Chapitre 10

Ce fut le dernier moment mémorable que je passai avec Rogue. Tout le reste fut englouti dans un brouillard fuyant. Lui donnait ses cours, tandis que j'étais de huit heures jusqu'à vingt-trois heures, auprès de mes amis. Nous révisions, mangions, prenions nos pauses ensemble. Hermione de plus en plus angoissée, Harry et moi plus sérieux, Ron plus ou moins travailleur… Je m'étais presque habituée à être enlacée par Rogue, le soir venu. Mais pas à ce qu'il me faisait après. Je ne pouvais pas. Pourtant je supportais cela, en me rappelant que je n'avais plus longtemps à tenir, plus longtemps. Je n'étais pas paniquée à l'idée des examens, j'avais tellement révisé pour. Et, avec l'accord du professeur Mac Gonagal, nouvelle directrice de Poudlard, je pus même visiter plusieurs logements… Je ne trouvai la maison parfaite qu'à une semaine des ASPICS. Spacieuse, assez retirée dans une campagne sorcière, mais au bout d'une allée où quelques autres chaumières se pressaient, donnant sur une magnifique forêt, elle avait une gigantesque cheminée que nous avions tôt fait de relier directement au Terrier et au Square Grimmault, et… un laboratoire au sous-sol. Le prix ne posait pas de problème, rapport à la fortune que ma famille m'avait léguée. Nous étions tous tellement enthousiastes, de commencer notre vie d'adultes! Et puis, les examens. Trois jours intensifs, deux épreuves de théorie et de pratique dans presque chaque matière. J'exécutai les sortilèges, les démonstrations et les enchantements les uns à la suite des autres, maîtrisai ma potion aussi bien qu'un non-maître en était capable, finis par répondre aux questions des épreuves par mécanisme… Nous dûmes ensuite patienter dans un des couloirs du bâtiment, devant notre salle d'épreuves, qu'ils valident les réponses de nos derniers tests. Deux heures plus tard, nous avions nos résultats. … Je ne retins que mes deux Optimal en Potion et Botanique, un O aussi en Métamorphoses, je n'écoutai pas vraiment le reste. Hermione avait des Optimal partout, excepté un EE en Runes. Ron et Harry s'était plutôt bien débrouillés aussi. Ce qui signifiait… que nous pourrions suivre la formation d'Aurors tous les trois!

-Et qu'est-ce que vous avez mis à la question vingt-trois de la théorie de DCFM?

-Hermione!

Ce fut une protestation collective. Surtout que j'étais incapable de me rappeler ne serait-ce que l'énoncé de la question vingt-trois. Tout ce que je savais, maintenant, c'était que nous sortions des bâtiments du ministère, que nous rentrions à Poudlard.

-Tu pourrais pas oublier un peu les ASPICS? C'est fini! Et t'as des Optimal presque partout!

Sa petite amie fronça les sourcils.

-Ce n'est pas avec ces considérations que je m'améliorerai Ron!

Ils se chamaillèrent encore un peu, le temps d'arriver jusqu'aux ascenseurs, Ron finit par faire chavirer Hermione dans ses bras et lui voler un baiser.. Harry et moi nous détournâmes discrètement.

-Et sinon, cette maison? Demanda Harry, en se raclant la gorge.

-Bien, bien; lâchai-je. Quelques aménagements à faire, des chaudrons à installer… Je vous invite bientôt.

Suivit un long silence gênant, seulement brisé par les protestations d'Hermione et des bruits de succion.

-Nous partons demain de Poudlard, après la conférence de presse et la remise des diplômes; lança Harry tandis que ce stupide ascenseur n'en finissait pas de nous trimbaler dans n'importe quel recoin du Ministère alors que personne ne montait.

J'hochai la tête.

-Et notre formation d'Aurors commence dans une semaine.

-Ça va être une année difficile.

