Chapitre 14
On parla de l'altercation dans plusieurs journaux. Mes amis s'inquiétèrent. Et puis les derniers partiels de l'année arrivèrent. Nous travaillâmes beaucoup, avions souvent des séances de révision au Square Grimmault... Je ne paniquais pas pour ces épreuves. Il n'y avait qu'Hermione pour faire ça, alors même que son examen était prévu fin Juillet. Des lettres du Ministère nous parvinrent, nous invitant à la cérémonie de la Victoire, le 2 Mai. Ma potion pour Neville se précisait -encore trop doucement à mon goût- et je lui rendais visite chaque week end malgré les révisions, les examens... Ils se déroulèrent sans catastrophe particulière. Ron était même parvenu à ne rien détruire pendant l'épreuve pratique de Métamorphoses.
Nous attendions les résultats. Lorsque je ne parvenais pas à dormir, je travaillais sur une amélioration de la Nuit Sans-Rêve, ou sur le baume de Neville. Un matin, trois grands hiboux débarquèrent au Square Grimmault où nous vivions tous depuis quelques jours. Hermione manqua avoir une syncope, paniquant pour son petit ami qui était on ne peut plus tranquille... Mais ce n'était pas les résultats de nos derniers partiels, cela venait de Poudlard. Le professeur Mac Gonagal, directrice désormais, nous invitait à nous recueillir sur les tombes de Poudlard le 1er Mai, et à dîner au château. Poudlard... Nous allions y revenir...
Hermione se chargea de la réponse, positive naturellement. Peu de temps après nous reçûmes nos résultats. Ron s'était bien débrouillé, hormis les Métamorphoses. Ce qui lui valut un soupir de soulagement de la part d'Hermione. Harry avait excellé dans tous les aspects pratiques des combats. J'étais major dans les quatre matières de Filtres & Antidotes, et étais dans les dix premiers pour toutes les autres matières. Nous passions tous, bien sûr, en deuxième année! Nous nous permîmes une virée à Pré-au-Lard, aux Trois-Balais pour être exacte, afin de fêter la nouvelle. Poudlard à quelques miles de nous, et bientôt nous y retournerions, et Rogue y serait...
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Il pleuvait. Le ciel était sombre, empli de nuage. Et le Lac Noir, la Forêt Interdite étaient silencieux. Comme après la Dernière Bataille. La tombe de Dumbledore resplendissait faiblement, et le mé ...
Hermione avait crispé les poings tout le long du chemin, et puis s'était effondrée en sanglot. J'avais essayé de me retenir, de lutter contre mes soubresauts, mes larmes. Et puis j'étais tombée à genou près d'elle, et je l'avais serrée dans mes bras, et j'avais pleuré. Sous la pluie, devant le mémorial de Poudlard, bientôt étreinte par Ron et Harry.
Nous restâmes lovés tous les quatre très longtemps, dans la boue, trempés sans le sentir. Et puis il fallut se relever. La baguette d'Hermione tremblait trop, je fleuris les tombes pour elle, conjurant des gentianes bleues au pied du marbre... Les fleurs de la douleur... Hermione comprit et sourit tristement. Puis nous quittâmes la clairière, pour marcher vers Poudlard sans un mot. Le château était illuminé au loin, aussi majestueux qu'avant. Avant...
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Arrivés dans le hall d'entrée, trempés bien sûr; nous fûmes stoppés par Hermione qui insista pour nous lancer elle-même le Tergeo.
-Je vous interdis d'entrer dans la Grande Salle tout dégoulinant!
-Merci Mione.
Nous pouvions entendre le brouhaha de la Grande Salle, le raclement des couverts. Tous les élèves devaient être réunis là-bas... La foule, je n'avais jamais vraiment aimé ça. Et en nous dirigeant vers elle, ma main se retrouva je ne sais comment dans celle d'Harry. Ses yeux verts étaient voilés et il crispait les mâchoires. J'inspirai, fermai les yeux; puis les portes s'ouvrirent. Tous les regards se tournèrent vers nous, le silence s'étendit en un instant sur toute la Grande Salle... Deux secondes peut-être... Ou plusieurs minutes... Avant que ne fuse la première exclamation! Les élèves se levèrent ensuite en masse. Ils voulaient accueillir les Survivants comme il convenait! Des septièmes années aux premières années, qui nous serraient la main. J'aurais été paniquée sans celle d'Harry dans la mienne. Ils parlaient tous en même temps, se massaient toujours plus face à nous, nous ne parvenions pas à avancer.
