Chapitre 1

C'était un patchwork d'ombres et de lumière qui crépitait dans les feuilles des arbres.

L'air était vif et l'humus de la terre encore gorgé d'averse. La forêt Interdite respirait profondément, lentement, et toutes les créatures qu'elle abritait sortaient prudemment de leur tanière.

Khorine boitillait parmi les arbres, accompagnée de Musora. Cette dernière avançait lentement, la truffe au vent, les pattes ancrées dans la terre fraîche. Elle se retournait de temps en temps pour évaluer la progression de la sorcière.

Khorine avança ses mains gantées et sectionna six tiges d'aconit napel qu'elle plaça dans un long tube à essai, elle s'arrêta ensuite devant un if gigantesque dont elle égratigna l'écorce ; elle préleva des aiguilles et de la sève qu'elle rangea dans son sac en bandoulière puis continua son chemin.

Il faisait bon. Les longs cheveux noirs de la sorcière ondulaient autour de ses épaules. Ses yeux océan scintillaient alors qu'elle se baissait pour récolter des mues de botrucs.

Elle décela différents champignons plus loin qu'elle coupa adroitement. Son sac se remplissait. Il ne lui restait plus que de la sauge, de la reine des près, de l'ipéca et des plantes des marais à récolter.

Pour ceci, elle devait se rapprocher du Lac Noir.

D'un infime signe de tête, elle enjoignit à Musora de continuer leur route et la louve ouvrit la marche.

Son poil noir soyeux luisait au soleil. Les arbres frissonnaient, des oiseaux chantaient dans le lointain, le martèlement des sabots des centaures n'étaient plus qu'un murmure.

La forêt était paisible, Khorine boîtait, le regard dans le vague.

Il faisait bon de revenir sur les terres de Poudlard. La vieille magie crépitait partout et la saluait comme une amie.

Elle se rappelait les longues marches de son adolescence pour visiter les sombrals et récupérer leurs crins tombés, les nuits d'attente pour obtenir des sisymbres scintillants à la pleine lune, la découverte impromptue d'une dédaline, les meilleures cachettes à amanites tue-mouches et bolets de satan.

Elle se rappelait aussi du château, de la fois où elle avait préparé la goutte du mort vivant dans les toilettes des filles avec Emmeline, la fois où elles s'étaient faites courser par les kelpies "apprivoisés" d'Hagrid, et toutes ces nuits à s'entraîner au duel avec son amie, et les bonbons d'Honeydukes, et...

Une tension subreptice passa dans les muscles de Musora et Khorine revint aussitôt à la réalité. Il y avait quelqu'un, tout près. Son aura était un maelström d'ombres et de lumières. Il se trouvait dans un arbre creux à vingt pas. Et c'était une jeune personne. Probablement un élève de Poudlard qui s'était perdu. Il était au moins à cinq bonnes heures de marche du château.

-Bonjour; murmura-t-elle calmement.

Il y eut un frémissement dans l'arbre et une tête fit bientôt son apparition.

C'était un jeune garçon, les cheveux noirs, tombant jusqu'aux épaules, la peau cireuse, un long nez d'aristocrate, des yeux noirs brûlants. Une coupure zébrait sa pommette gauche et un hématome grandissait sur son menton. Il sortit aussitôt sa baguette qu'il pointa sur la sorcière et quitta le refuge de l'écorce.

-Qui êtes-vous? Que venez-vous faire à Poudlard?

Sa voix était sèche et dure. Sur son chandail usé apparaissait l'écusson de Serpentard.

-Je m'appelle Khorine, voici Musora. Elle me tient compagnie durant ma récolte d'ingrédients pour potions.

La jeune femme ouvrit lentement sa sacoche, et sortit des crins de centaure et des écailles de basilic. Le garçon ne baissa pas sa baguette et Musora eut un mouvement de tête impatient.

Khorine, d'un imperceptible signe du menton, lui permit de s'approcher du sorcier. La louve avança une patte avant, puis une patte arrière, doucement. Ses yeux d'un bleu de nuit suivaient les moindres mouvements du petit humain. Il pointa sa baguette sur elle. L'animal ne s'en offusqua pas, les oreilles toujours droites, la queue oscillant de gauche à droite. Elle s'arrêta à trois pas de lui et s'assit. Le garçon avait été à deux doigts de lui jeter un sort. Mais à présent, la louve était trop proche.

-Elle ne te fera aucun mal.

