Chapitre 2
Khorine et Musora étaient apparues sur les terres de Poudlard à l'heure du thé et avaient rejoint Hagrid dans sa cabane.
-Khorine! Pile à l'heure! Ca va comment? Entrez, entrez toutes les deux!
La jeune sorcière avait souri de toutes ses dents et avait brièvement étreint le garde-chasse. Celui-ci lui avait tapé dans le dos, gêné, avant de refermer la porte derrière eux. Ils entamèrent une belle conversation tandis que le garde-chasse sortait, une écuelle, un bon steack, des mugs géants, une grosse théière cabossée et une boîte de biscuits.
-Pas une mince affaire de r'trouver ces mantrecs. Y laissent des traces fuyantes. Mais t'avais raison, il y en avait un groupe de six près de la cascade des centaures.
-Les laisseras-tu vivre ici?
-Je ne laisse personne faire quoi que ce soit, c'est leur maison après tout. Les centaures les repousseront pt'être plus vers l'Est, mais pour l'instant y vivent heureux par là.
Khorine hocha doucement la tête, un sourire pensif aux lèvres. Musora grogna un peu avant d'attaquer son steak. Le grand homme au regard dénué de haine était incompréhensible.
-Et comment va le garçon, Severus Rogue? Demanda Khorine avant de boire une gorgée de thé amer.
-Le garçon...; commença le demi-géant pensif, est très seul.
-Je m'en doutais.
Le garde-chasse hocha sa grosse tête avant de continuer:
-C'est un serpentard, les combats avec gryffondor n'sont pas possibles à éviter. Y'se fait avoir des fois.
-Hagrid, je trouve qu'il n'y a pas grand chose de fait à Poudlard pour aider les élèves qui se font harceler. Encore moins les élèves solitaires qui n'ont personne vers qui se tourner.
Il y eut un silence. Khorine prit une nouvelle gorgée de thé, les sourcils froncés, un début de colère contre l'injustice du monde bouillonnant en elle.
-Y veut pas être aidé, ou approché. T'as vu l'gamin. J'suis même curieux d'savoir comment t'as fait pour qu'y t'suive.
Khorine haussa les épaules et peu de temps après la conversation prenait un nouveau tournant, loin du garçon à problèmes. Hagrid parla des nouvelles créatures qu'il avait rencontré dans la forêt interdite, Khorine lui raconta dans les grandes lignes les nouvelles potions sur lesquelles elle travaillait.
-Tu d'vrais t'occuper d'ta jambe en premier s'tu veux mon avis.
-Je sais; soupira Khorine, mais il faudrait que je parte en Chine durant au moins une saison pour créer un nouvel antidote. Alors que je suis sûr le point de faire une découverte fondamentale sur la réactivité des mues de botrucs. Et il ne me reste plus que quelques étapes avant de réussir à créer un somnifère extrêmement puissant. J'ai presque terminé et j'ai déjà un nom pour ma potion!
-Somnifère extrêmement puissant? Renifla Hagrid.
-La Goutte du Mort Vivant. Simple, concis, précis, efficace; rétorqua la sorcière avec un sourire satisfait.
-Tu t'rendras compte un jour qu'tes découvertes t'empêcheront pas d'avoir mal.
Khorine soupira. Il avait raison. Elle devrait quitter l'Ecosse après ses finitions sur la goutte du mort vivant. Elle écrirait l'article sur sa découverte en Chine. Les mues de botrucs pouvaient attendre.
-Et comment va Aragog?
Le demi-géant répondit obligeamment et n'insista plus sur sa jambe. Longtemps plus tard la sorcière et la louve prirent congé et se dirigèrent vers les bords du Lac Noir. Une gigantesque clairière bordée de reines des près se trouvaient à une vingtaine de minutes à pied. Elles croisèrent quelques élèves de serdaigle, assis à étudier bien sagement, un groupe plus bruyant de gryffondor et finalement s'éloignèrent du lac et des étudiants pour entrer dans la forêt. Les premiers jours du printemps étaient chaleureux. Des héliotropes, perce-neiges, pâquerettes, campanules, pissenlits et gomphrenas coloraient les sous-bois de teintes mauve, violine, blanches, indigo et miel. Une légère brise caressait les premières feuilles des arbres et les brins d'herbes soyeux. Musora absorbait avec délectation toutes les odeurs environnantes. Elles s'enfoncèrent toutes deux sous le couvert des arbres et parvinrent bientôt à la clairière de reines-des-près. Une ombre solitaire à l'aura tourbillonnante était adossée à un vieux chêne. Khorine eut un petit sourire en reconnaissant le serpentard et s'approcha silencieusement de lui. Musora l'atteignit en premier. Il releva la tête dans un sursaut, puis l'animal posa sa truffe sur la main qu'elle avait léché une semaine plus tôt. Khorine les rejoignit.
