Chapitre 2

Elle était tirée, poussée, broyée, agrandit, rapetissée, tout en même temps, avec des myriades de couleurs qui naissaient et mouraient sous ses yeux. Et puis tout s'arrêta. Elle s'écrasa contre un parquet grinçant et un craquement sinistre retentit. Elle en eut le souffle coupé. Deux de ses côtes venaient de se briser sous la violence du choc. Elle s'agrippa de ses ongles aux rainures du parquet et parvint à se tourner sur le dos. Elle hoquetait, la douleur était insoutenable. Elle souleva son tablier et son tee-shirt pour voir un petit point noir du côté gauche, qui grandissait de minute en minute. Sa tête retomba contre le parquet. Elle se concentrait sur sa respiration, inspiration, expiration, inspiration, expiration… Sa vision était floue, puis nette, puis floue, elle discernait des centaines de livres autour d'elle, sur des étagères, et des journaux empilés. Inspiration… Les photographies bougeaient… Expiration… Elle allait peut-être mourir ici… Inspiration… Les derniers rayons de soleil éclairaient la pièce de lueurs rouge sang. Elle allait peut-être mourir… ici… Mais peut-être que… Elle leva sa main avec difficulté, et la plaça au-dessus de sa cage thoracique. Est-ce qu'elle pouvait…?

-Ré…pare… -toi; haleta-t-elle… Ré… pare-toi… Répare-toi…

Un halo d'un blanc nacré apparut dans le creux de la main de Khorine. Il s'intensifia, s'amplifiant par vagues lentes, douces et la main de l'enfant retomba contre le sol. Elle perdit connaissance.

Près de deux heures plus tard un craquement retentit et l'homme qui lui avait sauvé la vie apparut. Il s'approcha du petit corps, sa respiration était sifflante et la douleur déformait les traits de l'enfant, ses yeux étaient clos, ses mâchoires serrées, ses bras refermés autour de sa cage thoracique. L'homme en noir la fit aussitôt léviter sur son canapé de vieux cuir craquelé et entreprit de desserrer ses bras. La gamine hoqueta et ouvrit en grand les yeux. Un gémissement sourd lui échappa.

-Où êtes-vous blessée? Grinça l'homme en noir.

-Pour… quoi? Lâcha l'enfant avec défiance.

-Enfant, je peux vous soigner ou vous laissez mourir, alors montrez-moi où vous êtes blessée.

Khorine hésita, le cerveau brouillé par la douleur mais finit par pointer ses côtes brisées. L'homme retira le tablier couvert de tâches et souleva le haut de l'enfant pour inspecter les dégâts. Il blêmit. Elle était maigre, toutes ses côtes étaient visibles sous sa peau diaphane et les deux qui étaient cassées l'étaient d'autant plus au milieu d'un gros hématome noirâtre.

La gamine hoquetait de douleur. L'adulte sortit sa baguette et la pointa vers l'hématome.

-Episkey; murmura-t-il. Episkey.

Les côtes se remirent en place en deux petits craquements. Des larmes de douleur échappèrent à l'enfant. L'homme fit léviter à lui plusieurs fioles aux liquides rouge sang, vert forêt et lactescent nacré. Il lui fit boire les deux premières puis déboucha la dernière et la fit couler goutte à goutte sur le horion, l'étalant doucement à deux doigts. D'autres larmes tombèrent sur le cuir et dans les longs cheveux noirs de Khorine. Au bout d'une dizaine de minutes, l'hématome se résorba. L'adulte fit léviter d'autres fioles et s'occupa du bleu et de la coupure qu'elle avait au visage. Quand tout fut fini l'adulte s'écarta et Khorine s'agrippa au cuir et réussit à s'asseoir. Elle n'avait pratiquement plus mal. Elle essuya rapidement les traces de larmes tout en fixant l'homme en face d'elle. Il était apparu avec d'autres gens pour détruire et tuer, mais il l'avait sauvée. Elle se demandait pourquoi. Elle se demandait pourquoi il l'avait soignée et s'il lui voulait du bien ou du mal. Elle était épuisée…

-Pouvez-vous rester assise?

La fille hocha la tête et l'homme en noir se leva pour se diriger vers une petite cheminée, il prit de la poudre grise dans un pot à sa droite et murmura:

-Bureau d'Albus Dumbledore.

