Chapitre 8

Elle revint à Poudlard quatre jours plus tard, en début d'après-midi, suite à une missive de Pomfresh. L'infirmerie était encore pleine de blessés, elle sentait flotter l'odeur de sang séché, la transpiration... L'infirmière l'attendait dans son bureau, en compagnie de Severus Rogue.

-Comment allez-vous Miss Magellus?

-Bien; répondit sobrement la jeune femme.

L'infirmière fronça les sourcils. Khorine ne s'en rendit pas compte. Elle était fatiguée, fatiguée… Devoir encore être face à Severus la drainait de ses dernières forces. Son cœur se déchirait, encore et encore et encore, et encore et encore…

-Inutile de nous faire perdre notre temps avec vos mensonges infantiles. Plus vous hésitez à nous révéler votre véritable état et moins nous serons en mesure de vous procurer les soins adéquats; entendit-elle siffler.

Elle releva un regard brumeux vers son ancien professeur de Potions. A quoi cela lui servait-il? De vivre? De souffrir encore? Elle avait souffert, ces douze dernières années, à force d'espérer un signe de lui, un hochement de tête, un regard, son prénom murmuré dans un souffle, elle l'avait espéré, elle n'en pouvait plus. Sa vie prendrait fin aussi misérablement qu'elle avait commencé.

-Miss Magellus, vous êtes bien pâle par rapport à notre dernier rendez-vous; entendit-elle s'élever la voix de Mme Pomfresh. Nous aimerions seulement savoir s'il y a de quelconques signes inhabituels. De la fatigue peut-être, ou des crampes?

-Non; mentit-elle dans un souffle.

L'infirmière jeta un regard au maître des Potions, qui pour sa part, ne lâchait pas du regard la jeune sorcière. Elle, qui tremblait faiblement, blême, le regard dans le vague. Il la sondait et son regard la brûlait. Un long frisson la parcourut et elle releva les yeux.

-Bien…; dit l'infirmière pour briser ce silence. J'ai bien peur que sans l'utilisation de la magie, les bilans que l'ont peut faire se réduisent aux basiques moldus. Suivez-moi, nous allons faire votre bilan. Severus, si vous pouvez patienter un instant…

La jeune femme fut invitée à suivre l'infirmière derrière un rideau blanc. Elle lui prit sa température, elle enleva tee-shirt et pantalon et monta sur une balance puis Pomfresh écouta les battements de son cœur, son rythme cardiaque, examina et palpa sa peau, ses bras. Lorsque Khorine put enfin se rhabiller, Mme Pomfresh finissait de noter ses dernières mesures. La vieille femme semblait inquiète.

-Miss Magellus… Ce bilan… n'est pas très bon.

Khorine cligna des yeux, puis un long soupir lui échappa.

-Je sais; répondit-elle dans un murmure.

-Permettez-vous que je partage ces données avec votre maître des Potions?

-Pourquoi?

-Elles seront utiles pour votre suivi et Severus a jugé plus opportun qu'il se déroule à Poudlard.

-Pardon?

-Oui… Eh bien… Severus a fini la potion qu'il vous destinait. Une potion qui devrait emprisonner la magie noire présente dans votre organisme dans un endroit tout à fait limité, ceci en attendant que…

Le rideau bruissa et Severus fut dans la pièce, interrompant l'infirmière.

-Pomona, nous en avons déjà discuté; sembla-t-il la rappeler à l'ordre.

Khorine ne comprit pas et ne s'en inquièta pas, elle était dans un brouillard sombre et dense. Elle ne parvenait plus à penser, juste à ressentir de manière étouffée la douleur et l'abandon. Son père était parti. Ses meilleurs amis… Elle… Elle ne voulait pas les inquiéter.

-Magellus; l'appela sèchement le maître des Potions.

Cela lui fit relever la tête malgré elle.

-La potion que j'ai préparé devra être prise tous les jours. Elle enfermera le sortilège de magie noire autour de l'endroit où il vous a frappé, dans votre cas près du cœur. Cette potion a de nombreux effets indésirables. Vous resterez donc ici, à Poudlard, dans des appartements protégés de toute magie extérieure… dans mes quartiers, pour que je puisse vous surveiller en permanence.

