Chapitre 6

A partir de quel végétal, composant neutre dans toutes les potions auquel il est associé, peut être synthétisée la vitamine D3 dans l'organisme?
Je mordillai le bout de ma plume en cherchant désespérément où, dans les 130 pages de cours de Botanique de mon manuel, avait pu être mentionné cette vitamine D3… Merlin, Rogue avait le don pour trouver des questions impossibles! Ce qui devait lui faire incroyablement plaisir. Je n'avais même pas besoin de relever la tête du test qu'il m'avait donné pour sentir les coups d'œil sadiques et répétés qu'il me dédiait. Oh, j'enrageais de devoir abandonner si près du but! Plus que deux questions et je… Mais oui! Vitamine D3 ou cholécalciférol, dérivé du cholestérol synthétisé au niveau de la peau par UV. Et le végétal que j'avais étudié dans cette partie du programme était… le lin! Je traçai ces quelques lettres avec délice, puis passai à la suivante.
Détaillez les étapes nécessaires pour synthétiser, à partir du cholécalciférol, le calcitriol, puis indiquez une de ses propriétés.
Une lueur victorieuse illumina mon regard. Facile! Deux hydroxylations dans le foie et les reins, synthèse du calcitriol nécessaire au métabolisme du calcium. Il permettait de contrer le rachitisme! Oh et Merlin, c'était la dernière!
Je traçai mes dernières phrases puis fermai les yeux en soupirant. Fini… Toutes ses questions farfelues, ces propriétés qu'il fallait deviner à partir de demi-phrases cachées dans mes leçons… J'étais enfin venue à bout de son parcours du combattant. Nul doute que les épreuves niveau ASPICS de Potions et de Botanique me paraîtraient un jeu d'enfant après ça.

-Vous abandonnez, Miss Lumare?

Je relevai les yeux vers mon tortionnaire qui se tenait présentement près des étagères de droite, un gros grimoire ouvert dans les bras, occupé pour l'heure à me fixer avec dédain. Dédain qui reflua au fond de ses prunelles noires lorsqu'il avisa mon air insolent, ou alors était-ce le sourire que je m'autorisai en répondant:

-J'ai fini.

Il renifla -par son grand nez d'oiseau-, puis m'ordonna de déposer le test sur son bureau avant de ficher le camp. C'était demandé si gentiment. J'obtempérai donc, posant les cent treize questions mêlant Potion et Botanique sur sa table; puis rangeai plume, parchemins et bouteille d'encre… Cet examen clôturait mes séquences d'apprentissage de Botanique, d'Histoire de la magie et d'Astronomie du week-end, ayant passé les deux autres matières la semaine dernière. Je relirai ces cours toutes les semaines bien sûr, mais Merlin, cela faisait un bien fou de savoir que Rogue ne pourrait plus m'appeler dans ses quartiers à n'importe quelle heure pour me harceler de ses interrogations tordues! Bien sûr, cela ne l'empêcherait pas de… Je passai une main fatiguée dans mes cheveux, puis posai mon sac en bandoulière sur mon épaule, me dirigeai vers la porte. La main sur la poignée, j'allais la tourner lorsque j'entendis les pas de Rogue contre le dallage. Je me retournai vers lui, les sourcils froncés. Avant de sentir sa main contre ma nuque, d'apercevoir son regard brûlant, de frémir au contact de ses lèvres sur les miennes. Q-que…
Il me serra contre lui quelques secondes, fort, nos bouches seulement pressées l'une contre l'autre. Je n'eus pas le temps de réagir. Puis il donna presque une impulsion… douce… au baiser qu'il me volait, s'écarta, finit par se détourner sans un mot. J-je ne m'attardai pas dans sa salle de classe, fuyant en claquant la porte. Mais, par Merlin, qu'est-ce qui lui avait pris de me toucher en pleine journée?!

oo0oo

-Les Informulés… Seulement trois sortilèges de lévitation à maîtriser par cette voie, même une incompétente de votre sorte devrait y parvenir.

Je lui dédiai un regard incendiaire qu'il se contenta de mépriser avant de pointer sa baguette vers un banc pour l'amener jusqu'à moi.

-Vous commencerez avec ceci.

-Pourquoi pas un grimoire, ou une chaise? Grognai-je en avisant la longueur et l'épaisseur du banc en bois de chêne.