De belles flammes vertes apparurent devant le regard ébahi de l'enfant, redoublé lorsqu'elle vit l'adulte y plonger la tête. Plusieurs poignées de seconde plus tard il se relevait et se tournait vers Khorine. Ses yeux noirs étaient inexpressifs, son visage fermé, elle se demandait ce qu'il pouvait penser.

-Votre nom?

-Khorine… Khorine Waterlight.

Il hocha sèchement la tête et le silence tomba. Khorine l'observait.

-Dîtes-moi… Miss Waterlight… Pourquoi avez-vous ramassé ce stylo?

La gamine de six ans le fixa, ses grands yeux bleus intelligents tournés vers les orbes noirs de nuit.

-Je ne voulais tuer personne d'autre.

L'homme n'eut pas le temps de réagir à cette réponse comme les flammes vertes dans la cheminée s'intensifièrent et qu'un bout de robe lavande apparut, bientôt suivi par tout un vieil homme à la longue barbe blanche, au chapeau étrange, aux lunettes en demi-lune et au regard pétillant. Il octroya immédiatement son attention à la petite fille.

-Bonsoir, un bonbon au citron?

Khorine refusa, inquiète, elle jeta un regard en coin à l'homme en noir qui n'avait pas bougé.

-Tout va bien, tu n'as rien à craindre ici. Je m'appelle Albus Dumbledore, directeur de l'école de sorcellerie de Poudlard. Tu n'en as sûrement jamais entendu parler.

-Non; marmonna-t-elle.

La sorcellerie, des sorciers, alors il y avait d'autres gens comme elle.

-Comment t'appelles-tu?

-Khorine Waterlight; dit-elle encore.

-Et dis-moi Khorine, est-ce que tu sais parler aux serpents?

Cette question était prononcée de manière tout à fait anodine, mais les yeux bleus du vieillard brillaient violemment. Des alertes se déclenchèrent dans sa tête, elle entendait son grand-papy lui faire promettre de ne jamais révéler son secret.

Severus à gauche du directeur décryptait chacune des émotions sur le petit visage, l'effroi, l'envie de cacher ses émotions, la peur insidieuse, la peur.

-Non; mentit-elle.

-Tu n'as rien à craindre ici; répéta le directeur.

Elle pinça l'une contre l'autre ses petites lèvres et Albus finit par se redresser. Il sortit de ses manches un de ses bonbons au citron et le goba avant de retourner son attention sur la fillette.

-Où est ta famille?

Le visage de l'enfant se ferma. Au fond d'elle la peine lui écrasait le cœur. Sa famille… Morton… Grand-papy… Ils n'étaient plus là. Sa famille était morte. Elle était toute seule. L'émotion qui lui enserrait les entrailles quand elle se roulait en boule et se balançait d'avant en arrière dans un coin sombre se répandait en elle et la glaçait.

-Albus; intervint l'autre sorcier, son père est mort devant moi.

-Elle a peut-être une mère, des frères et sœurs ou des grands-parents.

Si… Elle… disait oui… Ils la relâcheraient peut-être. Si… non… ça n'avait plus d'importance. La douleur était atroce.

-Je… suis… toute seule… Grand-papy est mort… Il n'y a personne d'autre; chuchota-t-elle alors que la vie dans ses yeux était avalée par la douleur.

Son regard se vidait peu à peu et cette vision était atroce. Albus Dumbledore s'approcha et l'empêcha de penser en posant sa main parcheminée sur la frêle épaule.

-Je vais devoir m'absenter quelques semaines pour une affaire urgente. À mon retour nous essaierons de te trouver une nouvelle famille. En attendant je vais te laisser aux bons soins de Severus.

Ce dernier commença à protester ce qui força Khorine à sortir d'un trou noir de douleur. Elle observa l'homme en noir et le vieillard parlementer, parlant de missions, de potions et chuchotant férocement des noms et d'autres qui pourraient s'en occuper eux. Le vieil homme n'avait plus d'étincelle dans le regard quand il parlait à l'homme sombre. Elle avait la désagréable impression que le sorcier à barbe blanche était bien au-dessus du sorcier sombre et qu'il le toisait de très haut. Elle n'aurait su expliquer ce qu'elle voyait, mais elle ne comprenait pas pourquoi l'homme en noir se laissait faire.

