Chapitre 5
Elle avait détourné le regard en voyant Severus au Symposium des Maîtres Potionnistes l'année suivante. Son bras était marqué. Son aura s'était affadie. Il suivait le Maître Hyoscyame Niger, un vieux sorcier à l'aura sombre et ratatinée. Khorine reprit sa conversation. Elle ne pouvait rien pour lui.
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En quelques années, l'Ordre s'était agrandi. Hagrid les avait rejoint -accueilli avec enthousiasme par Khorine et Emmeline-, le professeur McGonagall, Maugrey Fol'œil et certains de ses élèves dont Alice et Franck Londubat, Lily Evans et James Potter, ainsi que Sirius Black, Remus Lupin, Peter Pettigrew, Molly et Arthur Weasley. Les réunions étaient moins sombres avec ces nouveaux visages. Emmeline et Sirius semblaient particulièrement bien s'entendre, Hagrid et Khorine étaient devenus célèbres pour leur capacité à tenir la bière, le vin, le rhum et le whisky. James ne leur arrivait pas à la cheville. Molly et Arthur parlaient souvent de leurs quatre enfants et des bêtises qu'inventaient tout particulièrement leurs deux derniers. Lily et James se marièrent par un beau jour de printemps, et eurent un adorable petit garçon, tout comme Alice et Franck. Khorine se retrouva plusieurs fois avec un minuscule être humain dans les bras pendant que leurs parents étaient de mission. C'était remuant, criaillant, morveux, odorant, inconstant et absolument fascinant pour la potionniste.
Elle était en plein calcul d'arithmancie, le petit Neville Londubat sur les genoux dans la cuisine du quartier général de l'Ordre -un vieux cottage de Cornouailles appartenant à Albus- lorsque le vieil homme entra brusquement. Elle n'eut que le temps de relever la tête avant que la cheminette du salon s'illumine et qu'Alice, Sirius, Franck, Remus, Peter puis James n'apparaissent. Clignant des yeux, elle sentit le gallion de contact qui brûlait contre sa cuisse.
Albus les avait appelés.
Khorine débarrassa rapidement la grande table de ses parchemins et rendit Neville à Franck. Les membres de l'Ordre la rejoignirent dans la cuisine et s'assirent à leur place, échangeant des regards sérieux et inquiets. Emmeline accourut peu de temps après et atterrit bruyamment sur la chaise à la droite de Khorine.
-Qu'est-ce qui se passe? Lui chuchota l'auror en scannant la pièce du regard.
-Je n'en sais pas plus que toi; répondit la potionniste en roulant ses parchemins et les fourrant dans sa sacoche. J'étais de garde depuis le début de la mission au Sussex.
Les deux sorcières se tournèrent d'un même ensemble vers Albus qui s'entretenait à voix basse avec Maugrey. Malgré l'aura aveuglante du directeur de Poudlard, Khorine apercevait ses sourcils froncés. Ce n'était jamais bon signe.
-Je présume que tous ceux qui ont pu se libérer rapidement sont présents. Ce que je m'apprête à vous révéler nous impactera tous.
Il y avait quelque chose d'indéchiffrable dans les yeux azur du vieux sorcier, caché par ses lunettes en demi-lune et la lumière de son aura.
-Vous-Savez-Qui a eu vent d'une prophétie concernant celui qui le vaincra.
Un murmure d'excitation se répandit parmi les membres de l'Ordre.
-Oui; reprit Albus, réjouissez-vous, réjouissez-vous, cependant… l'espoir qu'elle peut apporter est ténu.
-Que dit la prophétie Albus? L'interrogea Emmeline sans plus tenir.
Albus la fixa de son regard acéré, puis chacun des membres présents dans la pièce, et soupira.
-La prophétie dit que celui qui aura le pouvoir de vaincre le Seigneur des ténèbres est né de ceux qui l'ont par trois fois défié. L'enfant est né avant que ne soit mort le septième mois.
Tous les regards se tournèrent vers James, Lily, Alice et Franck qui tenait Neville dans ses bras. Ils pâlirent tous violemment. Un silence de mort s'abattit sur la pièce. Sirius secoua la tête:
-Vous ne pouvez pas être sérieux. Ni Harry ni Neville ne seront en âge de tenir une baguette avant leurs onze ans, encore moins d'affronter Vol… Vous-Savez-Qui.