Khorine écarquilla grand les yeux. Non. Non. Elle n'en pouvait plus. Elle ne pouvait pas vivre avec lui, dans les mêmes quartiers, le voir tous les jours. Non.

-Non; murmura-t-elle.

Mme Pomfresh entendit la détresse dans la voix de sa patiente, elle éleva la main pour la rassurer mais fut coupée par la voix glaciale du maître des potions:

-Vous n'avez pas le choix Miss Magellus. Il n'existe pas d'autres alternatives. A moins que vous ne souhaitiez abandonner?

-Abandonner? Murmura-t-elle vaguement.

Elle? Abandonner? Elle était une Gryffondor. Elle n'abandonnerait pas.

- Non…; reprit-elle. Je n'abandonne pas.

Elle n'abandonnait pas. Pomfresh appela un elfe pour annoncer au Square Grimmault qu'elle restait à Poudlard. Il revint avec quelques-unes de ses affaires et les suivit elle et Severus alors qu'ils s'enfonçaient dans les cachots du château. Severus lui ouvrit une porte au fond du couloir qui menait à sa propre chambre et à la salle de bain. La pièce était assez grande avec un lit à baldaquin, un bureau, une bibliothèque recouvrant tout un pan de mur et deux fauteuils; dans les tons vert forêt, noir et argent. Khorine ne dit rien et Severus lui indiqua qu'elle prendrait la potion à la première heure le lendemain matin avant de claquer la porte derrière lui.

Khorine s'assit dans un des fauteuils. Elle était fatiguée. Son regard se perdit dans le vague et les heures s'étiolèrent, lentement, lentement. Deux coups furent toqués à sa porte. Elle tourna la tête vers la poignée qui tournaient et Severus fut de nouveau face à elle, arborant une grimace de mauvais augure.

-Vos amis tambourinent à la porte depuis une bonne dizaine de minutes. Si vous ne les faîtes pas partir, je m'en occuperai personnellement.

Khorine cligna des yeux et se leva, elle s'avança dans la pièce, portée par une énergie qu'elle ne pensait pas posséder, et passa devant Severus avant de traverser le couloir, le salon, d'ouvrir cette grande porte d'entrée et de faire face à quatre visages amis et inquiets. Harry, Ginny, Hermione, Ron, ils l'entraînèrent avec eux, hors des cachots et ils parlaient. Elle fut éblouie par la violente clarté du monde extérieure.

-Avec Rogue! Rogue! Non mais si c'est pas la pire chose qui pouvait t'arriver!

-Ron; le réprimanda Hermione.

Khorine acquiesça faiblement. Harry fronçait les sourcils et ils étaient tous cinq assis sous un des saules pleureurs du parc.

-Je… Ne vous ai pas parlé de ce que j'ai vu, cette nuit-là, dans la pensine… Les souvenirs que Rogue m'a donné; murmura Harry.

Un lourd silence sembla soudain peser autour du petit groupe.

-Ça expliquait tout. Le plan de Dumbledore, ce que je devais faire, pourquoi je pouvais faire confiance à Rogue.

Khorine sortit, d'une voix enrouée:

-Son patronus… c'est une biche.

-Non? La biche de la mère d'Harry? Comprit aussitôt Hermione. Mais alors…

-Attendez une minute…; fit Ron. Alors, ça voudrait dire que…

-Rogue était amoureux de ta mère? Compléta Ginny avec une drôle de grimace.

Il n'y avait pas à dire, cela faisait toujours aussi mal. Khorine en était malade. Elle ne pouvait pas s'arracher de la poitrine l'amour qu'elle éprouvait pour Rogue. Et elle ne pouvait continuer ainsi, sans aucune chance d'être aimée en retour, sans aucune chance, jamais.

-Je ne crois pas; répondit lentement Harry passant la main dans ses cheveux ébouriffés.

Il y eut des soupirs de soulagement du côté des Weasley. Khorine ne comprenait pas.