À la fin, Dumbledore eut le dernier mot. Quelque chose disait à Khorine qu'il devait toujours avoir le dernier mot. L'autre adulte soupira avant de se reclure derrière ses bras croisés. Albus Dumbledore se tourna alors vers la petite fille et l'observa un instant:

-Tu viens d'entrer dans un nouveau monde Khorine et tu lui apporteras beaucoup.

Ses yeux azur scintillèrent doucement, puis il se détourna vers la cheminée pour prendre de la poudre et disparaître dans un vrombissement de flammes vertes. Silence. Les yeux de l'homme en noir brillaient de colère. Khorine le fixa. Il finit par soupirer et décroiser les bras.

-J'ai du travail qui m'attend; grinça-t-il du ton aristocratique qui semblait le caractériser, vous serez silencieuse, vous serez à l'heure aux repas à neuf, treize et vingt heures, il n'y aura pas de goûters,arrangez-vous pour manger suffisamment à table. Suivez-moi.

Ils quittèrent la bibliothèque pour entrer dans la cuisine par la porte face à la cheminée, elle était petite avec au centre une table en bois marquée par les coups de couteaux, il y avait des plaques qui fonctionnaient au gaz au-dessus d'un vieux four graisseux, des placards en vieux bois. Une grande porte dans un coin menait au laboratoire de Severus. Il y préparait des potions. Khorine ne posa pas de questions. Ils quittèrent ensuite la cuisine pour atteindre un couloir étroit. À gauche se trouvait la porte d'entrée, à droite une ouverture vers la bibliothèque en plus d'un escalier qui menait au premier étage. Là-haut se trouvait un autre couloir étroit et sombre, seulement éclairé par quelques ampoules nues. Il y avait deux portes sur la gauche, trois sur la droite. Severus lui montra la salle de bain à côté des toilettes puis il se tourna vers les portes de droite.

-Ma chambre se trouve derrière cette porte, vous n'y entrerez pas à moins d'y avoir été conviée. La pièce du milieu contient des vieilleries, vous avez interdiction d'y entrer. Votre chambre se trouve au fond, venez.

L'adulte actionna la poignée qui grinça fortement. Il sortit sa baguette et une petite étincelle de magie s'y répandit, puis ils entrèrent. Il y avait un petit lit tout couvert de poussières, des schémas et des feuilles recouvertes d'une écriture serrée collés au mur, une banderole verte avec un serpent était accrochée près d'une grande armoire, dans le coin opposé se trouvait un petit bureau en bois, une grande fenêtre sale donnait sur un croissant de lune et sur un morceau de rivière serpentant bordée de saules pleureurs. L'adulte marmonna quelques mots en décrivant de belles arabesques de sa baguette. La fenêtre se nettoya et s'ouvrit et l'odeur de moisi qui auparavant prenait à la gorge disparut, la poussière fut aspirée par un étrange courant d'air, les papiers au mur furent arrachés et rangés au fond d'un des tiroirs du bureau. Khorine observa le ballet de tous ces objets qui volaient et puis elle vacilla. Elle n'avait pratiquement plus de force.

Elle tint debout alors que Severus l'accompagnait jusqu'à la salle de bain et lui donnait une brosse à dent. Elle se brossa les dents. L'adulte lui apporta un pyjama gris et rapiécé un peu trop grand pour elle et elle s'habilla. Puis elle fut autorisée à retourner dans la petite chambre où elle allait dormir. Elle se roula en boule contre le lit, face à la fenêtre et aux étoiles scintillantes, elle se balança d'avant en arrière et pleura et s'évanouit de fatigue bien plus tard.

oOo

Le lendemainmatin elle fut réveillée par des coups secs contre la porte. Elle avait un horrible mal de tête, ses yeux la brûlaient et ses petits os craquèrent lorsqu'elle se releva du parquet où elle avait dormi.

-Vous avez trente minutes; lui parvint la voix de l'homme en noir de derrière la porte.

Trente minutes? Elle mit au moins une minute pour réussir à se rappeler où elle était. Et une minute supplémentaire pour comprendre qu'il parlait du petit-déjeuner. Elle s'habilla alors aussi vite que possible, elle n'avait plus mal du tout, elle passa dans la salle de bain pour enlever les petites crottes au coin de ses yeux et pour essayer de coiffer ses cheveux avec ses doigts. Il y avait plein de nœuds et le résultat fut qu'ils semblaient encore plus sauvages qu'au réveil. Elle soupira, se lava les mains puis se dirigea vers l'étage du-dessous. L'homme en noir lisait dans un fauteuil de la bibliothèque face à la cuisine. Il la vit s'avancer vers les casseroles et se leva.

