur. J'avais même des idées par-ci par-là pour faire quelque chose avec lui (et donc écrire une vraie fanfiction). Son histoire et sa relation chaotique avec Hank est un bonheur à suivre et le voir s'approcher doucement de la déviance est jouissif à suivre. Si vous avez aimé tout cela aussi, vous devriez trouver une part de contentement ici.
Dommage, (Re)programme-moi a fleuri plus vite et plus ostensiblement. Mais qui sait ? Peut-être qu'un jour...
Si cette grosse différence ne vous rebute pas, bienvenue à bord et je vous laisse poursuivre avec la présentation rituelle.
Genres ? : Pure romance (avec quand même un peu de travail derrière) avec des éléments plus angst/hurt/comfort.
Allons-y franco pour la vraie love-story. Afin d'apprécier l'œuvre, je vous conseille de la prendre comme un film romantique ou une télé-novela à regarder à la télé en mode pilou-pilou et plaisir coupable (style Pretty Woman, Dirty Dancing, Bridgerton, etc...). Après, vous me connaissez, ce ne sera pas non plus si facile en dépit de ce qui sera prévisible.
Sérieux ou portnawak ? Question sans pertinence au premier abord car il ne s'agit pas d'une vraie fanfiction comme expliqué au-dessus. Il ne sera donc pas question de OOC ou in-character.
Mais. Je tiens à souligner que j'ai voulu intégrer des thèmes sérieux et psychologiques afin de donner un peu d'épaisseur au tout et aussi sortir un peu des sentiers battus.
Pairing ? (m)OC x (f)OC
J'espère du plus profond du cœur que mes protagonistes sauront se faire une place dans votre cœur aussi loin que je les aime. Peut-être même que ma demoiselle parlera à certains(es) d'entre vous par sa façon d'être.
Ça dure longtemps? Plus que je ne l'aurais cru. J'ai bien aimé le rythme presque sans ellipse temporelle de De Sang et de Pluie et du coup, je suis à peu près restée sur ce style afin de développer la relation entre mes persos.
Repère temporel ? Les événements du jeu se déroulent fin 2038. Ici, nous serons quelques mois avant ces événements.
Reviews appréciées ? Je réponds à toutes, bonnes et mauvaises. Cette publication est gratuite, une review est un beau salaire pour un écrivain bénévole :)
Autre chose à déclarer ? Ma MC est loin du strong character, bien au contraire. J'en avais assez de toutes ces romances avec des filles successful, droites dans leurs bottes, vertueuses mais avec leur petit caractère, tout va bien, etc... Ici, il y aura des failles dans l'âme et des gibbosités qu'on ne dépeint que trop rarement pour un personnage principal.
Tout a été dit, vous savez à quoi vous attendre. Si vous êtes toujours partant, je vous laisse à la lecture.
CHAPITRE 1 - EMMÉNAGEMENT PROVISOIRE
Tout commença dans les embouteillages du centre-ville bien trop bondé pour un dimanche matin de début juillet. Les trente-cinq degrés extérieurs couplés à la pollution des voitures roulant à faible allure formaient une association qui mettait à mal toutes les climatisations des conducteurs énervés.
Ysée, vingt-trois ans, regardait l'heure d'arrivée de son GPS défiler encore et encore à mesure que son stress commençait à monter. Une chance que sa nature prudente l'avait contrainte à partir avec beaucoup d'avance sinon elle serait en train de criser encore plus derrière son volant comme les autres infortunés automobilistes qui la cernaient.
« Tssss... Pourquoi avait-elle besoin d'aller vivre à l'autre bout de la ville, aussi ? » gémit-elle face à une nouvelle minute qui s'ajoutait sur l'écran.
Se changer les idées. Ne pas rester focaliser sur le temps qui défilait et encore moins sur la menace d'arriver en retard chez sa sœur qui devait partir pour prendre son avion d'ici une demi-heure.
« Connexion E-music, playlist « Feel Good » »
L'écran du tableau de bord ouvrit une petite fenêtre secondaire alors qu'il se connectait à l'application de musique en ligne de la jeune femme et une musique rythmée et entraînante se répandit dans l'habitacle.
