Chapitre 4
Enfin, vint le jour où Dumbledore apparut dans la bibliothèque pour la chercher. Il lui tendit une sorte d'uniforme qui était pile à sa taille et Khorine monta dans sa chambre pour enlever les vieux vêtements troués qu'elle portait et les remplacer par une chemise blanche à boutons, une jupe plissée noire, des chaussettes noires montantes et des ballerines noires brillantes. Elle avait les cheveux tressés et quand elle s'observa dans la glace, elle ne put retenir une petite exclamation de surprise.
Elle était différente.
Elle ressemblait aux autres enfants, ceux qui passaient près du jardin et qui avaient un cartable et qui tenaient la main de leurs parents en allant ou en rentrant de l'école.
Elle aimait cet uniforme.
Elle descendit les escaliers en courant, juste assez vite pour entendre Severus, en bas, demander:
-Faut-il lui jeter un Oubliette?
-Non; répondit Dumbledore résolument.
La gamine sauta ensuite au bas de la dernière marche et apparut dans la bibliothèque.
-Vous vous croyez où, à courir et à sauter partout de cette manière, chez les singes? Siffla Severus méchamment.
La petite plissa ses deux lèvres l'une contre l'autre, dépitée. Elle baissa les yeux et Severus et Dumbledore purent étudier les différences entre la gamine amaigrie, négligée, maltraitée, aux cheveux emmêlés, aux vêtements troués et délavés qu'ils avaient sauvée un mois de cela avec l'enfant mince et sportive aux longs cheveux tressés, habillée d'un uniforme neuf à sa taille. Dumbledore observa pensivement l'enfant qui relevait des yeux océan vers lui. Ils abritaient beaucoup de vie et une intelligence qui en faisait étinceler les profondeurs.
-Khorine, je vais te présenter à Livius Magellus, un vieil ami à moi. Il voudrait te rencontrer aujourd'hui.
-Je pourrai revenir ici après?
Dumbledore lui offrit un sourire indulgent tandis que ses yeux azur brillaient d'une lueur familière:
-Bien sûr. Nous reviendrons ici après notre petite visite.
Khorine se tourna vers Severus, dans l'espoir de découvrir ce qu'il en pensait. Il était inexpressif, les bras croisés, il ne la regarda pas.
-D'accord; répondit l'enfant.
Le vieil homme lui demanda de se tenir à ses robes et c'est ce qu'elle fit avant qu'il ne jette de la poudre grise dans la cheminée et qu'ils avancent tous deux dans les flammes vertes. Tour de Magellus. C'est ce que Dumbledore avait annoncé avant d'entrer dans le feu. Et, précisément, c'est ce dans quoi ils firent leur apparition. Les murs étaient arrondis et ils étaient déjà hauts à ce qu'elle voyait des grandes fenêtres de ce qui devait être un salon.
Un adulte se tenait près de l'une d'entre elles, tourné vers le paysage désert, elle ne voyait que ses mains jointes dans son dos, son pantalon et son veston gris souris, il avait les cheveux courts et châtain avec quelques mèches grises et -fait surprenant- une tresse tombant devant l'oreille du côté gauche. Ça lui donnait un côté aventurier et gentleman; pensa Khorine. Le visage de l'adulte s'éclaira lorsqu'il se tourna vers eux. Il avait les yeux gris et vifs, quelques rides, une petite barbe.
-Bonjour Albus, Khorine, n'est-ce pas?
-Oui.
-Vous êtes pile à l'heure pour le thé. Asseyez-vous, je vous en prie.
Sans qu'il n'ait fait ou dit quoi que ce soit d'autre, un plateau de thé comportant trois tasses en porcelaine, une grosse théière anglaise fumante et trois assiettes de petits gâteaux apparurent. Khorine ouvrit la bouche, épatée. Elle choisit un fauteuil en cuir très confortable d'où ses pieds ne touchaient plus le sol, tandis que Dumbledore prenait le canapé et que leur hôte prenait le fauteuil restant.
-Khorine, je te présente le Dr Livius Magellus; annonça Dumbledore tout en recevant une tasse de thé bien chaude. C'est un sorcier, comme toi.
Khorine reçut aussi sa tasse et hocha la tête, les yeux grands ouverts. Elle observait le sorcier en face d'elle, toute son apparence, ses rides, ses mains fines, ses vêtements, la tasse qu'il tenait délicatement par le haut et le bas, ses jambes croisées, ses yeux encore d'un gris métal qui n'étaient pas froids. La pièce dans laquelle ils se trouvaient était beaucoup plus grande que la bibliothèque de Severus, elle devait faire trois fois sa taille et il y avait trois fois plus de livres, peut-être même quatre fois plus, et il y en avait d'autres dans la pièce d'à côté dont la porte était ouverte. La pièce était très bien éclairée par le soleil de la fin août, il y avait plein de chandeliers sur les murs et des grandes cartes étaient étalées sur une table en érable près des fenêtres. Il y avait un gros globe aussi, tournant, sculpté dans le bois, c'était la première fois qu'elle en voyait un, il était entouré d'anneaux d'or.
