Chapitre 11

J'étais sous le saule pleureur de Poudlard. Le soleil était brûlant entre les longues feuilles qui ondulaient. J'étais morte... Je la sentais tout près...

-Luna… J'ai terminé… l'anosmie…

Un rire éclatant me parvint, le sien. Mes yeux se remplirent de larmes; un sanglot m'échappa… Luna, je suis tellement désolée, tellement.

-Rejoins-les.

Des larmes m'échappaient, roulant le long de mes joues. Je ne voulais pas.

-Il faudrait que tu chasses tous ces Joncheruines de tes oreilles. Et Neville… Tu demanderas à Neville d'adopter un boursouflet, rose et tout mignon, il faudra qu'il l'appelle Merci.

Toujours le vent dans les branches.

-P-prend ma place; suppliai-je.

-Je suis avec ma maman... Rejoins-les.

Je ne peux pas. Je ne la vois pas.
Et tout explose.

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Il y avait Rogue, à mon chevet. J'étais dans ma chambre de Poudlard, des bandages autour de mes poignets. Il ne dit rien, mon regard vide était fixé dans sa direction mais sans vraiment le voir. Rogue se leva, finalement. Il dit qu'il allait préparer un chaudron de Régénération Sanguine, que je ne devais pas bouger. Mes bagages étaient entreposés près de l'armoire, Rogue était parti… Je récupérai ma baguette sur la table de chevet, me levai avec difficulté.

-Reducto.

Incapable sinon de tout porter. Puis je vacillai hors de la chambre, tout tournait, je ne voyais rien, je ne pouvais pas…Mais je sortis, dans le couloir, je montai des marches. Dehors, le soleil chaud de l'après-midi. Je peinai dans l'herbe du parc, jusqu'aux grilles. Elles s'écartèrent devant moi. Quelques pas, puis je m'écroulai à genou dans la terre, fermai les yeux. Je devais… me concentrer… Me concentrer. Il ne fallait pas me désartibuler maintenant. Il ne fallait pas. Inspiration, expiration, inspiration; puis je transplanai. Et ce ne fut qu'à l'abri, dans ma maison, que je pus enfin m'évanouir.

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J'avais ingurgité tout mon stock de potion de RS, de Vitalisante, de Pimentine; appliqué un baume cicatrisant sur mes poignets. Ce fut vêtue d'une chemise à manche longue que je sortis aider Ron et Hermione à déménager, Mme Weasley me dit que je n'avais pas bonne mine, me donna un panier empli de petits muffins, en offrit à tout le monde, puis dit que son Ronald avait grandi trop vite, pleura.
Elle dut câliner notre ami –aussi rouge qu'un boutefeu chinois- durant une dizaine de minutes avant de consentir à le lâcher, à laisser Mr Weasley dire au revoir à son fils. A leur appartement nous avions installé les meubles, rangé tous les grimoires d'Hermione, commencé à explorer la tuyauterie récalcitrante, à inspecter les dégâts laissés par les précédents locataires. Nous dinâmes tous ensemble. Hermione fixa un nouveau rendez-vous deux jours plus tard, chez eux. Je rentrai en même temps qu'Harry, trop heureuse d'avoir trouvé un peu de répit auprès d'eux. J'avais peur qu'il revienne me chercher.

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Avec mes amis, j'étais de nouveau moi-même. Lorsqu'ils n'étaient pas là, je sombrais. Les jours qui précédèrent la rentrée, je les passai à fixer le vide, sans me nourrir, sans réussir à dormir plus de quelques heures. Lorsque je parvenais à me lever, j'allais étudier un nouveau grimoire et trouver un nouveau sortilège de protection à apposer sur ma maison. Le contrat n'avait pas été détruit. Je savais qu'en ne respectant pas ses clauses, je m'exposais à une obligation magique, de nouvelles chaînes. J'étais terrifiée. Mais une semaine passa sans qu'il ne vienne.