-Ils étaient amis, dans l'enfance. C'est ce que j'ai vu. Et…

-Tu n'es pas obligé de nous révéler tout ça, si tu penses que c'est entre le professeur Rogue et toi; proposa Hermione mais l'idée fut repoussée par Ron et Ginny, et Khorine mentalement.

-Si, c'est important; répondit Harry. Il y avait un souvenir en particulier, Rogue était avec Dumbledore et il a fait apparaître la biche devant lui et Dumbledore avait l'air surpris, il lui a demandé:«Après tout ce temps?» et Rogue l'a regardé, vraiment regardé et il y avait de la colère, il lui a répondu: «Toujours». Et ensuite Dumbledore s'est avancé et lui a dit:«La guerre finira un jour, Severus». J'ai réfléchi à ce que ça voulait dire, à ce que Dumbledore voulait dire. Je crois que si le Patronus de Rogue est une biche, c'est parce que ma mère est morte et qu'elle représente tout ce pourquoi Rogue a rejoint Dumbledore et l'Ordre du Phénix.

-Quoi? Tu veux dire que Rogue aime ta mère parce qu'elle est morte?

-Non triple buse! S'exclama Hermione en lui frappant l'arrière de la tête. Il veut dire que le patronus du professeur Rogue représente tout ce qu'il a choisi de protéger et que Dumbledore lui a rappelé qu'à la fin de la guerre il aura réussi.

-Oh; comprit Ron en se frottant l'arrière du crâne.

Alors… son patronus allait changer; comprit Khorine. Et si ces souvenirs heureux représentaient sa rédemption et non son amour inconditionnel pour Lily, alors Khorine avait le droit d'espérer. Elle pouvait… espérer… encore… Une lueur reparut dans ses yeux, son visage reprit des couleurs et ses lèvres exsangues s'étirèrent en un début de sourire. Tant qu'elle pouvait espérer… Oui, tant qu'elle le pouvait…

Ils finirent par rentrer au château, lentement, à son rythme et l'escortèrent jusqu'aux appartements de Rogue en lui promettant de revenir le lendemain.

Elle leur sourit, et les regarda s'éloigner puis disparaître au bout du couloir. Khorine toqua à la porte et attendit que son maître des potions apparaisse devant elle.

-Hâtez-vous. Le dîner sera bientôt servi.

-Doit-on retourner dans le Grand Hall?

-Certainement pas; trancha-t-il. Vous resterez dans mes appartements.

Khorine ne comprenait pas, elle venait d'en sortir pour retrouver ses amis, alors pourquoi… La porte se referma brusquement derrière elle. Elle sursauta, puis releva les yeux vers Severus à deux pas d'elle dans l'étroit corridor menant à son salon. Il la fixait de son regard de nuit, insondable. Il y eut un étrange silence. Khorine était transpercée par ces orbes noirs, elle… elle avait une mèche qui ondulait sur son front. Elle la remit délicatement derrière son oreille et puis soudain, Rogue se détourna. Inspirant aussi discrètement que possible Khorine le suivit, son cœur tambourinant encore dans sa poitrine. Rogue s'approcha d'un petit cabinet du salon, tendit une main pour l'ouvrir puis se détourna et choisit à la place de s'asseoir dans un fauteuil de cuir sombre et de reprendre sa lecture du Daily Prophet.

Khorine hésita, au seuil du salon. Elle n'allait pas repartir s'enfermer dans sa chambre. Ce qu'elle voulait… Oui, ce qu'elle voulait c'était passer un peu de temps avec lui, dans ce fauteuil face à la cheminée, avec un bon livre dans les mains et savoir qu'il était là, tout près, entendre le froissement des pages de son journal, comme bien des années auparavant. Elle demanda à Rogue le privilège de lui emprunter un des livres trônant sur les étagères proches de lui. Il le lui accorda du bout des lèvres. Un livre de Shen Nong -censé avoir disparu de la surface de la terre- entre les mains, elle prit place face à lui et il ne broncha pas.

