Chapitre 3

Plusieurs jours passèrent et l'homme en noir était toujours aussi renfermé et secret et sec et fascinant. Le sentiment de solitude qui lui avait compressé le cœur depuis qu'elle était bébé s'estompait lentement. Elle avait l'impression de respirer, enfin.

Un soir comme les autres, alors qu'ils sirotaient leur tisane face au feu, Khorine arriva à la fin du chapitre sur les sortilèges de feu. Elle n'avait pas de baguette et se demandait si elle en aurait une un jour mais elle pouvait essayer à sa manière, avec ses mains.

Elle referma le grimoire et le plaça sur l'accoudoir de son fauteuil avant d'étendre la main. Elle voulait voir une flamme, une grande flamme dorée qui crépiterait comme celle dans la cheminée. Il ne fallut que quelques secondes avant que celle-ci n'apparaisse. Elle était chaude et s'étirait langoureusement. Khorine la fixa, la bouche ouverte.

-Miss Waterlight; appela Severus de sa voix traînante, qui a bien pu vous faire penser que faire apparaître une flamme dans une bibliothèque était une bonne idée?

Khorine ne l'écouta pas. Elle sentait la chaleur de la flamme qu'elle créait.

-Tous les sorciers peuvent le faire? Chuchota-t-elle.

-Avec une baguette pour condenser sa magie, évidemment. Cependant; répondit Severus en hésitant, la magie sans baguette est difficile à manipuler.

Khorine referma sa main et la flamme disparut:

-Je peux faire plein d'autres choses. Demandez-moi!

Severus l'observa un moment, les lèvres pincées. La gamine commençait déjà à ignorer ses ordres. Il devrait la punir. Mais, à vrai dire, il n'avait jamais rencontré de sorciers adultes capables de faire une magie sans baguette très poussée. Cette enfant y arrivait, d'instinct. Albus voudrait sûrement qu'il étudie ce phénomène. L'adulte se leva:

-Suivez-moi.

Elle sauta aussitôt de son siège pour le suivre dehors. Ils allèrent jusqu'à un grand coin d'herbe près du ruisseau qu'elle voyait par sa fenêtre. Rogue leva sa baguette puis lui indiqua que personne ne pourrait les voir. Là il lui demanda de recommencer à faire apparaître sa flamme. Elle le fit sans effort.

-Pouvez-vous la faire grandir?

Khorine se concentra et la flamme grossit, grossit, s'étendant encore et encore. La gamine était toute excitée, elle s'esclaffait et ses yeux scintillaient d'émerveillement alors que le professeur de potions blêmissait. Si la gamine perdait le contrôle…

Khorine sourit tout à coup et leva le bras. Les flammes rugirent au-dessus d'elle avant de se condenser en une grande ligne de feu qui prit l'allure d'un dragon de Chine. Elle le fit voler, foncer vers le sol et se redresser en tordant son long corps de flammes.

De très loin, elle entendit la voix de Severus qui l'appelait. Elle fit disparaître son dragon.

-Soyez vigilante; siffla-t-il. Vous avez manqué de brûler deux saules pleureurs.

Elle plissa les lèvres, contrite.

-Soyez plus prudente à l'avenir. Montrez-moi ce que vous pouvez faire avec de l'eau.

Un sourire vint aussitôt refleurir sur les lèvres de la gamine qui leva sa main gauche. Une grosse balle d'eau apparut aussitôt, lévitant et tournoyant sur elle-même. Khorine fit doucement grossir la balle et l'étira pour en faire un serpent d'eau. Il ondula dans l'air aussi gracieusement que le dragon de feu et l'enfant l'observa avec ravissement avant de le laisser reposer dans le ruisseau tout proche et de faire apparaître un roc de granit, elle eut plus de mal à le contrôler, la pierre lui résistait. Elle finit par abandonner pour créer une balle d'air qui se transforma en un long filament. Elle put grimper dessus, comme s'il s'était agi d'un petit dragon. Un sourire excité apparut sur ses lèvres, l'instant d'après elle levait la main et elle s'envolait.

Un cri de joie lui échappa. Severus entendait la petite fille rire aux éclats. Quand il pensait que lui, adepte de Magie Noire, sorcier adulte de vingt-sept ans, venait juste de finaliser son apprentissage des Informulés. Il crispa les mâchoires. Qui, après ça, pouvait penser que les Hommes naissaient égaux?