« Yes ! La k-pop, ça marche toujours », se réjouit Ysée tout en commençant à fredonner la chanson en yaourt.
Tout en dodelinant de la tête et en tapotant en rythme sur son volant, elle se laissa à regarder distraitement comment les autres automobilistes s'en sortaient dans cet embouteillage atroce. L'homme d'affaires à sa droite qui répondait à un message sur son portable ne craignait manifestement pas les caméras intelligentes qui pouvaient vous verbaliser à distance ; la femme derrière elle soupirait en semblant porter tout le poids du monde sur ses épaules...
« Et à ma gauche... »
C'était un couple avec un jeune enfant d'environ quatre ou cinq ans qui n'était pas seul à l'arrière. Une jeune femme au sourire aimable s'amusait avec lui en jouant avec des peluches. La petite lueur blanche qui clignotait à sa tempe ne laissa aucun doute sur la réelle identité de cette nourrice qui ne semblait pas souffrir de la situation peu agréable qu'était un embouteillage dense. Une androïde.
Le succès fulgurant qu'avaient rencontré les créations robotiques de CyberLife avait contaminé nombreux pays dans le monde, mais la France faisait partie de ceux qui étaient les plus réfractaires. Plusieurs présidents farouches à l'idée de donner encore plus de place à l'intelligence artificielle qui avait déjà décimé tant d'emplois s'étaient succédé et avaient réussi à repousser le monstre américain jusqu'à ce que la contrainte ne l'emporte.
Le système hospitalier français n'avait cessé de se dégrader depuis décennies et des décennies les déserts médicaux se multipliaient et toutes les branches de la médecine manquaient de plus en plus cruellement de praticiens. Ce fut donc dans ce secteur que furent déployés les premiers androïdes dans l'hexagone. À la surprise générale où tout le monde s'attendait à un accueil glacial, le besoin était tel que consulter un médecin androïde était mieux que de rester sans soins.
En moins de deux ans, la situation avait été redressée et qualifiée à l'époque de miracle. Officiellement, CyberLife restait humble sur cette victoire mais tout le monde savait que la compagnie américaine se gargarisait d'avoir fait plier l'un des plus gros récalcitrants d'Europe. Cette abdication face à la pression androïde avait certes fait beaucoup de bien à la France mais l'opinion populaire face à l'arrivée d'autres robots s'accaparant du travail des humains était encore tiède. Ainsi, le Gouvernement décida d'accepter les androïdes au compte-goutte afin de privilégier leur utilisation dans les secteurs particulièrement sous tension.
Aujourd'hui, il n'était donc pas rare de croiser également des androïdes dans la restauration et le BTP. Le social commençait timidement aussi à faire appel à eux, comme par exemple cette nourrice robotique. De plus, la nouvelle génération d'androïdes enseignants ferait son apparition à la rentrée prochaine. L'éducation était aussi mise à mal depuis plus de trois décennies et l'utilisation de robots avait permis de sauver de nombreuses classes un peu partout dans le pays.
Oui. Les androïdes faisaient partie intégrante de la vie, qu'on le veuille ou non.
Un coup de klaxon soudain fit bondir Ysée sur son siège. La file devant elle avait bien avancé et la femme dépressive de l'arrière avait semblait-il retrouvé assez d'énergie pour s'énerver comme une folle derrière son volant.
Ysée pesta sa mauvaise surprise par un geste de la main mi-énervé mi-désolé et délaissa le fil de ses pensées pour repartir rapidement.
Pour son plus grand bonheur, la sortie qu'elle devait prendre n'était pas encombrée, ce qui lui permit de rouler de façon plus fluide – mais sans excès de vitesse. Pas question de se prendre une amende.