-Vous enseignez à Poudlard, aussi? Demanda timidement Khorine.
Elle fut récompensée par un sourire des deux adultes avant que Livius Magellus ne réponde:
-Malheureusement mon domaine d'expertise n'est pas enseigné à Poudlard. Je suis cartographe, vois-tu? Et explorateur.
La petite fille se tut, les lèvres plissées et hésita à parler, les adultes attendirent:
-Je croyais que les m… les gens sans pouvoir magique, avaient des cartes de partout, et des satellites et des GPS pour voir tous les endroits de la planète.
-C'est vrai. Pourtant, il existe encore de nombreux endroits secrets, gardés à l'abri des moldus. Je ne sais pas si l'on te l'a déjà dit, mais toutes les communautés magiques du monde vivent cachées.
Oh… Alors, il y en avait d'autres, des gens comme elle, comme eux, sur toute la planète, et les moldus ne le savaient pas.
-Est-ce que c'est bien de vivre caché? Se demanda-t-elle plus à elle-même qu'aux adultes qui échangèrent un long regard.
-Qu'en penses-tu? Demanda Dumbledore de cette voix qui semblait anodine alors que ses yeux brillaient diablement.
Khorine était trop plongée dans ses propres pensées pour le voir et répondit:
-Je pense… Je pense que Grand-papy m'a toujours demandé de garder mes pouvoirs cachés. Et Morton en avait peur. Je pense que les m… moldus auraient eu peur de moi s'ils avaient su.
Un voile de tristesse vint recouvrir son regard.
-La peur vient de l'ignorance, et des hommes ignorants peuvent provoquer des choses atroces; dit Livius sans détour.
La petite cligna des yeux et avala une gorgée de thé pour se ressaisir. Dumbledore lui proposa une assiette de gâteaux et elle prit un shortbread. L'atmosphère était étrange après toutes ces questions. Livius posa la suivante:
-Est-ce que tu sais pourquoi Albus t'a emmenée ici?
-Je ne sais pas; répondit-elle d'abord puis elle se reprit avec honnêteté, on m'a dit qu'on essaierait de me trouver une nouvelle famille.
-Et qu'est-ce qu'une famille pour toi?
Ça faisait beaucoup de questions pour quelqu'un qui avait passé si longtemps seule, enfermée dans ses livres. Elle était fatiguée. Pourtant si elle voulait mettre toutes les chances de son côté elle devait être alerte, franche, observatrice. Voulait-elle vraiment mettre toutes les chances de son côté? Voulait-elle vraiment être adoptée? C'était une autre question.
-Morton et Grand-Papy. Mais ils sont morts.
Elle n'avait plus faim et se trouvait avec tout ce shortbread dans sa main. Elle entreprit d'en mettre une grosse partie dans sa bouche et de mâcher et de mâcher pendant tout un silence jusqu'à ce qu'il n'y ait plus qu'une pâte de farine, de sucre et de salive entre ses joues. Elle avala le tout sans joie.
-Si je t'adopte, et si je fais de toi ma fille adoptive, tu feras partie d'une nouvelle famille. Tu vivras ici dans la tour Magellus, tu changeras même ton nom de famille, tu m'accompagneras dans mes voyages, tu pourras lire tous les livres de mes bibliothèques, je t'apprendrai tout ce que je sais et je ferai de toi une grande sorcière.
La petite fille enregistra toutes ces informations, puis plissa les yeux:
-Je ferais à manger et la vaisselle et le ménage?
-Non. À moins que ça te fasse plaisir; dit-il en souriant et Khorine le fixa comme s'il avait perdu la tête. Cependant tu devras garder ta chambre propre par toi-même et si tu me désobéis je pourrais te donner comme punition un peu de vaisselle ou du ménage.
Il y eut un petit silence et la jeune fille réfléchit à ce que cela voulait dire. Le monde ne ressemblait pas à ce qu'elle avait imaginé. Ils n'étaient pas comme sa première famille. Elle releva ses grands yeux bleus sur Livius Magellus et fronça les sourcils avant de demander:
-Qu'est-ce que vous y gagnez?