-Ça suffit; finit-il par grogner à la petite fille qui revint délicatement à terre.

Elle le fixa de ses grands yeux bleus, pas même essoufflée par ses précédents efforts.

-Nous rentrons.

Elle le suivit et le lendemain après-midi, vers seize heures. Severus quitta son fauteuil et demanda à la gamine de le suivre au sous-sol. Là, il prit un gros flacon au contenu boueux, le déboucha et l'avala cul-sec. Pendant un moment il ne se passa rien, puis Khorine vit avec effroi la peau de l'adulte cloquer et se gondoler, ses cheveux rentrer dans son crâne, onduler et blondir, sa taille diminuer. Au bout d'une minute complète l'homme qui se tenait devant elle était un parfait étranger aux yeux verts, aux cheveux blonds. Tout ce qui pouvait le relier à Severus était son expression soigneusement neutre.

-Monsieur? Appela-t-elle incertaine.

-Nous sortons Miss Waterlight. Personne ne doit savoir que j'héberge une née-moldue, vous ne prononcerez pas mon nom, c'est bien compris?

-Oui, Monsieur.

Elle se demandait ce que pouvait bien être une moldue mais ne s'aventura pas à poser la question. Elle suivit l'homme qui revint au salon, et ils empruntèrent tous deux la «cheminette» comme l'appelait Severus, pour apparaître au milieu de flammes vertes, au Chaudron Baveur. C'était un pub, obscur, poussiéreux, éclairé par de nombreuses bougies et des papillons lumineux dans des lanternes. Les gens ici avaient des accoutrements bizarres. Les yeux de Khorine s'illuminèrent, c'était des sorciers, des gens comme elle. Elle avait envie de courir vers eux et de leur serrer la main.

-Tenez-vous; l'admonesta Severus.

La petite fille plissa les lèvres, la mine contrite, mais cela ne dura pas. Ses yeux scintillaient. Le monde qu'elle voyait était merveilleux. Severus s'arrêta devant un mur et tapa du bout de la baguette sur une série de pierres qui se mirent à tourner, à s'écarter, pour faire apparaître une rue entière. Il y avait plein de sorciers, et plein de magasins et des hiboux qui volaient au-dessus du passage.

-Le chemin de Traverse; annonça Severus sans passion.

Elle se nourrissait de tout ce qu'elle voyait. Ils avancèrent tous les deux au milieu de cette foule d'étrangers de même race et Khorine était heureuse. Severus crispait les poings. Il n'aimait pas la foule. Khorine s'esclaffait de pure joie devant les balais volants dans les vitrines, les hiboux tournant la tête, les chaudrons exposés à la devanture d'échoppes. Severus -nouvellement l'adulte blond- se frayait un passage au travers de la foule et Khorine faisait de son mieux pour le suivre et admirer tout ce qui s'offrait à ses grands yeux bleus. À un moment, ils furent séparés par un flot de garçons roux à taches de rousseur.

-Ces Weasley; entendit-elle Severus grogner.

Le regard de Khorine s'attacha un moment à ces gens, avant de rejoindre l'adulte. Peu de temps après, Severus ouvrit la porte d'une boutique et Khorine le suivit. Elle entra dans une pièce étroite en bois ancien, peut-être du chêne, le bureau aussi était en bois et dans le fond il y avait des centaines et des centaines d'étagères allant du sol au plafond et disparaissant vers la droite. De vieilles lampes éclairaient l'endroit. Il n'y avait personne.

-Garrick Ollivander; appela Severus d'une voix plus grave qu'à l'accoutumée.

Il y eut un moment de silence et puis un vieil homme aux rides profondes, aux cheveux blancs ébouriffés, aux yeux et aux iris si noirs qu'ils se confondaient, apparut. Il fixa l'adulte déguisé, fronçant les sourcils, puis tourna son attention vers Khorine. Il haleta brusquement.

-Toi; lâcha-t-il si fort qu'il fit sursauter Khorine avant de reprendre en marmonnant. Toi, tu auras besoin de… Non, le bois ne sera jamais assez… Le coudrier, peut-être, pour la balance. Le cœur sera décisif.

Khorine comprenait un mot sur cinq.

-Vous êtes venus pour commander une baguette; lâcha Ollivander tout à coup.

