Pour la troisième fois en deux mois, mes pas foulaient le sol dallé du château de mon enfance. Poudlard.
J'y avais été tellement heureuse. Et même la bataille finale n'avait pu m'arracher les souvenirs de bonheur…
Harry y enseignait en tant que professeur de Défense contre les forces du mal. Ses élèves l'adoraient, il semblait aller un peu mieux. Après la guerre, nous avions dû faire le deuil de tant de proches aimés, Mione, Ron… Harry ne s'était jamais vraiment pardonné. Il y avait eu des années de vagabondage emplies d'alcools, de crises d'angoisse ou d'une folie menaçante; puis une réclusion déchirante… J'avais réussi par je ne sais quel miracle à le faire sortir du square Grimmauld où il attendait la mort et, petit à petit, l'avais ramené parmi les sorciers. Il commençait à recouvrer la santé lorsque le professeur Flitwick, l'une de nos seules connaissances à avoir survécu, avait proposé à Harry de revenir à Poudlard pour y enseigner. Il avait souri, pour la première fois depuis six ans.
Enfin…
Et m'avait accueilli aujourd'hui encore, en souriant doucement, de ce petit sourire coupable... Jamais il ne pourrait oublier. Moi non plus. Mais il fallait tenter de taire les horreurs du passé et de vivre, pour ceux qui étaient partis, pour ceux qui étaient restés.
Je toquai doucement à une porte épaisse en bois de chêne, suintant l'humidité... Ce couloir était parcouru de ténèbres glaciales, et cette solitude tourbillonnante qui déchirait le cœur, et ces cris d'horreur qui revenaient résonner à…
La porte s'ouvrit brusquement. Je revins à la réalité. Severus Rogue me faisait face, l'obscurité de son regard aussi terrible que celle des cachots.
-Lumare… grinça-t-il.
Il était plus pâle que dans mon souvenir, plus maigre, plus fatigué, effrayant, et ses yeux… Je reculai d'un pas sans m'en rendre compte, tandis qu'un rictus terrible apparaissait sur ses traits.
-J-je… Je suis venue prendre de vos nouvelles; réussis-je à dire.
-Voyez-vous ça.
Il haussa l'ébauche de ce qui avait été un sourcil sarcastique, croisant les bras.
-Oui, je ne vous ai pas vu dans la grande salle. Et comme je passais…
Mais je pouvais dès à présent reconnaître que c'était une des plus mauvaises idées que j'avais eu. Ma dernière tirade avait provoqué son rire. Le premier rire que j'avais jamais entendu provenir de sa gorge, un rire qui me glaçait le sang. Et son regard où tourbillonnaient des ombres de cauchemar…
-Vous faîtes bien Lumare; fit-il enfin, il n'y en aura bientôt plus.
Je pâlis considérablement, ayant peur de comprendre.
-… A votre avis, couteau ou poison?
La colère et la douleur crispèrent mes traits:
-Ne vous moquez pas de moi!
-En tant que maître des potions; continua-t-il vicieusement, un poison violent devrait conv…
Je me jetai sur lui dans un hurlement rageur, l'agrippant par le col, le secouant, le repoussant. Je ne me contrôlais plus. Je revoyais le corps, Neville…
-Vous n'avez pas le droit! Vous n'avez pas le droit!
Nous basculâmes dans ses appartements, il ferma la porte, et je me figeai d'effroi. Des étagères entières de potions et de livres ravagées, brisées au sol; des éclats de verre tranchant exposés sur les dalles; et sur son bureau des fioles de potions vermeil, deux lames de couteau aiguisées. Il profita de ma terreur pour arracher mes mains de sa cape, et m'enserra les poignets à me les briser. Ses forces lui revenaient par soubresauts douloureux, tout comme les flammes terribles de son regard. Je tirai sur mes poignets pour qu'il lâche mais la pression ne fit que s'accentuer tandis que nos mouvements nous menaient à traverser le salon ravagé.
-L-lâchez-moi!
Non, ce n'était pas possible! Rogue ne pouvait pas… Je devais cauchemarder!
-Alors Lumare; ricana-t-il, m'entraînant toujours plus loin. Vous ne voulez plus prendre de mes nouvelles?