Bien sûr, d'être de nouveau en sa compagnie lui rappelait des souvenirs, des souvenirs d'enfant. Mais l'amour qu'elle lui portait n'était plus le même que douze ans auparavant. Elle avait grandi, elle avait mûri, elle avait découvert ce qu'était le désir, l'attente, l'équilibre instable entre désespoir et espoir, le besoin. La vision enfantine qu'elle avait eue de lui s'était teintée d'ombres nouvelles, et de lumières. Et là, en cet instant, le simple fait de pouvoir bénéficier de sa présence silencieuse à ses côtés était délicieusement agréable. Délicieusement… agréable…

Les doigts de la jeune fille caressaient distraitement la couverture en cuir du très précieux ouvrage du Pen-ts'ao king. Rogue ne tiqua pas. La danse de ces doigts fins et blancs, subtiles caresses aériennes, était si délicate. Il devint ostensible que Rogue fixait ses mouvements mais Khorine ne voyait rien, perdue dans ses pensées. Il y eut soudain un craquement sec et Khorine sursauta, Rogue reprit ses esprits, les elfes venaient d'apporter le dîner. Ils se levèrent et s'assirent l'un en face de l'autre devant une soupe de potirons, du pain de campagne, du fromage et des crudités. Le début du repas fut silencieux.

-Le sel, je vous prie.

Khorine le lui tendit et elle sentit la chaleur des doigts de son maître des potions. Pour cacher son trouble elle demanda aussitôt:

-Je me demandais comment vous aviez préparé ma potion.

-Comment préparer une potion ? Voilà une question qui aurait dû être posée durant votre première année.

Khorine fronça les sourcils, piquée:

-Parce que vous ne me pensez pas capabled'en confectionner?

-Etrangement, votre intonation laisse à penser que c'est une question; se délecta Rogue avec un rictus dédaigneux.

-J'ai eu un Optimal à mes Buses en Potion.

-Et de nombreux Acceptable durant vos années de cours, si je ne m'abuse.

Khorine fit un geste irrité avec sa cuillère avant de la retremper dans son potage. Il n'avouerait jamais qu'elle valait quelque chose en Potions. C'était peine perdue. Pourquoi s'obstinait-elle à chaque fois?

-Je vous prouverai que je vaux quelque chose!

-Si vous survivez; lâcha-t-il en reniflant.

Elle survivrait, sans aucun doute. Severus lui avait préparé une potion.

-Je peux vous le prouver dès maintenant. Nous sommes dans vos appartements, nous avons accès au laboratoire. Je peux…

-Vous laisser gâcher mes ingrédients? Aussi tentante que soit l'idée, la réponse est non.

-Je veux vous aider à préparer la prochaine potion; contra-t-elle. Celle que vous allez utiliser pour augmenter la puissance thérapeutique des dédalines. Je sais que vous allez en fabriquer une.

-Le savez-vous? rétorqua Rogue, un sourcil légèrement haussé.

Khorine avala une grosse cuillérée de soupe et se brûla les lèvres. Ses yeux se mouillèrent de larmes, elle avala, puis brandit de nouveau sa cuillère vers le sorcier:

-Vous ne pouvez pas me laisser seule dans ma chambre pendant que vous confectionnerez votre potion. Je devrai être là, autant me laisser me rendre utile.

Rogue éleva une cuillère de bouillon de potiron, souffla dessus du bout des lèvres, puis but. Lui ne se brûla pas bêtement et répondit avec un flegme qui le caractérisait:

-Nous verrons cela, en temps voulu. En attendant, surveillez vos manières.

Il ne dit rien d'autre et cela ressemblait encore à une victoire pour Rogue. Khorine se renfrogna, le nez au-dessus de sa soupe, retrouvant les manières de Gryffondor bornée qui la caractérisait. Après dîner, ils rejoignirent leurs fauteuils devant le feu de cheminée et Khorine se plongea enfin dans la lecture du vénérable Pen-ts'ao king. Un elfe apporta deux tasses de tisane qu'ils sirotèrent. C'était étrangement calme et serein. La guerre était finie… Les minutes s'écoulaient, doucement. Le livre était fascinant. Fascinant… Sa tête penchait sur le côté. Ses yeux fatigués se fermaient tout seuls.

