Chapitre 8

Severus venait d'être laissé seul dans ses nouveaux appartements, au fin fond des cachots. Dumbledore n'avait cessé de passer sur lui ce regard neutre aux relents de pitié. Il avait signé son contrat, et le vieux sorcier l'avait accompagné jusqu'aux cachots en déblatérant sur un sujet quelconque.

A présent il était seul, dans un silence assourdissant, dans le château où il avait perdu sa seule amie et avait subi les pires humiliations de ses jeunes années.

La décoration était répugnante, des angelots, des dorures, de gros meubles aux bois lustrés ou en marbre. Slughorn n'avait jamais eu de goût.

Il sortit sa baguette et explosa l'angelot en marbre le plus proche avant de s'attaquer à la décoration de ses nouveaux quartiers.

Plusieurs heures plus tard le salon était enfin agréable, un parquet de vieux bois, deux fauteuils en cuir devant la cheminée, un bureau massif en ébène, une large bibliothèque emplie de sa collection de livres. Il s'était aussi occupé de la salle de bain et de la chambre, qui lui avaient révélé leur lot d'horreurs.

Severus se tenait assis dans le fauteuil de gauche, le plus éloigné de la porte d'entrée, le regard plongé dans les flammes. Le silence était assourdissant. L'absence des odeurs du cottage de Khorine était dérangeante. Le feu des pins de la forêt de Cairngorms, l'odeur de Musora, de la terre fraîche, des vieux parchemins, des plantes à sécher dans le cellier, de son odeur laissée sur le cuir de son fauteuil, de celle de Khorine un peu partout.

Elle devait se sentir soulagée d'être débarrassée de lui.

Les cours commençaient dans deux semaines. Il avait tous ses plans de cours à travailler.

Il fut occupé jusqu'au jour de la réunion pré-rentrée avec ses nouveaux collègues. La plupart d'entre eux l'ignorèrent. Pas McGonagall.

-Severus, sois le bienvenu dans le corps professoral; l'accueillit-elle d'un sec hochement de tête.

-Professeur; grinça-t-il.

Chourave fit gigoter son double menton en gloussant tandis qu'elle les rejoignait:

-Pas besoin d'être aussi formel mon petit.

Les yeux de Severus brûlèrent d'une colère contenue.

-Votre apprentissage auprès de Khorine s'est bien déroulé, je présume; reprit McGonagall.

Elle le jaugeait, comme un vieux chat territorial. Chourave intervint:

-Ah Khorine Lumare! Un prodige dans toutes les matières imaginables, je me souviens de...

-Lumare? Demanda aussitôt Severus.

Le professeur de Botanique écarquilla les yeux. McGonagall eut un claquement de langue réprobateur.

-Ah, il ne… Il l'aurait appris tôt ou tard Minerva, ce n'est un secret pour personne.

-Ce n'était décidément pas à vous d'en parler; la reprit sèchement le professeur de Métamorphoses.

-Auriez-vous l'obligeance de m'en dire plus, à présent? Demanda Severus d'une voix basse et dangereuse.

Pomona ne sembla pas s'en inquiéter et après un regard vers son aînée, haussa les épaules et marmonna:

-Elle a été répartie à Gryffondor, ses… parents n'étaient pas très satisfaits de cet état des choses. Ils l'auraient tuée sans l'intervention d'Albus. C'est lui qui l'a protégée et fait adopter par le vieux Magellus. Ensuite son frère aîné s'est…

-Pomona…; l'avertit McGonagall.

Le professeur de Botanique allait répondre, lorsqu'Albus fit son entrée dans la salle des professeurs, mettant fin à toute discussion. Les trois professeurs allèrent s'asseoir aux places vacantes.

Severus écouta d'une oreille distraite, les mots de Chourave résonnaient dans son esprit. Lumare… Ce nom lui disait quelque chose. Définitivement. Mais quoi? Où l'avait-il entendu?

-… nouveau professeur de Potions, Severus Rogue.

Il y eut des murmures. Severus passa son regard noir et froid sur ses anciens professeurs, ses nouveaux collègues. Dumbledore reprit ses annonces et puis la réunion prit fin. Des petits groupes de professeurs se formèrent. Severus s'éclipsa. Il attendrait le bon moment, et n'aurait pas à attendre longtemps.

En effet, au dîner du même jour, Chourave vint s'asseoir à côté de lui.

-J'espère ne pas t'avoir choqué en parlant du passé de ta Maîtresse.