Il n'y eut plus de bruit derrière, puis la main de Ron se posa soudain sur l'épaule d'Harry:

-Dis pas ça mon pote, ça porte malheur. Et puis on finit les cours fin Avril quand même!

Hermione nous rejoignit en se penchant à ma droite, un peu ébouriffée, s'obligeant à froncer les sourcils.

-Ne pense pas que tu vas passer ton temps à paresser; prévint-elle.

Ce qui lui valut une grimace tout à fait charmante:

-M'en doutais.

Les portes de l'ascenseur s'ouvrirent enfin, sur ces mots, et nous continuâmes à discuter dans les couloirs, puis aux Trois-Balais ou nous avions décidé de nous détendre. Devant quatre Bièraubeurres, nous passâmes le reste de l'après-midi, relâchant la pression, parlant de nos projets, de notre futur… Harry allait vivre à Square Grimmault, bien sûr. Mettre de l'ordre dans les affaires de son parrain. Il nous avait tous invité à y vivre mais j'avais refusé, Ron et Hermione aussi. Les parents d'Hermione leur avait cédé un petit appartement qu'ils gardaient jusqu'à présent en location. J'allais devoir faire attention au moment où j'atterrirai chez eux moi. Nous avions prévu de les aider dans leur déménagement dans quelques jours. Tout cela s'avérait exceptionnel! Bien que Mme Weasley fondrait sûrement en larmes… Et ce fut en cette soirée qu'Hermione nous révéla enfin le cursus qu'elle avait choisi… Communication et droits internationaux des communautés magiques.

-J'vais finir par avoir du mal à te suivre; grogna Ron.

Ce qui nous fit éclater de rire. Je me sentais légère soudain, comme soulagée d'un immense poids. J'étais auprès de mes amis, la guerre derrière nous, un futur passionnant devant et j'allais être libérée. Rogue n''aurait bientôt plus aucune emprise sur moi…

oo0oo

J'entrai dans la chambre de Rogue, récupérer les quelques vêtements qui traînaient encore, puis revins à ma valise pour les y fourrer. Elle fermait difficilement, même avec mes fioles d'expérience et mon chaudron rapetissés… Je m'écroulai sur mon lit. Harry, Hermione et Ron étaient déjà partis, une nouvelle expérimentation avec un ingrédient révolutionnaire: l'extrait de miraculine qui donnait un goût sucré à toute potion, m'avait retenue. J'étais loin d'avoir fini mais un gigantesque laboratoire m'attendait au sous-sol de ma nouvelle maison. Je reverrais mes amis dans quelques jours, suivrais les cours avec Harry et Ron, et m'arrangerais bien pour sortir Hermione de ses grimoires poussiéreux chaque semaine. Tout allait bien… Tout allait bien… Excepté, avec Rogue. Je l'admirais, vraiment, ces viols n'y changeaient rien. C'était un Maître et je me sentais liée à lui. En d'autres circonstances, je… j'aurai tout fait pour rester ici, à Poudlard. Je soupirai, la tête dans les mains. Je ne savais toujours pas… s'il voulait obliger quelqu'un d'autre à signer un contrat, après moi.
Je devrais agir, trouver une manière de détourner l'addenda et tout dire au professeur Mac Gonagal. Elle, n'avait pas l'ouverture d'esprit du Ministère. Elle le renverrait. Rogue n'aurait plus nulle part où aller… Ce n'était pas ce que je voulais. Oh Merlin… J'expirai, en tremblant, trouvai je ne sais où la force de me relever. Mon sac en bandoulière, ma malle lévitant derrière moi et la Gazette du sorcier à la main, je quittai la chambre –pour toujours-, marchai jusqu'à sa classe de Potions. Il était près de dix-huit heures, plus de cours, Rogue était probablement en train de corriger des copies à son bureau.
Nous allions briser le contrat à l'endroit même où il avait été scellé. Je serai bientôt libre. Trois coups à la porte. Un ordre de sa part, glacial. J'obtempérai et m'avançai vers le bureau où, comme je m'en doutais, il travaillait sur d'énièmes devoirs de cornichons arriérés. Rogue ne leva pas les yeux sur moi. Même lorsque j'en vins à appuyer mes deux mains contre son bureau. Il ne dirait rien, ne commencerait pas. Je le connaissais assez désormais pour le savoir. La malle se posa au sol à mon sortilège, mais je ne voulais pas m'attarder.