-Vous-Savez-Qui sera encore en vie dans onze ans; haleta Peter.
-Les Potter et les Londubat sont en danger; assena Emmeline en cognant du poing sur la table. Il faut mettre en place des protections et organiser des tours de garde. Maintenant que Vous-Savez-Qui est au courant il essaiera de tuer les garçons.
-Il est hors de questions que nous restions cloîtrés à vous laisser toutes les missions et en plus nous protéger! S'exclama Alice.
Après ces mots un brouhaha innommable éclata autour de la table. Khorine, ainsi qu'Albus, Minerva et Maugrey gardaient le silence. Elle était plongée dans de sombres réflexions, mais lorsqu'un semblant de calme reparut, elle fut la première à se proposer pour les tours de garde chez les Londubat et les Potter. Les protestations de ces derniers n'y changèrent rien.
Les mois passèrent. La tension décrue. Les attaques dans les villages moldus se raréfièrent et les missions de l'Ordre s'espacèrent.
Khorine était de garde un mercredi soir chez les Londubat. Elle leur avait rendu visite pour leur faire part des dernières nouvelles, laissant Mulciber dans leur planque.
-Il est tard; fit remarquer Alice, tu prendras bien un peu de thé.
Khorine allait refuser mais les températures chutaient en ce début octobre. Elle grelottait imperceptiblement.
-Oui, merci.
Bébé Neville, occupé à mâchouiller la barbe de sa peluche Merlin, se dirigea à quatre pattes vers la nouvelle venue et lui agrippa la jambe droite. Khorine sourit tendrement.
-Bonjour, toi.
-Waah; répondit Neville avec beaucoup d'emphase.
Franck fut assez bon pour la renseigner sur les progrès de son fils en diction. Ils se sourirent tous les trois, puis Khorine prit Neville sous les bras et le hissa sur ses genoux. Celui-ci eut un petit cri de plaisir et gigota des bras et des jambes. Franck lâcha un petit rire. Khorine, tenant toujours Neville sur ses genoux, tenta d'attraper sa tasse de thé mais faillit la renverser plusieurs fois avec les gesticulations de l'enfant. Elle finit par la reposer et Neville renversa la tête vers elle.
-Puche! Annonça-t-il en tendant Merlin.
-On peut dire ça; lui répondit la sorcière en souriant.
-Puche! Recommença le gamin avec encore plus d'enthousiasme.
-Puche?
-Puche; affirma Neville.
-Oh, puche!
Le gamin éclata de rire et puis recommença à mordiller la barbe de Merlin. Ses paupières commencèrent à devenir lourdes. Les adultes parlaient entre eux. Il finit par tendre les mains vers sa maman. Khorine le lui rendit et put enfin profiter de sa tasse de thé.
-Rien à signaler pour l'instant; reprit Khorine après deux longues gorgées. Sirius a écrit à Emmeline que nos informations pouvaient être fausses. Il n'y a aucun mouvement suspect et le rendez-vous était il y a une heure.
-C'est étrange, Peter était sûr de lui.
-Il s'est peut-être fait repérer? Avança Franck avec l'ombre d'une inquiétude voilant son visage.
-Qui sait; soupira Khorine.
Les trois adultes se turent et finirent par se tourner vers le bébé, profondément endormi. Un sourire attendri étira les trois visages.
-Khorine; commença Alice…
-Nous nous demandions; continua son mari…
-Si tu accepterais d'être la…
Alice fut coupée par une violente déflagration au rez-de-chaussée. Ils blêmirent tous, Neville geignit dans son sommeil.
-Ils sont là; chuchota Alice.
Khorine sortit sa baguette et se leva d'un bond.
-Je les retiendrai, sortez par derrière.
Franck et Alice échangèrent un regard, puis s'avancèrent vers Khorine.
-Tu es la meilleure d'entre nous en duel. Prend Neville. Mets-le en sécurité.
Khorine secoua la tête:
-Je ne peux pas vous abandonner, ils vont…
-Ils vont chercher à tuer Neville. Tu dois le protéger; chuchota fortement Alice, mettant le bébé dans les bras de la sorcière.