-Bonjour Severus.
Il hocha sèchement la tête.
-J'ai quelques plantes à prélever dans cette clairière. Accepterais-tu que je me joigne à toi lorsque j'aurai fini?
Il haussa les épaules:
-Faîtes ce que vous voulez.
Khorine et Musora s'éloignèrent pour récolter les fleurs qui furent rangées dans une longue bourse en soie d'araignée. Puis elles rejoignirent Severus et s'assirent à quelques pas de lui. La sorcière avait choisi une place au soleil, le visage tourné vers la source de chaleur. Musora s'était allongée près d'elle et avait posé sa tête sur ses jambes. Il faisait bon au soleil. L'air était chargé des odeurs des sous-bois, de petits oiseaux chantaient dans le lointain, la chaleur les caressaient, le garçon tournait régulièrement les pages de son grimoire. C'était "Sortilèges de défense et de dissuasion" de Catullus Double-Bazon.
-Tu as essayé le sortilège du patronus, n'est-ce pas? Demanda Khorine sans ouvrir les yeux.
Il y eut un long silence, puis la voix étranglée du garçon:
-Oui.
Khorine entrouvrit un oeil. L'enfant avait les sourcils froncés et les mains crispées sur son grimoire.
-Que s'est-il passé?
Un autre silence. Un très long silence qui ne signifiait qu'une seule chose.
-Rien.
Khorine soupira, et ouvrit les deux yeux.
-Quel souvenir as-tu choisi?
Une expression étrange traversa le visage de Severus avant qu'il ne fronce les sourcils. Ses lèvres restèrent closes.
-Severus; reprit la sorcière, tu dois choisir le souvenir le plus heureux que tu aies et tu dois laisser ce sentiment t'envahir. Le sortilège du patronus reflète la capacité de ta magie à refléter ce que tu ressens.
Elle se tut, laissant les informations infuser lentement. Puis demanda:
-Quel est ton souvenir le plus heureux?
-Le jour où j'ai reçu ma lettre de Poudlard; répondit le serpentard.
Khorine secoua la tête :
-Ce n'est pas assez fort. Quoi que tu aies pu ressentir ce jour-là ce n'est pas vers ce sentiment qu'il faut te tourner si tu veux voir ton patronus. Il faut te tourner vers un moment d'amour.
Le garçon renifla avec mépris.
-L'amour; ricana-t-il.
La jeune femme attendit, et attendit, et enfin les traits du serpentard cessèrent d'afficher ce dégoût et il sembla plonger dans une profonde réflexion. Petit à petit, son visage refléta un mélange de douleur et de douceur qu'elle n'avait encore jamais vu chez quelqu'un d'aussi jeune. Il se leva, sortit sa baguette et la pointa droit devant lui:
-Expecto Patronum.
Une fumée blanche se forma aussitôt au bout de sa baguette. Une fumée blanche qui prenait de l'ampleur et s'élevait, étendant ses grandes ailes. Un corps et une tête apparurent, une queue, les ailes battirent d'un coup sec et l'oiseau se retourna. C'était une chouette effraie.
Severus avait la bouche ouverte et une expression de pure stupeur sur le visage.
La chouette disparut rapidement.
-Je... J'ai un patronus; haleta-t-il.
Le bras tendant la baguette était retombé. Les jambes de l'enfant tremblaient. Il se rassit. Musora s'ébroua avant de laisser retomber sa tête sur les genoux de Khorine et cette dernière se garda bien de parler. La leçon que Severus pouvait tirer de cette journée était extrêmement importante. Les enfants rejetés et solitaires avaient rarement l'occasion de se rappeler le pouvoir de l'amour. Il regardait ses mains tremblantes. Khorine fouilla dans son sac et lui tendit une baguette magique en réglisse. L'enfant la prit et Khorine en sortit une autre qu'elle croqua avec satisfaction.
-C'était... ma première potion... avec ma... avec...
Ses lèvres se refermèrent et ne se rouvrirent que pour manger de la réglisse.
-C'est une très belle magie que tu as montrée.
