Chapitre 7

J'avais demandé à l'expérimenter, la Lovegood, sur moi. Rogue m'avait observée un long moment sans un mot, ses yeux noirs scrutant les miens sans passion. Puis il m'avait demandé mes carnets de recherches, mes feuilles de calcul, et la recette finale. Je les lui avais présentés et avais attendu, tendue, dans le canapé face à son fauteuil noir. Presque deux heures plus tard, il m'avait donné son accord, à condition que ce soit sous sa supervision… Nous étions allés au laboratoire, j'avais débouché une fiole de 20 centilitres juste ce qu'il fallait pour quelqu'un de ma taille, de mon poids et mon sexe. J'avais fermé un bref instant les yeux, et puis l'avais avalée cul-sec. Le goût était infect. Il fallait que ce soit léger, aérien. Et la potion ambrée devrait être d'un bleu pâle à l'avenir. J'y arriverai.

-Que ressentez-vous?

-Aucun effet immédiat. Mais j'avais calculé qu…

-Qu'elle devrait agir dans les dix minutes après l'ingestion; coupa Rogue.

J'hochai la tête, avant de m'appuyer contre la table de travail, face à lui. Il était rare que nous soyons dans la même pièce sans qu'il ne m'insulte ou ne me touche. Pour l'instant, Rogue était encore assez loin de moi, droit, presque rigide, il m'observait avec ce masque de neutralité que j'avais toujours détesté et je n'aurais su dire si je le dégoûtais, s'il pouvait être vaguement intéressé par mes travaux ou s'il ne pensait qu'à une nouvelle manière de profiter de moi. Je me mordis la lèvre. Vaguement. C'était l'occasion de lui demander… Après tout, je ne risquais qu'un énième refus de sa part.

-Qu'y a-t-il, Lumare? Soupira Rogue.

Je fronçai les sourcils, je n'avais même pas encore ouvert la bou…

-Les Gryffondors sont d'un transparent; se moqua-t-il.

Je grognai vaguement, avant de me lancer:

-Je… sais… qu'il y a certains livres de la Section Interdite…

Je lui jetai un regard inquiet, mais Rogue ne réagit pas. C'était… anormal. Il aurait dû critiquer les Gryffondor et leur mépris flagrant pour les règlements.

-… qui pourraient m'aider. Je me demandais, en tant que professeur, si vous pouviez m-me faire une dérogation.

Dit! Je l'avais dit! A un Rogue mué dans un silence dangereux et dont les yeux noirs suivaient chacun de mes gestes et chacune de mes expressions avec une effrayante fixité.

-Une dérogation? Susurra-t-il finalement. Comme si les grimoires de ma bibliothèque ne pouvaient convenir à vos minables petites expériences.

Je crispai durement les poings avant de… venait-il… de proposer…?

-Vous accepteriez? Demandai-je, sans pouvoir cacher ma joie.

Ce qui fit bien sûr se renfrogner la chauve-souris des cachots.

-A plusieurs conditions; gronda-t-il.

Ça m'aurait étonnée aussi, mais je ne pouvais empêcher mes yeux de briller dans l'expectative d'approcher sa précieuse collection. J'en avais eu un aperçu, plusieurs fois. Tout ce que je pouvais dire… Elle était magistrale! Je ne pouvais même pas m'expliquer comment il avait réussi, lui, simple professeur de Poudlard, à acquérir autant de merveilles.

-Aucun livre ne sortira de mes appartements, vous les consulterez dans mes quartiers.

… Il fallait s'y attendre.

-Un seul froissement de pages et je peux vous assurer que les Détraqueurs d'Azkaban vous…

Une odeur avait attiré mon attention, il y avait un chaudron dans un coin de la pièce, qui renfermait la dernière potion de Rogue. Hmm… Omni-soin. L'odeur du Lycoris était particulièrement remarquable. Il y avait aussi, tellement d'ingrédients, de fragrances différentes, leurs circonvolutions, leurs rencontres… Les plumes de phénix, griffes de dragon, larmes de Harpie, poudre de pin, écorce d'asphodèle, baies de sureau noir, bile de tatou…

-Lumare?

Il approchait. Son odeur… n'était pas désagréable. J'aurais dû en être dégoûtée.

-J'aimerai aller dehors; murmurai-je, le regard étincelant.

L'extérieur…la forêt, le lac, le saule pleureur, les chênes, les créatures de Hagrid, voisins gnomes, ou l'air pur du large.

-Aucun effet secondaire?

Si…

-Les autres sens sont relégués au second plan. Je dois me concentrer pour voir, ou entendre.