-Exact.

Le vieux sorcier soupira puis il tourna violemment la tête vers Khorine et lui demanda de s'approcher et de tendre la main. A peine leurs peaux étaient-elles entrées en contact qu'Ollivander s'écarta, comme si elle l'avait brûlé.

-Il y a du sang; prononça-t-il lentement d'une voix très rauque en fixant la petite fille de ses yeux de nuit. De mon vivant, je n'ai jamais rencontré d'enfant aussi baignée dans le sang.

Khorine blêmissait. L'homme blond à sa gauche était immobile et silencieux. Son visage ne reflétait rien.

-C'était un accident; haleta la petite.

Ollivander cligna des yeux et sembla sortir de pensées profondes.

-Le sang est sur les mains de tes ancêtres mais toi seule devra en porter le fardeau.

Elle ne comprenait pas.

-Je vais te fabriquer une baguette. Reviens quand tu en auras besoin.

L'homme blond et elle sortirent de l'échoppe. Ils s'arrêtèrent. Khorine était blafarde et fixait ses mains comme si du sang allait apparaître et couler entre ses doigts. L'adulte la fixa un instant, inexpressif. Puis il s'avança pour rejoindre le flot de sorciers et de sorcières. Khorine le suivit par automatisme jusque dans une boutique nommé Fleury & Bott. C'était une librairie. Ils en ressortirent une trentaine de minutes plus tard et Khorine ne fixait plus ses mains avec horreur, occupée à tenir le grimoire que Severus s'était acheté. Ils entrèrent dans beaucoup de boutiques du chemin de Traverse, sans faire beaucoup d'achat. Severus l'informait placidement de l'endroit où elle pourrait trouver ses fournitures de rentrée pour sa première année à Poudlard. À un moment ils passèrent devant la Ménagerie Magique. Il y avait des chouettes effraie, des chouettes lapones, des harfangs des neiges, un aigle, trois chauves-souris, un sphynx enfermé dans une cage minuscule.

-On pourrait entrer? Demanda Khorine d'une petite voix.

Severus lui tint la porte sans un mot. Son expression pincée était le seul signe de son ressenti à entrer dans l'animalerie puante mais l'enfant ne le voyait pas, ses grands yeux bleus tournés vers toutes ces créatures enfermées dans la boutique. Ça criait, piaillait, sifflait, claquait du bec, grondait, crachait, croassait, coassait. Elle repéra rapidement le seul serpent de la boutique. Il était petit, chétif, roulé en boule et il avait froid. Severus était à l'opposé de la petite boutique, près d'un hibou grand-duc.

-Arshessei nertebec? Demanda gentiment Khorine au petit serpent.

Celui-ci ne put que cligner des yeux. Son corps était faible, il semblait malade. Il ouvrit la bouche et une fumée noire en sortit.

-Feu… Besoin de… feu.

Elle tourna la tête vers le vieux gérant bossu de la boutique qui la fixait d'un air soupçonneux, Severus marchait vers elle.

-Avez-vous fini?

-Oui.

Le serpent affaibli siffla à son encontre, demandant de l'aide. Elle se détourna, Severus fit un pas hors de la boutique, Khorine, alors, se détourna, fit tomber un seau d'eau près du vieux sorcier de la boutique avant de faire grandir une flamme au milieu de la cage du petit serpent. Il se jeta dedans et s'y roula en boule. La petite eut peur, mais elle l'entendit siffler de plaisir. Ce devait un serpent de feu, quelque chose comme ça. Elle se détourna et rejoignit Severus dont le regard était tourné vers le ciel. Le soleil déclinait à l'horizon et les nuages se teintaient d'or et de rose.

-Nous rentrons.

Khorine acquiesça, ils se dirigèrent vers le pub nommé le Chaudron Baveur, lui d'un pas vif et élégant, elle en courant à moitié pour rester à sa hauteur. Elle espérait que le serpent allait mieux. À la maison, Gourdy les attendait avec des petits légumes coupés en dés cuits dans une sauce au citron et des papillotes de saumon. En dessert il y eut ce qu'elle appelait de la tarte à la mélasse. Khorine trouvait le goût étrange, étrange mais bon.

Le lendemain Gourdy apparut dans sa chambre alors qu'elle essayait de démêler ses longs cheveux noirs ondulés.

