Chapitre 4
Je n'avais pas pris de fiole de Nuit Sans-Rêve la veille et pourtant, je ne cauchemardai pas cette nuit-là. Malgré Rogue, malgré les horreurs du champ de bataille, j'émergeai doucement à presque sept heures du matin… Et ce qui me ramena à moi était très délicat, comme une caresse. Cela partait de mon front encore brûlant, dérivait sur mon visage, mon nez, mes joues, mon menton, avant de descendre le long de ma gorge, descendre… Je me recroquevillai un peu plus sous les draps, mais les doigts froids continuèrent leur parcours, flattant mes épaules, le creux de mes clavicules puis mon sternum… la sensation disparut… avant que la pulpe des doigts ne retrouve ma peau au milieu de mon ventre plat, ne s'aventure jusqu'à mes hanches… Et je compris de qui venait cette caresse irréelle. Je voulus aussitôt m'écarter de lui, mais ses deux mains me maintinrent les hanches. Oh Merlin, c'était Rogue! J'ouvris enfin de grands yeux brillant de fatigue et de rage vers lui, j'étais pâle de sommeil, les cheveux encore ébouriffés. Et lui… aussi, ses cheveux graisseux étalés sur mon oreiller, mais sa peau était pâle par nature, et l'éclat dans ses yeux n'était pas dû à une quelconque fatigue, plutôt à-à un désespoir poignant.
J'en arrêtai de me débattre, perdue devant cette souffrance que le bâtard graisseux ne pouvait pas montrer. Rogue en profita pour me ramener tout contre lui et puis, ployer la tête, jusqu'à ce que nos nez s'effleurent, que nos souffles se mêlent, que nos regards se perdent l'un dans l'autre.
-Professeur…; tentai-je.
Mais l'instant d'après, il refermait ses doigts dans mes cheveux noirs et me volait un baiser. Ses lèvres s'emparèrent des miennes -ses lèvres glacées-, longtemps, tandis que je me trouvais trop stupéfaite pour même me débattre. Puis il embrassa leur commissure, happa ma lèvre inférieure, supérieure, avant de les gratifier de petits baisers, mordillant, caressant de sa langue ma bouche rougie. Rogue… I-il m'embrassait? Paniquée, je me délivrai brusquement de sa poigne pour… pour perdre l'équilibre et m'effondrer par terre.
-Khorine; lâcha-t-il en s'avançant de nouveau.
Je reculai d'une main inconsciemment, essuyant ma bouche de l'autre et effrayée tant par sa proximité que par l'utilisation de mon prénom. Il allait quitter le lit et me rejoindre au sol, recommencer...
-N'approchez pas!
J'étais fatiguée, effrayée, incapable de comprendre pourquoi il s'en prenait à moi. Heureusement, cette fois-là, il s'arrêta. Et toutes les émotions qu'il avait pu laisser affleurer jusqu'ici disparurent derrière un soudain masque d'impassibilité. Rogue se leva par son côté du lit, se détourna de moi pour retrouver ses affaires, se rhabiller. Comme la veille il s'en occupa dans un silence de plomb.
-Huit heures, dans ma classe.
L'instant d'après il avait quitté ma chambre. Moi, je me relevai et dus prendre un certain temps pour mettre mes idées en place. Se… doucher… se doucher d'abord. Et sous l'eau brûlante je tentai d'emboîter les pièces de ce puzzle incompréhensible. Il m'avait piégée pour m'obliger à coucher avec lui, m'avait contrainte à accepter de dormir avec lui et m'avait embrassé sans aucune raison alors même qu'il n'avait pas mis sa première menace à exécution. A quoi jouait-il? Etait-ce… un contrecoup de la guerre?
Est-ce que… je savais que tout cela paraissait insensé mais… Rogue avait besoin du contact d'un autre être humain? Enfin, il était désespéré, et seul, depuis toujours, peut-être qu'il voulait tout simplement que quelqu'un soit proche de lui, se donner l'illusion d'être apprécié… Et j'aurais pu… avoir de la compassion s'il s'avérait que mon hypothèse soit exacte… si je ne m'étais pas fait la réflexion que n'importe quelle prostituée dûment payée aurait fait l'affaire! J'allais manger dans la Grande Salle et parvins à occulter de mon esprit l'immonde piège dans lequel je m'étais empêtrée. Mes amis m'y aidèrent beaucoup.
-Nous aurons vingt-cinq chapitres à voir en Métamorphose, vingt-neuf exactement en Astronomie, Défense contre les forces du mal, et Sortilèges, dix-huit en Botanique et en Potion, quinze seulement en Histoire de la magie, et… vingt-quatre en Soin aux créatures magiques, je crois.