-Miss Waterlight, vous oubliez les politesses du matin.

Le visage de l'homme était fermé. Ce n'était pas bon signe.

-Euh… Bonjour; murmura-t-elle.

-Bonjour; lui répondit-il en retroussant le coin de ses lèvres en un petit rictus narquois. Et pourriez-vous me dire ce que vous faîtes dans la cuisine au lieu de paresser encore au lit?

Khorine fronça les sourcils. Paresser au lit?

-Je suis venue préparer le petit-déjeuner; répondit-elle avec sa franchise coutumière.

Severus Rogue perdit son sourire. La gamine était sérieuse.

-Ici vous ne ferez pas la cuisine.

Khorine ne comprenait pas. Son père lui demandait de la faire tout le temps, elle devait la faire pour elle-même et même son arrière-grand-père lui demandait de l'aider.

-Je ne vous décevrai pas. Je sais cuisiner de tout; tenta-t-elle.

Mais l'adulte sembla encore plus contrarié. Il la fixa intensément de ses yeux noirs hypnotiques. Elle sentit quelque chose chatouiller ses souvenirs, elle visualisa Morton qui… Elle ferma les yeux, et tout s'arrêta. Sa tête lui faisait mal. Quand elle rouvrit les yeux, l'homme en noir tenait une fiole au contenu lavande.

-Buvez, elle apaisera vos maux de tête.

Comment savait-il? Était-elle si facile à lire? Devait-elle faire semblant d'aller bien? Elle tendit la main et attrapa le flacon. Elle ne risquait pas grand-chose de toute façon. Le liquide avait un goût acidulé, il la fit frissonner de tout son corps, et puis elle n'eut plus de tambour dans la tête, même la fièvre disparut.

-Merci; marmonna Khorine en lui rendant le flacon.

L'homme le rangea dans une poche secrète.

-Vos coups au visage et vos côtes fragilisées ont été causés par votre père.

Ça ne ressemblait pas à une question. Et quelle importance? Il était mort. Ils étaient tous morts. La gamine ne répondit pas. Typique. Il connaissait les mécanismes de défense de ces enfants, il les avait déjà vu chez certains de ses Serpentard, et lui-même…

-Ici je ne vous frapperai pas et je ne vous demanderai pas de participer à aucune tâche ménagère. Contentez-vous de garder ma… votre chambre propre.

Khorine l'observa, méfiante. Que devait-elle faire alors?

-Ce que vous devrez faire durant votre séjour ici est simple, vous reposer, manger convenablement et vous amuser en silence.

Khorine réfléchit, fixant l'adulte, puis les casseroles et le four dans la cuisine, puis la bibliothèque de l'autre côté.

-Est-ce que je pourrais lire vos livres?

-Il n'y a pas d'images dedans; grogna-t-il aussitôt.

Khorine le regarda bizarrement avant de répondre:

-Je sais lire.

-Ce sont des livres ardus à comprendre pour une enfant de… six ans.

Khorine se garda bien de dire ce qu'elle pensait. Elle se contenta de le fixer en attendant son verdict. Il avait l'air de beaucoup tenir à sa bibliothèque. Il la fixait également, croisant les bras. Cette gamine ne manquait pas de toupet. Oser lui demander d'accéder à ses livres, des ouvrages inestimables! Mais si elle n'avait pas à lire, quelle bêtise pourrait-elle inventer pour se distraire?

Enfant, tout ce qu'il pouvait faire pour tromper l'ennui était de sortir, dans le jardin ou dans les ruelles de la ville. Et que dirait-on de la présence d'un enfant chez lui juste après un rassemblement de mangemorts? Il n'était pas surveillé mais mieux valait être prudent. Des ombres commençaient à s'agiter. Mieux valait cloîtrer la gamine chez lui et la surveiller étroitement.

-Vous pourrez; grinça-t-il entre ses dents, accéder à certains ouvrages. Mais seulement sous ma supervision.

