Chapitre 6
Les mois passèrent. Des attaques de pseudo-mangemorts se multiplièrent, plus violentes, plus rapprochées. Harry, Ron et elle étaient débordés. Elle n'avait presque plus le temps pour ses potions.
Ils n'arrivaient pas à trouver ceux qui tiraient les ficelles. Les sorciers et sorcières capturés après les attaques n'avaient pas la marque des Ténèbres. Ils avaient entre 19 et 63 ans, tous du Royaume-Unis excepté deux français expatriés et un serbe. Ils ne parlaient pas. Leur défense était invariablement qu'ils avaient agi sous Imperium.
Les rues ne devenaient plus sûres, les gens avaient peur de sortir. Les attaques n'avaient aucun lien entre elles et laissaient souvent des morts et des blessés graves. Elles étaient toutes concentrées sur l'Angleterre. Harry, Ron, elle et de nombreux aurors passaient des nuits blanches à éplucher les dossiers des prisonniers, réécouter les témoignages et reprendre les indices.
Khorine avait eu l'idée d'étudier les baguettes et les derniers sorts qu'ils avaient jeté. Que des Avada Kedavra. Tous. Les sorciers, les sorcières, les adolescents, les adultes. Ils avaient tous voulu tuer.
Parfois… elle repensait à Severus. Il lui arrivait d'apparaître devant ses yeux fatigués. Elle se demandait comment il aurait fait pour résoudre tous ces crimes.
Ce soir par exemple… alors qu'elle divaguait à moitié le nez dans son bol de soupe, au milieu de la paperasse, des collègues, près de Ron qui ronflait en bavant sur un de leurs rapports, elle s'imaginait le voir, comme une ombre se découpant parmi les autres ombres. Elle l'imaginait s'approcher lentement, son regard d'onyx rivé sur elle. Elle le voyait se pencher et…
-Je le savais! Balança Hermione en entrant comme une furie dans leur quartier général. Je le savais!
Elle laissa tomber tous ses dossiers sur la table, réveillant Ron en sursaut.
-Hein? De quoi?
Il avait la main à la baguette, qu'il relâcha lentement. Hermione pointait tous ses dossiers, l'air satisfait. Ils savaient déjà tous les trois qu'elle savait… qu'elle savait… quelque chose…
-Qu'est-ce que ces suspects ont tous en commun? A votre avis?
-Ce sont des sorciers; commença Ron de bonne grâce, ou sorcières. Presque tous du Royaume-Uni.
-Et il n'y a aucun mangemort; continua Khorine.
-Mais cela aurait pu. Je ne m'étonnerai pas si l'une des prochaines attaques était causée par un ancien mangemort.
-Qu'est-ce que tu veux dire?
-Vous ne voyez donc pas? Regardez. C'est le sang!
-Le sang; murmura Ron en se frottant le menton, les cheveux en pétard.
Harry remonta ses lunettes en fronçant les sourcils. Khorine repoussa son bol pour mieux se concentrer.
-Le sang? Il n'y a pas que des sangs-purs, on s'est assuré de ça dès le début; dit Harry.
-Ce ne sont pas les sangs-purs le problème; affirma Hermione les yeux brillants. Ce sont les Nés-moldus. Pas un seul Né-moldu d'inculper alors que la plupart des cibles sont des sangs-purs et que les autres sont des sangs-mêlés.
-Mais Mione… C'est impo…
-Non Ron; le coupa Khorine. Rappelle-toi de Lattrymoor. Il a avoué qu'il ne supportait pas ces temps de Paix imposés depuis la victoire à cause des atrocités qui n'avaient pas été punies.
-Beaucoup de sorciers, et des moldus aussi, ont soufferts durant cette guerre. Certains pourraient trouver les mesures prises par Shackelbot trop clémentes par rapport à leurs souffrances.
-Alors… Tous les sorciers que nous avons emprisonnés ont bien été victimes d'Imperium; lâcha Harry.
-Je pense; répondit Hermione. Je pense aussi qu'un de leur but est d'éradiquer de la surface de l'Angleterre toutes les familles de Sangs-Purs… dans un premier temps… Regardez.
Elle sortit de sous ses dossiers un long parchemin enroulé et ramifié de nombreux arbres généalogiques.