Je distinguai peut être un grommellement, avant de le visualiser me prendre le poignet et m'entraîner hors du laboratoire. Toutes les odeurs qui m'avaient accueillie disparurent, sauf une. La sienne. J'aimais bien… sans pouvoir la décrire. Il y avait peut-être, diffuses, quelques vapeurs de potions s'accrochant encore à ses habits, mais par-dessus tout c'était lui…
Je fus pétrifiée à peine fait un pas en dehors du château. Tout ce qui me parvenait était si puissant, et agréable, tellement… Je vacillai un peu, n'ayant même plus conscience de la poigne de Rogue. Jusqu'à ce que je m'effondre dans l'herbe, et ne l'amène à me suivre.

-Khorine?

Mon prénom, il était inquiet. Au-dessus de moi.

-L'herbe; murmurai-je. La terre, jusqu'au Lac noir. Les fonds terreux retournés par le ressac, et les arbres, les plantes de la Forêt Interdite…

Je relevai des yeux embrumés vers lui.

-Je crois que… je n'ai jamais rien senti d'aussi… apaisant. C'est l'odeur de ma maison. Poudlard… a été la… seule…

Un léger baiser, sur mes lèvres. Puis Rogue s'assit près de moi. Ce devait être la première fois que je pouvais voir le grand maître des potions de Poudlard assis dans l'herbe. Nous restâmes ainsi un long moment. Lui en tailleur, drapé de sa cape, moi allongée, le regard perdu dans l'immensité du ciel, respirant à plein poumon l'odeur apaisante qui planait autour de Poudlard…

oo0oo

Nous devions être début Août. Et le comportement de Rogue avait évolué depuis… l'incident de la potion Lovegood. Ses remarques étaient moins blessantes, il était moins brutal et il m'arrivait -dans de rares moments- de… d'apprécier… sa présence.
Au niveau des études, je parvenais plutôt bien à tenir le rythme. Pas le cas de Ron… ce qui l'entraîna, durant une énième session de révisions de groupe, alors que nous nous trouvions tous les quatre sous un grand chêne, au bord du Lac, à craquer. Hermione avait réussi à le faire tenir trois heures, un exploit en soi, avant qu'il ne réclame une pause.

-Allez, rien qu'une petite baignade!

-Ron! Ce n'est pas comme ça que tu vas obtenir tes ASPICS!

Ces remontrances venaient d'Hermione naturellement. Moi je me mordais la lèvre, le regard tourné vers l'eau fraîche du Lac, Harry n'était pas loin de se déshabiller.

-Rien qu'une petite heure, Mione! Lançai-je finalement.

-Tu ne vas pas t'y mettre aussi!

-Mione!

Harry s'était rajouté à nos supplications déchirantes ce qui avait abouti, finalement, à un refus en bloc. Nous avions dû la tirer jusqu'au plan d'eau avec les livres auxquels elle s'accrochait avant de remporter notre victoire! Et puis nous avions enlevé nos chemises, nos jupes ou pantalons, nos chaussettes et nos chaussures noires, pour enfin plonger en sous-vêtements dans les eaux agréables du Lac Noir.
Oh Merlin… L'eau était délicieuse! Puis Ron nous avait défiés à la course... qu'il avait perdu. Dans son dépit, il avait réussi à éclabousser Mione, qui avait répliqué, s'en était suivie une bataille d'eau mémorable! Nous n'en étions sortis que bien plus tard, à un glapissement particulier d'Hermione qui avisait l'heure sur la grande horloge de la tour Nord. Elle était aussitôt retournée sur la berge et ce fut à contrecœur que je l'imitai. Il devait être aux alentours de dix-sept heures trente et il me restait encore d'énièmes révisions sur deux chapitres en Histoire de la Magie, et un nouveau chapitre en Défense contre les Forces du mal, Soin aux créatures Magiques, Métamorphoses et Sortilèges à apprendre.
Hermione me lança un sortilège de Séchage par-dessus son grimoire de Botanique et j'allais me rhabiller lorsque, relevant la tête, j'aperçus… Rogue? A l'une des rares fenêtres non brisées du premier étage. Il nous obs…
Non… L'instant d'après il n'y avait plus personne et… j-j'avais dû l'imaginer. Rogue ne pouvait pas raisonnablement perdre son temps à observer ses cornichons d'élèves nager au beau milieu du Lac Noir. Paranoïaque. Je devais sûrement être devenue paranoïaque…