-Bonjour Maîtresse, Gourdy peut essayer d'aider Maîtresse si Maîtresse le souhaite.

-Oh euh; répondit Khorine gênée.

Personne ne lui avait jamais proposé de l'aider. Elle n'avait pas besoin d'aide. Mais… Elle voulait parler à l'elfe de maison.

-Oui. S'il te plaît.

Elle était déjà habillée des vieux vêtements de garçon que Severus lui avait prêté.

-Maîtresse peut s'asseoir sur cette chaise, si Maîtresse le veut.

Khorine obéit tout en disant:

-Je ne suis pas vraiment ta maîtresse Gourdy. Tu ne peux pas m'appeler par mon prénom?

Gourdy reçut la brosse à cheveux dans ses longues mains osseuses et l'instant d'après Khorine entendait un «poc» sévère. Elle se retourna pour voir avec stupeur l'arcade sourcilière de l'elfe en sang.

-Oh pardon, qu'est-ce que j'ai fait? Haleta Khorine.

-Gourdy n'a pas le droit de… Pas le droit de…

-Pardon, pardon, je ne te demanderai plus rien.

La sorcière fit léviter instinctivement la boîte de mouchoirs qui se trouvait sur la table de chevet et l'offrit à l'elfe pour qu'elle arrête le sang. Gourdy fixa le tout. Khorine n'y tenant plus en prit une pleine poignée et le pressa contre la blessure. Gourdy la laissa faire, les bras ballants.

-Gourdy le méritait; lui dit-elle, Gourdy ne doit pas parler aux sorciers comme s'ils étaient les égaux de Gourdy.

Khorine choisit soigneusement de se taire. D'un claquement de doigt l'elfe fit apparaître du sparadrap pour tenir la boule de mouchoir imbibée de sang et Khorine enleva ses mains. Un autre claquement et la brosse fut nettoyée.

-Si maîtresse veut bien s'asseoir, Gourdy va coiffer maîtresse.

Les doigts de l'elfe étaient très doux, elle passait doucement sur les nœuds et ne tirait pas comme Khorine avait l'habitude de le faire. Il arriva même un moment où il n'y avait plus de nœuds et Gourdy passait la brosse encore et encore dans ses cheveux, caressant son cuir chevelu pour lui procurer une sensation d'apaisement qu'elle n'avait encore jamais ressenti. Khorine se sentait douce comme un agneau sous ces caresses. Elle en fermait les yeux de bien-être. Gourdy finit par poser la brosse et s'occuper de tresser les cheveux de l'enfant. Ça faisait autant de bien que de se faire brosser les cheveux.

Quand elle eut fini, Gourdy fit apparaître un miroir et Khorine resta stupéfaite un moment. C'était la première fois qu'elle avait les cheveux tressés. C'était incroyablement étrange! Elle avait l'impression d'avoir une nouvelle tête.

-Ouah; fit-elle tournant la tête à gauche puis à droite, merci Gourdy. Je n'ai jamais eu de…

Elle s'interrompit d'un coup, apercevant l'ombre de Severus dans le miroir. Celui-ci se tenait dans le chambranle de la porte, croisant les bras en fixant la fillette et l'elfe de maison.

-Lorsque vous aurez fini votre séance de coiffure ridicule, peut-être vous souviendrez vous que le petit-déjeuner sous mon toit se prend à neuf heures précises. Et vous, retirez cette boule de mouchoir de votre front et allez vous soigner correctement.

Gourdy disparut dans un «pop» sonore et Khorine suivit l'adulte sans un mot. En chemin elle réussit tout de même à faire glisser sur son front hors des tresses quelques mèches de cheveux, elle tira aussi les petits cheveux devant ses oreilles qui s'enroulèrent en anglaise. Un coup d'œil subreptice à un vieux vase en métal lui montra que c'était mieux comme ça. Elle s'installa à table avec un petit sourire satisfait aux lèvres.

Severus la réprimanda et elle mangea ses pancakes à la confiture de mûre dans un silence contrit. Ensuite elle suivit Severus dans son laboratoire et l'observa travailler. Elle s'absenta un moment pour prendre un livre puis revint. La journée passa tranquillement. L'adulte préparait ses ingrédients, les ajoutait dans un ordre particulier et tournait et tournait, et réduisait le feu et l'augmentait. Parfois Khorine s'arrêtait simplement de lire pour le fixer.