-T'étais obligée de nous le dire? Grogna Ron, ce qui ne sembla pas pourtant lui couper l'appétit étant donné qu'il enfourna aussitôt son troisième croissant au beurre.
Mais pour une fois sa petite amie n'en prit pas ombrage comme, avec un grand sourire, elle leur apprit:
-Bien sûr, pour ceux qui suivent toujours l'option Divination il y'aura trente-deux chapitres en plus à étudier.
Je ricanai dans ma tasse de thé tandis qu'Harry et Ron blêmissait.
-Pourquoi? Mais pourquoi? Gémit Ron.
Harry était trop atterré pour relever le nez de son bol de chocolat chaud. Et à vrai dire, la seule qui avait l'air vraiment satisfaite de son sort en ce début Juin, c'était Mione.
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-En garde, Lumare.
Même pas le temps de penser à lutter contre la vague de magie qui me souleva le bras. Je haletai, furieuse.
-Ne pourriez-vous pas; grondai-je déjà en position, arrêter de me donner tous ces ordres directs?!
Emotion connue de Rogue, plaisir sadique… Qui fit incurver ses lèvres fines, tandis qu'un ricanement lui échappait et qu'il susurrait:
-Je reconsidérerai peut-être la question, si vous parvenez à me battre.
Merlin! Je lui décochai un regard noir au beau milieu de la salle de classe vidée de tous ses pupitres. Comme si je pouvais battre un ex-Mangemort, espion au service de la Lumière depuis plus de vingt-et-un ans!
-Votre cause n'est pas encre perdue. Battez-vous.
-J'y compte bien; sifflai-je, avant de me ruer sur le côté pour éviter son premier sortilège.
Je répliquai aussitôt d'un Expelliarmus, m'engageant corps et âme dans une bataille sans merci. Mais évidemment je perdis. Il n'y eut que la Métamorphose qui me permit de reprendre l'avantage, j'y avais toujours été douée… Ainsi, bien que frustrante, cette première journée s'écoula rapidement. Et Rogue put m'annoncer le soir même quel serait mon emploi du temps. Début des sessions à 8h précises par deux heures de Métamorphoses, puis deux heures de Défense contre les forces du mal, ensuite une heure pour déjeuner avec mes amis avant de rejoindre Hagrid en Soin aux créatures magiques pour deux heures enchanteresses, Sortilèges ensuite et Potion à la fin de la journée, soit jusqu'à 19h. Etrangement, Rogue avait accepté d'ouvrir un laboratoire et sa réserve pour mes amis mais uniquement le matin. Il avait catégoriquement refusé de nous enseigner à tous les quatre en même temps. On se demandait bien pourquoi… Oh, et je devrais, en plus, chaque week end, apprendre deux chapitres en Astronomie, Botanique et Histoire de la Magie. Ces cours-ci, Rogue me les ferait réciter le Lundi matin où je devrais exceptionnellement arriver une heure plus tôt. Ce programme s'avérait… intensif… Mais passionnant! Jamais je n'avais autant apprécié être une sorcière! Et tant que Rogue gardait ses distances, la situation était supportable… Supportable…
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Il n'avait pas… mis sa menace à exécution. Lorsqu'il venait dans ma chambre, Rogue m'obligeait seulement à tolérer sa présence, et à rester dormir dans ses bras. C'était détestable, mais moins que ce qu'il m'avait initialement annoncé. Je crois que j'aurais pu en être soulagée, me dire qu'il s'en contenterait… s'il n'y avait pas ces regards durant certains cours, sa façon de m'approcher, les gestes presque anodins qui ne l'étaient en rien venant de Rogue. Les cours de Potion, particulièrement, étaient éprouvants; parce que je ne pouvais pas bouger de derrière mon chaudron et que lui préférait m'intimider en me tournant autour plutôt que de rester lire à son bureau.
-Plus fine la poudre d'ailes de fée! Vous devez appuyer plus fort sur le mortier.
J'obtempérai en serrant les dents. Je le savais! Je m'étais acharnée à apprendre par cœur toutes les étapes de fabrication de cette * Merlin de potion d'Invisibilité! Et je savais qu'il fallait que cette poudre soit plus fine!
-Le feu sous votre chaudron est trop fort, Lumare; prononça-t-il de son horripilante voix doucereuse. Il doit être à 38 degrés, vous sentez bien qu'il est déjà à 39,5.
J'aurais peut-être pu, en effet, s'il cessait de me tourner autour comme un charognard au-dessus de sa proie! Par les chaussettes de Merlin, ne pouvait-il me laisser travailler en paix?! Je détestais le frôlement de sa cape contre mes chevilles, son souffle et sa présence dans mon dos, ses remarques mauvaises alors que je maîtrisais la confection de ma Potion. Toute à mon agacement, je commençai à tourner vingt-huit fois dans le sens contraire des aiguilles d'une montre avec plus de force qu'il n'en fallait. Et cette fois, Rogue ne fit pas que me critiquer. Son torse vint se coller contre mon dos et ses longs doigts glacés vinrent piéger les miens autour de la cuiller.