Il fallut l'intervention du professeur Mac Gonagal, répétée, pour qu'on consente à laisser un passage. Nous ne trouvâmes Ginny que bien plus loin, vers la table réservée au professeur. Je lâchai la main d'Harry, et celui-ci pris sa petite amie dans ses bras. Il y avait quelque chose de profondément douloureux dans la façon dont il la serrait contre lui. Nous parvînmes ensuite jusqu'à la table des professeurs où Mac Gonagal nous accueillit d'un sourire affectueux, Hagrid se dépêcha de se lever -reversant une partie de la table- pour nous étreindre tous les quatre en même temps, assez fort cela va sans dire.
-Je crois que j'ai quelques côtes en moins; marmonna Ron, le nez dans la barbe du demi-géant.
-P-pardon!
De grosses larmes dévalaient son visage lorsqu'il consentit à nous lâcher enfin. Les élèves plus loin, riaient un peu. Je me sentais triste aussi... mais je devais ravaler mes pleurs. Parce que beaucoup d'élèves nous regardaient. Parce que Rogue était là, à la table des professeurs, tout au bout; que je ne devais pas être faible devant lui. Mac Gonagal nous montra nos chaises, entre elle et Hagrid, et nous nous y assîmes de bon cœur. Les élèves retournèrent s'asseoir, les conversations reprirent aussitôt. Et le demi-géant ne tarda pas à nous parler du syndicat des gnomes qui s'était formé après notre départ.
-Vous voulez dire que vous les avez laissé vivre dans votre jardin?
Il répondit d'un ton bourru qu'il s'était attaché à eux, ce qui ne manqua pas de nous faire lever les yeux au ciel. Et puis le professeur Mac Gonagal nous parla aussi, Flitwick dut se lever sur sa chaise et se tendre au-dessus de la table pour pouvoir suivre la conversation. Son visage ridé s'étirait d'un sourire chaleureux. J'étais à Poudlard. En sécurité...
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Après le repas, Mac Gonagal nous demanda de l'accompagner dans son bureau. Nous nous levâmes avec elle et je fis quelques pas; avant qu'il n'y ait un raclement de chaise en bout de table. Je me figeai, Mac Gonagal s'arrêta aussi pour observer Rogue s'avancer vers nous.
-J'ai à parler à Miss Lumare.
-Severus? En voilà une surprise...
-Qu'est-ce que vous avez à lui dire? Elle n'est plus votre élève, si elle ne veut pas venir avec vous, elle...
-Allons M. Weasley, je suis certaine que Severus n'en aura pas pour longtemps. Nous vous attendrons dans mon bureau.
Non... Je le fixai s'approcher, les pupilles rétractées par l'effroi. Il se dirigea vers la porte derrière moi, la maintint ouverte. Mac Gonagal m'encouragea, j'obéis. Dans les couloirs, je parvenais à peine à respirer, mes mains se glaçaient. Rogue était loin devant, sa cape claquait à chaque tournant de couloirs. Il m'attendit au pied des escaliers menant au cachot et s'assura que je l'avais suivi avant de repartir sans un mot. Cela dura jusqu'à ses appartements, je ne pouvais penser à rien.
-Entrez.
J'entrai, il referma la porte et puis nous nous fîmes face. Le salon était éclairé par les flammes de la cheminée et les chandeliers, et il y avait toujours sa bibliothèque qui recouvrait les murs. Rogue se tenait droit et impénétrable, puis finit par quitter le salon sans un mot, pour sa chambre. Je restai parfaitement immobile, jusqu'à son retour. Il y avait une cassette en onyx dans ses mains. Il la posa sur la table près de lui, tout cela dans le plus grand silence, il n'y avait eu que le crépitement des flammes et le martèlement de ses talons sur le sol. Et puis:
-Vous devez deviner ce qui se trouve dans ce coffret Lumare.
Des tremblements, aux mains.
-Le contrat; sifflai-je...
-Il a été maintenu sous Stasis depuis votre départ... Et j'ai besoin de votre baguette pour le détruire.