Le lendemain, l'elfe revint à huit heures pour la coiffer puis l'enfant descendit pour le petit-déjeuner avant de passer la journée au laboratoire de l'adulte à lire ou l'observer. Parfois elle osait lui poser une question sur un ingrédient, ou sur ce que ses potions faisaient. Il l'ignorait souvent, et répondait quelques fois. Khorine trouvait tout cela fascinant.

Un soir, alors qu'ils étaient installés avec leur tisane, leur grimoire et leurs parchemins face à un bon feu de cheminée, Khorine abaissa sa lecture pour regarder Severus en lui demandant:

-Dîtes… Monsieur… Je me demandais quelque chose…

L'adulte ne fit pas mine de lui prêter attention ni même de l'avoir entendu.

-Qu'est-ce que c'est au juste… l'amour?

Elle vit quelque chose passer dans les yeux pleins de ténèbres de Severus, avant qu'il ne le cache. Elle sut d'instinct qu'elle avait posé une très mauvaise question. Et il ne dit rien. Un lourd silence s'abattit sur la bibliothèque.

-Je suis désolée; murmura-t-elle.

Il ne lui répondit pas et retourna à sa lecture. Khorine finit par l'imiter. L'amour comprit-elle devait être une source de souffrance. Un matin, plusieurs jours plus tard, Gourdy apporta des pains au chocolat et des croissants tout chaud. Severus prit une viennoiserie avec son café, mangea avec sa prestance habituelle. Khorine qui avait l'habitude de mâchonner joyeusement son pain au chocolat essaya de l'imiter et finit par dire:

-Je voudrais devenir comme vous.

Cela le fit réagir cette fois. Un ricanement sec échappa à l'adulte.

-Croyez-moi enfant; répondit Severus d'une voix sourde, c'est la dernière chose que vous devriez vouloir.

L'enfant le regarda avec interrogation mais n'insista pas. Elle retourna son attention à sa viennoiserie et à la meilleure manière de la manger avec aristocratie. L'après-midi même à l'heure du thé, alors qu'ils étaient tous les deux au laboratoire, Gourdy toqua à la porte.

-Gourdy demande pardon au maître de le déranger mais maître Dumbledore vient d'entrer par cheminette, maître.

-Sers le thé. Je serai là dans une dizaine de minutes.

-Maître, bien maître.

L'elfe s'inclina, touchant le sol du bout de son nez avant de disparaître. Une ombre était apparue sur le front de Khorine. Elle avait oublié le vieux sorcier, sa nouvelle famille…

Dès que Severus eut fini, ils se dirigèrent vers la bibliothèque où Dumbledore était déjà installé. Le vieux homme faisait déplacé avec ses cheveux blancs, sa robe betterave, son chapeau pointu piqueté d'étoiles. Tout dans ce salon était sombre, les couvertures des livres, le bois des étagères, les canapés, l'âtre de la cheminée.

-Ah mes enfants, j'ai pris la liberté de rajouter quelques confiseries à ce thé, vous ne m'en voulez pas Severus? Servez-vous.

Khorine trouvait cela étrange qu'il leur propose de se servir alors qu'il était chez Severus. Elle jeta un coup d'œil rapide à l'homme en noir qui hocha sèchement la tête. Khorine s'installa dans son fauteuil habituel et reçut dans ses petites mains la tasse remplie de thé et la soucoupe qui lévitèrent jusqu'à elle.

-Vous avez l'air de bien vous entendre; fit remarquer le directeur avec un sourire innocent.

-Ne vous moquez pas de moi; siffla Severus comme s'il s'était fait mordre.

Khorine avala une gorgée de thé brûlant.

-Voyons Severus, vous avez dépassé mes espérances en prenant si bien soin d'une enfant victime d'anciens mangemorts.

Une lueur dangereuse apparut dans le regard de l'homme en noir.

-N'oubliez pas qui, dans cette pièce, est également un ancien mangemort. Je sais ce que vous voulez suggérer. Il est hors de question qu'elle reste.

-Prenez seulement la peine de considérer…

-Avez-vous oublié ce que j'ai fait?

Une magie sombre et froide grouillait autour de l'homme en noir et une rage glaciale s'emparait de lui. Le vieux sorcier en face ne semblait pas s'en inquiéter, aussi calme et placide qu'à leur arrivée.