Un silence suivit cette déclaration, lourd silence. Le garçon restait sur ses gardes. Et puis Musora se releva et donna un grand coup de langue sur la main tenant sa baguette. Le garçon eut une exclamation dégoûtée. Khorine éclata de rire et Musora revint vers la sorcière la queue battante. La main de la sorcière vint naturellement se perdre dans les longs poils noirs de la créature satisfaite.

-Ecoute, nous nous dirigeons vers Poudlard et le Lac Noir pour collecter des ingrédients. Il me semble que nous nous dirigeons dans la même direction. Pourquoi ne pas faire le chemin ensemble?

-Qui vous dit que je vais à Poudlard? Siffla le garçon en retour.

La sorcière haussa un sourcil:

-Le soleil se couchera dans près de deux heures, il en faut cinq pour retourner au château. Soit tu as prévu de dormir dans cet arbre toute la nuit en mangeant des racines, soit tu t'apprêtes à rentrer à Poudlard.

Il releva son menton abîmé.

-Vous passerez devant.

-Comme il te plaira; répondit la jeune femme secrètement rassurée que le garçon veuille bien la suivre.

Elle n'aurait pas pu le laisser seul dans la forêt, si près du crépuscule. En chemin, elle s'arrêta pour récupérer de la sauge et de l'ipéca et détailla au garçon qui la suivait les différentes utilités qu'avaient ces plantes en potion. Ils continuèrent ensuite leur route en silence. Musora avait repris la tête de leur groupe et humait l'air, à la recherche de dangers. Khorine boîtait, la respiration autrement stable et le pas sûr.

-Comment saviez-vous que j'étais là? Je ne faisais pas de bruit.

-Musora m'a avertie de ta présence; répondit distraitement la sorcière à la recherche d'hydnelles de Peck. Elle a un flair prodigieux.

-J'aurais pu être n'importe quoi. Mais vous n'étiez pas surprise en me voyant apparaître.

La sorcière sourit et se tourna vers le garçon perspicace :

-Je suis aussi plus sensible à la magie que la plupart des sorciers. J'ai perçu ton aura.

Le garçon eut un reniflement méprisant :

-Avec votre troisième oeil.

Ce qui lui valut un autre sourire de l'adulte, dont l'attitude était franchement déconcertante. Une autre heure s'écoula, Khorine finit par retrouver son coin à hydnelles et en fit une bonne récolte. Le garçon consentit à en prendre pour elle. Elle lui prêta des gants et un couteau et lui montra comment sectionner le pied proprement. Ils continuèrent ensuite leur route et le soleil embrassa les montagnes écossaises à l'horizon, les morceaux de ciel apparaissant entre les arbres étaient d'un orange sanguin.

-Mon aura est noire, n'est-ce pas? Demanda soudain le petit garçon.

Khorine s'arrêta. Elle le fixa, si crispé, les poings et les mâchoires serrés. Le regard bleu océan se voila un instant, puis elle fit signe à Musora de reprendre la route et fit de même.

-Elle est noire n'est-ce pas? Répéta-t-il plus fort.

-Je ne sais pas s'il est sage de te révéler ce que j'ai vu de ton aura.

-C'est mon aura! Vous êtes obligée de me le dire! S'exclama le garçon en la suivant.

Khorine soupira. Elle continua sa route sans regarder l'enfant et lui répondit:

-Ton aura est un grand tourbillon d'ombres noirâtres et de lumières vives.

Il fronça les sourcils. Des lumières?

-Qu'est-ce que ça veut dire?

-Je ne peux pas répondre à cette question. Tu trouveras peut-être des réponses dans la bibliothèque de Poudlard.

Le garçon ouvrit la bouche pour rétorquer, et puis la referma. Un tourbillon d'ombres et de lumières... Les auras étaient censées être colorées, non? Et stable, non? Les sourcils toujours froncés il continua à suivre la sorcière. Il avait mal aux jambes. La nuit venait de tomber. Ses pieds étaient tout gonflé. Des craquements sinistres résonnaient autour d'eux. Il avait faim.

Après un énième grognement du petit estomac Khorine s'arrêta et sortit d'un compartiment protégé un énorme morceau de pain de campagne, avec du fromage, et six tranches de lard entre deux feuilles de papier. Elle lui fit signe de prendre place sur des rochers tout près et lui donna la moitié de son pain, de son fromage et une tranche de lard, le reste de la viande fut pour la louve. Elle affecta de ne pas voir la suspicion sur le visage de l'enfant et tourna, comme Musora, son visage vers le croissant de lune dans le ciel. Ils s'étaient arrêtés dans une petite clairière qui laissait voir une bonne partie de la voûte céleste. Les premières étoiles commençaient à apparaître. Elle croqua dans son pain et Musora se délecta de son lard.