-La famille des Parkinson s'est éteinte, celle des Goyle ne tient qu'à la vie de Gregory. Les deux sœurs Grey sont mortes de leurs blessures. Les McAvayn et les Burstree ont été tués sur place…
-Il y a de nombreuses autres familles de sorciers qui ont été tués ou grièvement blessés lors des attaques; coupa Khorine.
-Oui mais…
-Vous voulez dire que notre famille pourrait être attaquée? Demanda Ron tout blanc. Nous sommes censés être des sangs-purs. Ils pourraient attaquer les Weasley?
-Je pense que oui.
-Je vais les dégommer! cracha son mari d'une voix déformée par la rage.
-Essayons de rester calme; tempéra Khorine qui était également une Sang-Pur. Il faut procéder par étape. Si le but de ces personnes est d'éradiquer tous les Sangs-Purs, pourquoi est-ce qu'ils s'attaquent aussi aux Sangs-Mêlés? Nous n'avons pas encore vérifié mais il est possible que des Nés-Moldus aient également été tués.
-Dégâts collatéraux? Proposa Harry. Ou alors… Ou alors ils ont des critères. Ils pourraient regarder la généalogie de leurs cibles, ou leur entourage, ou leurs idées politiques.
-C'est une bonne piste; concéda Hermione.
Ron et Khorine hochèrent la tête. Il y eut un instant de silence où tous se regardèrent gravement.
-Bon il est tard; fit Harry en remontant ses lunettes. Je vous propose d'en rester là pour ce soir. Demain rendez-vous à 8h30 avec la faction. Nous aurons du boulot.
Ils se séparèrent peu après, Ron et Hermione pour prévenir le Terrier, Harry pour retrouver Ginny et Khorine pour rentrer chez elle. Il était 23 heures, elle grignota un morceau de pain et une poire, se doucha rapidement et puis sombra dans son lit. Elle dormit comme une marmotte malgré les informations récentes. Elle était tellement fatiguée… Tellement fatiguée…
A 7h30 elle était levée, une tasse de thé dans la main une tranche de pain beurrée et confiturée dans l'autre. Elle avait des cernes violets, les cheveux en pétard, le teint blafard. Ce jeudi matin commençait bien…
Elle se prépara lentement, clipsa sa mallette noire et partit travailler. Il y avait peu de personne à 8h au Ministère de la Magie, elle se glissa dans un ascenseur et se laissa guider jusqu'au quartier général des aurors. Dès son arrivée elle enchanta la théière et se fit un énorme mug de thé.
La réunion commença quelques temps plus tard. Les 28 aurors de leurs factions furent informés de leurs dernières théories au sujet des attaques récentes. Ils reçurent ordre d'alerter les différentes familles de Sangs-Purs restantes et de renforcer les patrouilles des autres factions.
-Ronald, tu viendras briefer les équipes de Wilfred avec moi; ordonna Harry des étincelles vertes dans les yeux. Khorine prépares-nous tes potions de combat. Je te laisse deux jours. Les autres, vous irez en binôme visiter les familles que je vous ai attribuées.
Des parchemins enroulés volèrent vers les différents sorciers et sorcières. Quelques minutes plus tard, chacun était parti en mission. Khorine boudait en marchant vers le département des Mystères. Pourquoi est-ce qu'il la laissait toujours à l'écart? Elle aussi avait un devoir envers les sorciers d'Angleterre! Elle aussi avait juré de les protéger! Elle avait le droit d'aller sur le terrain! Et tandis qu'elle grommelait la sorcière rejoignit le département des Mystères. Le carrelage noir résonnait sous ses pas, il lui rappelait parfois leur escapade de 5ème année, lorsqu'ils avaient voulu secourir Sirius. Et qu'il était mort…
-Quel lugubre visage; résonna soudain une voix dans le couloir.
Khorine manqua de sortir sa baguette. Avant de reconnaître Lindsforth au bout du couloir.
-Le passé… n'est pas toujours agréable; répondit-elle les sourcils froncés.
Le vieux sorcier hocha la tête sans lui en demander plus, à la place une étincelle particulière s'alluma dans son regard. Elle ne le vit pas.
-Les potions ont cette admirable capacité de vous faire oublier vos plus noirs ; lui demanda-t-il et elle le suivit.
