Chapitre 5

Le vendredi soir elle quittait l'hôpital pour passer le week end chez les Potter au Square Grimmault. Hermione et Ron avaient été invités pour l'occasion et se furent les deux jours les plus paisibles et agréables que Khorine ait pu passer depuis bien des mois.

Le feu crépitait dans le salon, la cuisine était toujours aussi grande et lumineuse. Elle entendait parfois l'écho des conversations de l'Ordre, et voyait quelques fantômes, mais ils passaient vite. Elle mangea presque autant que Ron, dormit tout son soûl, lut près de la cheminée en compagnie d'Hermione tandis que les garçons jouaient aux échecs.

Le lundi matin ils partirent tous au Ministère sauf Ginny qui retourna à Ste Mangouste. Khorine était encore trop faible pour participer à un entraînement ou une garde, Harry lui ordonna de rester au département des Mystères pour quelques jours. Elle accepta et ils se séparèrent dans l'ascenseur. Khorine descendit jusqu'au département des Mystères, salua quelques collègues et retrouva le confort et la chaleur de son laboratoire.

Elle en avait presque oublié ses propres expériences qui patientaient gentiment dans des chaudrons à froid. Ce n'était pas l'idéal de reprendre une potion qui avait quitté la chaleur des flammes. Mais il n'était aucune potion qu'elle ne pouvait récupérer. Rogue avait échoué à le lui prouver. Il avait travaillé avec elle. Il l'avait protégée contre Lattrymoor… Il l'avait protégée… Elle se souvenait de sa voix rauque qui l'avait appelée, elle se souvenait du sang et de l'ombre de Rogue qui la recouvrait…

La sorcière secoua la tête et s'empressa de revenir à ses chaudrons. Elle alluma trois petits brasiers et fit léviter les chaudrons jusqu'à eux. Elle feuilleta ses notes, fit voler de la réserve des tentacules de murtlap, de la bave de tourterelle, de l'essence de botruc et du venin de démonzémerveille.

-Au travail; murmura Khorine. Au travail…

Elle devait oublier tout le reste, tout ce qui n'était pas son laboratoire et ses potions. Elle devait oublier.

Il ne fallut que deux jours pour que tout ce qu'elle voulait fuir la rattrape. Tout, ce manifesta en la personne de Lindsforth qui entra dans son laboratoire sans frapper.

Cela avait le don d'agacer Khorine. Son supérieur ne frappait jamais avant d'entrer.

-Khorine! Lança Lindsforth avec enthousiasme.

Khorine se méfia immédiatement.

-Comment avancent vos projets ?

-Ca ne fait que deux jours que j'ai repris mes potions; répondit Khorine très lentement en observant Lindsforth mettre son nez au-dessus de ses chaudrons.

-Très bien, très bien; marmonna le sorcier qui reprit sur le ton de la conversation. Dîtes-moi, vous avez fini d'écrire votre rapport?

-Mon rapport?

-Le rapport de votre dernière mission; répondit Lindsforth en la fixant de ses yeux bleus brillants.

-Effectivement.

-Eh bien voyez-vous, l'employé chargé de récupérer nos rapports s'occupe également de ceux des consultants extérieurs.

-Je vois.

-Oui; poursuivit Lindsforth. Malheureusement certains sont moins réceptifs que d'autres à nos protocoles. Je dirai même qu'après certaines missions des consultants peuvent se cloîtrer chez eux et refuser tout hibou, courrier ou injonction. Ceci embarrasse grandement vos collègues qui tentent en dernière instance de se déplacer jusqu'à leur lieu d'habitation.

-D'accord.

-Bien sûr quelques fortes têtes refusent de coopérer ou d'ouvrir leur porte. Très fâcheux comme situation.

-J'imagine.

Elle se moquait de lui avec son petit sourire en coin. Elle le connaissait trop bien. Lindsforth finit par en venir à l'essentiel:

-Khorine. Je pense pouvoir certifier que vous êtes l'une des seules personnes encore vivantes à pouvoir forcer Severus à ouvrir sa porte.

-Je ne comprends pas, vous n'avez pas déjà essayé?

-Je préfère envoyer sa partenaire de mission. Je pense qu'il vous parlera plus facilement.

-J'ai un léger doute à ce sujet; répondit Khorine avec ironie.

Lindsforth ignora cette intervention et lui demanda de lui remettre le rapport qu'il posait sur sa table de travail.

-Ne partez pas sans ce rapport complété.

-Si je reviens défigurée ou avec un bras en moins j'espère que vous couvrirez les frais d'hospitalisation.

-Cessez de faire la maligne. Vous êtes une des rares sorcières à pouvoir approcher Severus sans subir ce type de dommage; lui rétorqua-t-il en cachant un petit sourire.

La jeune sorcière dut bien accepter la mission que lui donnait son Maître. Celui-ci quitta le laboratoire satisfait. Leur permettre de se revoir hors du laboratoire ne leur ferait pas de mal.

