Chapitre 6
Les années avaient passé. Elle était devenue la meilleure en Potions et testait toute sorte de manière d'améliorer ses filtres, parfois pendant le cours au grand désespoir d'Hermione, sa binôme. Elle avait Hermione, Harry et Ron comme meilleurs amis, elle ne prêtait plus attention aux remarques désobligeantes de Severus, elle était excellente en Métamorphoses et depuis sa troisième année essayait de trouver son animagus, Livius lui avait promis qu'il lui montrerait le sien quand elle rentrerait pour les vacances d'été. Le bal du Tournoi des trois sorciers était très réussi. Elle y était allée avec Seamus et ils s'étaient bien amusés, elle lui avait même montré une danse indienne avec les sœurs Patil. Hermione et Viktor s'amusaient aussi, les garçons faisaient la tête dans leur coin. Elle avait chaud et elle avait entendu les premières notes d'un slow. Elle était sortie prendre l'air. Elle était sortie pour que personne ne voit la peine gravée sur son visage. Ce slow, elle aurait voulu le danser avec Severus Rogue.
Elle aurait voulu le danser avec Severus Rogue.
Alors elle était là, assise dans l'herbe du parc. Dans sa robe bleu nuit à corset, ses chaussures noires de ballerine, ses cheveux du haut tressés et le reste cascadant sur ses épaules. Son visage fin marqué par la peine, tourné vers les étoiles.
-Miss Magellus; entendit-elle siffler soudain.
Elle tressaillit.
-Que faîtes-vous ici? Vous devriez être occupée à vous déhancher avec le reste des cornichons de Poudlard.
Un petit sourire lui échappa.
-Je… Je n'aime pas trop les slows.
-Laissez-moi deviner, Potter ne vous a pas invitée à danser; se moqua Rogue.
Elle le regarda avec incrédulité. Il haussa les épaules subrepticement. Severus était à un mètre d'elle.
-Rentrez, la nuit est fraîche.
-Mais les étoiles sont magnifiques; murmura-t-elle sans y réfléchir.
Son professeur leva son gros nez vers le ciel. Loin des lumières de la grande salle, le parc écossais était plongé dans la pénombre et les étoiles se détachaient par milliers du plafond céleste. C'était réellement magnifique.
-Dix points en moins pour non-respect des consignes. Veuillez-vous lever et me suivre jusqu'à la Grande Salle.
Khorine soupira, mais obéit sans un mot. Elle enleva la terre et l'herbe qui collait à ses jambes, brossa sa robe, puis le suivit. Ce ne fut qu'après une dizaine de pas qu'elle se rendit compte qu'elle frissonnait. Elle sentit soudain la brise fraîche qui volait dans ses cheveux et l'abandonnait avec la chair de poule. Elle frotta ses bras pour se réchauffer. Severus le vit du coin de l'œil et marmonna qu'il n'avait à faire qu'à des imbéciles. Après, curieusement, elle eut moins froid alors qu'ils remontaient la petite colline sud du château. Severus la raccompagna jusqu'aux portes de la Grande Salle. Là elle voulut le remercier, il se détourna avant cela dans un tournoiement de cape, elle rejoignit ses amis et Seamus qui lui proposa de danser pour se réchauffer. Ce fut une belle soirée.
Mais après celle-ci, une douleur lancinante creusa son chemin en elle, une absence intolérable qui la faisait souffrir tous les jours. Elle vivait avec, respirait avec, mangeait, parlait, riait avec, elle était torturée chaque heure que Merlin faisait par ce vide en elle. Et Severus ne la voyait pas, il ne la regardait jamais et il l'exécrait pour avoir choisi comme ami le Garçon-qui-avait-survécu.
Elle aurait tout donné pour qu'il se penche vers elle, la regarde droit dans les yeux et lui accorde un sourire, un hochement de tête, qu'il s'arrête l'espace d'un instant en la percevant dans un coin de son champ de vision. Il ne la voyait pas et elle souffrait, et elle serait devenue folle sans ses amis, sans ses potions sur lesquelles elle travaillait dès qu'elle le pouvait, en dehors des cours, en dehors des sorties à Pré-au-lard, en dehors des matchs de Quidditch, en dehors des sessions de travail à la bibliothèque avec sa meilleure amie. Le travail pour l'oubli. Elle découvrit son animagus un soir à trois heures du matin dans la salle sur demande. Le même que son patronus. Un dragon. Elle vit dans les glaces de la salle sur demande une jeune dragonne aux écailles noires, aux yeux bleus tempête, aux grandes ailes tendues. Elle vola toute la nuit. Plus tard, durant sa cinquième année à Poudlard, elle apprit combien les marches dans la forêt Interdite pouvaient apaiser sa souffrance lancinante. C'est là qu'elle découvrit son familier, un petit serpent blanc avec une opale lactescente sur le front. Rhajen, la lunaire, passait la plupart de son temps sous sa manche gauche. Elle la calmait et se resserrait autour de son poignet lorsque Severus passait et que son cœur battait douloureusement dans sa cage thoracique. En ces temps-là, Dolores Ombrage terrorisait la plupart des étudiants, avec l'appui du Ministère, elle avait torturé Harry avec sa plume extrayant son sang pour s'en servir d'encre, elle avait publié de nombreux décrets, avait publiquement menacé Severus et avait rappelé à tous qu'il avait été mangemort.