Rogue devait tellement s'amuser de mon incapacité. Alors que lui venait d'accomplir une maîtrise parfaite du sortilège, tout comme il maîtrisait parfaitement tous les programmes de 7ème année. C'en était rageant, qu'un type comme lui soit aussi doué!

-Quelqu'un vous a laissé croire que vous aviez le choix? Siffla-t-il en rangeant sa baguette.

Je crispai les mâchoires, certainement, le choix… La liberté de choisir, qu'il m'avait volée. Cette rage pouvait me servir à lui montrer que je n'étais pas aussi incompétente qu'il se plaisait à l'affirmer. Les émotions fortes permettaient de décupler la puissance magique. Et celle-ci était assez forte pour soulever Poudlard.
Lentement, je me mis en place, prête à appliquer mon premier Informulé… Rogue me tournait autour et malgré mes yeux fermés, je pouvais parfaitement visualiser le mépris qu'il ne se gênait plus à cacher. Allez, concentration… Visualiser le banc se lever, entendre le sort résonner dans ma tête et laisser la colère se mêler à la magie. Wingardium Leviosa… Je devais y parvenir, sentir le flux de magie crépiter, crépiter en moi, quitter mon bras, mon poignet puis fuser hors de ma baguette. Wingardium Leviosa… J'ouvris les paupières, le regard orageux fixé sur ce banc, qui tremblait, à quelques millimètres au-dessus du sol! Merveilleux! Pour une première fois… alors que Rogue avait réussi à le soulever sans aucun problème. Je ne relâchai pas ma concentration, malgré l'énergie qu'il me fallait pour le maintenir entièrement. Concentration… Je refermai les yeux, appelai ma rage et ma colère… Je ne pouvais pas échouer… Wingardium Leviosa! Cette fois je… Fus poussée violemment. Le banc s'effondra et j'en lâchai ma baguette alors que Rogue, -Rogue!- me plaquait contre le mur de sa classe.

-M-mais qu'est-ce que vous faîtes?! Hurlai-je, aussi furieuse que paniquée.

Ses mains enserraient mes deux poignets et les retenaient contre le mur et son corps se pressait contre le mien avec trop de… En pleine journée! Je me débattis violemment, ne parvins à rien alors que son visage m'apparaissait d'instant en instant ravagé par un besoin incompréhensible.

-Lumare, Lumare; gémit-il.

Il emprisonna mes lèvres, voulut aller plus loin. Je les lui mordis.

-En pleine journée! Sifflai-je dès qu'il eut libérer ma bouche. Je peux savoir ce qui vous prend?! Vous n'avez jamais…

-Cessez de vous débattre, cessez de crier; sa voix polaire ne s'éleva pas plus haut qu'un murmure mais la magie du contrat m'enserra de liens trop épais. Vous allez m'obéir, Miss Lumare. A moins de vouloir mourir, vous céderez à tous les ordres que je vous donnerai.

Paniquée, je tentai de tirer sur mes poignets. C-ce n'était pas possible! Pas après qu'il m'ait réconfortée et aidée à reprendre mes expériences sur l'anosmie. Pas après ne pas m'avoir touchée plus que nécessaire sous la douche. N-non, il n'allait pas…

-Embrassez-moi; supplia-t-il.

J'écarquillai les yeux, tant par la demande que par l'émotion qu'il trahissait. Je ne comprenais pas, ne comprenais pas! Qu'est-ce qu'il attendait de moi?! Contrainte, j'approchai mon visage du sien, blottis ma bouche contre la sienne en goûtant le sang que j'avais fait couler. Il gémit, happa ma lèvre inférieure et puis aventura sa langue contre mes dents. Je dus les desserrer, le laisser l'enrouler autour de la mienne, le laisser la combattre ou la cajoler, animé par une ferveur effrayante. Mais je ne pouvais rien faire. Rien.

-Mes vêtements; ordonna-t-il entre deux baisers.

Lui tira sur mon pull noir, découvrant ma chemise aux multiples boutons. Ça me laisserait un peu de temps… Tout ce que je pouvais penser alors que mes doigts tremblants tentaient de défaire les siens, le plus lentement possible. Ses lèvres, ses dents descendirent ensuite, jusqu'à ma nuque, mordant, puis embrassant ma jugulaire, me marquant. Il n'avait pas… Il arracha le dernier bouton de mon uniforme, puis resserra son étreinte autour de mes hanches.