Il ne servait à rien de refuser. Ils passèrent ensemble la porte du département des Filtres & Antidotes, marchèrent quelques minutes devant des laboratoires fermés avant de s'arrêter devant une grande porte ouvragée dans le couloir le plus proche de son laboratoire.
-Je ne vous ai pas vue au laboratoire ces dernières semaines; fit-il remarquer.
-J'en suis désolée; soupira Khorine. Nous sommes débordés ces temps-ci. Mais je suis passée dans la nuit il y a cinq jours pour une de mes potions.
-Le chaudron rouille, couleur whisky, au bout de votre paillasse?
Khorine hocha la tête tout en se demandant ce qu'ils faisaient, debout devant ce panneau de chêne, bloquant le reste du couloir.
-Si vous étiez venue plus tôt vous auriez vu quelques changements. A commencer par ceci…
Il fit jouer le loquet de la grande porte et laissa Khorine entrer. Celle-ci était en train de se demander comment elle pourrait rapidement se débarrasser de son maître pour pouvoir travailler sur les potions qu'on lui avait commandé. Elle était plongée dans ses pensées et fit encore quelques pas avant de s'arrêter soudain, pétrifiée. Au bout de la pièce, installé derrière un grand bureau d'acajou, se tenait Severus Rogue. Il fronçait les sourcils, fixant Lindsforth. Elle se rendit compte avec horreur qu'elle était entrée sans frapper et qu'il allait la pulvériser, ainsi que son mentor.
-Severus! Comment allez-vous? Le travail avance bien.
-Serait-ce trop demandé; commença-t-il en sifflant d'une voix basse qui n'était jamais bon signe chez lui, que de frapper à la porte de mon bureau avant de se donner l'insolence de rentrer.
-Et rater le bonheur de te trouver plongé dans tes recherches? Ce serait un gâchis.
Khorine restait muette… Ebahie. Même dans ses rêves les plus fous… Jamais… Il était vraiment ici, elle le voyait vraiment, devant elle, drapé de ses éternelles capes noires, les cheveux gras, le nez en étrave, le regard noir et féroce.
-Khorine, j'ai le bonheur de vous présenter votre nouveau directeur de laboratoire. Il s'occupera de vous et des autres chercheurs, il vous assignera vos projets, les critiquera, vous aidera à progresser et vous récompensera peut-être avec des plumes de jorbabille 1979 qualité supérieure.
-Vous… Vous ne partez pas n'est-ce pas? Fut la première question à peu près censée qui traversa l'esprit de la jeune femme.
Lindsforth eut un petit gloussement en caressant sa barbe poivre et sel.
-Oh non, pas avant quelques années.
Elle soupira, soulagée. L'autre partie de son cerveau refusant d'assimiler le fait que le maître Severus Rogue était devant elle. Son cœur battait à tout rompre.
-Lumare? Appela Rogue, ce qui tira la concernée de ses pensées.
Il avait roulé le «r» à sa manière aristocratique habituelle, faisant frissonner la jeune femme.
-J'ai parcouru votre cahier de laboratoire. Vos travaux n'avancent plus.
-Nous avons eu des urgences à traiter dans ma faction d'aurors, je n'ai pas pu…
-Pensez-vous; la coupa-t-il froidement, que je sois d'une quelconque façon, intéressé par vos pitoyables excuses.
Un frisson d'indignation secoua la jeune sorcière qui rétorqua aussitôt:
-Ce sont des faits. Vous devez comprendre que je n'ai pas que des potions à faire. J'ai toute une communauté sorcière à protéger!
-Bien, je vois que le courant passe bien. Je vais vous laisser, bonne journée! Lança Lindsforth en souriant avec une étincelle furieusement amusée dans ses orbes azur.
Parfois il ressemblait bien trop à Dumbledore. Severus aurait presque pu s'attendre le voir sortir des bonbons au citron de ses poches.
La porte de son bureau se referma derrière lui. Il ne resta plus que Lumare. La petite Gryffondor était toujours aussi arrogante.