Tout en surveillant du coin de l'œil l'heure qui défilait, la jeune femme prit le temps d'apprécier le changement d'environnement dans lequel elle venait d'entrer. La partie est de la ville était bien plus verdoyante et chic que le reste ; c'était ici que se trouvaient les beaux quartiers pavillonnaires des classes plus aisées, loin de la ville encombrée et bruyante. C'était seulement la troisième fois qu'Ysée se rendait de ce côté de la rocade et il lui semblait encore que les lieux s'étaient davantage embourgeoisés.
Elle siffla avec un sourire.
« En même temps, Nell se donne du mal. Elle le mérite. »
Une petite dizaine de minutes plus tard, le bruit urbain disparut dans le calme de longues rues aux grandes résidences fermées par des murs crème et des portails de fer noir, toutes séparées par d'immenses arbres dont les larges branchages formaient comme des parasols sur la route. Tout était impeccable, propre et sans le moindre graffiti nulle part, prouesse que l'on devait aux multiples caméras perchées au sommet de chaque lampadaire... et au portique de sécurité qui barrait la route à l'entrée du quartier.
Ysée s'arrêta au niveau de la guérite et abaissa la vitre quand elle vit la silhouette d'un homme en uniforme de sécurité l'approcher.
« Bonjour, la salua-t-il. Puis-je avoir votre pièce d'identité et le motif de votre visite ?
_ Bonjour. Oui, un instant, pria-t-elle en attrapant son sac sur le siège voisin. Je viens voir Nell Wiley, c'est ma sœur. Elle habite au 277 impasse des sauges. »
Après avoir récupéré sa carte d'identité, elle la tendit vers l'homme... qui n'en était pas vraiment un. Sur son polo noir était brodé GB200 et sa tempe brillait d'un anneau en LED. Pas étonnant que les quartiers huppés soient en aussi bon état s'il y avait autant de moyens pour y maintenir le calme et l'ordre.
Ysée n'était pas une experte en androïdes car elle n'en côtoyait pas régulièrement dans sa vie de tous les jours mais elle devait reconnaître que ce modèle-ci semblait bien plus sympathique que celui qui était utilisé par les forces de l'ordre. Avec eux, aucun moyen de négocier un excès de vitesse ou une ceinture oubliée lors d'un contrôle routier.
Le robot prit la carte qui lui était tendue et la LED clignota en bleu.
« Ysée Wiley. Oui, votre venue a bien été annoncée par madame Nell Wiley. Il est prévu aussi que resteriez plusieurs jours, n'est-ce pas ?
_ Oui, mais j'ignore combien de temps exactement. Si ça peut vous éviter d'avoir à me contrôler chaque fois que je passerai...
_ Ce ne sera pas nécessaire. Je viens d'enregistrer votre plaque d'immatriculation. Merci et bonne journée. »
L'androïde lui rendit sa carte d'identité avec un sourire et une inclinaison de tête polie avant de faire lever la barrière. Ysée le remercia en son for intérieur d'avoir évité de préciser que son visage avait aussi très certainement été scanné et mémorisé. Les androïdes avaient beau être pratiques la plupart du temps, leur technologie de surveillance et d'analyse faciale restait toujours perturbante. Dire que les générations précédentes s'en fichaient alors que leurs téléphones de l'époque commençaient à user de ce type de technologie...
Après un dernier sourire hésitant de remerciement, Ysée passa le portique de sécurité et se hâta.
Le 277 se trouvait en bout de rue, derrière une boucle formée par la route qui permettait de faire demi-tour sans encombre. C'était une très belle villa ultra-moderne perchée au sommet d'une butte toute faite de baies vitrées aux glaces sans teint et aux murs et au toit couverts de cette peinture révolutionnaire qui emmagasinait la chaleur pour la restituer dans les murs en hiver ou – dans le cas présent – renvoyaient les rayons du soleil en été pendant les trop grosses chaleurs.
Affolée par l'heure déjà bien avancée, Ysée se gara directement sur le trottoir, se précipita à son coffre pour en sortir une énorme valise et un autre gros sac de transport et se rua vers le portique qui s'ouvrit de lui-même avec une voix polie qui lui souhaitait la bienvenue.