Je vacillai, et bégayai:
-L-le quoi?
-Vous avez parfaitement entendu. Tendez votre baguette.
Je le fixai, sans y croire, fixai le coffret, lui, le coffret. Mon cœur se compressait atrocement, je ne savais pas pourquoi.
-Pour... quoi vous feriez ça?
Il y eut un silence. Puis il avança d'un pas, je reculai aussitôt.
-Lumare; soupira-t-il. Je... regrette de vous avoir infligé une telle souffrance.
Je secouai la tête, les émotions m'enserrant la gorge, mes yeux se remplissant de larmes. Et puis j'éclatai de rire, et ces larmes dévalèrent le long de mes joues.
-Vous regrettez?! VOUS, vous regrettez! Vous...
Je souriais, de ce sourire tordu par la douleur. Et je lui faisais face, après de longs mois de peur, et j'étais emplie de rage; alors que lui se contentait de rester devant moi, le visage fermé, de m'observer me débattre avec tout ce qui me broyait le cœur.
-Vous regrettez et vous voulez détruire le contrat... après NEUF MOIS! J'ai passé neuf mois, pétrifiée de peur à l'idée que vous puissiez revenir, que vous puissiez me forcer à retourner avec vous, que vous puissiez me toucher encore une fois! Je cauchemardais toutes les nuits, vous étiez là, vous...
Les sanglots m'empêchaient de continuer et les larmes coulaient et j'agrippais fort ma chemise près de mon cœur.
-Dîtes-moi, professeur, depuis quand est-ce que vous regrettez? Je doute que ça date des quatre mois que vous avez passé à abuser de moi.
Je ricanai, trop fatiguée maintenant... J'essuyai mes larmes, continuai:
-Ni du jour où le contrat devait prendre fin, où vous m'aviez précisé que je ne valais pas plus qu'un objet, un objet qui vous appartenait... Ha ha h...
Je tremblais, vidée après toute la rage qui m'avait échappée. Je me retins à la chaise la plus proche... respirant difficilement... Un silence. Et puis ma baguette et la sienne, se posèrent sur le contrat. Rogue prononça la phrase rituelle et le parchemin disparut, happé par des flammes bleues. Il ne fallut pas dix secondes pour qu'il soit détruit. Dix secondes...
-Le professeur Mac Gonagal vous attend.
J'étais engourdie, mon corps, ma tête... Je rangeai lentement ma baguette dans ma cape, me détournai. Le choc me laissait hagarde. Mais je marchai jusqu'à la sortie, et pus le quitter, libre.
Mac Gonagal nous proposa des stages à Poudlard, à Harry, Ron et moi. Nous devions en mener un de deux mois avant la rentrée mi-Septembre. Mes amis se virent obligés de refuser, déjà inscrits auprès du meilleur professeur de Duel de l'Université. Moi... je demandai à réfléchir. Pour l'instant, j'étais incapable de prendre une décision. Incapable! Incapable! Le contrat... détruit... De retour chez moi, je balançai plusieurs fioles contre les murs et hurlai. Hurlai! Avant de sortir des bières du frigo, j'en avais acheté récemment... Elles ne firent pas long feu.
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La veille, j'avais dévoilé l'apanage de toute Gryffondor se respectant. Mes émotions, mes sentiments s'étaient violemment libérés, j'avais pu pleurer, hurler, briser tout ce qui me tombait sous la main, boire jusqu'à l'évanouissement... Aujourd'hui, après l'ingestion de trois unités de potions contre la céphalée, j'étais sortie dans mon jardin, blafarde, pensive, fermée. Je m'étais assise contre le gigantesque cerisier de ma propriété, à l'abri des regards, pour respirer un peu, faire le point. Des corbeaux croassaient au loin, des rayons de soleil réchauffaient ma peau, je percevais la multitude de bruissements et de chuchotis venant du bois à quelques pas... La cérémonie commençait à dix-neuf heures, dans les locaux de Ministère, Salles des réceptions... Ce serait une commémoration officielle, l'impulsivité et l'émotivité qui m'avait caractérisées la veille ne devaient plus se retrouver. J'étais digne, et froide... et libre...
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-Neville!