Un petit sourire apparut sur le visage de l'enfant et l'adulte hocha la tête. La discussion était close. Il lui demanda de s'asseoir à la table du petit-déjeuner et fit léviter hors des placards deux bols, deux verres et des couverts, du pain, du beurre, de la confiture, des fruits. Il fit chauffer de l'eau pour se faire un thé et puis il la rejoignit à table et ils commencèrent à manger en silence. Khorine était sagement en train d'appliquer du beurre sur une petite tranche de pain lorsqu'un pop retentit au milieu de la cuisine. Un bouclier magique apparut aussitôt devant sa main tendue. La tartine et le couteau à beurre étaient par terre. Devant elle se trouvait une étrange créature aux grands yeux larmoyants. Elle était haute d'un mètre maximum, avait une peau claire et fripée, deux bras et deux jambes tout maigres, deux grandes oreilles battantes en pointe et un nez en bec de toucan. Le petit être était recouvert d'une taie d'oreiller.

-Bonjour Maître Rogue, Maîtresse, Maître Dumbledore a demandé à Gourdy de servir Maître Rogue et Maîtresse jusqu'au retour de Maître Dumbledore.

Tout avait été dit d'une traite tandis que la créature crispait les mains sur sa taie et restait toute recroquevillée. Le bouclier de Khorine disparut.

-Alors comme ça je ne serais pas assez capable pour m'occuper d'une seule enfant; siffla l'homme en noir d'une voix sourde.

-Maître Dumbledore a dit à Gourdy… de dire à Maître Rogue que Maître Rogue a… d'autres tâches qui l'attendent; haleta la créature avec de la panique dans la voix.

L'adulte crispa les poings, il avait l'air furieux. Khorine avait peur pour le petit être qui venait d'apparaître. Elle se leva de table, lentement, sans geste brusque, et vint se placer à droite de l'elfe, prête à utiliser son bouclier.

-Qu'est-ce que vous faîtes? Cracha Severus. Rasseyez-vous.

La gamine fit preuve d'un calme olympien en lui répondant:

-Qu'est-ce que vous allez lui faire?

-Rien, stupide Gryffondor! Oh oui, vous serez certainement répartie à Gryffondor. Alors maintenant asseyez-vous et taisez-vous. Et toi, Gourdy disparais, je te rappellerai pour préparer le déjeuner.

-Bien Maître Rogue.

La créature jeta un regard en coin à la petite sorcière qui avait voulu la protéger puis disparut dans un pop sonore. Khorine alla ramasser sa tartine et son couteau par terre et nettoya le tout sous le regard peu amen de Severus Rogue. Elle revint ensuite s'asseoir.

-Mangez; ordonna l'adulte.

Elle obéit, prenant le couteau que Severus avait posé devant elle. Un profond silence s'ensuivit. Avant que Khorine prenne son courage à deux mains pour s'aventurer à demander:

-Qu'est-ce que c'était la créature qui est apparue? Pourquoi est-ce qu'elle vous obéit? Et qu'est-ce que c'est Gryffondor? Pourquoi c'est mal?

-Vous saurez tout cela en temps utile; grogna Severus. Et maintenant j'aimerais profiter de mon petit-déjeuner en silence.

Khorine se mordit la lèvre avant de retourner sa concentration à sa tartine de pain beurrée. Quand l'adulte eut fini son thé et que Khorine ne put plus rien avaler, ils se dirigèrent tous deux vers la bibliothèque où Severus reprit son journal tout en surveillant Khorine qui étudiait le titre des ouvrages sur les étagères les plus proches. «Filtres et Potions au travers des âges», «Propriétés thérapeutiques des mandragores», «Minéraux et Potions», «Sortilèges élémentaux», «Cahier de laboratoire de Theophraste Repludum: 5 mai 1657- 30 mars 1658». Elle choisit «Sortilèges élémentaux» d'Agatha Tournevent et Wilhem Broidery, se hissa sur la pointe des pieds et se reprit à plusieurs fois pour extraire le gros volume. Elle le porta ensuite avec difficulté jusqu'au deuxième fauteuil, de l'autre côté de la cheminée et l'ouvrit. Le parchemin était jauni mais encore souple tout était écrit à la main et en italique, il y avait des passages difficiles à déchiffrer. Khorine y travailla cependant, sous la surveillance acérée de Severus.

Il était question des cinq éléments, le livre expliquait ce que c'était, d'où ils venaient. Il y avait des formules en latin et le détail de gestes qu'il fallait faire avec la baguette. Est-ce qu'elle en aurait une elle aussi? Est-ce que la baguette était nécessaire pour la magie? Pourtant elle y arrivait sans. Et grand-papy n'y aurait jamais cru s'il avait su qu'il y en avait d'autres comme elle. Grand-papy… Père… Mère… Ses yeux la brûlèrent des larmes qu'elle avait versées toute la nuit. Sa tête tomba mollement contre le repose-tête et son visage morne aux yeux tristes resta tourné vers l'ouvrage. Elle lisait pour ne pas sombrer.