-Sauve-le; demanda Franck.
Les deux parents se tinrent ensemble devant Khorine. Des larmes s'amoncelèrent dans ses yeux.
-Je ne peux pas vous laisser.
-Ils montent; chuchota Franck.
-Sauve-le; répéta Alice avec urgence. Prends la porte de derrière, dans la cuisine, tu passeras la barrière anti-transplanage.
Franck et Alice s'approchèrent et embrassèrent doucement le front du bébé endormi, puis se détournèrent.
-Sauve-le; répéta Alice.
Khorine serra l'enfant contre elle, le visage contracté par la peine, et courut. Elle ouvrit la porte du fond et fusa dans le couloir côté ouest. Une aura noirâtre l'attendait au tournant, elle lui balança un Silencio avant même qu'il ne sente sa présence et l'envoya perdre connaissance contre un mur. Elle continua ensuite sa course, ouvrant une vieille porte menant à un escalier et à la cuisine. Deux mangemorts se trouvèrent soudainement devant elle. Elle les projeta en arrière. L'un d'eux s'explosa contre un mur dans une gerbe de sang, l'autre se brisa la nuque dans un craquement sinistre. Khorine prit aussitôt l'escalier, le visage crispé, une lueur sanglante dans le regard. Et soudain… A la dernière marche, elle pointa sa baguette sur la gorge du mangemort qui l'attendait, ce dernier gardant sa baguette levée vers elle. Il y eut un instant, bref et violent, où Khorine s'apprêta à le tuer. Et puis, elle vit la lumière dans son aura.
-Severus; murmura-t-elle.
L'homme derrière le masque tressaillit. Khorine cilla, clairement troublée, l'enfant dormant paisiblement contre elle. Elle se reprit:
-Laisse-nous passer.
Severus, derrière son masque, laissa tomber son regard sur le bébé, puis sur Magellus. Un instant, les yeux de nuit rencontrèrent les océans de la sorcière. Il hésita. Puis abaissa sa baguette. Khorine le dépassa sans hésiter. Elle allait partir, mais…
-Viens avec moi; murmura-t-elle.
L'homme en noir secoua la tête et son masque scintilla à la lumière de la lune.
-Il est trop tard pour moi.
Une nouvelle tâche de lumière démentait ses propos et elle voulut le lui dire lorsqu'un rire dément résonna à l'étage du dessus. Il y eut des bruits de combat, des craquements, l'explosion de sortilèges et puis plus rien. Khorine était paralysée. Et soudain, deux cris atroces retentirent. Hagarde, Khorine fit un pas vers l'escalier. Severus l'arrêta d'un geste. Khorine sentit son visage se crisper sous la douleur mais elle reprit ses esprits, et fusa hors de la cuisine. Dehors elle évita plusieurs avada kevadra et transplana dans un crac sonore. Elle atterrit violemment au QG. James s'apprêtait à partir chez les Londubat. Elle lui confia Neville qui pleurait. Lui ordonna de rester ici. Et retransplana aussitôt avec Emmeline, Sirius et Remus. Cinq mangemorts montaient la garde. Les membres de l'Ordre se jetèrent aussitôt dans la bataille. Khorine réussit à assommer ses deux opposants, Emmeline saucissonna le sien, Sirius et Remus les rejoignirent peu de temps après, blessé au bras pour ce dernier. Ils entrèrent par la porte défoncée et coururent dans l'escalier jusqu'au salon. La vision qui s'offrit à eux les glaça d'effroi. Rogue, Fenris, deux autres mangemorts et Lestrange se trouvaient au-dessus des corps recroquevillés des Londubat. Et Lestrange avait la baguette tendue vers eux:
-Avada…
Une déflagration violente projeta la mangemorte contre le mur. Le bras tenant sa baguette craqua sinistrement. Khorine s'avança, les yeux océan déchaînés par la haine.
-Ne les touchez pas; siffla-t-il.
Un rire hystérique lui répondit, Bellatrix Lestrange se releva.
-Vous arrivez trop tard mes chéris!