-Non; répondit-il sans lever les yeux de son assiette.

Chourave fronça les sourcils en se servant en pommes de terre bouillies et reprit:

-Elle ne t'en avait jamais parlé? Insista-t-elle.

Severus cacha son irritation.

-Non.

-Ah… Ce n'est pas étonnant. Khorine Lumare a toujours été une enfant secrète, mais brillante par ailleurs. Elle a eu les meilleurs résultats de sa décennie si ce n'est plus. Oh… et elle était incroyable en duel. A partir du moment où elle a pu entrer au club de duel, elle a gagné le tournoi, tous les ans, six ans d'affilés.

-Il m'avait semblé que le club de duel avait été fermé il y a plus de vingt ans.

Le visage de Chourave s'assombrit:

-Oh oui… Il a été fermé juste après le dernier duel de Khorine. En finale, sa magie était très instable. Elle a failli tuer son opposant, Garfield McFinn. Le pauvre a passé un mois à l'Infirmerie pour faire repousser… ce qu'il avait perdu. Ses parents ont fait un scandale, si Albus n'avait pas…

Severus la coupa:

-Une 7ème année ne perd pas facilement le contrôle de sa magie.

-Effectivement; lâcha-t-elle en mâchonnant ses patates. Oui… Mais je ne sais pas si je peux te parler de ça…

Severus la jaugea du regard, puis haussa les épaules et retourna à son assiette. Il n'avait pratiquement rien mangé. Chourave hésita, goba un gros morceau de veau dans son jus, mâchonna, puis lâcha:

-Mais j'imagine que tu l'apprendras tôt ou tard.

Le regard sombre de son ancien élève revint sur elle.

-Elle avait un frère aîné, ancien, depuis son adoption, il s'appelait Alphard Lumare.

Elle laissa planer un petit silence, puis:

-Il faisait partie des Mangemorts, et il s'est suicidé.

Severus inspira brusquement.

-D'après ce que je sais de… de Celui-Dont-On-Ne-Doit-Pas-Prononcer-Le-Nom, il n'aime pas que ses euh… Mangemorts, se suicident, sans son autorisation. Alors il a rendu visite aux parents d'Alphard et de Khorine, et les a tués.

Regulus Black et Alphard Lumare, les deux noms des traîtres à la cause, bien sûr. Et Khorine avait été sa sœur. Il repensa à leur première rencontre, son regard passant sur son blason de Serpentard, cette lumière dans son regard, son mouvement protecteur face au mantrec, et le fait qu'elle revienne le voir dans la clairière aux reines-des-prés, et leurs discussions, son sourire au quartier général de l'Ordre du Phénix, son discours dans la forêt… Il comprenait à présent. Repoussant sa chaise, Severus partit sans un mot ni un regard pour qui que ce soit. Une fureur sans nom se propageait dans ses veines et lui brûlait le cœur.

oOo

Khorine était restée plusieurs semaine, enfermée chez elle avec Musora, travaillant sur ses potions sans relâche pour échapper au nouveau silence de son cottage. Chaque pièce lui rappelait son apprenti, sa présence, son odeur, sa discussion, ses remarques, ses idées, ses sourires discrets, le tournement régulier des pages des grimoires face au feu, tout ce qui n'était plus.

Elle finit par abandonner ses potions pour se terrer dans son fauteuil du salon, attendant, espérant, l'entendre rentrer, dire qu'il souhaitait rester.

Il ne vint pas.

Cela ne pouvait plus durer.

Elle ne devait pas se morfondre, elle avait vécu trente années sans lui, elle pouvait en supporter bien d'autres. La sorcière prit son sac en bandoulière, y fourra des provisions, puis partit avec Musora.

Elles ne rentrèrent qu'un mois plus tard.

La sorcière avait retrouvé la paix intérieure. Elle trouva sur son perron une lettre venant d'Umbaldo Cristi, il avait eu une idée remarquable pour stabiliser les champignons d'émail. Avec un petit sourire, Khorine rentra chez elle, et reprit là où elle s'était arrêtée dans la confection du catalyseur de magie blanche.

oOo

En plein milieu du mois de novembre se tint le 368ème Symposium des Maîtres et Maîtresses Potionnistes. Le cœur de Khorine faisait de brusques embardées à l'idée de revoir Severus.