Une chance que le chemin menant vers la porte d'entrée était une petite allée lisse qui ondulait sur la pelouse entre quelques parterres de fleurs car se trimballer des bagages aussi lourds dans des marches n'aurait pas été une sinécure.
Le cou en nage par sa course et les joues rouges, la jeune femme vit son arrivée sur le perron de la porte d'entrée comme une délivrance et s'empressa de sonner. Quelques instants plus tard, quand elle entendit des cliquetis de verrou de l'autre côté, la jeune femme se redressa et se para d'un visage le plus neutre possible. La porte s'ouvrit enfin.
« Bonjour. Je suis Ysée. Votre modèle CS900 destiné à la surveillance de votre félin adoré. »
La pimpante quadragénaire aux yeux noisette qui venait d'ouvrir la toisa de haut en bas avec un sourire moqueur.
« Whoa. Hyper réaliste, ce modèle. Ils ont même réussi à recréer des pores de peau dégoulinants de sueur. »
Toutes deux pouffèrent de rire de concert et la femme s'effaça pour laisser Ysée entrer.
« Tu ne m'en veux pas si je ne te serre pas dans mes bras, Nell ? Je m'en voudrais de ruiner tes... »
Trop tard, sa grande sœur venait de l'attraper pour l'étreindre rapidement.
« J'ai quand même le droit de remercier ma petite sœur qui me rend un grand service, non ? Je t'en prie, va te servir à boire pendant que je vais chercher ma valise. Avec cette chaleur... »
Ysée n'eut pas le temps de répondre que Nell avait déjà disparu pour s'en retourner vers l'étage. Elle retint un sourire en levant les yeux au ciel. Sa sœur était une vraie pile, chose peu étonnante quand on connaissait aussi sa sévère tendance workaholic qui se reflétait dans la décoration de la maison. Ou plutôt, la quasi-absence de décoration. Le mobilier était simple et chic mais le manque de bibelots, étagères avec des livres, tableaux ou autres objets ornementaux indiquait sans peine que la propriétaire des lieux était plus accaparée par son travail que la personnalisation de son foyer.
Après avoir retiré ses lunettes de soleil pour remettre sa paire de vue, Ysée fit quelques pas dans l'immense pièce à vivre du salon/salle à manger et lorgna avec envie sur ce grand espace dans lequel elle prendrait plaisir à paresser. L'écran géant de la télé avait pour seul rival ce canapé grège long comme un lit qui en avait aussi tout le confort. Dans la cuisine ouverte voisine toute de bois clair, le même vide austère se retrouvait. Rien ne dépassait. C'était à se demander si Nell vivait vraiment dans cette maison et pas à son bureau.
« Nell, tu n'as vraiment jamais songé à avoir un androïde pour t'aider un peu ? lança Ysée vers l'étage. Ça te soulagerait et tu pourrais...
_ Jamais de la vie, résonna la voix de Nell vers l'escalier qu'elle redescendait avec une énorme valise et un sac bandoulière pour tablette ou ordinateur. Je suis avec des androïdes toute la journée. Laisse-moi ma maison et mon ménage à moi toute seule. »
Ysée ne releva pas. Cela pouvait se comprendre, quelque part. Sa sœur aînée âgée seulement de quarante et un ans était la Responsable du Développement Comportemental Androïde de la branche française de CyberLife. Grâce à son brillant doctorat en psychologie, Nell était chargée de créer et gérer les personnalités, réactions et comportements des androïdes destinés au marché français. Les façons de penser étant différentes d'un pays un l'autre, chaque pays où était implanté CyberLife avait un département qui permettait d'adapter au mieux les futurs robots aux humains.
La jeune femme sourit doucement en regardant son aînée s'agiter tandis qu'elle s'inquiétait de savoir si elle avait bien pensé à prendre son passeport et autres documents importants. Nell et elle étaient tellement différentes. D'abord parce que Nell avait connu une première vie aux États-Unis avec leurs parents avant que ceux-ci ne s'expatrient en Europe. Ysée, elle, était née et avait toujours vécu en France, d'où son prénom bien plus local que celui de sa sœur. De plus, à cause de leurs dix-huit années d'écart, les deux sœurs ne se connaissaient que très peu. Nell avait toujours été si studieuse et perfectionniste qu'elle avait pratiquement tout abandonné pour se consacrer à ses études dans l'espoir d'atteindre le sommet dont elle rêvait.