Khorine était à la bibliothèque, rangeant Le premier livre de l'archidoxe magique de Paracelse, épais grimoire s'il en est, lorsqu'elle entendit dans le rayon d'à côté la voix mielleuse de Dolores Ombrage.
-Mon cher Severus, vous devriez changer votre programme. Certaines potions sont clairement dangereuses à enseigner pour des étudiants de premier cycle. La potion de chance liquide? La goutte du mort vivant? Et l'aiguise-méninge qui est strictement interdite par le Ministère pour les étudiants en période d'examen?
-Le programme a été validé par le Ministère; grinça Severus.
-Oh, mais plus maintenant. Maintenant il doit être remplacé. Vous ne voudriez pas être accusé d'exercice illégal de votre maîtrise en Potions, n'est-ce pas?
Ces derniers mots firent bouillir Khorine, c'en fut trop. Sa magie se libéra en un flot violent et s'écrasa contre les rayonnages devant elle. Une dizaine de grimoires au sommet des étagères tombèrent directement au-dessus d'Ombrage. Cette dernière hurla. Severus s'écarta. Les livres explosèrent contre un bouclier que la sorcière parvint à conjurer.
-Qui a fait ça? Glapit-elle. Severus! C'est vous!
Khorine haleta, Rhajen ondula sur son poignet, l'instant d'après elle courrait entre les rayons pour faire face à Ombrage qui hurlait sur Severus, droit, implacable, méprisant.
-C'est moi! C'est moi qui les ai fait tomber! J'ai trébuché! Avoua Khorine.
-Vous! Cracha la femme, ses gros yeux de crapaud se plissant dangereusement. Vous allez en retenue avec moi, maintenant! Je vous ferai passer l'envie de «trébucher».
-Magellus; siffla Severus entre ses dents. Non Dolores, je me charge de sa retenue.
-Certainement pas! J'ai de quoi lui faire regretter…
-Une trentaine de chaudrons couverts de pus de bulbobulb l'attendent ; l'interrompit Severus. Ainsi que le tri de bouses de moonacres fraîches.
-Je… Oh…
Une lueur mauvaise passa dans le regard de la sorcière toute engoncée dans sa robe rose pelucheuse.
-Bien… Bien… Très bien!
Puis elle se tourna vers Khorine:
-Vous allez regretter ce qui vient de se passer, Miss Magellus. Vous allez le regretter.
Ombrage se détourna ensuite et disparut de la bibliothèque en marchant à petit pas. Khorine déglutit, sans oser se tourner vers Severus, elle se sentait glacée.
-Suivez-moi; grinça-t-il.
Son cœur battait à tout rompre, il pouvait sortir de sa poitrine à tout moment. Il venait de lui parler. Elle lui obéit sans un mot, tremblante, la gorge sèche, blême. Ils quittèrent la bibliothèque, passèrent dans le hall et devant la grande salle avant de descendre les escaliers enchantés menant aux cachots. Les élèves qu'ils croisèrent étaient rares, elle perçut leurs regards compatissants et son estomac se tordit un peu plus.
Elle le suivit dans son bureau et sursauta lorsque la porte se ferma. Severus la contourna pour rejoindre son bureau et elle resta debout, devant lui, se tenant les mains.
-Miss Magellus; soupira le sorcier, n'insultez pas mon intelligence en pensant que votre petit cirque est crédible. Ces livres sont trop bien tombés.
-Je…
-Que pensiez-vous être en train de faire?
Rhajen se resserra autour de son poignet mais elle ne sentait que la douleur lancinante dans sa poitrine. Celle-ci s'empirait avec le temps et la rendait plus faible que jamais. Elle aurait aimé lui rétorquer que c'était une coïncidence et qu'il n'allait tout de même pas s'imaginer qu'elle voulait le défendre! À la place, elle mentit:
-Une maîtrise… Elle a dit que vous aviez une maîtrise. Mais vous êtes un Maître. Ce n'est absolument pas la même chose! Je ne la laisserai… Je ne laisserai personne insulter notre… la profession de maître des potions.