Elle transplana parmi les premiers et fut accueillie par son Maître. Elle lui sourit avec chaleur. Il y avait ce bruissement des conversations, ces murmures excités devant le programme, certains experts venaient des quatre coins du monde. Shifu Zhang Min les rejoignit. Elle souriait, se rappelait de bons souvenirs. Khorine ne perçut pas tout de suite le regard sombre de Severus braqué sur elle.

-Ah Severus; lança Garry, rejoignez-nous mon garçon. C'est un plaisir de vous revoir.

Khorine se sentit sourire malgré elle, les yeux étincelants, en se retournant:

-Bonjour Severus.

Le sorcier atteignit le groupe et leva les yeux vers Khorine. Son regard s'adoucit, un bref instant, puis il cligna des yeux et un masque neutre lui colla au visage. Quelques trente minutes plus tard les conférences commencèrent. Khorine et Severus s'assirent à côté. Lorsqu'ils purent parler à la pause, Khorine se tourna vers Severus, un verre d'eau à la main, et lui sourit doucement:

-Quelles nouvelles de notre nouveau Maître des Potions de Poudlard?

-Peu. Je donne cours, à des cornichons décérébrés. Mon rôle est de faire en sorte que le château ne soit pas détruit dans un incident malencontreux; lâcha-t-il de son ton traînant.

Il y avait quelque chose de plus sûr et adulte dans ses yeux, une autorité qu'il avait dû développer au contact de ses classes. Il ne ressemblait plus à l'étudiant qui avait quitté Poudlard.

-Poudlard est aussi un excellent endroit pour… dénicher des secrets.

-Tiens donc; répondit Khorine avant d'avaler une gorgée d'eau.

-J'en ai appris quelques-uns sur d'anciennes célébrités de Poudlard…

Il la fixait, et son regard brûlait. Et elle sentit, avant même qu'il ne parle, son envie de la faire souffrir.

-On m'a parlé d'une certaine Lumare, Sang-Pur, de ses parents adeptes de Magie Noire, de son frère Mangemort qui a eu la lâcheté d'en finir. Dis-moi Khorine, est-ce ton frère que tu vois en moi ? De toute évidence. Ces sourires, cette main tendue, ce beau discours dans la forêt, tandis que tu devais voir devant toi un mort qui ne reviendra pas. Je ne suis pas ton frère; cracha-t-il.

Khorine était livide. Severus clôt ses lèvres qui s'étirèrent en un sourire glacial et croisa ses bras.

-Ah… lâcha Khorine le regard flou… je vois… Mon frère…

Quelque chose se mit en place dans ses yeux.

-Tu penses… que je vois Alphard en toi, n'est-ce pas? Demanda-t-elle une lueur violente grandissant dans son regard. Tu ne pourrais te tromper plus. Alphard… m'aimait. Alphard était doux, attentionné, il m'a sauvé la vie. Il a prévenu Albus.

Elle se souvenait de son aura qui ressemblait à un ciel de printemps. Khorine cracha:

-Tu ne lui ressembles en rien.

La contenance de Severus s'effritait. Khorine sentait en elle cette violence, cette envie de le faire souffrir, autant qu'il l'avait fait souffrir. Sa magie crépitait autour d'elle et toutes les conversations dans le hall s'étaient tues. Non… Elle inspira. Ferma les yeux. La magie retomba subitement, laissant tous les spectateurs vacillants.

-J'ai compris ce que tu pensais de moi; lâcha Khorine d'un ton vide.

Dans ses yeux, Severus ne vit plus rien, aucune affection, aucune haine, plus rien. Elle se détourna, ses cheveux cascadant sur ses épaules, et quitta le symposium. C'était fini.

Severus était figé. Le désespoir brisait son masque neutre, les fissures s'étendaient. Il l'avait perdue.

-Severus, mon jeune ami; apparut Quercus en se raclant la gorge, si je puis me permettre un conseil… Si vous ne courez pas tout de suite à sa poursuite, vous le regretterez pour le restant de vos jours.

-Elle…

-Courez; le coupa Quercus.

Et le pied gauche de Severus se mut tout seul, suivit du pied droit, son corps entier se tendait vers la sorcière. Il marcha jusqu'aux portes du hall, le vent froid sifflait dehors, il commença à courir. Il fusa vers l'aire de transplanage et apparut dans un craquement sec à la lisière du territoire des Lumare. Il fonça vers le cottage. Une pluie forte tombait, rendait le sol boueux et instable, Severus se retint à un chêne avant de reprendre sa course. Il hurla:

-Khorine!

La sorcière se trouvait à cinq cents mètres. Elle hésita.