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La rentrée, Harry et Ron qui m'attendaient devant les bâtiments de l'Université des Aurors. J'aurais aimé qu'Hermione soit là. Elle aurait suspecté quelque chose, elle aurait fait des recherches, elle aurait compris, elle m'aurait aidé sans mon accord. Les garçons me dirent seulement que je ne dormais pas assez, que je ne devrais pas travailler aussi longtemps sur mes potions. Nous apprîmes que la plupart de nos cours étaient communs, ainsi que nos ECs (Entraînement au combat); qu'ils avaient cinq heures de pratique supplémentaires par semaine compensées par mes huit heures de cours et de travaux dirigés en plus pour la section Filtres & Antidotes. Il y eut des élèves de Poudlard qui vinrent nous parler, d'autres venant d'écoles privées. Nous échangeâmes quelques mots.

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La section Filtres & Antidotes comprenait quatre modules différents: Histoire des Potions, deux heures par semaine, Sciences naturelles, trois heures par semaine, Biophysique, une heure par semaine, Préparations, deux heures par semaine.
Perte de temps. Je connaissais déjà tout ce qui pouvait être dit en cours, j'avais déjà fait toutes les potions qu'ils demandaient.
Souvent je travaillais avec Harry et Ron, à la bibliothèque, la salle d'entraînement. Nous mangions tous les quatre chaque Dimanche soir au Square Grimmault, au début de White Road (chez Mione et Ronald) ou impasse des Apothicaires (ma maison). Le reste de mon temps libre était dévoré par mes travaux, mes recherches. Je passais des nuits blanches, enfermée dans mon laboratoire. Lorsque je me risquais à fermer les yeux, d'autres, sombres, me brûlaient; il y avait des hurlements, des morts, son souffle rauque, la douleur, mes amis qui agonisaient, et du sang partout, du sang partout…

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-Je vous présente le Maître Nigerus, dont il est inutile de rappeler les prouesses. Le Maître a accepté de superviser cette unique session de Préparation, alors soyez concentrés.

J'avais entendu sans pour autant écouter. Je me fichais de qui pouvait bien assister à ce semblant de formation. Le professeur responsable de notre unité mit le nom de la potion au tableau, les autres sortirent leur manuel, j'allai chercher les ingrédients. Les deux heures qui suivirent furent lentes, d'un ennui mortel… Je rendis une potion parfaite à la fin du cours; me préparais à sortir lorsque:

-Miss?

Je tournai la tête. Le professeur Nigerus s'adressait à moi.

-J'ai noté un oubli de votre manuel et l'utilisation d'ingrédients qui ne se trouvaient pas dans la recette. Veillez à ce que cela ne se reproduise plus.

Je serrai les dents, un semblant d'éclair déchirant le voile devant mes yeux. On ne pouvait pas me critiquer sur mes potions.

-Je n'ai pas oublié mon manuel, je n'en avais pas l'utilité. Et si je trouve que les baies contenant de la miraculine améliore le goût du filtre Fibrosia, c'est mon droit de les rajouter.

Sur ce, j'enfournai mes dernières fioles dans mon sac et sortis de la salle.

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Cela faisait plus d'un mois. Rogue n'était pas venu me chercher. Il y avait des ombres parfois, qui me suivaient, le claquement d'une cape ou de bottes dans mon dos. Des yeux me brûlaient toujours, fixés sur moi. Je ne dormais plus, des migraines effroyables m'empêchaient de suivre les cours. Mes notes étaient toujours excellentes.

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-Miss Lumare, pourriez-vous rester à la fin des deux heures?

J'hochai vaguement la tête avant de commencer la préparation simpliste du Filtre d'Invisibilité. Lorsque j'eus fini, le surveillant me rappela. Les élèves sortirent les uns après les autres, l'homme rondouillard qui me faisait face ne semblait pas menaçant. Il me demanda d'attendre avec lui quelques minutes. Dans ma poche, ma main était crispée sur ma baguette. Quelques temps plus tard, la porte s'ouvrit sur le vieux Nigerus, le surveillant nous laissa en m'adressant un sourire qu'il semblait penser de circonstance.
Le professeur qui me faisait face dans cette classe vide ne souriait pas.

-Khorine Lumare, c'est cela?