oo0oo

Je n'avais pas souvent le temps, mais parfois, je m'aventurais plus loin dans les cachots, jusqu'aux appartements du sombre Maître des Potions. Rogue me laissait entrer à chaque fois, puis retournait s'enfermer dans son laboratoire, à moins qu'il ne lise déjà dans son fauteuil noir. Nous ne parlions pas beaucoup avant de nous plonger dans nos lectures ou dans nos travaux respectifs. La première fois qu'il m'avait emmenée dans sa chambre, je n'avais pas aimé l'endroit. Vide. Froid. Il n'y avait pas une seule photographie, pas un seul bibelot, pas un seul livre ne traînait, pas un seul parchemin ou carnet ou fiole de potion. Mais… étrangement… il n'avait rien dit en voyant un grimoire sur la table de chevet de mon côté, puis deux de mes carnets et quelques plumes, quelques-uns de mes vêtements …
… Je ne venais jamais lire durant le week-end, qu'importe combien j'en avais envie ou le nombre d'heures de temps libre que je pouvais me garder. Et cela, parce qu'il prenait toujours ses cinq nuits en début de semaine. Je ne voulais pas… Autant être prudente. Mais aujourd'hui, Mercredi, il se trouvait que je ne risquais rien de plus en me rendant dans ses quartiers.

-Bonsoir.

Il répondit d'un bref hochement de tête en ouvrant sa porte et la referma derrière moi. Bien sûr, je me rendis directement à sa bibliothèque –habituée- et en tirai le «Remèdes, onguents, poisons» de l'université de Potions la plus réputée de Grande Bretagne. Puis je rejoignis mon canapé habituel, face à la cheminée, à gauche du siège de Rogue, et m'assis en tailleur, le grimoire posé sur les genoux. Ce soir, Rogue prit place dans le fauteuil près du mien, je le suivis du regard sans m'en cacher et observai avec intérêt sa lecture. Un vieux grimoire où brillaient le chiffre IV en insignes dorées, signé d'un P enluminé, comme...
Est-ce que cela pouvait être…

-C'est bien le… le quatrième et dernier tome du Volumen Medicinae Paramirum de Paracelse? Prononçai-je dans un murmure ébahi.

Ce qui ne manqua pas d'étirer ses lèvres en un sourire railleur.

-Il se peut.

Je me mordis les miennes en le fixant, les yeux tout à coup étincelants. Et Rogue me rendit un regard indescriptible. C'était une de ces soirées… agréables.

-Est-ce qu'il traite vraiment de toutes les maladies psychologiques répertoriées du XVIème siècle? Lâchai-je. Je croyais qu'il n'en restait plus que quelques exemplaires dans le monde! Comment… Et est-ce qu'il parle aussi des potions qu'il utilisait pour les soigner? Est-ce que Paracelse mentionne la s…

-Que diriez-vous de le découvrir par vous-même? Me coupa-t-il, bien plus doucement qu'il n'aurait dû. Plus tard?

Non vraiment, à part le rictus railleur qui étirait le coin de ses lèvres cela s'apparentait plus à de la taquinerie. Et non contente d'engager volontairement la conversation avec mon tortionnaire, j'insistai:

-Vous pourriez au moins me dire s'il y a bien, à la fin du grimoire, tout un chapitre en Fourchelangue sur les...

Il répondit de la même manière ce qui me donna un peu plus l'envie de lui piquer le livre des mains et d'aller m'enfermer dans sa salle de bain pour pouvoir le dévorer en paix. Bien sûr c'aurait été puéril. Etrangement puéril, que m'arrivait-il? Etais-je à ce point brisée et pitoyable pour en arriver à vouloir me comporter comme une enfant devant l'homme qui me retenait prise au piège? Je voulais l'aider, le réconforter si tant est qu'il se laisse un jour faire, mais jamais je n'avais souhaité en venir à cela.

-Il se pourrait qu'il évoque les troubles psychiques liés aux Fourchelangues; susurra-t-il en fixant toujours mon regard brûlant, ou que ce chapitre en particulier soit dans leur langue, tout comme il est possible que sa traduction soit ajoutée dans cette édition. Mais rien n'est moins sûr.