Il haussa les épaules et se renfrogna petit à petit. Severus n'avait certainement pas prévu de dévoiler autant de choses à qui que ce soit. Surtout pas à cette adulte fouineuse. Il se rendit compte qu'il avait fini la baguette en réglisse qu'elle lui avait offert et se renfrogna tout à fait. C'en était trop. Il se leva d'un bond, serrant son grimoire contre lui, s'inclina sèchement et puis partit dans un envol de cape.
Khorine ne laissa apparaître un sourire en coin que lorsqu'il eut tout à fait disparut.
-Ce garçon; murmura-t-elle à Musora, deviendra un sorcier extraordinaire, s'il est poussé dans la bonne direction.
La louve renifla vaguement, endormie par le doux soleil de la fin de journée. La sorcière passa sa main dans les longs poils chauds et la caressa jusqu'à ce qu'elle s'endorme tout à fait. La clairière était agréable et paisible, des insectes voletaient déjà de fleurs en fleurs et les odeurs de reines-des près embaumaient l'air.
Elles rentrèrent chez elles longtemps plus tard dans leur cottage au fond de l'ancienne forêt des Cairngorms.
Khorine descendit dans son laboratoire le lendemain matin pour poursuivre ses travaux sur la Goutte du Mort Vivant. Près de vingt jours plus tard, la potion était terminée. Elle s'attela à détailler le protocole qu'elle avait utilisé, ses calculs de concentrations, de potentiels magiques, d'interactions avec des équations de Bantray et Shelch, Queray, Salienne. Khorine était plongée dans ses travaux lorsque Musora gratta à la porte. La sorcière releva la tête, cligna des yeux. Un coup d'oeil à l'horloge lui indiqua qu'il était seize heures. Son rendez-vous avec Hagrid! Elle laissa tout en plan, ouvrit la porte, attrapa au vol son écharpe et sa cape et transplana avec sa louve sur les terres de Poudlard.
Son ami l'accueillit chaleureusement et partit d'un rire tonitruant devant les tâches d'encre qu'elle avait sur la figure et partout sur les doigts.
-J'ai fini ma Goutte du Mort Vivant; fut toute l'explication de la sorcière avant d'effacer l'encre sur sa peau.
-J'dois t'féliciter alors! Si ça s'trouve ils l'enseign'ront à Poudlard dans quelques années!
-Qui sait; marmonna la sorcière en rougissant.
-Un toast alors! Lança le demi-géant en allant chercher du whisky pur-feu et deux bons gros verres.
-Mais il est à peine seize heures!
-Y a pas d'heure pour boire à la réussite!
Finalement les deux sorciers trinquèrent hardiment avant de descendre leur verre cul-sec. Au bout du troisième Khorine se leva en titubant et affirma:
-Faut que j'ramasse la reine! Des près.
Elle se rendit compte dans une stupeur alcoolisée que sa jambe droite ne lui faisait plus mal.
-Tu pourras l'faire demain; affirma Hagrid avec un grand sourire.
Khorine invita son cerveau à étudier cette possibilité avec beaucoup d'attention, avant de se dire qu'il avait raison. Musora observait le tout avec résignation.
La sorcière eut du mal à les faire transplaner jusque chez elles le soir venu. Elle vomit copieusement sur le perron, puis se traîna vers sa réserve pour trouver de l'anti-gueule de bois. Le contenu de la fiole fut avalé cul-sec.
Moralité, Khorine et la louve reparurent sur les terres de Poudlard le lendemain à seize heures pour se rendre à la clairière de reines-des-près. Sans détour par la cabane d'Hagrid. La sorcière boîtait avec difficulté. La douleur avait beaucoup augmenté en quelques heures. C'était inquiétant. Elle avala une fiole d'analgésique tout en continuant à boîter dans la forêt et atteignit bientôt la clairière qu'elles cherchaient.
La première chose qu'elle aperçut, ce fut Severus, assis au même endroit qu'un mois et un jour plus tôt. Elle s'avança vers lui, crispant les mâchoires sous la douleur, suivant Musora qui trottinait vers le sorcier. Elle lui donna un coup de museau à la main et puis s'éloigna un peu. Khorine arriva quelques minutes plus tard, le souffle court.
-Bonjour Severus.