Khorine fixa un moment le parchemin posé près de fioles de bave bleues, puis elle se détourna. Elle verrait après le travail… A 22 h elle finit la dernière étape de sa 3ème potion et put quitter son laboratoire. Le parchemin était resté sagement sur la petite table, il attendrait le lendemain.

Lindsforth passa à 9h tapante le vendredi pour lui demander le rapport de Rogue, qui n'avait pas bougé d'un iota.

-A 17h Lumare vous couperez les feux sous les chaudrons et irez voir Severus!

Khorine grommela vaguement. Mais à l'heure dite son supérieur fit irruption sur son lieu de travail et lui annonça avec une bonhomie exaspérante qu'elle était libre pour la soirée.

-Vous trouverez son adresse en première page du rapport! Lui lança-t-il tandis qu'il refermait la porte en chêne.

Khorine grogna vaguement une réponse et s'éloigna en direction des ascenseurs. Elle se dirigea vers l'aire de transplanage avec le flot des sorciers qui terminaient à 17h, se concentra sur la photo de la maison de Rogue, et transplana. Les nuages étaient gris et bas et pourtant la lumière l'aveuglait. Ce début novembre était remarquablement doux. La brise était fraîche, des feuilles mortes tourbillonnaient au bout de la ruelle où elle avait atterri. Les pavés sous ses pieds étaient disloqués, les maisons qu'elle distinguait maintenant étaient désertes et un silence de mort planait ici. Khorine se sentit soudain oppressée par cet endroit. Elle fronça les sourcils et se tourna vers le n58 de l'Impasse du Tisseur.

Une bicoque rabougrie, maintenue debout par deux bicoques similaires. Elles semblaient toutes rester en place par un effet de masse. Khorine s'avança. Elle toqua à la porte. Un silence de mort lui répondit… Peut-être était-il parti après tout? Ou peut-être ne voulait-il pas lui ouvrir à elle non plus? Après tout, il n'y avait que Lindsforth pour penser qu'un maître des Potions comme Rogue la laisserait simplement entrer dans son antre à bras ouvert.

Khorine soupira. Il ne lui restait plus qu'à repartir. Elle resta un moment de plus devant la porte, fixa chaque fenêtre fermée de la maison, et puis elle se détourna en faisant voler sa cape. Deux pas plus tard la porte d'entrée grinçait.

-Lumare? Que voulez-vous? Grinça une voix familière.

Elle se retourna. Rogue se tenait là, dans le chambranle de la porte. Le voir lui arracha un sourire. Il était toujours en vie, le teint pâle, les cheveux gras, le nez busqué, si grand et tout habillé de noir.

-Je… Je voulais vous remercier; fit-elle. Vous m'avez sauvé la vie.

-Vous n'auriez jamais été en danger si vous vous étiez tenue loin de moi.

Sa voix était rêche, son visage fermé. Peut-être s'en voulait-il pour l'attaque au Ministère?

-C'est mon métier d'être au contact du danger; répondit Khorine en s'avançant d'un pas alors que Rogue restait comme une statue de cire près de sa porte. Vous n'y êtes pour rien. Mais vous m'avez amenée jusqu'à Ste Mangouste. En tant que civil vous…

-Effectivement. Un sorcier civil n'aurait pas dû souffrir d'un garde du corps aussi fragile que vous. J'ai dû porter secours à une auror. C'est bien risible, est-ce pour cela que vous êtes là? Vous ne supportez pas qu'un ancien mangemort ait pu vous surpasser? Vous ne supportez pas le fait que je vous ai sauvé la vie?

Khorine tiqua et serra les dents. Severus Rogue était toujours un salaud, elle n'aurait pas dû l'oublier.

-Je suis ici officiellement sur l'ordre de Lindsforth; lâcha-t-elle sèchement. Je dois revenir avec votre rapport signé.

-Vous avez une curieuse façon de procéder; rétorqua-t-il en haussant un sourcil.

-Ecoutez; souffla Khorine, j'ai été virée de mon laboratoire à 17h pour venir camper à votre porte et récupérer ce rapport. Si vous ne voulez plus me voir, remplissez ce bout de papier.

Il la fixa de son regard de nuit insondable. Ce fut long, un long moment gênant et silencieux. Puis Rogue se décala pour laisser un espace libre entre lui et la porte. Khorine soupira discrètement et s'avança. Ce ne fut qu'en passant le pas de la porte qu'elle fut frappée par l'odeur. C'était une odeur tenace de renfermé, de moisi et de poussières. Elle se retint pour ne rien laisser paraître.

Rogue s'était décalé de manière à ce que la jeune sorcière le frôle en passant. Un frisson le parcourut. Elle apportait une bouffée d'air frais du dehors.

Il referma la porte derrière elle et la mena jusqu'à son petit salon. Le sol était couvert de poussière dans laquelle Khorine laissait ses marques de pas. Des livres et des parchemins s'entassaient au sol, le long des étagères, sur la table en bois et partout ailleurs. Il y avait des verres et des bouteilles d'alcool près du fauteuil principal ainsi que cinq casseroles empilées. Rogue la fixait observer la pièce.

-Nous commençons? Demanda-t-elle.

-Vous n'aimez pas la décoration? L'attaqua-t-il.