Il se tourna aussitôt vers nous, et boitilla aussi vite qu'il le put. Il semblait éprouvé, des cernes sous ses yeux bruns, blême, sa lèvre tremblait. Et puis il arriva jusqu'à moi, pour me serrer violemment contre lui. Neville... Je répondis sans hésiter à l'étreinte, fermant les paupières. Les conversations bourdonnaient autour de nous, il y avait de la musique aussi, un violon et un piano pleuraient...
-Ça va mieux?
Il me relâcha, tout doucement, finit par m'adresser un petit sourire contrit.
-Pardon...
-Bah alors vieux; lâcha Ronald, pourquoi t'es pas venu à Poudlard hier?
Il nous répondit qu'il n'avait pas pu, que devant leurs tombes... Ron entreprit de le divertir, le complimentant sur son costume, sa cravate, avant de lui rappeler notre quatrième année. Neville esquissa un sourire, et Ron se fit taquiner au sujet des vêtement de grand-mère qu'il avait dû porter toute la soirée. Les garçons étaient magnifiques dans leurs costumes sur-mesure, Hermione dans sa robe rouge et ocre -la tête d'un lion en or retenant la petite ceinture qu'elle portait-, tellement Gryffondor... Pour moi, c'était également Hermione qui avait choisi ma robe. Je n'avais aucun goût pour ce genre de choses. Un bustier bleu océan, des broderies blanches et un long bas de taffetas et de volants décorés d'autres motifs nacrés. Mes cheveux étaient toujours détachés à part quelques mèches retenues par une broche en argent.
Quelques personnes tinrent à nous saluer, dont la famille Weasley, le professeur Mc Gonagall, le professeur Flitwick, Hagrid qui pleurait déjà. Rogue se tint éloigné, mais j'appris qu'il était là... Quelques temps plus tard, le Ministre apparut sur une estrade dans la dernière des trois gigantesques salles de réception ouvertes. La musique se tut, les gens se massèrent devant lui et puis le discours commença. Les journalistes mitraillaient l'événement, Hagrid reniflait, tandis que Scrimgeour déblatérait sur la bravoure de ceux qui s'étaient sacrifiés, lisait une liste des personnes tombées lors de la Bataille Finale, précisant qu'il y avait bien plus de cadavres dans l'ombre du temps du Seigneur des Ténèbres... Neville manqua de s'effondrer lorsqu'on prononça le nom de Luna. Il s'accrocha à moi, je m'accrochai à lui. Luna... Luna... Luna... Hermione agrippa la main de Ron lorsqu'ils prononcèrent le nom de Fred Weasley... Et puis le Ministre finit en nous signifiant que l'horreur était passée et que nous étions ici pour célébrer le bonheur de la Victoire. Il nous demanda de nous amuser, de danser, de fêter comme il convenait la fin de la guerre. Cela fut saluer par un tonnerre d'applaudissements! Et par le bruit de trompette que fit Hagrid en se mouchant... Nous nous éloignâmes ensuite du centre de la salle, vaste piste de danse, pour discuter un peu le temps que notre départ soit politiquement correct.
-Comment ta grand-mère a pu accepter de t'acheter un boursouflet?! Et comment t'as pu l'appeler Merci? Qui appelle son boursouflet Merci, je te le demande! T'aurais pu l'appeler, je sais pas moi, Brutus!
-Certainement Ronald, ce nom conviendrait parfaitement à une petite boule de poil rose; se moqua Hermione.
Harry proposa Molaire, Ron surenchérit avec Médor... Je ne pouvais m'empêcher de sourire à leurs gamineries, Neville aussi... Mais mon regard était attiré ailleurs, je sentais qu'on nous observait, je ne parvenais seulement pas à déterminer s'il y avait danger ou non... Finalement, Mme Weasley nous rejoignit et enjoignit à son fils de danser.
-Mais...
-Pas de mais jeune homme! Tu ne comptes tout de même pas passer la soirée à ricaner avec tes amis au lieu d'inviter ta cavalière!
Hermione protesta un peu, Ron bougonna beaucoup. Au final, ils rejoignirent la piste de danse. George était arrivé entre temps, un sourire goguenard aux lèvres. Nous passâmes une bonne partie du temps à nous moquer des faux pas de Ron...
-Mademoiselle Lumare, puis-je?
