Chapitre 9

Ce que je ressentais pour Rogue? De la colère, une rancune enflant à chaque fois qu'il s'autorisait à me toucher; mais j'étais fascinée par le maître des potions, et compatissante envers l'homme qui avait sacrifié dix-huit années de sa vie pour réparer une erreur de jeunesse… Parfois… je ne savais pas comment réagir. Comme ce matin… réveillée par ses caresses… confrontée à son regard obsidienne…

-Le contrat ne…

-Oubliez le contrat; murmura-t-il à mon oreille, son corps au-dessus du mien.

Non. Je ne pouv… J'essayai de m'écarter, ce qu'il empêcha, avant que ses lèvres glacées ne descendent tout doucement vers moi. Non… Elles se posèrent sur mes tempes avec délicatesse.

-Je n'irai…; continua-t-il en effleurant ma pommette… pas plus loin.

Rogue… avait déjà dit ça… Sous la douche, il l'avait dit. Et il n'avait pas menti. J'hésitai, le souffle déjà court, interceptant un regard brûlant, avant qu'il ne se baisse de nouveau pour embrasser le coin de ma mâchoire.

-Combien de chapitres… nous reste-t-il, Lumare?

Sa bouche descendant lentement le long de ma nuque. J'avais fermé les yeux, trop habituée à ce genre de caresses, trop réceptive…

-Deux chapitres; me forçai-je à murmurer, en Sortilèges. Un en Défense contre…

Il mordilla ma clavicule, je ne parvins à retenir un gémissement. C'était… déshonorant.

-… les forces du mal. J'ai fini Métamorphoses et…

Il ne put s'empêcher de me serrer dans ses bras en parcourant ma gorge de baisers, et je sentis son sexe gorgé de sang contre ma cuisse. Je tentai aussitôt de… Rogue me retint trop fort contre son torse, sa bouche piégeant de nouveau la mienne. Sa langue venait goûter mes lèvres, les caresser. Je devais me retenir de ne pas la mordre pour le faire lâcher.
Puis ses mains quittèrent mes hanches et mes épaules pour se perdre dans mes cheveux. Haletant il détacha nos bouches et son front vint se poser contre le mien, ses mèches graisseuses mêlées aux miennes, propres et ondulées.

-Soins aux créatures magiques; sifflai-je d'une voix sourde.

Il fermait les yeux. J'étais incapable de savoir ce qu'il pensait en cet instant.

-Vos révisions en Astronomie, Botanique et Histoire?

Sa voix était neutre. Ses yeux restaient fermés, son front au contact du mien.

-Terminées.

-Potions?

J'allai répondre, eus un moment d'hésitation. Je savais le nombre de chapitres qu'il nous restait anormalement élevé. Si ce n'était qu'une coïncidence j'allais tout de même devoir fréquemment descendre aux cachots après la rentrée, alors qu'aucune autre obligation ne me tiendrait de voir mon professeur dans la journée. Avait-il…

-Six chapitres.

Rogue ouvrit les yeux, m'adressa un sourire narquois. Il l'avait fait exprès. Bien sûr. Une nouvelle façon de me prouver qu'il gardait tout pouvoir sur moi tant que le contrat ne serait pas détruit.

-Et plus que trois jours avant la rentrée, m'est avis que vous devrez vous aventurer un peu plus longtemps dans les cachots humides du bâtard graisseux.

J'étais furieuse mais retenue malgré tout par compassion. Il le disait avec sarcasme mais ce surnom était cruel… et je ne pensais plus à lui de cette façon. Le lui dire cependant, aurait été une défaite. Je ne pouvais pas.

-Pourriez-vous me lâcher, s'il vous plaît? Sifflai-je, les yeux résolument fixés sur la pendule. Mes amis m'attendent.

Et Rogue s'exécuta sans plus rien dire. Je me dépêchai de m'habiller, de sortir de ma chambre sans savoir si je devais être fière d'avoir pu lui tenir tête une nouvelle fois ou contrariée de m'être montrée incapable de prononcer le moindre mot de réconfort.

oo0oo

Surtout qu'il s'avérait, au fur et à mesure que nous nous rapprochions de la rentrée, que l'humeur de Rogue se dégradait. Jamais il n'avait paru aussi évident qu'il détestait enseigner. … En mettant de côté les atrocités qu'il m'avait fait subir… Rogue m'avait réconfortée, consolée, il m'avait prise dans ses bras et serrée contre lui lorsque j'avais pleuré la mort de mes amis, la mort de Luna… Pourtant, j'étais incapable de trouver les mots, la bonne manière de lui remonter le moral. Et je doutais qu'une sortie aux Trois-Balais autour d'une bonne Biéraubeurre fasse le même effet qu'avec Ron, Harry et Hermione. J'étais aussi censée manœuvrer de telle manière que Rogue ne croit pas à une preuve pathétique de ma pitié. C'était compliqué.
Ainsi, nous arrivâmes à la veille de la rentrée. Rogue était d'humeur massacrante, à son bureau, en train de modifier des plans de cours à ce que j'avais compris. Je lisais dans le canapé de ses appartements comme il n'avait pas pris le Vendredi soir, m'invitant indirectement à lui tenir compagnie en ce Dimanche… Je lisais un Herbier, fascinant, que Ginny m'avait rapporté de la part de Neville… Rogue termina ses cours, se leva d'un geste brusque pour aller chercher un grimoire, prendre place à ma droite, dans son fauteuil. Il ouvrit le livre assez fort pour en faire craquer les coutures intérieures.

-Professeur; appelai-je, après avoir desserré les mâchoires.

Son regard sombre et brûlant de fureur me percuta violemment.

-Quoi?