-Oui; répondis-je, bien loin de mon état catatonique de ces dernières semaines.

J'étais sur mes gardes.

-Vous m'appellerez Monsieur, Professeur ou Maître lorsque vous vous adresserez à moi.

Ses yeux d'un bleu glacial me transperçaient, son visage était dur, son maintien sévère.

-Oui, Monsieur; répondis-je en relevant le menton.

Il en fallait plus pour m'intimider. J'étais une Gryffondor. Le professeur Nigerus hocha la tête à cela. Satisfait, sans pour autant que son visage ne change d'expression.

-J'ai une proposition à vous faire, Miss Lumare. Il s'agirait d'un apprentissage intensif et de recherches possibles dans mes laboratoires, sous ma supervision. Vous seriez dispensée des heures d'enseignements et de préparations mais pas d'apprendre vos cours par vos manuels, ni des contrôles et des deux examens de l'année, identiques à ceux de vos camarades.

Il se tut. Je réfléchis sans le quitter du regard. C'était l'occasion rêvée d'échapper à tous ces cours inutiles, si un professeur comme Nigerus pouvait m'enseigner, m'orienter dans des recherches passionnantes… Je ne retomberai pas dans un nouveau piège.

-Pourquoi… Monsieur? Grondai-je d'une voix sourde.

-Votre potentiel.

Il ne paraissait pas outré par mon manque de respect. Ça cachait quelque chose.

-J'ai des conditions.

Le professeur Nigerus accepta de les écouter. Je parlai donc, le regard vacillant, les mains jointes devant moi pour me gratter les poignets.

-Je ne veux pas de contrat, aucun contrat.

-C'est entendu; dit-il aussitôt, calme.

Il ne semblait pas tenir à me faire signer quoi que ce soit. Il tenterait sûrement de le faire plus tard, j'allais devoir être sur mes gardes.

-Je ne veux pas être en contact avec les autres. Je ne veux pas travailler ou expérimenter avec eux, je ne veux pas apprendre avec eux.

Aucune réaction négative, il se contenta de m'observer avec attention.

-Les expériences, les recherches ou les potions qui seront de mon fait devront être reconnues comme miennes.

Son regard s'adoucit durant quelques secondes. Puis il acquiesça.
C'était trop simple, trop évident. Un piège, bien sûr. Il me faudrait manœuvrer avec adresse pour lui soustraire tout le savoir possible et profiter de ses laboratoires sans qu'il ne me soutire quoi que ce soit. Je lui montrerai qu'il n'était pas bon de sous-estimer une Lumare et qu'il se mordrait les doigts d'avoir voulu me manipuler.

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Ses cheveux gris étaient rejetés en arrière et sa barbe courte recouvrait tout le bas de son visage, remontait en deux fines lignes jusqu'aux coins de ses lèvres. Ses robes de sorcier étaient blanches, cyan, bleu nuit ou grises. Il ne portait jamais de cape, pas de chapeau bizarre comme Dumbledore. Le professeur Nigerus se tenait souvent les mains dans le dos et faisait les cent pas en enseignant ou en réfléchissant. Ses sourcils étaient presque toujours froncés, son front barré par des rides verticales, ses lèvres pincées, son regard sévère.
Mes remarques brusques, mes attitudes franchement hostiles certains jours ne le troublaient pas. Il pardonnait. On avait dû lui dire que j'étais l'amie du Survivant, que j'avais participé à la Bataille Finale. Ça pouvait excuser beaucoup de choses. Je grattais mes cicatrices lorsque j'étais en colère ou angoissée.

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Le professeur Nigerus respecta toutes les conditions que j'avais imposées. Je ne vis pas un seul des élèves des autres années ou des chercheurs qu'il avait pu accepter dans ses laboratoires. Il n'y avait pas de contrat. Il m'enseigna jusqu'à des niveaux de difficulté encore jamais soupçonnés. C'était fascinant. Et il acceptait de me laisser travailler des nuits entières à ma paillasse, me quittant au soir pour me retrouver le lendemain matin penchée au-dessus de mon chaudron. J'appréciais qu'il ne pose pas de questions… n'étant pas en rapport avec des plantes, des principes actifs ou des potions.