Mon regard se glaça aussitôt, j'allais refuser avec tout le cynisme et le mépris que... Le ministre Scrimgeour me tendait la main, légèrement incliné. Je n'avais pas le droit de refuser... et pourtant.
-Je ne pense pas que le temps soit à la danse, monsieur le Ministre.
Un regard glacial le transperça, Mme Weasley se récria tandis que Harry et George tentaient de cacher avec la discrétion qui les caractérisait leurs ricanements. Mais Scrimgeour ne lâcha pas prise:
-Vous m'obligeriez...
Il ne voulait pas perdre la face et il ne pouvait pas faire demi-tour alors qu'il m'avait tendu la main.
-Khorine! Vas-tu te montrer agréable un peu? Me gronda Mme Weasley.
Au final, je fus bien obligée d'accepter. Ce n'était vraiment pas de gaieté de cœur, je n'avais jamais apprécié les politiciens. Je n'appréciai pas non plus sa main sur ma hanche, l'autre moite qui emprisonnait la mienne, son front luisant de transpiration, son monologue sur le fait qu'il comprenne ma douleur mais qu'il devait se plier au souhait de la majorité de la communauté, qui voulait oublier. Oublier la peine, les souffrances et les morts; pour continuer à vivre. A la fin de la danse, il mit un peu trop de temps à me lâcher, sûrement persuadé que les gens perturbés comme moi avaient besoin de contacts.
-Merci, monsieur le Ministre, pour ce discours si éclairant.
J'étais glaciale, le fond de mon regard habité par la fureur d'un océan gelé. Et puis je me détournai de lui, pour percuter quelqu'un. Une autre valse commençait.
-Exc...
Ses yeux, si sombres, fiévreux... sans fond. J'y restai piégée.
-Voulez-vous m'accorder cette danse? Murmura Rogue, si proche.
… Non... Il fallait refuser, prononcer juste ce petit mot de trois lettres, et le quitter. Mais les couples tournoyaient déjà sur la piste de danse, et je n'arrivais pas à parler. Je... Il me prit la main, de la sienne glacée, enserra ma taille de l'autre, et me rapprocha de lui. Je ne tentai même pas de fuir. Rogue me tenait trop bien, me gardait contre lui malgré la danse, aussi fermement qu'avant. Avant... Mon regard se voilait petit à petit, et je ne pouvais rien y faire, la musique, la lumière s'estompait. Je tremblais.
-N'ayez pas peur...
La fureur me ramena.
-Je n'ai pas peur! Sifflai-je.
Il y avait beaucoup de gens à tournoyer, à nous entourer, des gloussements, des couples qui se mouvaient aussi rapidement que les temps de la valse, manquant de renverser ceux qui se trouvaient sur leur passage. Mais Rogue me gardait trop proche de lui pour que j'en sois menacée. Rogue... Il fallait que je lui demande, il fallait que je sache:
-Est-ce que...
Il abaissa son regard vers moi, doucement.
-... vous avez signé un autre contrat, avec une autre élève?
S'il s'en était pris à quelqu'un d'autre, que j'étais resp...
-Non.
J'étais soulagée. Même si je n'avais aucune certitude pour après. Est-ce qu'il avait attendu de briser notre contrat pour en créer un autre? Et est-ce qu'il y en avait eu d'autres avant moi? Je... Je ne voulais pas vraiment savoir... Non. J'avais trop peur des réponses. Le silence qui nous entourait valait mieux. Deux couples se rentrèrent violemment dedans à quelques pas de nous et échangèrent quelques grimaces furieuses avant de repartir toujours aussi vite. Je me concentrais sur tout désormais, sauf Rogue. Je cherchais mes amis dans la foule.
-Il n'y a que vous. Vous avez été, et serez la seule.
Q-qu'est-ce qu'il avait dit? Je tournai un regard angoissé vers lui dont l'impassibilité s'embrasait sous la fièvre. Il n'allait pas bien. Je refusais de penser que cette phrase ambiguë avait un sens.
-Je... regrette...
Et ses yeux toujours ancrés aux miens, son étreinte possessive.
-Je ne m'étais pas rendu compte, je... n'avais pas voulu voir; prononça-t-il faiblement. Laissez-moi réparer mon erreur, Khorine, demandez-moi...
-Il est trop tard; lâchai-je, furieuse, sans réfléchir.