-Khorine!

Elle s'arrêta, et se retourna. Ses boucles de cheveux noirs gouttaient, des mèches lui collaient au visage, ce visage froid et marmoréen. Severus s'approcha. Elle resta immobile jusqu'à ce qu'il l'ait rejointe. La pluie dégoulinait sur son visage, trempait ses vêtements, il ne le sentait pas.

-Une dernière chose à dire, peut-être? Siffla-t-elle entre ses mâchoires serrées.

-Je t'en prie… Khorine; haleta Severus… Je…. Je regrette…

Sa voix se brisa. La sorcière lut un désespoir violent, viscéral. Pourtant c'était lui qui…

-Je me sentais trahi… Je n'ai… pas réfléchi. Je t'en prie…

Un silence assourdissant les enveloppa. L'orage grondait.

-Pardonne-moi.

Severus n'espérait pas. Il n'était pas digne de son pardon. Mais il ne pouvait pas la laisser partir.

-Je t'en prie…

Sa voix rauque se brisa encore. La souffrance lui déformait les traits.

-Tu coupes tout contact avec moi; lâcha Khorine. Tu fouilles dans mon passé. Quand nous nous revoyons tu me jettes mes pires souvenirs au visage. Tu m'insultes. Tu insultes la mémoire de mon frère.

-Pardonne-moi; murmura Severus.

Khorine crispa les mâchoires. La pluie tombait drue. Un vent violent balayait la forêt. Elle ferma les yeux. Soupira. Puis se détourna…

-Suis-moi; demanda-t-elle au sorcier.

Il obtempéra sans un mot. Khorine le conduisit jusqu'à son cottage et étendit sa cape pleine d'eau. Un feu ronflait dans l'âtre.

-Comme je te l'ai écrit, il te reste certaines affaires dans ta chambre. Change-toi; ordonna-t-elle avant de sortir sa baguette et de faire léviter jusqu'à eux des serviettes.

Le maître des potions accrocha sa cape dans l'entrée puis partit se changer. Khorine fit de même. Elle sécha ses cheveux, changea de vêtements, et puis prépara du thé avant de s'installer confortablement dans son fauteuil près du feu. Severus finit par la rejoindre. Il retrouva sa place et le masque qui recouvrait ses traits cachait sa peur.

-Du thé?

Elle remplit deux tasses. Les deux le prenaient noir, sans sucre ni lait. Il y eut un silence. Assourdissant. Khorine inspira avant de murmurer:

-Je te pardonne Severus.

Elle lui jeta un coup d'œil. Le coin de ses yeux s'était agrandi sous le choc, un mince filet d'air sortait de ses lèvres fines. Elle reporta son attention sur sa tasse.

-En attendant que tu te sois réchauffé et que tu repartes pour le symposium…. Peut-être pourrais-tu me raconter tes débuts de professeur à Poudlard?

Il ne repartit pas pour le symposium. Il lui raconta ses premiers mois au château et certaines de ses anecdotes la firent rire. Ils se détendirent peu à peu. A la fin de la journée alors que le crépuscule s'étendait sur la forêt, Severus demanda:

-Musora n'est pas encore rentrée?

-Elle s'absente de plus en plus longtemps ces temps-ci; répondit Khorine en haussant les épaules.

Avec tact, Severus ne chercha pas à en savoir plus. En fait, la bienséance lui dictait de prendre congé.

-Le symposium est fini depuis longtemps; fit remarquer Khorine.

Severus y vit le signal pour se lever. Surprise, Khorine le suivit du regard.

-Il se fait tard.

Il se dirigea vers le portemanteau et Khorine se leva pour le suivre un peu tard. Il ne s'était jamais comporté de la sorte. Il était presque détendu et puis soudain brusque et renfermé, comme en cet instant où il se drapait de sa cape.

-Bonne soirée; marmonna-t-il en lui jetant un coup d'œil en biais.

-Bonne soirée Severus; répondit Khorine.

Il ouvrit lui-même la porte et allait sortir sans un mot lorsque Khorine lança avec impulsivité:

-N'hésite pas à m'écrire… lorsque tu auras un peu de temps.

Severus se retourna et une lueur indistincte passa dans son regard avant qu'il hoche sèchement la tête et quitte le cottage. Il disparut dans les ténèbres. Khorine soupira et referma la porte. Elle retourna s'asseoir devant sa cheminée et plongea son regard dans les flammes. Elle était fatiguée.