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Après un mois, en plus des cours qu'il me donnait, il me permit de choisir parmi la liste des améliorations souhaitées par plusieurs commanditaires celle sur laquelle je voudrais travailler. Je demandai à m'occuper des exhausteurs de goût…
Mon professeur me sourit pour la première fois, quelques secondes, puis m'enjoignit d'étudier le cahier des charges.

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Il y avait une distance de sécurité, de la largeur de ma paillasse. Le professeur Nigerus n'approchait jamais plus près. Et je ne savais pas si cela venait de moi, ou de lui.

-Votre modulation de la Régénération Sanguine est apte à passer tous les tests de l'Agence nationale de sécurité des potions et de la Commission de Transparence.

Je fronçai les sourcils, de l'autre côté de la table.

-Je ne veux pas la commercialiser.

Son regard s'adoucit, comme plus clair soudain.

-Je vous guiderai dans toutes les étapes administratives et veillerai au respect de toutes les prérogatives qui vous reviennent.

Jamais je n'avais laissé entendre que c'était à cause de la paperasse du gouvernement. Comment pouvait-il savoir?

-Le protocole de votre potion devra d'abord être soumis à l'ANSP qui donnera son Autorisation de mise sur le marché. Etant donné les innovations apportées cela ne devrait pas mettre plus d'un mois. Une fois l'AMM obtenu, et les différents articles qui ne tarderont pas à s'emparer de la nouvelle, vous serez contactée par de nombreux laboratoires de potions qui vous feront des propositions de plus en plus intéressantes pour l'obtention de votre brevet. Libre à vous de choisir avec quelle société vous voulez être associée.

Je déglutis, devant l'ampleur de ce qui me tomberait dessus si Nigerus venait vraiment à proposer ma RS. Mais… il ne semblait pas encore en avoir fini…

-Tout dépendra des ventes engendrées par votre création, bien sûr. Mais étant donné les avantages certains de votre potion et son utilisation dans de nombreux hôpitaux, cliniques, cabinets, dans les sections d'Aurors… Il semblerait que les bénéfices puissent être colossaux.

J'étais vraiment effrayée, et blême, tandis que mon professeur restait neutre dans l'exposé d'horribles faits. Il faisait les cent pas, les mains dans le dos, les sourcils froncés comme à son habitude.

-Il faudra trois procédures pour que votre potion soit commercialisable à l'internationale. Mais nous verrons cela plus tard, Miss Lumare. Ce qu'il vous faut savoir pour l'instant, c'est qu'après l'ANSP, le protocole passera au niveau de la Commission de Transparence pour évaluer le quotient de Bénéfice sur celui des Risques. Et pour finir le CEPS, Comité Economique des Produits de la Santé, se chargera d'établir le prix d'une fiole de potion. Si cela peut vous rassurer, le laboratoire se chargera des modalités administratives dès que vous lui aurez cédé votre brevet.

… J'allais accepter... Mais c'était exactement le moment où Nigerus pourrait essayer de profiter de moi. J'allais demander à Hermione de vérifier chacun des papiers qu'il me demanderait de signer. Je ne pouvais pas lui faire confiance.

-Bien; annonçai-je d'une voix rauque, le regard de nouveau orageux.

Je le défiais de tenter quoi que ce soit contre moi. Lui nota mon changement d'attitude, il hocha lentement la tête acceptant je ne sais quelle fatalité. Puis arrêta de marcher.

-Vous devriez vous abonner à divers mensuels de Potionnistes. Cela vous permettrait d'être immergée dans le monde de la recherche, d'être au courant des dernières avancées et de connaître les critiques que l'on peut formuler aux sujets de vos inventions.

Pas un mot ne quitta mes lèvres. Il faudrait que je réfléchisse avant de formuler quoi que ce soit.

-Le plus célèbre, et celui qui ne manquera pas de parler de vous, est bien sûr Potions Magazine. Je vous demanderai de lire au moins celui-là.

Je commençai à gratter les cicatrices à mon poignet… Rogue était abonné à ce mensuel.