Ce n'était que depuis quelques années qu'Ysée commençait enfin à connaître cette grande sœur carriériste et hyperactive et elle avait eu la chance de découvrir une femme pétillante, attachante et dont le travail très prenant ne la rendait pas moins disponible pour sa cadette qu'elle avait toujours regretté d'avoir négligé à cause de leur écart d'âge. De tout son entourage proche, Nell était paradoxalement la préférée d'Ysée qui voyait en elle autant une meilleure amie qu'une sœur qui avait toute son admiration.
« Oh ? Tu as changé de lunettes ? »
Ysée papillonna des paupières en sortant de sa rêverie quand la voix de sa sœur l'interpella.
« A-Ah, oui... Ma myopie avait encore progressé, alors j'en ai profité pour changer. J'en avais assez du noir, dit-elle en lissant les contours de ses larges verres sans bordure. Ce n'est pas un peu grand, quand même ?
_ Pas du tout. Je trouve même que ça t'agrandit le regard, on voit mieux tes jolis yeux pers. On a moins l'impression que tu te caches. »
La jeune femme pinça un sourire timide quand son regard fut attiré par un mouvement à ses pieds.
« Oooooh... Mais ne serait-ce pas la véritable maîtresse de cette demeure ? gazouilla-t-elle en s'agenouillant. Bonjour, ma beauté. »
Une jolie femelle ragdoll venait de pointer timidement le bout de son museau de derrière le comptoir de la cuisine. Ses immenses yeux azurs ressortaient vivement sous le noir charbon de sa frimousse et sa voluptueuse collerette blanche seyait avec harmonie aux petits chaussons clairs au bout de ses pattes. Elle s'approcha timidement d'Ysée, son épaisse queue arquée en point d'interrogation, et alla humer la main qui se présentait à elle avant de baisser la tête pour s'y frotter.
« Tu te rappelles de moi ? fondit Ysée en caressant son pelage beige duveteux. Tu es trop trop choupie. Je vais te couvrir de mamours comme jamais.
_ Merci encore pour elle, et aussi pour moi. Les instructions ainsi que l'emplacement de ses affaires sont sur le papier laissé dans la cuisine, précisa Nell. J'ai fait les courses. Le frigo et les placards sont pleins, la maison est à toi.
_ C'est gentil. Rappelle-moi la raison de ton voyage d'affaires ?
_ Séminaire à Detroit au siège de CyberLife. Je vais enchaîner les conférences et les ateliers avec en prime une visite de l'usine d'assemblage, il me semble. Tout un pataquès sur l'évolution future de la place des androïdes dans nos vies.
_ Rien de très enthousiasmant pour espérer draguer son collègue, en somme. »
Ysée guetta avec un grand sourire goguenard la réaction gênée de sa sœur. En dépit de son amour aveugle pour son travail, Nell n'était pas parvenue à rester insensible au charme de son homologue du département informatique. Tous les deux étaient amenés à travailler en étroite collaboration car le département informatique était en charge de retranscrire en lignes de code les comportements spécifiques que Nell élaborait pour les robots. Et par la force des choses, même la très occupée Nell Wiley avait fini par remarquer que son collègue était un canon de beauté en plus d'être « un peu moins binaire que la plupart des informaticiens ».
« Tu parles, bougonna Nell en haussant les épaules avec désinvolture. Vu que je passe mon temps à lui remonter des bugs et des incohérences lors de mes tests, Tristan doit avoir une photo de moi accrochée quelque part dans son bureau avec des fléchettes plantées dedans. »
Elle donna une pichenette sur le front de sa cadette.
