Chapitre 1

Dix minutes. Parfait. Je coupai le feu sous mon chaudron, et m'empressai de verser une louche de Régénération Sanguine dans ma fiole, 25cL exactement, avant de la refermer, de quitter en trombe le laboratoire.
J'avais tourné en rond, m'étais rongée les ongles et mise à maudire le temps qui s'étirait trop paresseusement durant exactement… 599 secondes. Et maintenant…

-Harry! M'écriai-je, passant comme une furie entre les portes de l'Infirmerie.

Je ne fis même pas attention aux réprimandes de Pomfresh. Vraiment! De nombreux blessés reposants ici! Inconsciente!
Elle pouvait bien critiquer à loisir, son regard rayonnait de cette joie intense qui métamorphosait joliment son visage aussi fripé et ridé qu'une petite pomme. Je l'embrassai sur la joue, pour me faire pardonner, et puis courus jusqu'à Harry en lui tendant ma potion.

-Régénération Sanguine? Demanda-t-il d'une voix rauque.

-Améliorée; répondis-je en souriant.

Hermione qui avait gardé, jusque-là, le nez plongé dans un énième volumineux grimoire, le releva. Ron, lui, haussa bizarrement un sourcil roux:

-T'es sûre que c'est sans danger?

J'hochai la tête, ayant déjà eu l'aval de Pomfresh lorsque je lui avais présenté la recette de ma création. Si une professionnelle trouvait plus d'agrément dans mon amélioration de la RS que l'originale, je pouvais en être certaine…

-Oui, et puis j'ai juste rajouté des enzymes naturelles raccourcissant le temps de réaction dans l'organisme à partir du moment où les substrats adhèrent aux souches hématopoïétiques; le renoncement… tout ce qu'il restait au fond des yeux bruns de Ron, je continuai néanmoins…. Et comme elles devaient être combinées avec un améliorateur de goût en proportion identique, il doit y avoir un léger goût de…

-Citrouille! Finit Harry qui venait de la vider.

J'hochai la tête, me mordillant la lèvre. Il était encore couvert de blessures ouvertes et sanguinolentes, contrastant trop avec la blancheur cadavérique de sa peau. D'où la RS. Surtout que Pomfresh avait accepté quelques temps auparavant de lui faire boire un substitut plaquettaire pour empêcher de nouvelles hémorragies. Cela devrait… suffire… Oh Merlin, si nous ne parvenions pas à le guérir!

-Arrête ça! Tu me donnes le tournis; grommela le Survivant.

Je m'arrêtai aussitôt, Hermione et Ron attendirent vaguement quelques choses en me fixant… Je recommençai à faire les cent pas.

-Merlin…

Oh, le soupir d'exaspération d'Harry n'avait pas de prix! Parce qu'il était vivant bien sûr! Vivant, et victorieux!

-Vous pensez à tout ce qu'on pourra faire maintenant? Lâcha Ron après quelques instants.

Nous échangeâmes Harry, Ron et moi, un regard brillant. Hermione continuait sa lecture.

-Les groupements d'Aurors, les places d'élite; il rêvait, les yeux brillants.

Et je voyais avec plaisir les joues d'Harry se colorer de rouge. Ma Régénération Sanguine était fonctionnelle! Après ça, je pus me détendre, petit à petit bien sûr… Et nous discutâmes encore un moment de la voie que nous nous étions choisis, avant qu'Hermione ne lance, sans lever les yeux de son livre:

-Vous n'avez même pas vos ASPICS, le Ministère ne voudra jamais vous prendre.

-Tu rigoles! Avec Scrimgeour prosterné aux pieds d'Harry! Lança Ron.

Ce qui lui valut un soupir d'exaspération Et… une énième dispute. J'aurais cru qu'avec la fin de cette maudite guerre, la destruction à tout jamais de Voldemort, ils auraient… eh bien, attaché un certain prix à la paix, la tranquillité. Bien sûr, je n'étais pas psychologue, encore moins philosophe. Je me contentai donc de les observer, consternée, d'échanger encore quelques mots avec Harry, avant d'annoncer que je retournais au laboratoire.