Des hululements, craquements, hurlements lupins résonnaient dans le lointain. La forêt était loin d'être sûre pour un enfant comme celui qui se trouvait à ses côtés. Elle était reconnaissante à Merlin de l'avoir trouvé.

-Si tu entends Musora grogner, tu te placeras derrière moi. Aussitôt, et sans discuter, est-ce clair? Lâcha-t-elle d'un ton autoritaire qu'il n'avait pas encore entendu.

Il hocha la tête, bourru et enfourna le morceau de fromage en entier dans sa bouche.

Elle sortit une bouteille d'eau qu'elle déposa sur l'herbe. Il attendit qu'elle y boive pour se servir. Qu'avait donc été la vie de cet enfant pour qu'il soit aussi méfiant? Même à son âge elle n'avait pas... Oh... Peut-être que si...

Khorine ouvrit une autre bouteille en verre d'eau qu'elle versa dans une écuelle pour Musora. Ils repartirent ensuite. Le vent était frais. La sorcière jeta discrètement un sortilège réchauffant sur l'enfant.

-Il existe un sort; commença Khorine, qui ne peut être lancé que par les êtres de Lumière.

-Qu'est-ce que c'est? Demanda aussitôt le garçon.

Khorine sourit doucement, elle comprenait.

-Le sortilège du Patronus. Il demande beaucoup de puissance et tu es peut-être trop jeune encore pour le lancer mais je peux te l'apprendre si tu veux.

Il hocha la tête, ses cheveux noirs soulevés par le vent frais. L'obscurité s'épaississait tout autour d'eux. L'enfant s'était imperceptiblement rapproché d'elle.

-Tu dois d'abord penser au souvenir le plus heureux que tu aies.

-Le souvenir... le plus heureux? Demanda l'enfant perplexe.

-Oui, un souvenir qui te remplit de joie, de bien-être, il doit être extrêmement fort.

Ils continuaient à marcher et Khorine était extrêmement sensible à tous les bruits autour d'eux. Sa tête tournait en même temps que celle de Musora, elle respirait profondément à la recherche de la moindre odeur suspecte, ses yeux accoutumés à l'obscurité scannaient les ténèbres à la recherche de mouvements.

-D'accord; répondit l'enfant. Et après?

-Prononce:" Expecto Patronum".

-Et si je n'y arrive pas? Demanda le garçon en fronçant les sourcils.

-Il est extrêmement difficile de faire apparaître un patronus, encore plus un patronus corporel. Certains de nos plus grands sorciers peuvent tout juste faire apparaître un incorporel sous forme de brouillard blanc. Et certains n'y arrivent tout simplement pas, même si leur coeur est pur et empli de bonnes intentions. Par contre, aucun être des ténèbres ne peut produire de Patronus.

Il y eut un long silence. Puis le jeune étudiant demanda:

-Que veut dire exactement Patronus corporel?

Un craquement sinistre retentit à leur droite. Musora grogna une fois, très bas, et Khorine leva aussitôt le bras devant l'enfant pour le protéger. Elle percevait de très loin une aura noire aux relents mouvants et pestilentiels. Un silence étourdissant les écrasa, et puis... Un être des ténèbres difforme se jeta sur le groupe. Musora bondit à sa rencontre et enfonça ses crocs dans une vague de brouillard toxique. Elle gémit en retombant au sol. La créature avait la gueule chargée de rangées de dents concentriques, les orbes vides, quatre longues protubérances en forme de crochet. Un mantrec. Khorine fit un bond de côté pour l'éviter, l'enfant fit de même, restant derrière elle. Musora s'était remise debout, titubant. Un crissement atroce déchira l'air, le mantrec fonça de nouveau sur eux et puis...

-Expecto Patronum! Lança Khorine d'une voix de tonnerre.