« De plus, tu es mal placée pour me faire la leçon, Miss Casanière. Tu as à ta disposition une maison de rêve et je sais que tu n'en feras rien alors que n'importe qui appellerait tous ses amis pour faire la fête.
_ Tu plaisantes ? Ton wi-fi ultra-rapide sera une bénédiction pour mes parties de jeu avec les copains ! s'enthousiasma Ysée avec un grand sourire exagéré. J'ai trop de latence à mon appartement depuis qu'ils font des travaux sur le réseau. »
Nell roula des yeux avec dépit. Pourquoi ne s'attendait-elle pas à une autre réponse ?
« Ysée... Tu es aussi renfermée que moi. Tu devrais sortir un peu plus, c'est de ton âge.
_ Sortir, c'est bon pour la dépression mais mauvais pour l'anxiété. Rester à la maison, c'est bon pour l'anxiété mais mauvais pour la dépression.
_ Et alors quoi ? Tu vas rester sur le perron pour garder l'équilibre ? »
La jeune femme lui tira la langue tandis que son aînée abandonnait l'idée de poursuivre l'échange parce qu'elle savait qu'elle n'en tirerait rien ; surtout qu'Ysée détestait quand elle « faisait sa psy ». Sa petite sœur avait hélas hérité du caractère très – trop – en retrait de leur père qui lui non plus n'était pas un grand adepte des relations sociales et avait appris à s'en passer en très grande partie. D'autant plus que le fait d'avoir grandi presque comme une enfant unique à cause de leur différence d'âge avait renforcé la tendance d'Ysée à préférer la solitude. Savoir qu'elle était parvenue à tisser un lien, même virtuel, avec des compagnons de jeu en ligne était toujours mieux que rien.
Nell jeta un nouveau coup d'œil à sa montre et s'affola de voir l'heure tourner.
« Mon taxi ne va plus tarder. Si tu as le moindre souci, appelle-moi sur le téléphone pro. Et surtout, pas de fenêtres ouvertes pour que Siam ne s'échappe pas, hein ? Quand tu aères, tu...
_ … l'enfermes dans une pièce, je sais, sourit Ysée en prenant la chatte dans ses bras pour un gros câlin. Hors de question que la Marquise Moumoute ne me laisse toute seule. Sois tranquille. »
S'il y avait bien une chose qui savait ébranler Nell le Roc, c'était cette grosse boule d'amour poilue de cinq kilos qu'elle adorait plus que tout. Comment ne pas craquer ?
Nell s'autorisa une dernière caresse au félin en lui demandant d'être sage avec sa cat-sitter et d'aller l'embêter pendant ses sessions gaming pour la contraindre à lâcher un peu son casque VR.
À travers la baie vitrée du salon donnant sur la rue se dessinait la silhouette d'un taxi qui descendait l'allée. Nell s'empressa d'attraper son sac à main pour vérifier une dernière fois qu'elle avait bien ses billets d'avion et son passeport puis activa le bluetooth de sa valise qui se mit à la suivre toute seule pendant qu'elle se dirigeait vers l'entrée.
« Pas d'instructions de dernière minute qui te reviendraient ? questionna Ysée sur ses talons. Rien de spécial ?
_ Normalement non. Merci encore par avance pour ton aide, ma loute. À dans quelques jours. »
Après un dernier baiser sur la joue de sa cadette et une gratouille sous le menton de Siam, Nell descendit l'allée d'un pas rapide.
« Bon voyage, maman », chantonna la cat-sitter en agitant une patte du chat en signe d'au revoir.
La jeune femme répondit au dernier signe que sa sœur lui adressa derrière la vitre de la voiture et suivit du regard le taxi s'éloigner au bout de la rue jusqu'à disparaître. Elle baissa ensuite les yeux sur les deux billes aigue marine qui la fixaient entre ses bras.
« On va vivre notre meilleure vie, ma beauté. »
Je reconnais que ce début n'est guère parlant. Il a surtout vocation à jeter les bases du décor, vous permettre d'apprécier (ou pas) le style et à commencer à présenter certains persos. L'élément déclencheur principal arrive très vite.