-Votre poignet doit être plus délié, vos mouvements plus fluides. Voyez-vous Miss Lumare; me susurrait-il à l'oreille tout en m'obligeant à tourner avec lui, la potion d'Invisibilité requiert avant tout de la délicatesse.
-Je pourrais être tout à fait délicate; sifflai-je en comptant vingt-deux tours, si vous cessiez de me harceler.
Son contact se fit plus pressant et je sentis… je sentis…
-V-vingt-huit; bégayai-je, pétrifiée.
Heur… Heureusement, il lâcha ma main, et s'écarta de moi. Il ne dit plus rien le restant du cours, ne m'approcha plus, mais je ne pus relever la tête de mon chaudron non plus, laissant de longues mèches brunes de mes cheveux le cacher à ma vue, ou me cacher de la sienne, je ne savais plus trop…
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Durant cette première semaine, intenable, je supportai les cinq premiers soirs de sa présence dans mes quartiers avec répugnance. Mais je m'attendais presque à ce qu'il prenne le Samedi et le Dimanche aussi… Chose qu'il ne fit pas. Et je ne me risquai à l'accepter pour la première fois, que le dimanche, à une heure du matin.
Je m'endormis épuisée, mais soulagée… Soulagée…
La porte claqua brutalement, me tirant soudain d'un profond sommeil.
-Quel sort pour changer un fil en aiguille? Lâcha la voix de mes cauchemars.
Je sortis difficilement la tête de sous mes couvertures, les cheveux en bataille, la vision embrumée de par mes yeux bleus brillants de fatigue.
-D-de quoi? Marmonnai-je en apercevant la sombre silhouette entrée dans ma chambre.
Elle était éclairée, faiblement, par la lumière perçant des rideaux.
-Je déteste me répéter, Lumare.
Fil… aiguille… A tout hasard, je lâchai un:
-Commutatio in ferrum?
Que Rogue accepta d'un grognement.
-Quel mouvement de baguette?
Je me frottai maladroitement les yeux, avant de me redresser contre le montant de mon lit. Rogue était de moins en moins flou près de la porte.
-Signe de l'infini, deux fois, dans le sens inverse des aiguilles d'une montre et… et je peux savoir ce que vous faîtes ici à… six heures du matin!
Il m'adressa un rictus tout à fait détestable.
-Je ne vois pas l'intérêt de paresser au lit, comme certaine…
Paresser au lit, paresser au lit… Je lui renvoyai un regard noir qui n'eut aucun effet avant de… Oui, j'en vins presque à me justifier:
-Il se trouve que je travaille jusque tard le soir, moi, professeur.
Ma réplique sembla presque… l'amuser. Ce devait être une illusion, une illusion due à mon pauvre cerveau fatigué.
-Pourriez-vous, maintenant, me citer les dix sortilèges d'attaque à effet sur les lycanthropes?
Je grognai, et puis sans répondre, me recroquevillai sous les couvertures. Qu'il aille au diable! J'étais libre de ne pas lui répondre de Samedi minuit une jusqu'au Dimanche vingt-trois heures cinquante-neuf. Sauf contre ordre exceptionnel… mais ce n'en étais pas un, me convainquis-je, fermant les yeux, pour sombrer aussitôt dans le sommeil.
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Le rythme d'apprentissage était presque… insoutenable. Surtout parce que Rogue souhaitait approfondir chaque leçon et ne me permettre d'arrêter que lorsque le sortilège, la notion ou l'information était parfaitement maîtrisé. Le week end, bien que je n'aie pas à supporter Rogue continuellement sur mon dos, passait trop vite, tiraillé entre les leçons que je devais apprendre, celles où j'avais pris du retard, les sortilèges que je risquais d'oublier, les étapes de Potion que je pouvais mélanger. J'aimais bien par contre les moments que nous passions tous ensembles, Harry, Hermione, Ron et moi, à table, ou durant les Soins aux créatures magiques. Hagrid était un bon professeur, qui appréciait d'étranges animaux, mais il était tellement gentil, et nous facilitait tellement l'apprentissage en nous enseignant des astuces mnémotechniques tout en se faisant courser par l'armée de petits gobelins qui avait envahi son jardin…
-Miss Lumare; soupira le bâtard graisseux, ce que je demande n'est pas compliqué pourtant. Je vous le répète donc pour la dernière fois: quelles sont les trois plantes à fleurs que vous pourriez ajouter à la potion Anti-céphalée que vous préparez pour la relier à la fin de la troisième étape de confection de l'Aiguise-Méninge?