Khorine inspira un grand coup, pas trop pour ne pas que ses poumons s'emplissent de poussière. Rogue était un salaud, et en plus il ne lui laissait pas la tâche facile. Elle l'aimait. De tout son cœur. Depuis aussi longtemps qu'elle pouvait s'en souvenir. Se trouver en sa présence était douloureux. Tout ce qu'elle voulait c'était obtenir son rapport rempli et pouvoir retourner souffrir en paix…

-Aimer? Oh si c'est magnifique. Mais j'aurai vu l'empilement de casseroles un peu plus à gauche.

La poussière virevoltait dans une rai de lumière grise. Rogue s'avança jusqu'à elle, elle retint son souffle, il la dépassa pour bouger du pied l'empilement en question.

A ceci elle se prit à sourire; à lui sourire. Rogue la fixait avec impassibilité.

-Où pouvons-nous nous installer pour écrire ce rapport? Fit-elle finalement.

L'ancien mangemort lui indiqua sa vieille table en bois et ils s'installèrent sur deux chaises grinçantes. Khorine était surprise qu'il collabore aussi facilement. Il se rattrapa à coup de sarcasmes, de reniflements méprisants et de ricanements , deux heures après son entrée au 58 de l'Impasse du Tisseur ils apposaient le point final.

Khorine se tourna alors vers lui. Rogue ne dit rien.

Il était visible qu'elle attendait quelque chose. Mais Rogue gardait les lèvres scellées. Il l'avait faite entrer dans sa vieille maison familiale, dégoûtante, empoussiérée et moisie. Elle s'était tenue au milieu de sa déchéance jusqu'à ce que le soleil décline à l' à présent elle allait repartir. Il serait seul à nouveau.

Il y avait de grandes chances qu'ils ne se revoient plus jamais.

La même pensée faisait écho au même moment dans l'esprit de Khorine. Mais ce n'était pas comme si il pouvait s'abaisser à lui demander de rester pour du thé, ou pour dîner. Il n'allait tout de même pas l'inviter à manger dehors, dans un restaurant, avec des gens autour! Ce n'était pas lui. Il ne le ferait pas.

-J'espère; lança Khorine en réussissant à le sortir de ses pensées mouvementées, que vous avez apprécié travailler avec le ministère.

Il lui fit un sourire narquois sans autre forme de réponse. C'était une invitation à déguerpir, elle en était sûre, mais elle tint bon:

-Si vous souhaitez… travailler avec nous. Ou si vous cherchez un poste de chercheur au Département des Mystères… ou si vous voulez répéter ce genre de collaboration je pourrais en toucher deux mots à Lindsforth.

-Qui vous dit que mon emploi actuel ne me satisfait pas Miss Lumare? Répondit-il un sourcil levé pour toute expression.

Il était si pâle sous le néon de cette maison moldue. Ses traits étaient creusés, il avait l'air maigre et malade.

-Loin de moi cette idée. Sachez juste que notre département aurait bien besoin de vous. Vous êtes le meilleur maître des potions de Grande-Bretagne.

Comme il ne répondait rien elle poursuivit:

-En travaillant au Département des Mystères en tant que maître des potions vous aurez plusieurs projets imposés mais vous êtes libres de mener autant d'autres recherches que vous le désirez en utilisant les moyens du Ministère. Vous aurez un laboratoire personnel que vous pourrez aménager. Vous choisirez vos horaires de travail…

Elle ne savait plus quoi dire. Vendre un boulot au Ministère à quelqu'un comme Rogue était pitoyable. Elle s'en rendait compte. Le visage de Rogue était étudié pour rester neutre et ne pas renvoyer tout le mépris qu'elle et son offre lui inspiraient. Elle se sentait seule, fatiguée et misérable. Et pourtant elle ne voulait pas partir. Elle ne pouvait pas. C'était la dernière fois qu'elle verrait Rogue. La même scène qu'à Ste Mangouste se répétait. Elle le voyait si pâle et seul et devait le quitter.

-Je réfléchirai à votre offre Lumare; susurra soudain Rogue du bout des lèvres.

La jeune sorcière cligna des yeux. Est-ce qu'il se moquait d'elle? Elle le fixa muette d'étonnement. Les traits de Rogue s'étaient adoucis un avait aperçu une étincelle dans son regard avant qu'il ne ferme les yeux et que tout redevienne sombre.

-Très bien… Alors… A bientôt?

-Je réfléchirai à votre offre; répéta-t-il en la fixant.

Elle hocha la tête bêtement et puis se leva de sa chaise. Rogue la raccompagna jusqu'à la porte. Il la referma derrière elle. Khorine se retrouva seule dans l'impasse déserte avec l'impression que ses rêves les plus fous avaient été exaucés. Il avait dit qu'il «réfléchirait». C'était de l'espoir qu'il lui avait donné. Elle pouvait tenir un millier d'années dans l'espoir de le revoir!

La jeune femme sourit, ses cheveux ondulant dans le vent. Elle s'éloigna. Ses pas la menèrent jusqu'à un endroit discret et elle transplana.