-Vous n'avez pas lu la Gazette du sorcier ce matin, je pense; lançai-je, faisant de même avec le journal.

Rogue s'obstina à fixer ses parchemins, à gratter de sa plume des remarques assassines.

-J'ai le plaisir de vous informer que la vie de notre Sauveur et de ses amis est résumée dans les quinze premières pages, photos à l'appui. Sans que personne ne puisse savoir d'où ils les ont sortis, d'ailleurs. Il y a bien sûr nos résultats aux ASPICS, ainsi qu'un long article sur les professeurs de Poudlard ayant permis ce miracle. Vous êtes cité, évidemment. Je crois même qu'ils se sont arrangés pour publier une photo flatteuse de vous. Et ils ne manquent pas d'éloges à votre sujet, le héros, homme de l'ombre, celui qui a, et je cite: «consenti à tous les sacrifices pour le Plus Grand Bien».

Mais il ne me regardait toujours pas.

-Vous êtes d'une naïveté affligeante; finit-il par susurrer de derrière son rideau de cheveux graisseux, si vous pensez que la rancune des sorciers puisse être détruite aussi facilement.

-Vous avez l'appui du Ministère. J'ai fait ce que vous attendiez de moi.

Le grattement de sa plume s'arrêta soudain, Rogue releva lentement la tête.

-Ce que j'attendais de vous?

Ses yeux sombres percutèrent les miens, je lui renvoyai un regard orageux. Il y eut un bref silence. Et j'étais sûre qu'il allait finir par me critiquer, moi et mes efforts vains, ma stupidité. Mais pas à ce qu'il lance à la place:

-Que faîtes-vous avec ce sac, cette malle?

Je le fixai bizarrement.

-Je vais emménager dans la maison que je me suis achetée. Il y a un énorme laboratoire au sous-sol et après quelques aménagements…

Qu'est-ce qui me prenait de lui raconter ça? Je haussai les épaules, finis par lui tendre la main.

-Au revoir.

C'était fini. Il fallait que ce soit fini, qu'il me serre la main, qu'il me libère. Rogue me fixa, fixa ma main, une colère grondait au cœur de ses yeux sombres. Mais il… finit par tendre ses longs doigts vers moi. Je crus… il saisit ma cravate violemment, me rapprocha de lui en tirant dessus.

-Qu'est-ce qui vous fait croire; siffla-t-il, que je vous laisserai partir? Vous m'appartenez, Lumare.

Je resserrai convulsivement ma poigne sur le haut de ma cravate, par fureur presque autant que pour éviter qu'il ne m'étrangle.

-Je n'appartiens à personne. Et le contrat expire aujour…

Il éclata d'un rire sec et mauvais. Je me tus, pétrifiée. J'avais peur soudain, face à ses yeux déments.

-Il semble que vous n'ayez pas lu avec assez d'attention ce que vous avez signé, petite gamine-Lumare; se moqua-t-il d'un ton glacial.

Il me rapprocha encore de lui en tirant sur le lien de tissu, mes yeux bleus agrandis d'effroi obligés à se rapprocher de son visage.

-Il est écritque vous consentez à suivre cet apprentissage avec moi jusqu'à: «la durée réglementaire».

-Non; suppliai-je dans un murmure.

-Nous n'avons pas eu le temps de nous accorder sur une date, cela est fort regrettable, car il se trouve que certains apprentissages tout à fait réglementaires peuvent durer deux ans.