L'adulte cligna des yeux, surpris. Dumbledore à sa droite ne réagit pas. Il y eut un silence et Khorine fixait son attention sur Livius Magellus qui réfléchissait. Il passa distraitement sa main dans ses cheveux et la tresse qu'il portait tomba en premier contre son oreille. Son visage était étonnamment facile à lire, alors qu'elle était habituée au masque neutre permanent de Severus. Ici, tout était ouvert et facile à décrypter. L'adulte devant elle était honnête. Il lui répondit avec un sourire assez doux et une attitude précautionneuse, comme pour ne pas l'effrayer:
-Je pense que j'aurais grand besoin de compagnie.
C'était fascinant, maintenant qu'elle y faisait attention. Severus, et même Dumbledore, cachaient tout derrière un masque neutre ou un sourire bienveillant. Mais Livius ne cachait rien. Cela ne voulait pas dire qu'il valait moins que les deux autres adultes. C'était différent. Il avait l'air très intelligent. Son instinct lui soufflait que lui était digne de confiance.
Elle aurait voulu lui demander tout de suite si elle pourrait apprendre comment faire des potions comme Severus, mais quelque chose la retint. Dumbledore. Elle avait vu comme il traitait l'homme en noir. Elle sentait qu'elle ne devait pas poser la question devant lui.
-As-tu d'autres questions Khorine?
Elle hésita. Elle voulait vraiment savoir pour les potions. Mais elle devait faire confiance à son instinct. Elle devait au moins se faire confiance. Personne d'autre n'était plus là pour lui dire ce qui était bien ou mal. Alors elle secoua la tête et elle finit son thé froid.
-Dans ce cas-là il est temps de partir.
Livius eut l'envie de protester, Khorine le lut sur son visage, mais il se tut. Dumbledore se tourna vers lui:
-Tu as deux jours pour te décider. Et toi aussi Khorine.
Il dit ces derniers mots en la regardant.
-Choisis avec beaucoup d'attention. Les liens familiaux se créent, se transforment mais ne meurent jamais.
Les liens familiaux…
Elle hocha la tête, salua leur hôte et quelques minutes plus tard se retrouvait dans le salon de Severus avec Dumbledore.
-Tu as deux jours et deux nuits pour réfléchir et te décider. Ce n'est pas un choix facile; lui dit le vieux directeur en posant une main parcheminée sur son épaule.
Elle entendit les pas de Severus dans son dos.
-Si Livius ne te convient pas, nous irons voir un couple d'alchimistes qui a très envie de te rencontrer.
-D'accord.
-Ah Severus; l'accueillit Dumbledore en voyant approcher son maître des Potions. L'entretien s'est bien passé.
-Vous m'en voyez ravi; grogna-t-il en retroussant sa lèvre supérieure sur ses canines jaunes.
C'était la première fois qu'elle le voyait faire ça. Ça ressemblait à un signe de mépris.
-J'y pense Khorine, si tu as besoin de me parler, tu pourras utiliser la cheminette, Severus te montrera comment faire.
Elle hocha la tête par politesse, Dumbledore informa Severus de l'heure à laquelle il reviendrait chercher Khorine, puis prit congé et disparut dans une envolée de flammes vertes. Il y eut un silence et Khorine et Severus restèrent tous deux devant la cheminée avant qu'elle ne demande:
-Vous connaissez le docteur Livius Magellus?
-Non.
L'homme se détourna avec superbe et repartit dans son laboratoire sans un mot de plus, la laissant toute seule. Elle prit un grimoire et s'assit devant la cheminée pour faire semblant de lire. Elle avait beaucoup à réfléchir.
Deux jours plus tard, Dumbledore lui annonçait que Livius acceptait de l'adopter et que c'était à elle de prendre une décision.
Elle dit oui.
Ils allèrent trouver Severus, dans son laboratoire, Dumbledore demanda à la gamine de lui faire ses adieux. Elle avait des larmes dans les yeux mais sa voix ne tremblait pas lorsqu'elle le remercia pour tout ce qu'il avait fait pour elle. Severus grogna ses derniers mots sans même se détourner de son chaudron et ils partirent. Elle quitta la maison de Severus comme ça, si facilement, si rapidement. Ensuite tout s'enchaîna, Dumbledore lui fit promettre de ne jamais parler de Severus, ils revinrent dans la tour Magellus, ce dernier les accueillit avec un grand sourire, ses yeux gris brillant et chaleureux. Une femme au chignon serré apparut et leur fit signer beaucoup de parchemins. On lui annonça qu'elle s'appelait désormais Khorine Magellus. Ce nom lui fit bizarre. Ils visitèrent ensuite toutes les pièces de la tour pour vérifier que tout était «conforme». Ils rencontrèrent l'elfe de maison de Livius, Maggy. Elle déjeuna à la tour Magellus avec Dumbledore et son nouveau père adoptif. Les adultes discutèrent longtemps. Les yeux gris se tournaient souvent vers elle et elle lui retournait toujours un sourire. Le repas était délicieux et il faisait bon ici. Les pierres étaient chauffées par le soleil de la fin août.