Je me mordis la lèvre, m'empêchant de sortir quoi que ce soit d'autre, avant de m'obliger à replonger le nez dans ma lecture, à l'exemple du maître des Potions, mue dans un silence soudain inquiet. J'étais fatiguée et l'univers des potions m'avait toujours fascinée, mais de là à… J'avais pourtant décidé de me comporter plus civilement avec Rogue, et il m'arrivait de plus en plus souvent d'apprécier l'entendre parler de sa matière. Seulement, maintenant… Il ne fallait sans doute pas s'en inquiéter. Sûrement la fatigue, je venais de finir d'apprendre deux nouvelles recettes, six nouveaux sortilèges et toutes les particularités des calices associés aux vampires. Ce devait sûrement être cela, cela et rien de plus… L'esprit paresseux, je me pelotonnai dans mon canapé, profitant des flammes lumineuses de l'âtre pour poursuivre la lecture de mon «Remèdes, onguents, poisons» et me laissai dériver dans les premiers chapitres du Moyen Age où étaient utilisés aussi bien le bézoard que la mummie –liquide noir extrait des cadavres embaumés-. Quelles horreurs avaient été consommées! Le monde était fou alors. Et j'étais bien trop épuisée pour m'aventurer plus loin dans la philosophie. Les chapitres défilaient devant mes yeux de plus en plus voilés… je finis par les fermer, laissant ma tête s'appuyer contre le dossier du canapé. Oh Merlin… …

-Fatiguée? Vint me chercher sa voix sombre.

Je grognai un peu, puis rouvris les paupières. Rogue me fixait à ma droite de cette étrange façon qui lui était presque coutumière. Un petit sourire lui répondit puis je me relevai pour ranger son livre et aller me coucher pour éviter de m'endormir et de baver sur son canapé. Seulement, j'eus juste le temps de poser le grimoire avant qu'il ne me rejoigne près des étagères. Je me tournai vers Rogue, interrogatrice, il passa sa main dans mes longs cheveux, puis me rapprocha de lui. C'était presque tendre. Je m'obligeai à ne pas bouger. Et puis ses lèvres vinrent trouver les miennes. Sa bouche et ses dents, sa langue rencontrant la mienne; j'y répondis, m'agrippai à lui. Nous nous embrassâmes un long moment au milieu du salon, éclairés par les flammes de la cheminée, enlacés l'un l'autre. Puis ce fut plus fiévreux, il me plaqua contre un pan de sa bibliothèque, ses doigts fins et tremblants pressant mon corps contre le sien. Ses lèvres descendant le long de mon cou…

-Dîtes-moi… que vous le voulez; murmura-t-il contre ma peau.

Je frissonnai, traversée par la magie du contrat. C'était un ordre.

-Je le veux.

Le regard qu'il leva alors vers moi me bouleversa. Il y avait tellement de… Ne se rendait-il pas compte? Cette étincelle, ces émotions, ces remous intenses dans les profondeurs de ses orbes onyx. Malgré tout, je trouvai cela magnifique. Ses yeux avaient toujours été… Il m'embrassa, plus fort, sa bouche pressée contre la mienne, sa langue contrant et rencontrant la mienne, s'appropriant. Je fis de même, ne lui laissant rien qu'il ne m'offre ensuite. Nous étions… liés. Moi à lui et… lui à moi. Ma main gauche jouait dans ses cheveux noirs et graisseux tandis que l'autre agrippait son dos. Mon entrejambe pressé contre le sien, nos halètements se mêlant ensuite, nos souffles, nos regards, nos langues, puis nos corps. Nous étions parvenus jusqu'à son lit et il… Si profondément. L'orgasme qui suivit fut ravageur et malgré tout son self-control, Rogue finit par s'effondrer à côté de moi. Haletante, les yeux dans les yeux, je trouvai le moyen de provoquer le bâtard graisseux:

-F… Fatigué?

… Ce fut la première fois, en sept années, que je l'entendis rire. Pas un ricanement mauvais comme il pouvait parfois adresser, mais un son ensorcelant, échappé du fond de sa gorge presque contre son gré. Rogue s'arrêta, trop tôt à mon goût, son regard dévoilant peut-être un bref instant sa surprise. Puis il le reporta sur moi et son expression témoigna d'une douceur incompréhensible.

-Seriez-vous en train de sous-estimer le directeur des Serpentard?

Je me moquai de lui, certaine qu'il ne pourrait pas. Tout simplement parce que je ne connaissais rien d'autre que ce qu'il m'avait forcée à découvrir, et parce qu'il ne l'avait jamais fait plus d'une fois le même soir. Sauf que… Rogue recommença. Prenant le temps d'explorer mon corps, traçant des chemins connus de lui seul le long de ma peau, m'amenant encore une fois à ressentir du plaisir sous ses mains. Du plaisir. C'était… trop agréable pour l'être vraiment. Mais il ne me restait plus que deux mois, je pouvais encore tenir deux mois…