-Tiens donc… «Notre profession»; ricana-t-il sèchement.
L'atmosphère se refroidit considérablement. Comme si elle l'avait frappé.
-Vous n'êtes pas même une apprentie ici, ne vous méprenez pas, vos pitoyables essais dans les laboratoires en libre-service ne font pas de vous une maîtresse des potions et ne le feront jamais. Vous n'avez pas ce qu'il faut.
-Je vous prouverai le contraire! Cria la jeune fille blessée en plein cœur.
Rogue ricana sèchement et puis ses lèvres fines se refermèrent et d'un grand geste il désigna les chaudrons couverts de pus et les bouses dans une grande jarre.
-Mettez-vous au travail. Et je ne veux plus un bruit.
Khorine serra les poings mais obéit. Elle s'agenouilla et prit un premier chaudron, le seau près d'elle moussait et laissa apparaître une grosse brosse. Elle se mit au travail, le cœur lourd. Severus était dans la même pièce qu'elle, corrigeant des copies, elle entendait sa plume griffer le parchemin, ils étaient seuls dans la même pièce, il n'y avait plus personne à part eux, si elle s'écoutait elle… Non… Que pouvait-elle faire? Tomber à genou devant lui et lui avouer qu'elle l'aimait depuis qu'il l'avait sauvée, cette nuit-là? Pitoyable. Le piéger contre son fauteuil avant de l'embrasser de force. Elle n'y arriverait jamais, et ce n'était pas ce qu'elle voulait. Le supplier de la prendre comme apprentie pour vivre avec lui après Poudlard, même s'il ne la voyait jamais que comme une autre pénible étudiante, juste pour rester, encore un peu, un tout petit peu, avec lui. Il la repousserait. Il lui mettait des EE du bout de la plume, ne la complimentait jamais sur ses potions, il ne la reconnaîtrait jamais, même si le monde entier le faisait. C'était perdu d'avance. Il ne l'aimerait jamais en retour. Jamais.
Bien après l'heure du dîner, elle se releva, les genoux endoloris, les mains pleines de cloques, les bras de crampes, les manches remontées et trempées, puant la bouse de moonacre, les poings serrés et le regard fier. Elle était une Gryffondor. Elle affronterait l'homme qu'elle aimait et se ferait tuer par lui. Ce devait être son triste destin.
-J'ai fini… professeur.
Il ne répondit rien, finissant d'écrire un commentaire sur une copie. Puis il leva ses yeux d'un noir sans fond vers elle, et la fixa sans un mot. Des mèches de ses cheveux noirs étaient collées à son front et à ses tempes, ses joues étaient rougies par l'effort, son regard brûlant. L'odeur de moonacre flottant dans la pièce était nauséabonde.
-Partez; siffla-t-il la gorge serrée.
Khorine lui obéit immédiatement, fermant la porte derrière elle et partant si vite qu'elle ne put entendre son professeur répéter d'une voix étouffée:
-C'est une enfant… une enfant! C'est une enfant!
L'odeur de bouse de moonacre était horriblement tenace. Elle dut prendre trois bains dans la salle de bain des préfets avant de s'en départir.
Quelques mois plus tard ils s'enfuirent de Poudlard avec d'autres membres de l'Armée de Dumbledore, pour entrer au Département des Mystères du Ministère de la Magie. Tous ses pouvoirs ne lui furent d'aucun secours lorsque Neville fut pris en otage par Bellatrix Lestrange. L'Ordre vint à leur aide in extremis, et Sirius, la dernière famille d'Harry, mourut sous leurs yeux.
Elle connaissait la douleur et la tristesse, l'année suivante elle aida Harry comme personne d'autre n'aurait pu le faire. Hermione et Ron se déchirèrent par orgueil et elle restait là, aux côtés d'Harry, sentant une lourde atmosphère envahir les couloirs du château et les asphyxier petit à petit. Elle lisait des choses effrayantes dans les yeux de Dumbledore et de Severus.
Harry partit en mission, trouver un Horcruxe avec Dumbledore. Cette nuit-là, elle brûla vivant un mangemort qui avait envahi le château, avant de courir avec Ron et Hermione dans la cour. Ils y trouvèrent le corps sans vie de Dumbledore et Harry les rejoignit. Il leur dit que Rogue avait tué le directeur, devant lui. Khorine tomba à terre, un genou, puis l'autre, une larme dévala le long de sa joue, puis une autre, elle ne pleurait pas, les larmes coulaient, silencieusement, et son cœur se brisait, les morceaux se fichaient dans sa poitrine. Si ses lèvres s'étaient entrouvertes, elle aurait hurlé jusqu'à en perdre la voix, mais ses lèvres restèrent scellées et l'éclat dans ses yeux faiblit, faiblit, disparut.