La situation était hors de tout contrôle, il paraissait parti dans un délire trop profond. J'essayai de le raisonner, de lui faire desserrer son étreinte, mais il n'entendait rien.
-C'est bien. Après avoir retrouvé votre précieux petit Potter… (Nous percutâmes un fauteuil déchiré), vous daignez descendre jusqu'aux cachots pour y voir la chauve-souris graisseuse! Parfait Lumare! (Rogue me cogna contre le mur à l'autre bout de la pièce, je gémis de douleur) Et moi je devrais certainement vous remercier. Après tout, vous êtes la seule à vous être un jour déplacée. Lumare…
Une de ses mains se leva pour me caresser la joue, j'écarquillai les yeux. Il m'effrayait, me coupait la circulation sanguine.
-Lâchez-moi! Eructai-je.
Ce qui ne fit que raviver une fureur sans nom. Violemment, il m'arracha au mur, pour me cogner contre une porte qui s'ouvrit. Je basculai en arrière et trébuchai sur quelques pas avant que Rogue ne me renverse contre un lit. Il me piégeait contre le matelas, les poignets enserrés dans une seule main. Puis ne bougea plus. Nous nous fixâmes. Mes yeux d'un bleu profond se perdaient dans les ombres charbon des siens. Il y avait quelque chose… Comme lorsque nous étions venus avec Harry pour le libérer d'Azkaban. Le même regard, vide et profond, fiévreux et lucide, rancunier et reconnaissant… Impossible à décrire, impossible à comprendre. Tout comme l'homme qui avait été sauvé de la cabane hurlante, acquitté par nos témoignages et de nouveau accueilli à Poudlard en tant que professeur de Potions.
-Professeur; murmurai-je.
Je voulus lever les mains vers son visage de nouveau insondable, mais il m'en empêcha.
-Vous ne vous méfiez pas assez de l'être humain, Lumare; commença-t-il d'un ton douceâtre. Toute sa monstruosité…
Il lâcha enfin mes poignets pour se relever, je le fixai sans esquisser le moindre geste.
-Personne ne vous entendra hurler. Personne ne viendra. Il n'y a personne au fond des cachots.
Je crispai les mâchoires, même au fond d'un abysse de désespoir, ses plaisanteries étaient détestables.
-Ça n'a rien d'amusant! Lui crachai-je alors qu'il se tenait de nouveau impassible devant moi. Vous allez trop loin.
Et je me relevai les poings serrés, bien décidée à revenir dans son salon pour balancer toutes ses fioles de poison et toutes ses lames coupantes au feu… Mais Rogue me saisit le bras, m'empêchant d'aller plus loin.
-Pensez-vous que ce soit une plaisanterie?
Il commençait sérieusement à m'énerver.
-Ça ne peut être qu'une plaisanterie! Et si vous pens…
Il me projeta de nouveau violemment contre le matelas et ne tarda pas à m'y immobiliser. La tête contre les draps, le bras tordu dans le dos. A quoi jouait-il par Merlin?! Mon épaule tordue me brûlait. Je tentai de me relever, il m'enfonça plus fort contre le lit. Puis dégrafa ma cape qu'il lança à travers la pièce. Elle se gonfla dans les airs puis se posa au sol avec une douceur nouvelle dans ces cachots. Rogue m'immobilisait durement.
-Je vais vous montrer que je suis sérieux; susurra-t-il.
-Arrêtez ça.
Je tournai la tête vers lui, essayai de lui faire entendre raison de nouveau.
-Commenceriez-vous à avoir peur, Lumare? Après tout (j'entraperçus un sourire à la commissure de ses lèvres), je ne suis qu'un Mangemort qui a retourné sa veste au dernier moment.
-Qu'est-ce que vous…
-Quoi de plus normal! Ricana-t-il, avant de me relever soudainement.
Mes genoux cognèrent durement contre le sommier alors qu'il me serrait contre lui, prisonnière par mon bras plié entre nos deux corps. Son torse se soulevait spasmodiquement contre mon dos, ses mains tremblaient. L'une d'elles s'éleva bientôt pour m'enserrer les mâchoires. La manière dont il me touchait, dont il m'enlaçait, me faisait comprendre bien trop tard qu'il était… sérieux.