Un Silencio fusa dans sa direction, qu'elle évita en se baissant. Remus en profita pour faire léviter les corps des Londubat jusqu'à lui. Emmeline mit en place des boucliers autour des corps tandis que Khorine et Sirius ouvraient les hostilités. Ils envoyèrent deux mangemorts au tapis. Fenris se prit trois Petrificus totalus qui réduisirent à peine sa vitesse. Il fonça sur Khorine qui le repoussa avec un puissant bouclier. Il y planta ses crocs, manquant de peu le bras de la sorcière. Khorine sortit de sa cape son canif et d'un geste vif brisa les canines de la bête. Il recula en gémissant, furieux. Sirius se battait violemment contre Severus tandis qu'Emmeline tentait d'immobiliser la mangemorte devant eux, Remus essayait de réveiller leurs amis.
-Servilus; siffla Sirius, je t'ai reconnu. Sale mangemort!
Leur affrontement augmenta en violence, Lestrange hurlait de rire en évitant les sorts d'Emmeline, Fenris gémissait en tenant sa bouche en sang. Severus réussit à projeter Sirius un mètre plus loin et se tourna vers les mangemorts encore debout.
-Partons.
Ils le firent aussitôt par la porte d'où Khorine s'était échappée. Emmeline et Sirius se jetèrent à leur poursuite. Khorine alla s'agenouiller auprès de Remus.
-Ils ne se réveillent pas; murmura-t-il.
Leurs visages se crispèrent sous la douleur.
-Il faut les emmener à Ste Mangouste. Nous ne pouvons rien faire d'autre… Ils ont dû être… torturés… par les cinq en même temps. J'ai peur que leurs esprits…
Remus hocha la tête. Ils firent léviter les corps devant eux puis descendirent et sortirent de la maison. Ils trouvèrent Emmeline et Sirius, furieux de les avoir laissé s'échapper.
-Ils ne se réveillent pas. Nous les amenons à Ste Mangouste.
De la douleur passa sur leurs visages. Emmeline se reprit la première:
-Nous nous occupons des mangemorts assommés ou morts. Je vais appeler ma division.
Sirius hocha la tête. Les quatre se séparèrent. Khorine et Remus apportèrent les Londubat au service des urgences de Ste Mangouste et y restèrent toute la nuit. Le bras de Remus fut soigné rapidement. Lorsqu'ils repartirent le lendemain midi, ils n'avaient que de mauvaises nouvelles à annoncer:
-Ils sont dans un coma magique. Personne ne peut savoir quand ils vont se réveiller. Et s'ils se réveillent un jour ils… ils auront certainement des séquelles… importantes…
Hagrid éclata en sanglot, d'autres membres de l'Ordre pleurèrent plus silencieusement. Après ça, le plan pour protéger les Potter changea. Il fut nommé un gardien du secret, connu d'eux seuls, unique personne à savoir l'emplacement de leur maison.
Ils voulaient les protéger à tout prix, eux, et Harry. Ils moururent le 31 octobre, laissant Harry orphelin. Le corps de Voldemort fut détruit mais il survécut. Le lendemain Peter fut tué et Sirius enfermé à Azkaban. Khorine, Emmeline et Remus tentèrent de parler à Albus. Ce ne pouvait pas être Sirius! C'était un gryffondor pure souche et son aura n'avait jamais faibli ou noirci.
-Il vous faut des preuves, mes enfants.
Ils n'en trouvèrent pas et Sirius fut condamner à Azkaban à vie. Harry fut envoyé dans sa famille moldue, protégé par son sang. Le reste de l'Ordre fut mis en dormance, jusqu'à ce qu'IL revienne.
Khorine caressait la fourrure moirée de sa louve, assises toutes deux dans le canapé, face au feu.
Voldemort avait disparu. Sirius était condamné, Emmeline murée dans sa tristesse. Les Potter étaient morts, les Londubat dans le coma. L'Ordre avait échoué. Khorine ferma les yeux et soupira.
-Nous voulions faire au mieux. Nous avons dû sauver des sorciers, et des moldus, au cours de nos missions. Mais… ceux qui comptaient vraiment… sont morts. Je me sens inutile.
Musora poussa un peu plus son museau contre la main de la sorcière.