-Conditionner ma Régénération Sanguine pour l'apporter à Mme Pomfresh et nettoyer un peu ma paillasse.

-Qu'est-ce que je donnerais pas pour sortir de cette foutue Infirmerie! Grogna le Survivant.

Et, un petit sourire narquois aux lèvres, je le laissai entre nos deux meilleurs amis se disputant, Mme Pomfresh lui tournant continuellement autour, et des dizaines de blessés qui, dès leur réveil, voulaient témoigner toute leur reconnaissance envers le «Sauveur». Pauvre Harry… Durant mon chemin jusqu'aux cachots, je repensai à Ginny, Neville, rentrés chez eux, déjà, puis aux journalistes qui défonceraient bientôt les portes de Poudlard pour leurs interviews délirantes, et… et à la cérémonie d'enterrement qui clôturerait une fois pour toute cette abominable guerre… Il fallait aller de l'avant… Aller de l'avant… Je poussai la porte du laboratoire, perdue dans mes pensées… jusqu'à relever la tête, et fixer sans y croire mon plan de travail, mon chaudron nettoyé. Il n'y avait même plus trace de ma potion! Je jurai, avant de me précipiter dans le couloir, de foncer vers la classe de Rogue. Si quelqu'un était au courant du moindre aller et venu dans ces cachots, c'était lui. Lui pourrait sûrement m'indiquer quel était l'imbécile heureux qui avait volé mes potions pour l'Infirmerie!

-Profess… Sifflai-je en ouvrant à la volée la porte de sa classe.

Il n'apprécia certes pas, mais outre son regard noir, ce fut de reconnaître ma potion sur son bureauqui me figea. Ma potion! Disposée en une vingtaine de flacons sur le bureau de Rogue!

-Euh…

Très spirituel… En même temps, Rogue et «laver ma paillasse, mon chaudron, et s'occuper de mes potions pour moi» était le plus grand oxymore du siècle.

-Vous… avez ma Régénération Sanguine?

Rogue haussa un sourcil, un rien méprisant, avant de m'accorder d'une voix doucereuse:

-De toute évidence.

Ce qui… n'expliquait rien… Incertaine, je fis quelques pas vers son bureau, lui attendit en jouant nonchalamment avec sa main bandée. Les bandages s'étendaient de ses phalanges jusqu'à son coude gauche, je le savais, et protégeaient l'atroce brûlure remplaçant sa marque des Ténèbres, dernier souvenir de Lestrange envers ce traître. De nombreux muscles et nerfs avaient été touchés, et malgré les bons soins de Pomfresh, il devait encore en souffrir.

-Merci… de vous être occupé de ma paillasse et de mon chaudron.

Il ne répondit rien, se contentant de me fixer moi, plutôt que sa main.

-Et de m'avoir laissée accéder aux laboratoires tout au long de l'année, je suppose. Sans vous je n'aurais jamais pu expérimenter.

Cela s'apparentait maintenant plus à un adieu. Il y avait en fait très peu de chance pour que nos chemins se croisent à nouveau. Mais au lieu d'une dernière remarque sarcastique –méprisante au pire- que j'attendais, il me retinten sifflant:

-Expérimenter? Parce que vous pensez que modifier le goût de potions déjà efficaces s'apparente à de l'expérimentation?

-Vous l'avez goûtée?

Les remarques désobligeantes j'y étais presque familière, mais pas l'intérêt inhabituel qu'il portait à mes créations. Il renifla, évidemment narquois:

-Je l'ai testée.

Mes yeux bleus étincelèrent soudain, sans que je puisse me retenir, et j'en vins à m'avancer, jusqu'à poser mes mains contre l'extrémité de son bureau en lui annonçant:

-J'ai également utilisé le venin de Billywigs pour fragiliser uniquement la membrane osseuse et permettre une meilleure infiltration des composants de la RS, et j'ai utilisé l'essence de Murlap comme catalyseur, ce qui permet une efficacité dans les deux minutes après l'absorption contrairement au modèle original qui n'agit qu'après une demi-heure.