-Laissez-moi être clair Lumare. Nous avons passé neuf jours, coincés dans les locaux du Ministère, dans un passé que je préfère effacer de ma mémoire pour éviter de commettre un homicide. Si vous croyez que cela vous donne une quelconque légitimité à me manquer de respect vous vous mettez la baguette dans l'œil jusqu'à la clavicule. Vous serez traitée comme une employée qui peut être renvoyée à tout moment et qui verra que mon mécontentement est directement proportionnel à votre baisse de salaire!
Des menaces maintenant? Pensait-il vraiment avoir l'avantage? Khorine lui sourit gentiment, pas plus effrayée que par une armée de Botrucs en colère. Il était loin le temps de Poudlard où la seule ombre de son professeur la faisait trembler.
-Monsieur Rogue; commença-t-elle en se choquant elle-même de son arrogance, je doute que Maître Lindsforth apprécierait grandement que sa successeur soit renvoyée. Harry serait aussi très contrarié de voir partir son maître des Potions, sans compter Monsieur Aberswhyth qui verrait d'un très mauvais œil que l'on essaye de lui retirer le seul auror et maître des potions de ses factions. Quant à mon salaire je vous ferai simplement remarquer que je gagne le double de tous mes collègues, ce qui est convenu dans mon contrat avec le Ministère et que vous pourrez au pire toucher à mes primes de mérite qui ne représentent que 10% de celui-ci. Dommage que vous ne puissiez plus m'enlever de points Monsieur.
-Que diriez-vous de vous enlever des fonds, votre équipement et votre laboratoire à la place? Vous seriez tout aussi bien à partager le laboratoire d'un de vos collègues; susurra Rogue le regard dangereux.
Provoquer Rogue avait toujours été une très mauvaise idée, tous les élèves de Poudlard le savaient, tous les sorciers et sorcières l'ayant côtoyé le savaient. Khorine s'en moquait éperdument. Mais il était son supérieur hiérarchique, il avait le pouvoir d'entraver ses travaux et il était particulièrement rancunier. Autant le laisser gagner. Elle le fixa, les bras croisés, ses yeux bleu océan accrochant le noir de suie de ceux de Severus Rogue.
-Je vois que vous avez compris, Mademoiselle Lumare; susurra-t-il victorieux hérissant la sorcière qui serra les dents.
Le maître des potions assis à son bureau extirpa, sans la quitter des yeux, un cahier de laboratoire de la petite pile se trouvant à sa gauche. Aucun ne tomba. Il l'ouvrit et Khorine reconnut son exemplaire. Il y avait près d'un an de travail dans ces pages. Elle eut un mouvement de protection à son encontre avant de se raviser. Rogue la fixa, un rictus sarcastique au coin des lèvres:
-Vous y tenez? Pourtant c'est un ramassis d'inepties quasi illisibles.
-Pardon? Siffla Khorine furieuse.
-Vous m'avez bien entendu. Vos hypothèses de travail sont risibles, vos résultats pitoyables, vous utilisez de nouveaux ingrédients sans réfléchir. Vous n'avez de maîtresse des potions que le nom.
Contre toute attente, la jeune femme se redressa, un sourire goguenard aux lèvres:
-Vous ne comprenez pas la logique derrière les différentes étapes de mes recherches? Êtes-vous au courant des dernières avancées dans les Potions, Monsieur? N'avez-vous pas lu l'article du Maître Ramachandran avec ses nouveaux algorithmes sur la cinétique d'absorption, les synergies d'effet et les activités intrinsèques?
-Ces algorithmes contiennent des approximations. Vous ne pouvez pas vous reposer sur ces travaux.
-C'est une excellente première approche et si vous n'étiez pas resté cloîtré dans votre maison de l'Impasse du Tisseur vous seriez au courant.
-Miss Lumare… Grogna Rogue d'un ton très peu amical.
-S'il n'y avait pas eu ces attaques un peu partout en Angleterre, j'aurai déjà fini mes gaz stupéfiants et ma version améliorée de l'antidote au venin de Doxies!
-Vous allez fermer votre bouche et ouvrir vos oreilles attentivement; siffla Rogue. Vos expériences vous mènent droit dans l'impasse. Si j'ai assez de temps pour m'occuper de votre irritante personne je vous montrerai la bonne démarche à suivre. En attendant, disparaissez de ma vue.
-Avec plaisir; rétorqua-t-elle en se détournant puis quittant le bureau en claquant la porte.