-Emmeline souffre, et je ne peux rien faire pour l'aider. Je n'ai aucun pouvoir sur ce qui compte vraiment; murmura-t-elle en fixant sa main droite paume levée.
-Tu sais, je…
Khorine s'interrompit. Le gallion de l'Ordre qu'elle gardait par habitude sur elle venait de chauffer et de vibrer. Elle le sortit de sa robe de sorcière. Albus l'appelait.
Elle se leva et sortit de sa demeure, Musora sur ses talons. Elles transplanèrent toutes deux au QG. Albus l'y attendait dans le salon, en compagnie de Severus. L'aura de ce dernier était d'un faible blanc gris, quelques tâches d'ombres subsistaient encore. C'était un contraste saisissant avec la forte lumière blanche qui émanait d'Albus.
Musora, les oreilles et la queue levées, s'avança vers le deuxième sorcier. Elle le fixa droit dans les yeux. Severus s'agenouilla, le visage inexpressif, tendant une main vers l'animal. Elle la toucha du bout du museau, et revint vers Khorine, satisfaite. Severus se releva.
-Bonjour Khorine; l'accueillit Dumbledore. J'espère que je ne te dérange pas.
-Rien d'important.
-Très bien, très bien, permets-moi alors de te présenter un nouveau venu à l'Ordre du Phénix, Monsieur Severus Rogue.
Khorine sourit. Elle s'avança et tendit une main franche vers l'ancien mangemort. Il hésita… puis prit celle de la sorcière et serra une fois. Il se retira rapidement.
-Bienvenue dans l'Ordre; l'accueillit Khorine sans faire attention aux faibles teintes cyan qui apparaissaient et teintaient la lumière du sorcier.
Severus hocha la tête.
-Le maître des potions de ce jeune homme est mort il y a quelques semaines. Pourrais-tu te charger de lui trouver un nouveau maître? Il lui reste deux années.
Il y eut un silence. Khorine échangea un long regard avec Albus.
-Accepterais-tu de devenir mon apprenti? Demanda-t-elle soudainement à Severus.
Il la fixa sans un mot, interdit. Le silence s'étendit.
-Je… te laisse y réfléchir bien évidemment. Et en attendant je contacterai…
-Non; répondit enfin l'ancien mangemort. J'accepte.
Khorine, surprise, sans réfléchir, lui sourit. Severus ne savait pas comment réagir, caché derrière ses barrières d'Occlumencie.
-Eh bien, ce fut plus rapide qu'attendu; s'exclama Albus. Parfait, parfait, je te laisse en charge de cet apprentissage Khorine. Severus, vous êtes entre de bonnes mains.
Severus inclina vaguement la tête.
Deux semaines plus tard, tous les parchemins administratifs dûment signés, Severus entrait dans le cottage des Cairngorms. Khorine lui fit visiter et lui permit de s'installer dans sa nouvelle chambre.
-Tu es libre de dormir où tu veux, mais cette chambre sera toujours disponible pour toi. Il y aura trois repas par jour que je demanderai à mon elfe de maison de préparer, afin de nous faire gagner du temps. Bêta? Appela-t-elle.
La vieille elfe de maison apparut aussitôt dans un crac sonore.
-Maîtresse a appelé Bêta?
-Je te présente mon apprenti Severus Rogue, comme je te l'ai dit cela m'arrangerait que nos repas soient préparés pendant les deux ans de son apprentissage.
-Tout pour faire plaisir à Maîtresse! Couina l'elfe aux oreilles palpitant de plaisir.
-Parfait.
L'elfe s'inclina plus bas que terre, un sourire jusqu'à ses oreilles papillonnantes, puis disparut. Khorine sourit un instant en pensant à son manoir habité par Bêta et neuf familles d'elfe de maison libres, puis reprit:
-Tes week ends seront libres. Tu en feras ce que tu veux. Bêta te servira tes repas si je ne suis pas là. As-tu des questions?
-Non maîtresse; répondit platement son premier apprenti.
Il avait le regard vide et son aura restait pâle et immobile.
-Je n'apprécie pas cette appellation. Ce sera Khorine, tu es libre de me tutoyer ou de me vouvoyer selon ta convenance mais ne m'appelle pas «maîtresse».