Une louve argentée bondit aussitôt hors de sa baguette et se jeta sur le mantrec. Elle lui déchira la gueule, lui laboura son corps de brouillard ; et la créature crissait et crissait d'agonie. Khorine demanda à l'enfant de ne pas regarder et le patronus porta le coup fatal à la créature qui se délita brusquement. La louve argentée s'ébroua ensuite et trottina vers les deux sorciers. Khorine ne perdit pas plus de temps et courut s'agenouiller auprès de Musora qui geignait. Les mains tremblantes elle ouvrit sa sacoche pour y récupérer un bézoard et la força à avaler, puis elle fit apparaître d'une poche magique un cataplasme à la sauge et à la poudre de dédaline qu'elle appliqua sur les plaies à sa gueule. La louve vomit rapidement une substance noirâtre et nauséabonde. Khorine lui fit ensuite avaler un fortifiant et la caressa et lui murmura des encouragements jusqu'à ce que les nausées et les vertiges passent. L'enfant et le patronus s'étaient assis plus loin et observaient la scène.

Après de longues minutes, Musora réussit à se tenir debout et ils reprirent leur chemin, le Patronus et la louve les guidant. Khorine observait avec inquiétude Musora fatiguer. Près d'une heure plus tard il y eut d'autres craquements de branchages. Musora se tourna très tard vers la source du bruit, Khorine avait déjà eu le temps de percevoir l'aura d'un ocre lumineux d'un ami.

-Qui va là? Lança sa voix forte.

-Hagrid, c'est Khorine! J'ai un des élèves de Poudlard avec moi.

Le demi-géant ne tarda pas à apparaître, ses longs cheveux noirs et sa barde hirsutes, ses yeux brillants comme deux scarabées. Un gros sourire fendait sa barbe en deux. Son regard se posa sur la sorcière, puis la louve et ses sourcils se froncèrent avant d'atterrir sur l'enfant.

-Par la barbe de Merlin, Severus Rogue! Mais qu'est-ce'tu pouvais bien fabriquer à c'tte heure-là dans la forêt Interdite?

Le garçon haussa les épaules, bourru, avant de consentir à quitter les côtés de Khorine pour rejoindre le géant. Un Rogue? Elle ne connaissait pas cette famille de Sang-Pur. Ce devait être un Sang-Mêlé.

-Tu viendrais pô au château?

-Je prendrai le même chemin que vous, mais pour accéder à l'aire de transplanage la plus proche. Musora a été blessée récemment par un mantrec, je dois avoir accès aux remèdes de mon laboratoire.

Hagrid acquiesça et ils se mirent en route vers les tours scintillant sous la lune, très loin devant eux, entre les cimes des arbres.

-Je reviendrai te rendre visite, évidemment, et chercher de la reine des près. Il m'en faut tous les mois à présent.

-Tu d'vrais t'occuper de ton p'tit problème en premier, s'tu veux mon avis; rétorqua sagement le géant

Khorine soupira en boîtant à sa gauche. Il avait raison. Le Patronus et Musora continuaient à les guider, le garçon était à la droite du demi-géant, très silencieux.

-La poitrine s'gonfle par à-coups secs; chuchota le demi-géant sans beaucoup de discrétion.

-Je sais; soupira Khorine. Du gaz toxique a dû pénétrer dans ses poumons. Je vais lui faire respirer un cicatrisant et utiliser ce que j'ai de plus fort pour extirper la magie noire restante.

Il y eut un silence, puis Khorine informa Hagrid:

-Le mantrec n'était pas seul, il y en avait d'autres à une heure de marche d'ici, plein Est.

-Très bien... Quant à toi Monsieur Rogue, j'espère qu'tu comprends quelle chance t'as eu de tomber sur Khorine!

L'enfant fronça un peu plus les sourcils et serra les mâchoires. Les deux adultes continuèrent à parler par la suite et puis la cabane du garde-chasse apparut entre les arbres et ils finirent par quitter la forêt Interdite. Le patronus disparut dans une brume blanche. Leurs chemins se séparaient.

-On s'voit la s'maine prochaine?

-Avec plaisir; répondit la Maîtresse des potions avant de boîter de quelques pas et de s'arrêter devant l'enfant.

Il la fixa, le regard aussi insondable que possible. Elle sortit discrètement une petite boîte ronde contenant un cicatrisant léger et lui glissa dans la poche. Elle traça une cicatrice sur sa pommette et pointa son propre menton pour qu'il comprenne.

-Cela a été un plaisir de te rencontrer Severus Rogue.

Elle aurait voulu rajouter quelque chose mais se ravisa. Elle aurait voulu...

Khorine se détourna, fit un dernier signe de la main à Hagrid, puis disparut avec sa louve dans la nuit.