-Quoi de plus normal; répéta-t-il dans un murmure. Surtout vous (il caressa mes lèvres, descendit le long de mon cou. Je frissonnai)… L'héroïne de guerre, ordre de Merlin deuxième classe, respectée et aimée par la communauté sorcière.
A ces mots, ses doigts remontèrent pour m'enserrer violemment le cou. Je dus rejeter ma tête en arrière, tout contre son épaule pour que ma trachée ne soit pas entièrement bloquée. Ses cheveux gras effleuraient ma joue, ses longs doigts froids tremblaient contre mon cou.
-Vous étiez avec lui, toutes ces années. Potter (le nom de mon ami semblait lui écorcher les lèvres)! Le couple de survivants. Si nobles dans la victoire; siffla-t-il. Pardonnant même ses crimes au plus ignoble meurtrier qui soit… Mais pensiez-vous que les sorciers suivraient? Le pensiez-vous en fuyant Poudlard?
Je me débattis.
-Nous n'avons pas fui!
Rogue n'y prêta aucune attention.
-Vous m'avez amené à Poudlard, Lumare. Vous m'avez soigné (son souffle, ses lèvres effleuraient ma peau. Ses murmures se perdaient avant de parvenir à mon oreille…). Et vos doigts froids contre mon front, vos sourires idiots… Vous n'avez pas idée de ce que vous avez fait.
Il soupira, son menton retombant contre ma clavicule, son nez aquilin perdu dans mes cheveux sombres.
-Je ne comprends rien de ce que vous dîtes; lançai-je en tirant sur mes poignets. Lâchez-moi, Rogue!
Il ne desserra pas sa poigne et s'il releva la tête, ce fut pour me mordre l'oreille. Je tressaillis.
-Alors laissez-moi vous faire comprendre; susurra-t-il.
J'essayai de me retourner mais il me tint plus fermement encore avant de commencer à déboutonner ma chemise blanche.
-Je vais (ses doigts descendaient trop vite, ouvrant toujours plus grand les pans de mon vêtement) vous montrer.
Il l'ouvrit jusqu'au bout, les pans claquèrent, alors qu'il descendait plus bas. Mon pantalon… J'hurlai, terrifiée. Sa main se figea, puis remonta enserrer mes côtes. Je tremblais dans ses bras.
-Restez; lâcha-t-il si bas. Lumare… Le monde me hait, où que j'aille. Et c'est de votre faute.
Il y avait quelque chose dans sa voix de profondément déchirant. Et malgré tout ce qu'il avait fait, je tournai la tête vers lui. Seul son nez tordu dépassait du rideau graisseux de ses cheveux, mais j'arrivai à distinguer l'éclat sombre de ses prunelles, se voilant...
-Vous m'avez privé de ma mort, la seule mort décente à laquelle je pouvais prétendre… Je n'aurais pas dû sortir en vie de la cabane hurlante! Je n'aurais pas dû. Ni quitter Azkaban… Tout est de votre faute, Lumare (il me serra plus fort contre son torse).
J'entrevis des larmes brûlantes noyer ses yeux sombres. C'était la première fois… que Rogue…
-Professeur; murmurai-je…
-Je vous hais.
Sa voix profonde et sifflante me glaça.
-Je vous hais, Lumare. Et je ne vous rendrai à personne. Ni au monde, ni à Potter. Je ne le permettrai plus…
Des gouttes d'eau imbibèrent le haut de ma chemise. Rogue tremblait. J'essayai de me dégager de sa poigne, pour lui faire face, pour comprendre, pour l'aider. Mais mon mouvement le remplit de rage.
-Non!
D'une violente secousse il m'envoya m'écrouler sur son lit puis m'y rejoignis, arracha le haut de ma chemise.
-Prof… Rogue! Severus! Hurlai-je en me retournant vers lui.
Il me piégea aussitôt contre son corps, enserra de nouveau mes poignets.
-Ne me fuyez pas; siffla-t-il.