Je haïssais ses cours de Potion! Aucune possibilité de me concentrer sur ma préparation, d'apprécier le bouillonnement du mélange, de sentir la potion se transformer, s'épaissir ou se diluer autour de ma cuiller, je ne pouvais même pas couper tranquillement un tentacule de Murlap sans qu'il ne me déconcentre de ses questions impossibles!
-Je ne sais pas! Sifflai-je, me concentrant sur l'étape particulièrement délicate d'ajout du tentacule.
-C'est si simple, pourtant; susurrait-il.
Et il se rapprochait de moi. Et j'en étais malade de dégoût, et de fureur. Les lysosomes des cellules épithéliales présentes un peu partout sur les tentacules, s'ouvrirent brusquement, créant un remous qui alla en s'étendant sur toute la surface de la potion. Elle bouillirait ainsi durant trois minutes, précisément.
-Alors?
Il était trop proche! J'en fermai les yeux, pour siffler en contenant difficilement toute ma colère:
-Je suis occupée.
-Donnez-moi la réponse; insista-t-il.
Et c'était un ordre. Et je désobéis avec une rage flagrante.
-Je n'en ai rien à faire; crachai-je, de savoir si c'est l'échinacée ou la belladone! Je veux fin…
Je ne pus aller plus loin, parcourue par une atroce vague de magie. Elle me déchira de l'intérieur, sectionnant l'oeso… Je vomis aussitôt mon sang… en plein dans mon chaudron.
-Khorine! S'étrangla Rogue, tandis que j'agrandissais les yeux de frayeur.
Les coagulants associés aux globules rouges de mon sang, au pH acide des lysosomes. Tout allait… La potion vira au jaune souffre, et je ne pus rien voir de plus comme Rogue se jeta sur moi, me protégeant…Deux secondes plus tard, le chaudron explosait! Le liquide hautement corrosif nous aspergea tous les deux, se fondant sur la cape de Rogue dans un grésillement effrayant, touchant malgré sa protection ma jambe, mon bras gauche.
-Venez!
Rogue m'agrippa la main pour fuser avec moi vers une porte dans le fond de la classe. La… potion avait traversé le tissu du collant, et ça brûlait… brûlait… Il défonça pratiquement la poignée pour ensuite me jeter contre un mur carrelé. Une douche… Je m'empressai d'ouvrir le robinet et l'instant d'après, nous nous tenions tous deux trempés sous le jet glacé. Oh Merlin, j'avais eu tellement peur! Je m'écroulai contre le mur, encore haletante, mes longs cheveux dégoulinant d'eau, mon uniforme collant à ma peau, ma manche gauche et mes collants troués, mes chaussures engorgées.
-Ne vous avisez, jamais plus, de me désobéir; siffla Rogue.
Je tournai un regard océan encore effaré vers lui. Et ne pus rien trouver à rétorquer. Je haletai seulement, tremblante. Est-ce que… vraiment… une de mes potions avait explosé? J'avais échoué… E-et la chauve-souris des cachots m'avait protégée. Spontanément. C'était Rogue qui avait pris la plus grosse partie de la potion!
-Est-ce que… vous allez bien? Murmurai-je, le fixant toujours.
Ses cheveux graisseux dégoulinaient d'eau et collaient son front, ses tempes, les gouttes descendaient ensuite le long de sa gorge pour tremper son col, sa cape et sa robe de sorcier qui n'avaient jamais aussi mal caché la maigreur de son corps.
-Je ne suis pas mortellement blessé, si c'est votre question; grommela-t-il en tendant toute la partie supérieure de son bras sous l'eau.
Un énorme trou s'était formé ici, laissant une peau habituellement blafarde, tâchée de rouge. C'était rassurant de voir qu'il ne semblait pas trop en souffrir, par contre tout à fait inquiétant qu'il m'ait répondu sans m'abreuver d'insultes. Je frottai pensivement contre ma jambe pour enlever les derniers résidus de potion, puis l'observai à nouveau en réponse au regard brûlant que je sentais posé sur moi. Etait-ce moi ou… l'atmosphère s'était considérablement transformée? Je passai une main nerveuse dans mes cheveux dégoulinants, puis marmonnai que j'allais me changer. Un pas pour sortir de la douche, un deuxième malgré le sol glissant et il ne m'en restait plus qu'un troisième à faire lorsque je perdis maladroitement l'équilibre. Rogue me retint et mes doigts ne trouvèrent pas mieux que de s'agripper au tissu de sa robe.
-D-désol…
Mon genou avait glissé trop loin vers lui, et touché un endroit de son anatomie particulièrement indécent et… gorgé de sang. Je blêmis. Relevai les yeux vers son masque de neutralité qui se fissurait. L'instant d'après, je fusais de la cabine de douche pour m'enfermer dans mes quartiers.