-Très bien… Khorine.
-Autre chose, certaines zones te sont interdites. N'entre dans mes quartiers sous aucun prétexte, et ne va jamais près du manoir qui se trouve à l'est de la propriété.
-Très bien Khorine.
Elle le fixa, un long moment, en silence. Il était tout juste fonctionnel. Elle allait perdre son temps. Elle lui demanda de la suivre et de commencer la préparation d'un chaudron de Pimentine, potion simplissime. Il se mit au travail. Sa technique était loin d'être parfaite. Khorine ne dit rien, lança un Evanesco sur la potion finie, lui demanda une Régénération Sanguine, lança un Evanesco, puis une autre potion, Evanesco, une autre potion, Evanesco, la journée se déroula dans un lourd silence. L'apprenti ne relevait pas la tête et ne demandait rien.
Khorine refusait de s'abaisser à apprendre son Art à quelqu'un qui n'y serait pas attentif. Le lendemain, même schéma. Severus ne se réveillait pas de sa léthargie.
Deux jours plus tard, Khorine l'entraîna dans la forêt de Cairngorms. Elle allait le réveiller. Un vent frais glissait paresseusement entre les arbres nus de la forêt, des rayons de soleil éclaboussaient le sol par intermittence, de rares oiseaux chantaient et l'odeur de la terre fraîche émanait du sous-bois. Musora trottinait devant la sorcière, alerte, les oreilles tendues vers la moindre source de bruit. Elle sentait l'exaspération de sa maîtresse. Elle vrombissait autour d'elle.
-Severus; commença avec douceur la sorcière tandis qu'ils marchaient, tu ne vas pas bien. Avec la destruction de Voldemort et tout ce que cela peut impliquer je comprends que tu te sentes déboussolé. Tu devrais prendre des jours de congé, et revenir lorsque tu te sentiras prêt.
Severus s'arrêta. Les paroles infusaient. Il finit par relever la tête, regardant -peut-être pour la première fois depuis le début de son apprentissage- Khorine dans les yeux.
-Il ne vous a rien dit alors; lâcha-t-il d'une voix rauque.
Khorine fronça les sourcils, de quoi… Severus lâcha un petit rire sec et sans joie. Puis ses mâchoires se crispèrent et d'un air provocateur lança:
-J'ai accepté de servir Dumbledore à condition qu'il sauve… quelqu'un. Et elle est morte.
-Lily? Demanda Khorine en scrutant le visage du jeune homme.
Il se tordit sous la douleur, puis l'absorba, il ne resta plus qu'un sourire sans joie. Khorine réalisa avec stupeur qu'il devait l'aimer.
-Il devait la sauver de mes erreurs… C'est moi qui ai révélé la prophétie au Seigneur des Ténèbres, ce soir-là.
Khorine recula d'un pas.
-Toi; haleta-t-elle.
Un rictus narquois apparut sur le visage cireux de son apprenti. Il la fixait. La colère vibrait en elle, grondait, grandissait. La magie claquait et craquait autour d'elle électrisant à des mètres à la ronde. Elle était folle de rage. Elle ne se maîtrisait pas. Elle… D'un coup sec elle tira sa baguette et libéra toute sa magie. Il y eut une violente déflagration et les arbres autour d'eux ployèrent. Severus manqua d'être balayé par l'onde de choc mais resta debout. Il finit par baisser le bras qui avait protégé son visage, Musora sortit de terre les griffes qu'elle y avait enfoncé. Khorine haletait. Sa colère était grande. Severus attendait, le même rictus provocateur au coin des lèvres. Comme s'il s'attendait à la haine, au dégoût, au rejet. Comme s'il ne méritait plus que ça. Comme son frère, le jour où ils s'étaient revus. Ce jour-là, si elle lui avait dit… Si elle avait pu… La colère reflua. Elle rangea sa baguette et fixa Severus, l'océan contre la nuit noire:
-Tu as fait un mauvais choix… qui impactera le reste de ta vie.
Elle lui avait dit quelques années auparavant qu'elle lui souhaitait de ne jamais regretter son choix, elle s'en rappelait.