-Pressez-les, contre les miennes.

Sa voix était rauque à présent, et ses doigts convulsifs autour de mon bassin. Il lui imposa ensuite une ondulation, son érection contre mon entrejambe, se rejoignant, puis s'écartant, se frottant l'un contre l'autre. Oh Merlin, il irait jusqu'au bout! Et moi, je ne pouvais pas lutter, les mains obligées de défaire l'une après l'autre les attaches de sa redingote. Rogue la fit tomber au sol sans même y penser, en chemise blanche, haletant, ses cheveux gras encadrant un visage transformé par le désir.

-Vos jambes…

Je ne compris pas. Mais Rogue s'en chargea pour moi, abandonnant ses baisers pour me soulever du sol, m'obliger à enserrer sa taille de mes jambes. Je m'agrippai à lui, les mains resserrées convulsivement sur sa chemise, la jupe trop remontée. Ma position m'obligeait à… à…

-Pourquoi vous me… détestez autant? Lâchai-je alors qu'il passait ses doigts fébriles sous mon haut ouvert

-Plus un mot; susurra-t-il, la voix tendue par une douceur trompeuse.

Parce qu'il n'arrêta pas. Non. Ses gestes se faisaient même plus empressés, il bougeait ses hanches sous moi de plus en plus vite, me plaquant plus fort contre le mur. Et puis dans un grondement sourd, il m'en arracha et m'entraîna jusqu'à son bureau. Ses yeux noirs étaient si brumeux qu'il ne semblait plus capable de réfléchir correctement. Il balança tous les parchemins, plumes, bouteille d'encre, fioles de potion; tout ce qui y était posé. Ensuite il me piégea dessus et continua, continua à me toucher, m'embrasser, mordre ou lécher, me faire onduler des hanches, sans jamais me prendre. E-et je commençai à ressentir… du plaisir. Une chaleur ravageuse naissait au creux de mon bas ventre, remontait, mes gestes devenaient plus incontrôlables, ma respiration saccadée; les gémissements que je devais désormais retenir n'étaient plus dus à un quelconque dégoût… Enfin, il enleva jupe et culotte. Rogue me pénétra. J'en fermai les yeux… Aucune douleur, je n'avais enduré qu'un vague plaisir, alors que j'aurais dû souffrir le martyr, comme les autres f…Il ressortit et le manque que je ressentis soudain fut intolérable! Non, il ne pouv…Je ne… Il me pénétra à nouveau; la sensation était tellement forte!

-Non, non, non… Lâchais-je au rythme de ses hanches.

Mes paupières étaient fermées pour lui cacher le désir qui perçait mais… mes hanches se soulevaient, à sa rencontre. Et mon corps réagissait sous ses mains, et il… Oh… Oh! Ce fut terrible. Comme une explosion d'étoiles qui déversèrent toute leur chaleur dans la moindre terminaison de mon corps. Mes muscles se contractèrent violemment autour de sa verge. L'instant d'après, Rogue éjaculait en moi.
Il me fallut encore quelques temps pour rouvrir les yeux, horrifiée; lui haletait, il me fixait d'une étrange manière.
… Inutile de dire que la dévastation, du premier orgasme que j'avais jamais eu, passa après la rage qui revenait étreindre mon cœur. Combien il devait être satisfait en cet instant, de m'avoir réduite à apprécier ses attouchements! Nos souffles haletants se mêlaient, nos regards aussi, nos jambes encore comme il refusait de s'écarter. Je haïssais tout ceci, je haïssais…

-Je vous hais; crachai-je sans le quitter de mes yeux océan emplis de tempêtes. Je vous hais, comme je n'ai jamais haï personne.

Il cilla, son visage contracté l'espace d'un instant, avant qu'un masque trop neutre ne glisse sur ses traits. Rogue se redressa, me libérant du piège de ses bras contre le bois du bureau, reboutonna son pantalon et puis répondit:

-Il vous reste dix minutes pour maîtriser les trois Informulés du programme.