-Miss Waterlight; finit par l'appeler Severus. Que lisez-vous?

La petite fille répondit d'une voix atone sans quitter le livre des yeux:

-Les rituels de l'orme ou du sureau (décrits pages 386 et 396) sont utilisés en période de lune ascendante pour attirer les esprits du feu. Ceux-ci pourront prêter une part de leur magie aux sorciers moyennant des sacrifices humains ou animaux. La vie et le sang sont les seules monnaies susceptibles d'être acceptées par la plupart de ces créatures.

-Arrêtez; commanda Severus qui se fit obéir. Ce ne sont pas des rituels que l'ont fait communément.

-Alors, pourquoi vous avez tué les gens de mon village?

Severus claqua de la langue, signe d'agacement distinct.

-Suffit.

-Pourquoi vous m'avez juste sauvée moi?

-Ne testez pas ma patience Waterlight. Dans cinq ans je serai votre professeur de potions et je vous ferai chèrement payer votre insubordination.

Khorine cilla et le regarda étrangement, une étincelle reparaissant dans ses grands yeux bleus.

-Vous enseignez comment créer des potions?

-Non. Je vous apprends à utiliser une louche et un couteau.

Elle le fixa sans comprendre vraiment et choisit de se replonger dans sa lecture. Ils n'échangèrent plus un mot jusqu'au déjeuner où Gourdy leur servit des morceaux de veau à la moutarde accompagnés de pommes de terre sautées et de salade. Khorine n'avait jamais aussi bien mangé de sa vie.

-Merci Gourdy! Lança-t-elle lorsque la créature reparut pour débarrasser la table. C'était délicieux!

Celle-ci écarquilla les yeux et ses oreilles papillonnèrent étrangement. Khorine la fixa, se demandant si elle venait de faire une bêtise.

-Gourdy remercie maîtresse; répondit-elle enfin.

Elle débarrassa la table puis claqua dans ses doigts pour faire apparaître du fromage et une miche de pain toute chaude. Khorine était épatée.

-Monsieur; appela-t-elle alors que l'homme en noir se servait, comment s'appellent ces êtres? Ils ont l'air très puissants, pourquoi est-ce qu'ils nous appellent maître? Ils devraient être libres non?

-Les elfes de maison sont heureux de vivre dans la servitude; se renfrogna son hôte et il refusa de répondre à ses autres questions.

Khorine arrêta d'ailleurs bien vite d'en poser. Gourdy fit apparaître un gâteau au chocolat. Khorine adorait le gâteau au chocolat!

-Après que vous ayez fini de vous goinfrer; annonça Severus de sa voix traînante, vous me suivrez dans mon laboratoire.

Elle goba rapidement son dernier morceau de gâteau et se leva de table. Toute la vaisselle disparut aussitôt et Khorine lâcha une petite exclamation.

-Venez, enfant.

Elle le suivit tandis qu'il ouvrait une porte de la cuisine menant au sous-sol. Les marches de bois étaient branlantes, elles grinçaient et sentaient le moisi. Severus sortit sa baguette et referma la porte derrière eux puis alluma la lumière dans la pièce du dessous. Khorine écarquilla les yeux devant la grande pièce avec des étagères sur tous les murs remplis de bocaux avec des créatures étranges y flottant, la dizaine de chaudrons entassés dans un coin, un bureau plein de parchemins striés d'encre noir, une énorme table au centre marquée par les coups de couteau et les flammes.

-Vous allez faire une potion? Demanda l'enfant.

-Régénération sanguine; concéda-t-il à l'informer. Et maintenant taisez-vous et occupez-vous comme bon vous semble.

La jeune fille s'assit sur la seule chaise du laboratoire, près du bureau plein de parchemins et ne quitta pas des yeux Severus. Il sélectionna un chaudron parmi tous les modèles qu'il y avait, pris un bocal et fit apparaître une flamme, apporta un mortier et son pilon, différents couteaux, une louche, choisit ses ingrédients sur les étagères, des sortes d'insectes ailés séchés, des billes de sève rouge, des feuilles séchées, des fleurs blanches, des sangsues, de l'écorce noire. Il les plaça ensuite à gauche de son chaudron selon un ordre précis, pris de l'eau dans une grande bassine transparente qui contenait des cailloux poreux blancs et la versa dans son chaudron.