Khorine finit par s'excuser et partit se coucher, suivie du regard par le maître des potions jusqu'à ce que la porte se referme derrière elle.

Le lendemain, elle fut réveillée par le vif éclat du soleil. Il était neuf heures passées. Sursautant, elle se dépêcha de s'habiller et de rejoindre le salon, où Rogue lisait.

-Bonjour, professeur; lança-t-elle ses yeux océan encore embrumés par la fatigue.

-De même; lâcha-t-il. Asseyez-vous.

D'un mouvement de baguette il fit apparaître un plateau avec une pomme, une tasse d'earl grey, quatre tranches de pain de campagne, du beurre et de la confiture de fruits rouges. La jeune sorcière s'attacha à tout manger avec voracité ce qui ne manqua pas de faire lever un sourcil à Rogue.

-Madame Weasley m'avait pourtant indiqué une perte d'appétit vous concernant.

-Je l'ai retrouvé; rétorqua Khorine avant de mordre dans une tartine.

Elle se rappelait très peu de ses derniers jours au Square Grimmault, il y avait juste la peine, une peine atroce, qui brouillait tout le reste.

-Lorsque vous aurez fini votre repas, vous boirez ceci; ordonna Severus en sortant d'une poche de sa robe de sorcier une fiole au contenu violet grumeleux.

Elle avança doucement la main pour saisir le flacon de cristal.

-Et ensuite, je pourrais vous rejoindre au laboratoire.

-Si vous parvenez à tenir debout. La potion que vous tenez entre vos doigts à de nombreux effets indésirables.

Khorine renifla avec un brin d'arrogance. Et, dès la dernière miette de pain avalée, déboucha le flacon et le vida cul-sec. Durant le reste de la matinée, elle fut clouée au lit par une douleur atroce. Rogue resta à son chevet.

Des gémissements de douleur échappaient à Khorine, alors que la magie noire était arrachée des endroits qu'elle avait conquis, enfermée de plus en plus étroitement dans sa cage thoracique. C'était atroce.

-D'après mes calculs, ses effets thérapeutiques devraient durer au moins dix jours. Ensuite, il faudra en reprendre. Je peux vous assurer qu'il serait plus douloureux de laisser la magie noire se libérer plutôt que de boire une nouvelle fois de cette potion.

Khorine, submergée par une nouvelle vague de douleur, attrapa la main de Rogue à proximité et la broya dans la sienne. Il la laissa faire. Les doigts fins de l'autre main s'aventurèrent même à détacher de son front baigné de sueur quelques mèches collées. Elle sentit aussi à plusieurs reprises un linge froid contre son front. Elle perdit conscience, se réveilla, la souffrance toujours là, entêtante. Aux alentours de deux heures de l'après-midi elle ne devint plus qu'un bruit sourd et Khorine se risqua à lâcher la main de son maître des potions.

Ce dernier la ramena à lui lentement, en étirant ses longs doigts engourdis.

-Avez-vous faim?

-J'ai soif; murmura la jeune femme d'une voix enrouée.

Et alors que l'homme se levait, elle ajouta:

-Et faim.

-Essayez de vous asseoir contre le montant de votre lit, je reviens.

Par Merlin, elle ne devait pas avoir très fière allure, elle sentait la sueur dans son cou, sur son corps, collant ses cheveux à son visage, ses joues étaient brûlantes, et son haleine du matin était horrible. Mais quoi qu'elle eût souhaité faire pour y remédier, elle ne parvint qu'à grand peine à se hisser en position assise avant que le maître des potions ne revienne. Il portait un plateau où trônait un bol de bouillon de poulet, deux verres et une carafe d'eau. Khorine accueillit le tout en déglutissant et s'empressa de faire honneur au repas. Rogue l'observait faire en buvant son eau à petite gorgées.

-Vous… n'avez pas faim? Demanda Khorine entre une inspiration et une cuillère de bouillon.

-Occupez-vous de vos affaires ; rétorqua l'homme.