-Oh non Severus. Je n'oublie pas.

Khorine finit sa tasse de thé et la reposa en faisant le moins de bruit possible sur la table. Elle prit un cookie et le grignota en essayant de ne pas mettre de miettes partout. La magie dans la pièce était étouffante.

-Il est; cracha Severus en espaçant chaque mot, hors de question qu'elle reste.

La tension monta d'un cran et Khorine avait du mal à respirer. Et puis lentement, elle ne savait comment, tout s'apaisa. Quand Albus reprit la parole c'était comme s'ils étaient au milieu d'une autre conversation:

-Des livres? Mais elle n'a que six ans.

-Elle est en avance sur certains points; admit-il comme à regret.

Un voile de tristesse couvrait le regard de l'enfant qui, de toute façon, n'était plus capable d'écouter leur conversation. Elle se tenait là, dans son canapé préféré, seule. Elle se sentait sale et indigne sans comprendre ce qu'elle avait fait à Severus. Il répondait des fois à ses questions, ils lisaient ensemble au coin du feu, elle ne comprenait pas ce qu'elle avait fait de mal. Elle, elle aurait voulu rester ici. Le regarder faire des potions toute la journée.

-Khorine, Khorine?

On l'appelait. C'était le vieil homme encore, qui la fixait d'un regard pétillant. Ses yeux étaient si bleus, comme le ciel.

-Peux-tu faire apparaître de l'eau pour moi?

-Ce n'est pas bien? Demanda Khorine par réflexe, le cœur lourd.

-Oh si, et Severus me disait à l'instant à quel point tes pouvoirs étaient impressionnants.

Le Severus en question renifla sarcastiquement en croisant les bras. L'enfant tourna la tête vers lui, les yeux écartés de surprise, il lui renvoya un regard inexpressif. Khorine leva alors la main et une balle d'eau de la taille d'une tête d'elfe de maison apparut.

-C'est… intéressant; murmura Dumbledore dans sa barbe. Et un de tes parents devait travailler dans l'armée, n'est-ce pas?

Khorine ferma la main et l'eau disparut. Elle ne savait pas comment il le savait et elle ne voulait pas parler de sa famille.

-Oui.

-Oh je vois; dit-il encore avant de lui sourire. Un bonbon au citron?

Khorine refusa avec la politesse que son grand-papy lui avait apprise. Peu de temps après Dumbledore prit congé et avant d'entrer dans les grandes flammes vertes de la cheminée, dit à Khorine:

-Je viendrai te chercher lorsque j'aurai trouvé une famille pour toi.

-D'accord.

-Severus, vous pouvez encore changer d'avis.

Le regard noir que lança l'adulte aurait été suffisant pour faire fuir n'importe qui, mais pas Dumbledore. Alors Severus desserra les dents et il dit:

-Je ne me cacherai pas derrière une gamine. Lorsque le temps viendra… Lorsque le temps viendra, je ne me cacherai pas.

Il avait parlé avec une telle intensité que Khorine en avait mal au cœur sans même savoir de quoi il parlait. Dumbledore le fixa un instant de ses yeux bleu azur qui jugeaient sévèrement et ne pétillaient plus. Puis il inclina la tête et disparut dans les flammes vertes.

Le silence qui suivit son départ fut écrasant. L'enfant était triste, elle se sentait rejetée et voulait rester seule.

-Je vais… dans ma chambre… S'il vous plaît?

Severus hocha sèchement la tête et la gamine disparut avec son grimoire sous le bras. Il savait qu'il l'avait blessé et il n'en avait strictement rien à faire. Cette gamine était restée chez lui parce qu'Albus l'y avait obligé. Il ne lui devait rien de plus. Il lui avait déjà sauvé la vie. C'était assez. Il retourna à son laboratoire.

Le repas fut morne ce soir-là, la gamine ne posa pas de questions, ni existentielle, ni sur les potions, ni sur les elfes de maison. Après dîner, ils allèrent devant le feu et Gourdy leur apporta une tisane brûlante que la gamine s'empressa de boire avant de retourner dans sa chambre pour la nuit. Elle avait certainement la langue et le début de l'œsophage brulés. Il ne doutait pas qu'elle se soignerait toute seule et la laissa bouder. La petite mit trois jours avant de se rendre compte d'un fait perturbant: lorsque Dumbledore reviendrait, il l'emmènerait avec lui et elle serait séparée de Severus pendant cinq ans. C'était presque aussi long que le temps qu'elle avait déjà passé sur terre. C'était énorme.