Salaud…

oo0oo

Pourquoi, mais pourquoi?! Je ne comprenais tout simplement pas pourquoi il m'obligeait en plus à dormir avec lui! Il ne voulait que m'humilier, que me rabaisser, que se servir de mon corps pour combler ses pulsions sexuelles. Alors pourquoi, au nom de Merlin, venait-il encore cinq nuits par semaine dans ma chambre?!
Après ce qui s'était passé l'après-midi même, j'étais incapable de m'endormir près de lui, incapable… Je restai une bonne partie de la nuit à tourner des questions dans mon esprit, sans parvenir à trouver le début d'une réponse. Quoi que je fasse, elles revenaient, me laissant plus furieuse qu'avant. Je pouvais commencer par réciter les vingt muscles de l'avant-bras dont les tissus pouvaient interagir avec une potion Omni-soin appliquée directement, toujours Rogue revenait au centre de mes pensées! Pourquoi son bras autour de ma hanche? Et pourquoi ne m'avait-il pas touché sous la douche alors qu'il avait eu l'envie et la possibilité de le faire? Et pourq…
Ses bras… Rogue me rapprocha et m'enserra contre lui. Il était plus d'une heure du matin que comptait-il me…
Et puis j'entendis. Un sanglot. J'en restai pétrifiée.

-Khorine…

Son murmure était plaintif et je ne pouvais pas croire que j'entendais réellement les pleurs du bâtard graisseux. Je ne pouvais croire que je sentais ses larmes le trahir, dévaler l'arrière de l'épaule contre laquelle il s'était réfugié. Elles mouillaient ensuite mon pyjama ou tombaient dans un léger bruit sur les draps. Il y en avait beaucoup. Et ses sanglots devinrent déchirants, et il s'agrippa à moi.

-Khorine… Khorine…

Je ne bougeai pas, parce qu'il me croyait endormie, ne pus rien faire d'autre que fermer les yeux. Aucun moyen de savoir pourquoi mes propres larmes s'amoncelèrent au bord de mes paupières fermées, ou pourquoi Rogue était si… malheureux. Rogue était malheureux?

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Voulait-il vraiment m'avilir? Me détruire? Pourquoi ces larmes alors? Pourquoi m'avait-il épargnée en débutd'apprentissage? Pourquoi m'avait-il proposé de reprendre mes expériences avec moi? Est-ce qu'il ne recherchait pas seulement à se rapprocher de quelqu'un? C'était de la mauvaise manière, bien sûr, mais peut-être que Rogue ne connaissait que les contraintes et les menaces. Quelle douleur… J'en avais si peu appris sur son passé, mais de ce que je savais… c'était tellement triste, tellement froid… J'imaginais la souffrance infinie d'une vie sans amour et je compatissais. Malgré tout ce qu'il m'avait fait, je compatissais.
Au réveil le lendemain matin, je me sentis étreinte par sa chaleur. Rogue me tenait encore dans ses bras, et il dormait. Sa respiration régulière ne trompait pas. Pour ne pas le réveiller, mon front quitta doucement le creux de son cou, et je relevai la tête vers lui. Ce devait être la première fois que je l'observais dormir. Ses yeux fermés, ses lèvres scellées, et ses traits qui n'étaient même pas décontractés. Que voyait-il lorsqu'il rêvait? Lorsqu'il cauchemardait? Malgré moi, je levai les doigts vers son visage. Il y avait des mèches de cheveux gras barrant son front, je les ramenai derrière son oreille, délicatement. Rogue ne réagit pas. Il devait être fatigué. Alors, sans pouvoir me retenir, je me laissai frôler sa peau, le contour de sa mâchoire, son front brûlant. Cette chaleur, le sang qui battait à ses tempes, sa respiration profonde, de près je percevais tout cela et je… je… Il était humain. Rogue était humain. Même lui pouvait rechercher la compassion, la douceur, la chaleur d'une étreinte. Il avait toujours été si froid et mauvais, si… repoussant, que j'en avais oublié qu'il pouvait…
Il n'était pas bon de se retrouver si proche de son ennemi. Ma main trembla en effleurant l'arête de son nez. Arrêter. Je devais arrêter. Mais je me remémorais tout ce qu'il avait enduré, toutes ces souffrances, alors que je savais désormais combien il était humain… C'était si cruel.
Peut-être que je pouvais… en prenant sur moi… lui offrir ce qu'il voulait. Je pouvais l'aider. Et, reposant enfin ma main contre l'oreiller, je me promis d'essayer. J'essaierai…