J'inspirai un grand coup. Consciente de ma maladresse, incapable de faire mieux:

-Il y a un endroit à Poudlard qui m'aide beaucoup à me détendre. Je peux vous y emmener si vous voulez.

Consciente des coulées de lave sombre dans ses yeux, je passai une main nerveuse dans mes mèches ondulées. Ce n'était pas vraiment la manière la plus subtile de lui faire comprendre que je voulais l'aider… Il ricana tout de même:

-Encore un endroit interdit par le règlement.

Cela pouvait être de l'ironie, ou du mépris. Sûrement du mépris, je choisis de poursuivre cependant:

-Etrangement, non. Vous ne pourrez pas m'enlever de points cette fois professeur.

Il referma son grimoire dans un claquement sec, se leva.

-Alors montrez-moi, Miss Lumare.

J'hochai la tête, allai chercher ma cape que j'agrafai. Rogue avait déjà la sienne. Puis il m'ouvrit la porte et me laissa l'entraîner dans les sombres couloirs des cachots. Il était près de minuit, tous les élèves devaient être occupés dans leurs dortoirs, à faire la fête, discuter et manger toutes les friandises qu'ils avaient fourrées dans leurs valises… Harry devait être avec Ginny à l'heure qu'il était. Ron en train de ronfler dans ses appartements, Hermione encore en train de réviser… Plongée dans mes pensées, je conduisis en silence Rogue à travers un dédale de passages secrets que nous avions mis des années à découvrir avec mes amis. Je doutais même que mon professeur les connaisse tous. Ainsi, je prononçai mon troisième mot de passe de la soirée, le tableau où Percival s'amusait au saut à la hallebarde s'ouvrit, dévoilant le dernier passage secret. Passage secret qui nous conduisit directement à mon refuge. Le dernier étage de la Tour d'Astronomie. Il n'y avait qu'une pièce ronde, fouettée par les vents, ouverte sur plusieurs balcons qui donnaient sur le lac Noir ou la forêt en contrebas, les collines d'Ecosse bien plus loin.

-La Tour d'Astronomie? Se moqua-t-il.

Et avant qu'il ne continue, je l'enjoignis à me rejoindre sur mon balcon préféré. Il offrait la meilleure vue sur le Lac, était caché du reste du château mais assez avancé pour permettre une incroyable vision du ciel. Rogue me rejoignit et je lui avouai dans un chuchotement que le professeur Sinistra ne venait ici que le Mardi et le Dimanche entre vingt-trois heures et minuit et demi ainsi que le Lundi entre dix-sept heures et dix-neuf heures puis entre vingt-deux heures et une heure du matin.

-Sans oublier les cours d'Astronomie le Vendredi à minuit.

-Si vous croyez que je reviendrai; maugréa-t-il.

Je ne sais pas pourquoi je lui souris en retour, ni pourquoi je me sentis décontractée malgré sa présence. J'inspirai à plein poumon les odeurs si particulières de Poudlard puis rejetai la tête en arrière, m'appuyant contre la rambarde pour mieux contempler le ciel si sombre, parcouru de constellations d'étoiles étincelantes, d'une lune qui n'en était encore qu'à un petit croissant. Mon cœur se serrait ici, au plus haut du château. Les bourrasques de vent, les odeurs, les pierres rugueuses du balcon sous mes mains, la nuit parsemée d'étoiles. Le silence… … Rogue se taisait? Je m'arrachai à ma contemplation pour l'aviser à quelques pas derrière moi. Son regard était inexpressif et j'aurais été incapable de savoir s'il m'observait ou non, s'il avait pris conscience que je m'étais retournée.

-Professeur… est-ce que vous aimez enseigner?

Il cilla, puis s'en tint à m'accorder un haussement de sourcil. C'avait le mérite d'être clair.

-Pourquoi ne quittez-vous pas Poudlard, alors?

J'eus droit à un énième sourire narquois mais il n'entrouvrait pas encore ses lèvres pour me répondre. Son regard sombre dirigé vers moi était particulièrement déstabilisant.

-Vous êtes un maître de Potion réputé, vous pourriez postuler dans n'importe quel laboratoire de Grande Bretagne. Vous pourriez même travailler à votre compte, vendre des potions sur commande et mener les recherches qui vous intéressent.

Je me tus, le fixant.

-... Qui voudrait des potions d'un ex-Mangemort?

-Vous étiez auss…

Il me coupa:

-Qui voudrait embaucher le meurtrier d'Albus Dumbledore?

Il n'y avait aucune émotion particulière chez Rogue. Pas d'amertume, de rage, de tristesse ou de haine. J'avais du mal à saisir s'il pouvait en être blessé, si l'hostilité de toute notre communauté pouvait l'atteindre.

-Le Ministère vous a permis d'enseigner à l'une des amies du Survivant; rétorquai-je.

A cela, il avança. Ses talons résonant contre les dalles de la tour, jusqu'à ce qu'il parvienne à la rambarde, à moi. Je me crispai.

-Sous la contrainte; murmura Rogue en fixant le lointain, le reflet de la lune dans les eaux du lac.

… Moi aussi, je ne l'avais laissé me toucher que sous la contrainte. Je me tus et le silence reprit ses droits, seulement brisé par les murmures du vent. Le temps s'écoula lentement ainsi…
Et puis, un toucher glacé contre mes doigts; je tressaillis, Rogue raffermit sa prise. Sa main glissant contre ma peau, jusqu'à enserrer la mienne. Il ne me regarda pas, ne fit rien pour me prendre dans ses bras. C'était délicat. Malgré la froideur de sa peau il gardait le toucher subtil d'un Maître. Le coin de mes lèvres s'étira d'une étrange manière, avant que je n'exprime ce que j'étais incapable de formuler. Mes doigts lâchèrent la rambarde, pour, avec douceur, se refermer autour des siens.