Khorine se redressa et cessa de manger, le fixant. Il y eut un silence. Long. Puis Rogue se leva et sortit de la chambre dans une envolée de robe. Elle pensa qu'il l'avait abandonnée à son bouillon et à sa solitude et essayait de tempérer sa tristesse lorsque Rogue reparut, un autre plateau entre ses longues mains fines.

La gryffondor, ébahie, le fixa renifler dédaigneusement et s'installer à ses côtés. Le reste du repas se déroula en silence.

Elle put quitter son lit quelques heures plus tard et passer dans le salon où ses amis apparurent. Rogue s'enferma dans son laboratoire. Dès qu'Harry, Hermione, Ron et Ginny partirent, Khorine le rejoignit. Et durant les quelques jours qui suivirent, elle parvint à l'assister dans la fabrication de la potentia tensum, la potion qui décuplerait le potentiel magique des dédalines. Elle n'en avait jamais entendu parler avant que Rogue ne commence à la brasser. Elle découvrait les ingrédients au fur et à mesure qu'il la laissait les préparer. Couper, hacher, broyer, pilonner, arracher, scarifier, écraser, peler, cela lui demandait une énergie importante. Au troisième jour elle devait s'asseoir devant la paillasse pour tenir le rythme. Au quatrième elle haletait au moindre effort. Rogue l'obligea à arrêter. Il lui mit le Pen Tsao king entre les mains et lui ordonna de ne plus toucher à rien d'autre.

Khorine obéit, secrètement fière d'avoir tenu jusqu'à ce qu'il la force à arrêter. C'était d'une idiotie sans nom. Durant le déjeuner qui suivit il lui fit comprendre qu'il était hors de question qu'elle revienne à la paillasse. Khorine hocha silencieusement la tête, elle n'aurait de toute façon pas pu le faire. Il y eut un silence, puis de manière tout à fait inattendu, Rogue lui demanda:

-Que comptez-vous faire, si vous survivez?

La jeune femme eut un sourire espiègle et une lueur étincela dans ses yeux bleus fatigués:

-Devenir maîtresse des potions et faire de la recherche.

-Encore cette fantaisie; grimaça Rogue. Savez-vous seulement ce qu'il faut faire pour devenir maîtresse des potions?

-Trouver un maître qui acceptera de me prendre en apprentissage pendant trois ans, puis passer le concours d'entrée dans l'Ordre.

-Et où allez-vous trouver un maître?

Khorine piqua trois haricots et les mâcha lentement avant de marmonner :

-Il pourrait être plus près que vous ne le croyez.

Il y eut un silence et chacun mangeait des petits morceaux du délicieux rôti de porc accompagné de haricots et de pommes de terre bouillies. Khorine ne levait pas les yeux de son assiette, Rogue fronçait les sourcils.

Elle essaierait de devenir son apprentie, elle sentait qu'elle était faite pour être son apprentie... Mais s'il la refusait encore, elle devrait trouver un autre maître. Sa poitrine se comprima et elle toussa. La douleur ne fit qu'empirer. Elle toussa encore, une toux caverneuse, qui résonna dans tout son corps. Une douleur fulgurante la fit se tordre en deux.

-Magellus; appela Rogue.

Khorine leva ses beaux yeux bleus vers lui, brouillés par la douleur. Une toux incontrôlable la reprit. Des gouttes de sang furent projetées sur la table. Rogue se leva aussitôt, elle entendit le raclement de sa chaise. La toux la reprit et cette fois, un jet de sang lui gicla dans la main.

-Sev…

Elle se leva, faisant un pas vers lui, avant qu'un liquide chaud et visqueux ne lui coule du nez et de la bouche. Ses oreilles bourdonnèrent atrocement, elle ne voyait plus rien. Severus. Khorine perdit connaissance. Rogue la rattrapa contre sa poitrine.

-Magellus? Magellus?

Des flots de sang s'écoulaient des commissures de la bouche de la jeune femme. Rogue blêmit violemment, avant de prendre le corps dans ses bras et de courir.

-Pomona!

-Oh Merlin; lâcha l'infirmière en voyant arriver la sorcière inconsciente et Rogue couvert de sang. Posez-la sur ce lit.