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Nos progrès n'étaient pas vraiment flagrants. Je supportais toujours aussi mal qu'il me touche, ou ses remarques mesquines, son harcèlement quotidien. Nos altercations étaient violentes, les émotions qui le consumaient, ses rapprochements soudains, étaient violents. Lorsqu'il était ainsi, et il l'était toujours, j'étais incapable d'ouverture d'esprit ou de compassion. Je me refermais sur moi-même par automatisme, répliquais, me débattais… J'y repensai un bref instant, l'esprit déjà embrumé par la colère, puis replongeai dans mes travaux. Nous étions Samedi, j'avais annoncé la veille à mes amis que je ne sortirai pas de mes quartiers de toute la journée et à leurs questions j'avais simplement répondu qu'après deux années de travail, j'allais finir la recette de ma potion contre l'anosmie. Il y avait eu un silence douloureux, Hermione avait éclaté en sanglot.
Et je me retrouvais à présent seule, travaillant sur la grande table de chêne au milieu de mon salon, des parchemins, des plumes, des bouteilles d'encre, des grimoires et des carnets étalés tout autour de moi. Et je ne trouvais pas! Je ne trouvais pas! Il ne restait plus qu'un ingrédient! Un seul! Et j'étais incapable de savoir! Je me levai soudain, et dans un mouvement rageur, balançait tous les livres devant moi.

-Pourquoi?! Pourquoi?! Pourquoi!

Une bouteille d'encre explosa contre le mur le plus proche, d'autres livres, encore! Pourquoi je n'y arrivais pas? Pourquoi je ne pouvais pas la finir? Pour elle! Pourquoi? J'aurais tellement voulu la lui offrir, tellement, tellement…

-Miss Lumare?

Je relevai la tête, une unique larme roulant le long de ma joue. Rogue était là. Encore. Il fixait avec impassibilité mes appartements détruits. Et moi j'étais tellement en colère, il y avait tellement de douleur. Je me fichais de ce qu'il pouvait penser, de ce qu'il pouvait me faire, de ce qu'il pouvait me haïr ou me mépriser. Je voulais juste… que ça s'arrête… Cette douleur insupportable.

-Quel est l'ingrédient qui permet d'élever les principes actifs d'une potion à sa surface sans en altérer l'équilibre? Sifflai-je, le regard brûlant.

Il y eut un silence. Rogue reporta son regard sur moi.

-Vous connaissez la réponse, Miss Lumare; répondit-il d'un ton tout à fait neutre.

La fureur augmenta:

-Répondez-moi!

Il fallait qu'il le dise ! Il fallait que ce soit lui !

-Les plumes de griffon noir.

Je haletai, et vacillai, le regard tout à coup embrumé. Et puis je me rapprochai de la table, m'écroulai sur la chaise et m'emparai de la plume la plus proche d'une main tremblante. Plumes de griffon noir, plumes de griffon noir… J'en oubliai totalement la présence de Rogue. Il y avait ces calculs, j'avais retrouvé les équations exactes, il ne me restait plus que quelques opérations. Juste… doser, par rapport, aux dix-neuf grammes de griffes de lapin broyées. J'équilibrai les flux diffusifs selon la concentration et les flux magiques selon la puissance de chaque ingrédient, je marmonnai longtemps, penchée sur mes parchemins, à gratter sans relâche des suites d'équations et de chiffres. Et enfin, le résultat. A raison de trois grammes par plume, il m'en fallait trois. Trois plumes de griffon noir… Puis tourner douze fois dans le sens des aiguilles d'une montre… Un rire sec m'échappa. C'était la fin.

-Avez-vous terminé?

Je relevai vivement la tête, lui adressant un sourire tordu.

-Si j'ai terminé? Mais bien sûr, professeur. J'ai fini.

La souffrance était infinie, elle me broyait le cœur. Je ne savais plus comment la soulager. S'il fallait tout briser, m'effondrer en pleurs, sombrer dans la folie, frapper de mes poings jusqu'à ne plus avoir de force. Je me contentai de me lever, tremblant de tout mon être.

-C'est ainsi que vous justifiez votre absence aux deux derniers repas?

-Oui; haletai-je dans un râle douloureux.