Ensuite, la vraie magie commença. Khorine était en face du maître des potions qui l'ignorait complétement, son regard intense dirigé vers son chaudron et ses ingrédients. Il y avait quelque chose dans ses yeux noirs, quelque chose d'ensorcelant, quelque chose de tellement puissant. Khorine en tremblait. Il lui semblait que le sens de la vie était caché dans ces orbes de nuit. Elle en avait le souffle coupé et sa respiration était haletante, son esprit s'embrouillait et son cœur battait à tout rompre. Elle avait l'impression… Non… C'était la première fois qu'elle ressentait quelque chose d'aussi intense. L'homme en noir était si impressionnant, brûlant d'une passion qu'elle n'avait jamais vu chez aucun autre. Lui devait savoir quel était le sens de la vie. Pourquoi elle devait vivre. Il broyait, coupait, tournait sa potion, réduisait le feu d'un geste élégant de sa main. Son visage était inexpressif, son grand nez busqué penché au-dessus du mélange, ses cheveux noirs et graisseux pendant sur ses épaules. À cet instant, Khorine se dit qu'elle le trouvait beau. Pire, elle comprit ce qui lui arrivait. Elle tombait amoureuse. Elle en était sûre, elle avait lu beaucoup de livres à ce sujet, comme sur beaucoup d'autres, tout correspondait, la description, l'effet, le cœur qui battait, les joues qui rougissaient, les mains qui devenaient moites.

Elle passa le reste de l'après-midi à l'observer. Après la potion de régénération sanguine il prit deux autres chaudrons et s'occupa de deux potions en simultané. Khorine était impressionnée. Elle était heureuse aussi, pour une raison qu'elle ne comprenait pas.

Il était très tard lorsque le maître des potions fit couler les dernières gouttes de potion dans le dernier flacon. Il appela Gourdy pour que le dîner soit apporté. Celle-ci s'inclina dans une courbette qui lui fit toucher les dalles du dos de son nez puis disparut. Khorine suivit le maître des potions jusqu'à la cuisine où les attendaient des feuilles de salade avec des concombres, des tomates et un cake aux olives tout chaud. Khorine avait faim. Elle s'en rendait compte maintenant et entreprit de dévorer tout ce qui se trouvait dans son assiette avant de demander:

-C'est quoi le travail d'un maître des potions?

-Parlez correctement, enfant. On dit: «quel est le travail d'un maître des potions»?

Khorine répéta, pénitente, attendant sa réponse avec des yeux brillants.

-Un maître des potions, comme son nom l'indique, maîtrise la préparation et la création de potions.

-Vous pouvez en créer? Qui font tout ce que vous voulez? Vous pouvez changer les gens en pierre? Est-ce que vous pouvez les ressusciter?

-On ne ramène pas les gens à la vie; la coupa-t-il sévèrement.

Une brève lueur de douleur passa dans leurs deux regards et Khorine détourna le sien avant de demander:

-Vous pouvez sauver des gens, n'est-ce pas?

-Ou les tuer.

Son ton était sec. Il ne voulait pas en parler. La gamine l'observa avec ses grands yeux bleu océan. Elle ne ressemblait pas à une gamine de six ans. Il savait à quoi cela devait ressembler, son filleul, Drago, avait six ans. Il n'avait aucun point commun avec cette fille.

-Est-ce vous regrettez de m'avoir sauvée? Demanda-t-elle soudain avec sa franchise habituelle.

-Non.

Il avait répondu si vite, d'une manière si posée et neutre, que Khorine ne douta pas de sa parole. Il y eut un silence. Ensuite le fromage apparut, puis encore du gâteau au chocolat. Elle en mangea même s'il y avait de grandes chances que son ventre éclate. Puis Gourdy prépara une tisane pour elle et Severus et ils allèrent la boire dans la bibliothèque, face à la cheminée, avec une livre sur les genoux.

De toute sa courte vie, Khorine ne s'était jamais sentie autant en sécurité. Le feu crépitait dans la cheminée. Le bruit parcheminé des pages que Severus tournaient était régulier. Elle buvait sa tisane par petites gorgées. Tout était si paisible ici.