Il triomphait, son regard démentiel trop proche du mien, ses lèvres à un souffle des miennes, ses doigts tremblants autour de la cravate. Tout s'effondrait autour de moi.

-Non…, s'il vous plaît… S'il vous plaît… Laissez-moi partir.

-Jamais; souffla-t-il. Vous m'appartenez, je ne vous laisserai à personne.

Je ne sentais plus rien, faible, les oreilles bourdonnantes, le souffle coupé et la vue de plus en plus brouillée. Ce n'étaient pas des larmes, j'étais trop brisée pour cela.

-Je ne veux pas; crachai-je dans un murmure douloureux, rester votre putain attitrée. Trouvez-vous quelqu'un d'autre…

Je ne discernais presque plus rien de ses expressions; mon regard était vide, je m'inclinais petit à petit devant ma destinée. La seule issue qui restait m'apparaissait de plus en plus claire.

-Ce n'est pas ce que vous êtes Miss Lumare.

Rogue serrait toujours ma cravate. Je ne répondis rien. Deux années? Ou cinq? Dix? L'honneur laminé, enchaînée à un homme qui me détestait, asservie et brisée jusqu'à ne plus être qu'une ombre. Je refusais.

-Nous en rediscuterons plus tard. Allez ranger ces sacs dans votre chambre.

Regard terne de ma part, je finis par sentir qu'il m'avait lâchée. Je vacillai, m'écartai de quelques pas, puis revins quelque peu à la réalité. La réalité. Un sourire sans joie vint étirer mes lèvres. Rogue me fixait, trop neutre, ses mains tremblaient. Je savais ce qu'il me restait à faire. C'était bel et bien fini.

-Vous direz… Vous direz à Hermione, Harry et Ron que je les aimais, que je suis désolée.

Il tressaillit, comme frappé par la foudre. Et je me détournai aussitôt, fusant hors de sa classe.

-Khorine! Hurla-t-il.

Trop tard.
Je courus par désespoir, fus bientôt hors de son atteinte mais continuai encore dans les couloirs. Je ne voulais pas, ne voulais pas qu'il me retrouve! C'était fini, FINI! J'empruntai des passages secrets qui devaient lui être inconnus, n'arrêtais pas, pas avant d'avoir les poumons en feu, de vaciller sur mes jambes. J'entrai dans la première salle désaffectée qui se présenta. De la poussière, des toiles d'araignées, des gravats et un pan du mur encore pulvérisé. La guerre… laissait des marques… Je m'écroulai contre des pierres, dans un nuage de saletés, sortis ma baguette. La paix, enfin. Je discernais les eaux miroitantes du Lac Noir depuis la brèche, le soleil qui se couchait à l'horizon, rouge.
J'apposai le bois de ma baguette contre mon poignet droit. Fermai les yeux.

-Sectumsempra.

La peau fut lacérée, violemment, comme des dizaines de lames me déchirant les chairs. Pas un gémissement ne sortit de mes lèvres, elles s'étiraient en un sourire triste. C'était amusant, comme Rogue m'avait acculée jusqu'à la mort, comme j'utilisais un sortilège dont il était l'inventeur pour en finir. Je passai à l'autre poignet.

-Sectumsempra…

Le sang gicla, loin. Ma baguette m'échappa. J'avais mal. Il y avait ce ciel rougeâtre, ces eaux sombres. J'allais mourir.
Je pensais à tous ceux que nous avions perdus; je pensai à Fred, je pensai à Luna. Il fallait que je lui dise pour ma potion… Je pensai à Harry, Hermione, Ron; cela faisait tellement mal de les quitter. Je les aimais tellement.
Tout mon corps s'engourdissait, je ne respirais presque plus, je ne voyais plus rien. Les ténèbres obscurcissaient la salle. Ma tête heurta le mur de pierres.
Je plaignais Rogue. Incapable de le haïr. Plus la force… Plus de force… C'était fini.