J'étais fiévreuse, mon regard recouvert d'une brume opaque, j'eus du mal à prendre la recette que je venais juste de terminer, j'eus du mal à faire un pas sans m'appuyer contre le bois de la table. La silhouette sombre de Rogue quitta le fauteuil dans lequel il m'avait attendu.

-Pourquoi? Murmura-t-il.

C'était prononcé avec douceur, tout ce qui manquait au Rogue habituel. Il devait s'être cogné la tête contre une armure. Quant à moi, je la détournai, les lèvres tremblantes.

-Khorine; appela-t-il.

Mais il n'approcha plus. Un sanglot m'échappa, suivi d'un rictus de haine déchirant.

-Elle… Elle n'aurait jamais dû…

Je secouais la tête à présent et serrais mon parchemin trop fort.

-Elle m'avait demandé; les mots n'arrivaient pas à sortir, bloqués dans ma gorge. Elle m'avait d-demandé… une potion. Elle disait…

Le dire était plus dur que tout, les larmes, ces larmes que j'avais si bien retenues à leur enterrement, m'échappaient. Et je n'aurais pas dû. Pas devant le bâtard graisseux.

-Elle disait que s-son Ronflaks cornu ne sentait plus rien. Elle voulait… Luna voulait…

Je ne pus prononcer un mot de plus, me retenant difficilement à la table, une main plaquée contre mes paupières qui ne pouvaient retenir ces nouveaux flots de larmes. Rogue ne dit rien, il ne fit pas un geste vers moi et je lui en étais reconnaissante, je n'aurais pu supporter aucun contact. Tout ce dont j'avais besoin… Tout ce dont j'av…

-Pourquoi? Demandai-je, d'une voix suppliante. Pourquoi est-ce que je n'ai pas pu la protéger?

Ma voix dérailla sur la fin. Et pourtant, j'étais furieuse, contre moi-même. J'essuyai mes yeux d'un geste rageur, puis sifflai:

-Pourquoi ai-je été incapable de protéger ceux que j'aimais?!

Rogue se tenait debout à cinq pas de moi, les poings crispés, le corps tendu à l'extrême et son masque neutre en train de se fissurer. Mais ce qu'il ressentait vraiment, j'étais incapable de…

-Ne perdez pas votre temps à chercher d'autres responsables que ceux qui ont lancé l'Avada.

Je fus frappée par ses mots, alors même qu'il les avait murmurés.

-Mais si j'avais…

-Ce n'était pas de votre faute.

Je secouai la tête, les traits crispés, et puis sentis Rogue se rapprocher. Il le faisait lentement comme s'il se trouvait en présence d'un animal blessé. Blessé… Blessé… Si j'étais arrivée plus tôt, si je m'étais trouvée près des serres ce soir-là, si j'avais combattu au côté de Fred, si je m'étais tenue face à Nagini avec Neville, si…

-Ce n'était pas de votre faute.

Il s'arrêta juste devant moi qui détournais les yeux, ne dit rien de plus. Un nouveau sanglot m'échappa. J'aurais dû… C'était tellement injuste… Je m'en voulais tellement… Et, fatiguée, je laissai reposer mon front brûlant contre l'épaule de Rogue. Il ne recula, ni ne chercha à me prendre dans ses bras, je pouvais seulement me reposer contre lui.

-L-lorsque des élèves lui volaient ses affaires et les cachaient dans le château; murmurai-je tout bas, elle disait que c'était des nargolls qui jouaient avec elle. Et elle souriait doucement… Je l'ai vue se faire tuer. J'étais là, trop loin. Je n'ai rien pu faire.

Des larmes m'échappèrent encore, s'écrasant contre l'habit de la chauve-souris des cachots. Et je pleurai, je pleurai, m'agrippant à Rogue, ne parvenant à calmer l'atroce douleur qui me broyait le cœur. J'aurais tellement voulu…
Je ne sentis pas les bras de Rogue se refermer sur moi. Mais, bien plus tard, lorsque je sortis du laboratoire où refroidissait la Lovegood, je trouvai un plateau repas attendant sur la table du salon. Et ensuite, Rogue vint me rejoindre dans le lit. Il avait déjà pris ses cinq nuits mais… je ne protestai pas. Il me serra dans ses bras sans un mot… et j-je crois que je n'aurais pas pu dormir seule ce soir, que je n'eus qu'une brève hésitation avant de me blottir contre lui.