Rogue soupira. Khorine ferma les yeux pour sentir les battements précipités de son cœur résonner dans tout son être.
Elle se réfugia dans son laboratoire, tremblante, furieuse et ivre de joie. Elle dut attendre un peu que ses mains cessent de trembler avant de se saisir de ses premiers ingrédients. Les potions la calmeraient, l'aideraient à se ressaisir, tout ce qu'elle avait à faire était d'allumer les feux sous cinq chaudrons différents et commencer cinq recettes en même temps. Tout s'apaiserait, elle n'avait qu'à travailler… Des dizaines d'aurors attendaient ses potions. Elle inspira, expira, écrasa les premiers moustiques, pela une figue rabougrie, découpa ses cheveux de vélane aux micromètres prè minutes plus tard elle ne faisait qu'un avec ses potions, elle passait de chaudron en chaudron, adoucissant le feu ici, tournant quatre fois dans le sens d'une montre là. Lindsforth passa à un moment dans son laboratoire, sans frapper évidemment. Elle ne l'aperçut pas, plongée dans son monde et il repartit, les yeux pétillants. Vers seize heures elle éteignit le feu sous l'avant-dernier chaudron et laissa le dernier bouillonner gentiment pour encore cinq heures. Rapidement elle remplit des centaines de flacons des potions fraîchement préparées et les inséra dans des tubes incassables accrochés à des ceintures. Elle en avait toujours une dizaine de caisses dans la Réserve près de son laboratoire. Ils étaient seize dans leur faction, elle en fit trente-deux pour eux et près de quatre-vingts pour d'autres factions qui lui en avaient commandé. Ensuite elle sortit de son laboratoire, faisant léviter derrière elle une boîte pleine des ceintures de combat. Khorine partit vers son QG et fut arrêtée par Ron, avec une assiette pleine de nourriture qui lâcha un:«je m'en charge» avant de lui échanger son assiette contre le lourd carton.
Khorine ne protesta pas. Elle fourra l'énorme tranche de pain dans sa bouche et mâcha longuement en regardant tout le monde travailler. Mary Warryweather attrapa ses deux ceintures au vol sans même lever le nez de ses rapports, Philip Tough et Andrew Greengrass aidèrent Ron à les faire léviter à tous les bureaux avant de reprendre leurs cafés et leurs marmonnements, Rudy Clove n'avait rien remarqué de ce qui se passait dans le bureau, concentré à fixer sa baguette magique les sourcils froncés. Khorine avala ses cinq pommes de terre et son morceau de viande puis mâcha longtemps. Le bœuf était coriace. Elle finit par tout avaler.
-Y reste des ceintures; lui fit remarquer Ron.
-Yep, c'est pour les Langues de Plomb. Je vais les leur livrer aujourd'hui. Quoi de neuf?
-On s'est fait jeter d'un peu partout; soupira son ami. On nous a dit que c'était notre faute si les Sangs-Purs étaient encore en danger, d'autres n'ont pas voulu nous ouvrir et le reste avait peur d'une inspection et nous ont dégagé dès qu'ils ont compris ce qu'on venait faire chez eux.
-Charmant.
-Si ça ne tenait qu'à moi…
-Ron; le coupa Khorine, tu ne veux pas finir ta phrase.
Il grommela, elle gloussa un peu puis dut se relever.
-J'ai encore du boulot! Merci beaucoup pour le déjeuner!
-Pas de problème; répondit-il avec un petit signe de main.
Elle devenait tellement mince et elle mangeait si peu que Ron s'était donné comme mission de la remplumer. Même lui l'avait remarqué. Et puis on ne plaisantait pas avec la nourriture quand on s'appelait Ronald Bilius Weasley.
Khorine livra ses ceintures au Département des Mystères puis prit toutes celles restantes pour les emmener aux factions de Premier Ordre, sous le commandement direct d'Aberswhyth. Ils les récupérèrent et la remercièrent d'un hochement de tête avant de refermer la porte de leurs quartiers.
Au moins une bonne chose de faite. Elle repartit vers les laboratoires de Potion, réfléchissant à la manière la plus intelligente d'occuper le temps qui lui restait et le lendemain. Ce qui fit qu'elle n'évita qu'au tout dernier moment le cahier de laboratoire fusant vers elle.