-Franck et Alice… James et Lily…; sa voix s'enrouait et elle lutta pour retrouver le contrôle de ses émotions. Ils ont payé le prix de tes erreurs. Tu as payé le prix fort en perdant… quelqu'un que tu voulais protéger.
Elle se tut. Severus était choqué et il n'arrivait pas à le cacher. Khorine se surprit à s'adoucir encore. Il était habitué au rejet, c'était évident, et rien d'autre.
-A présent; reprit-elle, tu as une deuxième chance. Montre t'en digne. Ne reviens pas me voir tant que tu ne seras pas prêt à suivre un apprentissage en Potions… Je n'ai pas de temps à perdre avec un apprenti apathique et rongé par les remords.
Severus resta figé. Il n'arrivait pas à comprendre ce qu'elle venait de lui dire. Comment pouvait-elle lui demander d'abandonner ses remords? C'était ce qui le maintenait en vie. C'était ce qui lui permettait de tenir debout.
-Apprends de tes erreurs; continua Khorine, accepte d'en faire, accepte-toi avec tes défauts et tes qualités, donne-toi des objectifs à atteindre, deviens meilleur que tu ne l'as jamais été, pour Lily, pour son fils…
-Vous n'y croyez pas. Je suis un meurtrier et un Mangemort, il n'y a pas de rédemption pour moi.
-Si; contra Khorine avec une force qui surprit son apprenti. Je te l'ai dit lors de notre première rencontre, ton aura est faite de lumières et d'ombres. N'oublie pas. Tu as une part de Lumière en toi.
-Vous ne savez pas ce que j'ai fait pour le Seigneur des Ténèbres; siffla Severus pris peu à peu dans une violente colère. Comment pouvez-vous parler de lumière? Il n'y a rien d'autres que les ténèbres et la mort en moi.
Khorine l'observa, lui, son aura d'un blanc grisé.
-Appelle ton patronus.
Severus pencha la tête, les yeux plissés. Il sortit sa baguette et resta un instant en suspens. Tout ce dont il devait faire usage c'était un souvenir joyeux, teinté par l'amour. Sa mère était morte. Lily aussi. Il n'y avait plus rien. Il croisa le regard océan de sa nouvelle maîtresse. Dans un flash déroutant il la vit lui sourire au milieu de la forêt Interdite avec sa louve, le protéger en levant un bras devant lui, lui parler dans la clairière à reines-des-prés, lui apprendre à lancer le patronus, s'approcher pour le mettre en garde, le prendre comme apprenti, l'accepter comme il était.
-Expecto patronum; murmura-t-il sans le vouloir.
Sa chouette effraie apparut aussitôt, tournoyant sur elle-même en sortant de sa baguette avant d'ouvrir brusquement ses grandes ailes argentées. Elle s'envola ensuite vers le soleil, suivie par le regard des deux sorciers, avant de se laisser tomber, les ailes repliées contre son corps, au dernier moment elle les rouvrit et finit par atterrir sur l'épaule de Severus. Un petit sourire était sur les lèvres de Khorine. Son apprenti était choqué.
-C'est impossible; lâcha-t-il.
-Tu as une part de Lumière en toi; répéta Khorine en lui souriant doucement.
Il la fixa encore, son patronus disparut. C'était impossible. Il rangea sa baguette et tourna les talons. Impossible. Il transplana loin d'elle sans un mot de plus.
Khorine soupira en entendant le craquement du transplanage. Elle resta debout, au milieu des arbres, sa louve couchée près d'elle. Les paroles de Severus résonnaient à ses oreilles, et puis, celles de son frère. Il lui avait dit… que c'était trop tard pour lui. Il lui avait dit qu'il ne pouvait pas revenir en arrière, qu'elle avait été la seule à le voir au moins une fois tel qu'il était. Son regard avait ressemblé à un miroir brisé. Elle avait fait un pas vers lui. Il avait reculé. «Adieu», ses mots avaient résonné, encore et encore, et encore, et il était parti. Deux larmes coulèrent le long de ses joues et tombèrent dans l'herbe de la forêt. D'autres les suivirent. Sa poitrine était gonflée de sanglots. Elle se recroquevilla, agrippa le collier de fourrure de Musora et pleura comme jamais.