Elle ne voulait pas partir pendant cinq ans et rester sur cette impression de rejet, de silence et de froideur. Alors elle apparut, au matin du quatrième jour, ses cheveux noirs tressés jusqu'à la base du cou puis attachés pour laisser le reste onduler librement dans son dos, portant un short de garçon bleu délavé retenu à ses hanches fines par une vieille ceinture, le tout recouvert par un tee-shirt troué trop grand qui lui tombait jusqu'au milieu des cuisses.

-Bonjour; marmonna-t-elle en triturant le bas de son tee-shirt.

Elle reçut un hochement de tête comme salutations et l'adulte se replongea dans son café noir. Il n'était jamais très loquace le matin. Elle coupa ses pancakes en silence avec un morceau de fraise et de la sauce chocolat et le mâcha férocement. Il lui fallait du courage. Manger des pancakes pouvait sûrement l'aider. Arrivée au trois-quarts de son assiette elle se rendit compte que Severus avait fini son café et qu'il allait partir d'un instant à l'autre. Elle demanda alors avec précipitation:

-Je me demandais… Euh… Comment on fait pour devenir votre apprentie? Vous avez dit que pour être un maître des potions il faut faire un apprentissage. Comment on fait pour être votre apprentie?

Severus tourna vers elle ses yeux de nuit, plus sombres et profonds qu'un trou noir.

-On ne devient pas mon apprentie. Je n'en prends pas.

L'enfant ne se laissa pas démonter.

-Et si vous en preniez, qu'est-ce qu'il devrait faire?

Severus aurait pu ignorer cette question. Il aurait pu partir, claquer des doigts pour que l'elfe débarrasse la table et aller lire sa Gazette du Sorcier du jour dans la bibliothèque. À la place, il lui répondit:

-Il devrait, selon toute probabilité, avoir des Optimals en Potions, Botanique, Soins aux créatures magiques, Arithmancie, Soins de base et Runes anciennes à ses examens de Buses et d'Aspics. Avoir un penchant naturel pour les Potions et un instinct sûr dans leur préparation. Être capable de comprendre les recettes des manuels et de les adapter à ses besoins.

-Les Buses et les Aspics, ce sont des examens de Poudlard? Demanda-t-elle, pas très sûre.

-Effectivement; lâcha-t-il d'une voix traînante.

La petite fille y réfléchit d'une manière presque comique avant d'hocher la tête. Le reste de la journée passa tranquillement. Severus vaquait à ses occupations et Khorine le suivait avec un petit froncement de sourcil très sérieux, étudiant ses mouvements lorsqu'il travaillait sur une potion, étudiant des grimoires de potions quand il lisait. La tension des derniers jours s'évanouit d'elle-même.

Elle fut peu de temps plus tard, remplacée par quelque chose de pire.

Severus devint méchant.

Quand elle s'aventurait désormais à poser une question il lui ordonnait de fermer son clapet. Quand elle s'approchait de la table du petit-déjeuner il la critiquait, quand elle restait trop longtemps dans la même pièce que lui il la renvoyait, quand elle faisait trop de bruit elle était grondée, quand elle n'en faisait pas il la traitait de souris sournoise et lui ordonnait de disparaître. Il se moqua d'elle de bien des façons et chacune de ses réflexions s'inscrivaient en lettres de feu dans l'esprit de l'enfant.

Elle ne comprenait pas.

Il était devenu mauvais du jour au lendemain. Alors qu'elle voulait profiter de ces derniers jours avec lui il la traitait comme de la vermine, c'était pire qu'avec Morton.

Elle se sentait trahie.

Aucun des serpents qu'elle avait rencontrés ne s'était jamais retourné contre elle, se redressant et dardant ses crochets pleins de venin. Comme s'il se sentait attaqué. Comme s'il était en danger.

Les jours qui lui restaient, elle les passa aussi silencieusement que possible, pour ne pas effrayer Severus, pour ne pas qu'il se sente attaqué. Cela ne l'empêcha pas de se moquer d'elle, de la critiquer, de la repousser. Tard le soir, elle sanglotait sans un bruit contre son oreiller.