Elle n'arrivait pas à se rendre compte de ce que signifiaient ces documents qu'elle avait signé. Elle avait compris que son nom avait changé, qu'elle ne vivrait plus avec Severus mais avec un cartographe au sourire chaleureux. Pour Khorine, ces changements s'arrêtaient là. Elle n'avait jamais ne serait-ce qu'imaginé que sa vie entière allait en être modifiée.
Quand Dumbledore prit congé, il était tard. Livius lui proposa une promenade à l'extérieur et ils marchèrent dans le jardin près de la tour, il lui montra toutes les plantes dont Maggie prenait soin, puis ils s'avancèrent dans la clairière, il lui montra où étaient les pommiers, ils atteignirent les sous-bois et elle découvrit des centaines de mûriers plein de fruits et ensuite ils s'enfoncèrent dans la forêt et tout semblait magique. Elle ne s'était jamais promenée dans une forêt aussi tranquillement, Livius lui parlait des plantes, des cris des animaux qu'ils entendaient, de leurs traces au sol, des insectes qu'ils voyaient, ils atteignirent un ruisseau et le soleil se couchait. Livius lui demanda de lui tendre la main et ils transplanèrent jusqu'à la tour. Khorine était trop émerveillée pour se sentir malade. Ils mangèrent et Livius lui parla encore. Tout était excellent. Après manger, ils montèrent dans la pièce la plus haute qui avait un énorme télescope et dont le plafond s'ouvrait sur un ciel couvert d'étoiles. Khorine passa une soirée extraordinaire. Le lendemain Livius l'emmena au chemin de Traverse et lui acheta une énorme garde-robe et des livres juste pour elle et des jeux et un énorme ours en peluche. Elle n'avait pas vraiment besoin de la peluche. Elle la serra cependant dans ses bras le soir-même et tous ses cauchemars disparurent.
Au bout de quelques mois une certaine routine s'était installée. Livius lui donnait des cours le matin -des cours avancés- et l'après-midi était libre. Elle pouvait sortir avec son père adoptif, lire tranquillement toute seule, explorer la forêt, essayer de créer des potions sous la supervision de Maggie. Le soir, inlassablement, ils regardaient les étoiles dans la plus haute pièce de la tour. C'était vraiment bien.
Un jour, un hibou strié apparut à la fenêtre alors qu'ils prenaient leur petit-déjeuner. L'animal portait un parchemin et Livius le lut avant de se tourner vers elle et de lui demander si elle voudrait l'accompagner en Chine. Elle cria oui, de toute la force de ses petits poumons!
Il l'emmena avec lui, vivre des aventures extraordinaires. Elle rencontra des gens nouveaux, géniaux. Ses grands yeux bleus étaient pleins d'émerveillements. Le monde n'était plus un puit de souffrances empli de ténèbres. Il était plein de lumières et de couleurs, plein de vie, plein d'amour. Elle parla avec des gens du monde entier, sans peur, se fit de nombreux amis, et Livius en était impressionné. Elle apprit à canaliser et contrôler ses pouvoirs sans baguette. Elle apprit à parler de nombreuses langues et apprit le Fourchelangue à Livius. Il lui apprit qu'il était là pour elle, lorsqu'elle était blessée, malade, lorsqu'elle avait peur, lorsqu'elle faisait des cauchemars.
Elle aurait voulu passer le reste de sa vie avec son père, à explorer le monde sans interruption. Cinq années n'étaient pas assez.
Ils parlaient sur le porche en bambou d'une maison en Birmanie, lorsqu'un hibou grand-duc apparut, tenant entre ses serres une lettre qui lui était adressée. C'était une lettre de Poudlard. Le visage de Khorine se décomposa. Livius parla longuement avec elle le soir-même. Il la rassura. Ils rentrèrent en Angleterre quelques jours plus tard et achetèrent toutes les fournitures scolaires demandées. Khorine acheta sa baguette magique en cœur de dragon et bois de coudrier. Elle différait de la baguette de son père par trois anneaux ciselés qui permettaient de canaliser ses pouvoirs. Sa baguette avait été faite rien que pour elle et répondit à sa magie d'une manière extraordinaire. Elle la sentait comme un prolongement de son bras.
-Merci.
-Bonne chance; lui fut-il répondu par Ollivander.
De la chance… Il lui en faudrait. Elle n'était pas sûre de ce qui l'attendait à Poudlard, mais son instinct lui disait que de graves évènements s'y produiraient.