Il hocha la tête sans un mot. La sorcière se détourna pour partir ramasser les fleurs qu'il lui fallait. Elle souffrit pour se mettre à genou et inspira plusieurs fois avant de sortir son couteau et de commencer la récolte. Elle tranchait à la base du pied. Au bout d'une trentaine de plantes Khorine se redressa et revint avec la louve jusqu'au jeune sorcier. Elles se placèrent au même endroit que la dernière fois, Khorine étendant seulement sa jambe droite au lieu de la garder pliée. Severus ne dit rien, son nez en étrave plongé dans "Le manuel avancé de préparation des potions" de Libatius Borage. C'était une vieille édition qui devait avoir au moins vingt ans.
-Savais-tu que le manuel originel est conservé par les éditeurs et qu'ils peuvent rajouter des potions, changer l'index, les chapitres et le glossaire sans que tu aies à acheter de nouvelle édition? Demanda Khorine en grimaçant tandis que la louve posait sa tête sur sa cuisse.
Elle bougea un peu sur la droite, jusqu'à ce que le poids de la louve sur elle ne soit plus douloureux.
-Non.
Par la barbe de Merlin, le gamin devenait aussi communicatif qu'un botruc.
-C'est un manuel compliqué que tu lis. Tu dois beaucoup aimer les potions.
Il y eut un silence, bien plus long que le premier, avant que le sorcier ne daigne répondre:
-Oui.
Khorine soupira, puis lui dit:
-Moi aussi.
Il ne lui répondit pas et la sorcière finit par s'étendre sur l'herbe. Le soleil étincelait. Musora décala sa tête sur son ventre. Le silence s'étendait, le vent soufflait doucement.
-Je ne vais pas tarder à partir pour la Chine. Ca devrait me prendre quelques mois, une année au maximum. Le fait est que la pharmacopée chinoise est très peu étudiée et qu'elle possède des plantes et des remèdes absolument fous.
La sorcière avait un doux sourire en pensant à l'aventure qui l'attendait. Elle avait une hâte grandissante de découvrir un nouveau pays, une nouvelle culture, une nouvelle flore, une nouvelle médecine, de nouveaux sorciers...
-Il y a des informations intéressantes dans la pharmacopée chinoise, c'est ce que vous dîtes?
Khorine ne remarqua pas que le garçon avait abandonné les monosyllabes et lui répondit avec entrain:
-Oh oui. Si tu es intéressé par leurs remèdes je te conseille de commencer par le "Shennong bencao jing" aussi appelé "le Classique de la matière médicale du Laboureur Céleste". C'est assez fascinant, les remèdes sont classés en trois catégories. Les remèdes dits supérieurs sont ceux qui permettent d'augmenter sa longévité, d'accéder à l'immortalité, ils sont détaillés comme...
La sorcière partit dans une longue explication que l'étudiant interrompait parfois pour poser des questions. Elle ne s'était pas attendu à un tel intérêt. Elle ne s'était pas attendu à des questions aussi pointues. Le garçon avait des connaissances en matière de potions assez exceptionnelles pour un deuxième année ou troisième année.
Les heures filèrent sans que les deux sorciers ne s'en aperçoivent. Ils semblaient perdus dans leur discussion. Un groupe de poufsouffle traversa la clairière, Musora partit se dégourdir les pattes, une famille de gnomes passa trois fois sous les reines des près, un centaure apparut un instant derrière les arbres, sans qu'ils ne le remarquent.
Soudain Khorine se rendit compte du ciel rougissant et du soleil flambant à l'horizon. Elle tressaillit et Severus s'arrêta dans sa question.
-Par Merlin, il est tard! Tu devrais déjà être dans la Grande Salle pour le dîner.
Severus haussa les épaules. Il aurait pu répondre qu'il n'aimait de toute façon pas manger là-bas et qu'il irait chercher son dîner aux cuisines plus tard, mais il ne dit rien. Khorine se redressa puis se leva avec difficulté, imitée par Musora.
-Désolée de t'avoir gardé aussi longtemps, je ne vois pas vraiment le temps passer quand je parle de potions; s'excusa-t-elle, gênée.
-Ce n'est pas un problème; répondit l'étudiant en se levant à son tour le visage impassible.
Un éclair d'étonnement passa sur le visage de la sorcière, puis un sourire.
-Je reviendrai certainement ici dans quelques semaines pour faire un dernier plein d'ingrédients. Nous nous reverrons peut-être avant mon départ.
-Peut-être; répondit le garçon sans rien laisser paraître de ses pensées.
Ils quittèrent ensemble la clairière et se séparèrent sur la berge du Lac Noir. Severus resta immobile, fixant la silhouette de la sorcière qui boîtait difficilement vers les grilles du château. Elle finit par disparaître. Il se détourna.