Poppy revint en courant avec plusieurs fioles pour trouver le corps de la jeune femme tressautant et Rogue l'agrippant par les épaules.

-La potion ne fait plus effet; lâcha-t-il entre ses mâchoires serrées, il faut augmenter les doses. Passez à vingt-sept millilitres, pas une goutte de plus.

L'infirmière mesura les vingt-sept millilitres et les approcha de la bouche de la sorcière qui laissa échapper un nouveau filet de sang. Rogue la tenait toujours. Il lâcha une de ses épaules pour lui maintenir la tête. L'infirmière lui fit avaler la potion puis lui administra de la régénération sanguine et de la goutte du mort vivant.

Lorsque l'état de la jeune femme se fut stabilisé et qu'elle ne tressautait ni ne crachait plus de sang, l'infirmière s'écarta et marmonna qu'elle allait prévenir Minerva et les trois Gryffondor au Square Grimmault. Rogue tenait encore les épaules de la jeune femme, un rideau de cheveux noirs cachant son visage à l'infirmière.

-Ne vous inquiétez pas Severus; murmura Poppy.

Rogue ne réagit pas. Il ne l'entendit pas.

Lorsqu'Harry, Ron et Hermione coururent au chevet de leur amie, ils trouvèrent leur professeur de potion dans cette même position.

-Khorine! Est-ce qu'elle va bien? Lança Ronald en s'avançant.

Rogue ne répondit pas, mais il desserra sa poigne. Il finit par se redresser, les bras tombant de chaque côté de son corps fin, et quitta l'infirmerie sans un mot ni un regard pour personne. Les trois amis n'y firent pas attention et se ruèrent près de Khorine, qui était en vie, elle respirait. Du sang, beaucoup de sang, tâchait les draps blancs de l'infirmerie.

-Est-ce qu'elle va…

-Elle devrait tenir encore quelques jours; murmura l'infirmière.

-Quelques… jours…; répéta Harry, blême.

Hermione éclata en sanglot et les trois amis s'assirent au chevet de Khorine, lui tenant la main et priant Merlin pour un miracle.

Le miracle, sous la forme de Livius, apparut deux jours plus tard. Il apportait une sacoche remplie de Stapelianthus decaryi, plante endémique malgache, qu'il courut apporter à Rogue avant de rejoindre Hermione, Harry et Ron au chevet de sa fille. Son état s'était détérioré, elle respirait difficilement, sa peau transparente laissant courir de nombreuses veines bleues et vertes se teintant de noir au fil des heures. Khorine gémissait à intervalles réguliers, faiblement. De plus en plus faiblement.

Il ne lui restait plus longtemps à vivre. Un râle s'échappa de la gorge de la sorcière. Elle lutta pour avaler une goulée d'air. Et puis sa poitrine retomba. Les portes de l'infirmerie s'ouvrirent violemment et Rogue fonça vers Khorine. C'était la première fois que les Gryffondor le voyaient vraiment courir. Livius et Ron s'écartèrent aussitôt pour permettre à Rogue de s'agenouiller, de prendre la tête de Khorine et de lui verser en une fois toute une fiole de potion dans la bouche.

Khorine ne respirait plus.

-Magellus; appela Rogue d'une voix rauque.

Sa main droite était crispée dans les cheveux de la sorcière.

-Magellus; appela-t-il de nouveau. Magellus!

Un tressaillement dans la main de Khorine. Elle entendait Severus l'appeler. Elle devait… le… rejoindre. Elle entendait sa voix, encore, elle respirait, l'air frais entrait et sortait de ses poumons gorgés de sang. Un liquide épais lui échappait de la bouche, la douleur grandissait, grandissait, Severus l'appelait, Livius était là, il lui caressait l'autre main et Hermione sanglotait, Harry et Ron n'étaient sûrement pas loin. Khorine sourit en dépit de la terrible souffrance qui la tailladait. La vie valait vraiment la peine d'être vécue. Une nouvelle vague de souffrance la traversa, atroce, elle inspira, puis tout se brouilla, sa tête retomba contre l'oreiller.