Ses lèvres descendirent vers les miennes. Mais je détournai la tête et il se vengea sur ma mâchoire qu'il mordit. J'haletai. Il recommença, mordit plus bas, arriva au cou, aux épaules. Je me tordais, tentant de lui échapper, alors que ses doigts s'appropriaient mon corps, marquaient ma peau blafarde. Et puis sa main descendit, plus bas, trop bas, et se glissa dans mon pantalon. Un hoquet d'horreur me souleva le cœur, je tentai de l'arrêter, cherchai le regard du maître des potions mais ses cheveux noirs me le cachaient.
-Je vous en supplie… Severus; hoquetai-je.
Il ne répondit rien, mais enleva sa main. Je crus… Il la remplaça par la bosse de son pantalon puis se pencha sur moi et mordit de nouveau ma gorge. Ses gestes se faisaient plus brusques. Des larmes coulaient malgré moi. Je ne voulais pas…
Lorsque soudain, on toqua à la porte.
-Khorine?
Rogue se figea, releva la tête, nos souffles erratiques et nos regards se mêlèrent. Il vit mes larmes, moi une lueur vacillante au fond de ses ténèbres. Ses doigts tremblaient autour de mes hanches, il resserra sa prise…
-Professeur Rogue? Appela Harry de nouveau.
Il toqua plus fort et Rogue siffla. Je le fixai, pétrifiée. J'étais incapable de savoir ce qu'il allait faire, incapable de le comprendre. Allait-il l'ignorer? Me stupéfixer avant de renvoyer Harry des cachots? Ou…
Rogue desserra sa prise, lentement, puis se releva, me tourna le dos. Je lâchai le souffle que je n'avais pas eu conscience d'avoir retenu, mais restai encore quelques secondes étendue dans le lit, incapable de mouvement. Il aurait pu me… Je me relevai, essuyant les pleurs qui sillonnaient mes tempes, et partis dans le coin opposé de la chambre. Mes doigts tremblaient en reboutonnant ma chemise, en remettant ma cape. Alors qu'il n'y avait rien eu! Rogue s'était arrêté. Il n'avait rien fait. J'inspirai, passai mes doigts dans mes longs cheveux, puis quittai la chambre. Harry toquait plus fort.
-J'arrive! Lui lançai-je.
Puis je me dirigeai vers le bureau de Rogue, m'emparai de toutes les fioles, de tous les couteaux, de tout ce qui pouvait un jour lui arracher la vie, et les balançai au feu. Des craquements secs, du métal contre les pierres, le rugissement des flammes qui léchèrent les murs de la cheminée. Le bruit alerta Rogue et Harry.
-Khor, qu'est-ce qui se passe? Fit la voix étouffée d'Harry.
Rogue était entré dans le salon et fixait les flammes les poings crispés. Mon regard bleu océan était rivé sur lui, sur le maître des potions, sur l'homme de l'ombre.
-Tout va bien; lançai-je.
Il crispa violemment les mâchoires, ses yeux charbon foudroyaient la cheminée.
-Quant à vous; murmurai-je pour que seul Severus entende, je vous interdis de ne pas m'ouvrir la porte demain.
Je vis distinctement ses yeux s'écarquiller, il les tourna vers moi, se ravisa. Rogue… Il y avait tellement de souffrance dans son regard, tellement de… C'était lui, juste lui, et je ne pouvais pas… le laisser.
-Je reviendrai demain soir…, après-demain soir, tous les soirs de la semaine et celle d'après, celle d'après encore… J'attendrai devant la porte de vos appartements saccagés, et vous avez intérêt à être là pour m'ouvrir!
-Vous êtes stupide.
-Tellement que je suis prête à enseigner n'importe quelle matière à Poudlard rien que pour rester plantée devant votre porte toutes mes soirées!
Et sur ce, je me détournai dans un envol de cape pour atteindre la porte. Je l'ouvris rapidement pour faire face à un Harry intrigué, puis ajoutai pour la forme:
-Je serai là demain, et je ne vous souhaite pas bonne soirée!
Je claquai le battant de bois et traînai Harry hors des cachots sans aucune explication. Les seuls mots qui quittèrent mes lèvres tandis que nous remontions vers la surface furent:
-Tu ne m'avais pas dit que le professeur Chourave allait prendre sa retraite?
-Si, pourquoi?
Un hochement de tête fut sa seule réponse.
Fin