-Qui a pu laisser entrer dans ce Département un cornichon pareil? Vous allez reprendre vos pitoyable expériences depuis le début Mr Donan! Et si je vois la moindre imbécilité vous êtes viré! Viré!
Khorine resta interdite dans le couloir. Elle sursauta violemment quand Rogue apparut et claqua la porte derrière lui.
-Vous n'avez pas autre chose à faire que d'espionner aux portes Lumare!
La jeune femme ne répondit pas, se baissant pour ramasser le cahier de laboratoire au sol. Eric Donan apparut, hésitant, sur le pas de la porte. Elle ignora complètement Rogue pour rendre l'objet à son propriétaire avec un sourire d'encouragement. Elle ne lui avait pas souvent parlé mais elle savait par Lindsforth que le garçon était très timide mais avait une perception intuitive des poudres et des potions.
-M-merci; lui souffla-t-il.
-De rien, bon courage.
Cela lui valut un regard reconnaissant auquel elle ne s'attendait pas, ainsi qu'un sifflement dangereux de Rogue qui lui ordonna de le suivre.
Il l'emmena directement dans le laboratoire où elle avait l'habitude de travailler et referma brusquement la porte derrière eux. Khorine crispait déjà les mâchoires. Toutes ces émotions montèrent d'un coup, comme une mer déchaînée contre une porte de métal rouillée. Elle avait perdu ses réflexes depuis qu'elle avait quitté le Terrier. Ses mains tremblaient de nouveau.
-Pourquoi des pinces de crabe du Pacifique?
-Parce que mes recherches indiquent…
-Vous vous êtes basée sur vos équations ridicules au lieu d'utiliser votre cerveau. Vos algorithmes peuvent être bons mais vous avez oublié que l'Hydnellum peckii va dégrader la carapace et annuler l'effet des pinces ce qui rendra votre potion instable. Un apprenti aurait pu le voir.
Khorine serra les poings mais ne rétorqua pas. Elle réfléchissait. La dent du diable était effectivement capable de dégrader la chitine présente non seulement sur le sporophore des champignons mais également sur la carapace des crustacés et des insectes. Evident. C'était évident. Il avait raison. Elle s'était trompée. Elle avait honte. Sans lui, elle aurait pu perdre des semaines avant de comprendre son erreur.
-Au travail, remplacez les pinces par des aiguilles de Cereus peruvianus. Prenez-en 7. Vous les broierez dans l'argile d'Ethiopie.
Elle le fixa, enregistrant les informations qu'il lui avait lancé négligemment. Un masque d'impassibilité recouvrait ses traits. Elle avait vu le même à l'Impasse du Tisseur, dans les pièces suffocantes de poussière, à l'odeur tenace de renfermé et de moisi, au milieu des livres, des bouteilles d'alcool et de casseroles. Elle se rappelait lui avoir souri. Elle se rappelait la souffrance quand elle avait dû se lever pour le quitter. Comment pouvait-il se retrouver au Ministère aujourd'hui? Après toutes ces nuits à espérer, comment? Pourquoi?
-Vous concurrencez les trolls dans leur apathie profonde? Non? Alors mettez-vous au travail Mademoiselle Lumare.
-Bien professeur; murmura-t-elle doucement.
Elle sortit de sa cape un élastique pour attacher ses longs cheveux noirs. Sa nuque laiteuse fut dévoilée ainsi que deux tâches de rousseur juste au-dessus de sa clavicule, à la lisière de son col de chemise.
-Je ne suis plus votre professeur, Lumare; lâcha Rogue d'une voix rauque.
-Je sais; soupira-t-elle en sortant sa baguette pour faire voler à elle un chaudron en étain. Je vous prie de m'excuser, Maître Rogue.
Il hocha la tête, les bras croisés. Par Merlin, il avait manqué de…
-Vous me remettrez votre rapport une fois la potion finie; siffla Rogue en se détournant dans un envol de cape.
-Vous partez? Demanda Khorine malgré elle.
-Vous ne vous attendiez tout de même pas à ce que je perdre plus de temps avec vous? Répliqua-t-il sans se retourner.
La porte claqua quelques secondes plus tard.