Et j'étais partie…

-Bien sûr, l'action sur les souches hématopoïétiques et mésenchymateuses va activer non seulement la création d'hématocrites, mais aussi de lymphocytes, de plaquettes et d'ostéoblastes qui vont optimiser, dans des proportions viables, le système immunitaire et la reconstitution de la membrane osseuse!

-Et le stabilisateur parfait du Murlap se trouve être le jus de citrouille; termina Rogue, complètement hermétique à ma passion incontrôlable.

-Exact!

Mon professeur de Potions ne put s'empêcher de ricaner, à mon enthousiasme sûrement autant que pour ce qu'il m'annonça:

-Vous devez avoir une chance insolente pour être arrivé à trouver ces bons composants par l'expérimentation. Mais cela ne fait pas de vous une…

-Les équations de Donnan pour l'équilibre des flux et celles de Merckewel sur la compatibilité! Annonçai-je en le fixant.

A cela, il ne répondit rien. Et moi, je souriais, et étais prête, très bientôt, à faire les cent pas devant son bureau en lui expliquant par quoi j'étais passée avant de trouver des résultats convenables… qu'il croit enfin que j'étais l'auteur de ces calculs et que la chance n'avait que modestement favorisé la finalisation de ma première création! Cela… aurait été particulièrement puéril de ma part, et je me serais ridiculisée si Rogue n'avait pas changé de sujet:

-Vous suivrez les cours universitaires jusqu'à la Maîtrise de Potion.

Ce n'était même pas une question. Et maintenant, ma ferveur retombait, j'en vins même à lâcher son bureau, avant de le détromper:

-Non. Je suivrai la filière Auror spécialisée dans les Filtres & Antidotes.

… Si j'avais un jour gagné une miette d'estime de cet ex-Mangemort, je venais définitivement de la pulvériser. A en juger en tout cas par le rictus dérangeant qui échoua sur ses traits.

-Crétine.

A cela… je préférai ne rien répondre. Il m'apparut que je m'étais suffisamment enflammée aujourd'hui. J'étais plus… calme… normalement. Les nerfs à fleur de peau ce devait être… la Victoire quelques jours seulement plus tôt. Ce devait être aussi la perte d'amis chers, je n'avais pas encore assez pleuré… Sans un mot, je m'appliquai à réduire les fioles de RS, puis à les faire voler jusqu'à ma poche. Mme Pomfresh les attendait après tout, depuis un bon moment. Et ce n'était vraiment pas de ma faute si les dernières paroles que j'avais échangées avec Rogue étaient des insultes.

-Vous détruisez brillamment votre avenir en suivant Potter et Weasley comme un petit chien.

De quoi je me mêle?

-Je me spécialise dans le domaine qui me passionne; contrai-je, les sourcils froncés, tout en étant certaine qu'il ne leur arrivera rien.

Sur ce, je relevai le regard pour contrer le sien. Il était… empli de ténèbres… Si sombre… sans fond… et vide… Ces yeux me faisaient peur. J'en étais paralysée. Incapable de dire quoi que ce soit dans ce silence… qui s'étendait. Et puis, lentement, il se leva de son fauteuil, s'appuyant contre le bois de son bureau. Même ainsi, il me dépassait de plusieurs centimètres, me toisait par-dessus son long nez tordu. J'eus un bref aperçu, soudain, de chaque pore de sa peau cireuse, de ses cheveux gras, de ses traits tirés, de ses joues creuses. Ensuite je reculai, par réflexe. Ce n'était pas agréable de se retrouver si proche de la chauve-souris des cachots.

-A-au revoir, professeur.

Il tiqua, bloqué dans son élan quoi qu'il ait voulu faire, et je n'attendis pas qu'il trouve une dernière insulte à me lancer avant, d'enfin, quitter sa classe. Merlin, cet homme faisait froid dans le dos! J'étais… soulagée de ne plus jamais le revoir.