Rogue blêmit à ces mots, plus encore qu'à son état normal. Il était trop pâle.
-Je vous en prie. Je...
Un crescendo de notes tonitruantes le coupa, marquant la fin de la danse. Tout le monde s'arrêta, certains dans une pose grotesque, et les gens applaudirent. Rogue s'agrippait à moi, il n'allait pas bien. J'avais peur... pour lui. Alors j'agrippai sa main aussi fort que lui agrippait la mienne, et je nous sortis de l'amas des danseurs. Je ne savais pas où étaient mes amis, ni n'avais vu Hermione et Ron. Tout ce que je pensai à faire fut de m'approcher du buffet pour lui trouver de l'eau. Je ne savais pas quoi faire de plus... Jamais je n'avais vu Rogue dans un tel état. Je ne comprenais pas. Mais après avoir avalé quelques gorgées, il sembla plus maître de lui. Et le professeur Mac Gonagal en profita pour nous rejoindre.
-Eh bien, je suis heureuse de voir que vous pouvez encore participer à toutes ces activités mondaines, Severus.
Il lui renvoya un vague regard noir, la main crispée sur son verre d'eau.
-Saviez-vous, Miss, que depuis près d'un an votre professeur manque régulièrement des repas? C'est à peine si nous le voyons encore dans la Grande Salle.
J'en fus affectée, malgré moi.
-Vous ne mangez plus? Lui demandai-je, alors qu'il m'évitait pour fusiller la directrice du regard.
-Minerva a toujours eu un don pour l'exagération et une incapacité à comprendre que je n'apprécie pas de manger face à des cornichons braillards et sans aucune éducation; siffla-t-il.
Celle-ci fronça les sourcils non pas par vexation mais bien par inquiétude. Je n'étais pas la seule à avoir remarqué la santé déclinante du maître des potions.
-J'ai à vous parler, Miss Lumare; finit par marmonner Mac Gonagal. Seule à seule.
-B...
Rogue empêcha tout mouvement comme il se plaçait devant moi, comme pour me protéger.
-A quel sujet, Minerva? Siffla-t-il.
-Voyons, je ne vais rien lui faire.
-C'est vrai professeur; murmurai-je. Nous devons seulement parler de mon stage de fin d'année.
Il se tourna vers moi, furieux.
-Un stage de fin d'année? Et elle ne va rien vous faire!
Il n'allait pas bien, et moi non plus. Il était temps que cela cesse.
-J'accepte, professeur Mac Gonagal. Avec vous.
Rogue se tendit devant moi, tandis qu'elle écarquillait les yeux de surprise.
-Mais vous êtes spécialisée en potions.
-Et une des meilleures de ma section en Métamorphoses. J'ai eu un Optimal à mes BUSES et à mes ASPICS dans votre matière. Et c'est avec vous que je veux faire mon stage.
J'étais déterminée. Il fallait que je retourne à Poudlard, là où tout avait commencé. Mac Gonagal m'aiderait à ériger mes défenses, je pourrais déterminer quoi faire avec Rogue. Je retrouverais ma maison...
-Un projet? Demanda-t-elle, les yeux toujours agrandis et fixés sur moi malgré la protection de Rogue.
Oui, celui qui me permettrait d'échapper à l'atrocité de mes cauchemars. Au cœur de certaines nuits, aucune barrière mentale, aucune potion ne pouvait me préserver de ces visions d'horreur. Mais grâce à elle...
-Mon Animagus; lâchai-je.
Et les deux professeurs près de moi savaient parfaitement le pourquoi de ma décision. L'un plus que l'autre bien sûr.
-B-bon... Nous pourrons commencer dans une semaine. Du 9 Mai au 9 Juillet. Je m'occuperai des détails avec votre université.
Rogue paraissait figé entre nous, moi j'étais soulagée. Qu'elle accepte, de pouvoir enfin avoir une chance de lutter.
-Merci; murmurai-je. A bientôt, professeurs.
Mac Gonagal me gratifia d'un signe de tête, Rogue ne put se retourner. Je les quittai aussitôt, et ne tardai pas à retrouver mes amis. Ils apprirent pour mon stage à Poudlard, George en profita pour placer quelques blagues de son crû. Nous partîmes quelques temps plus tard.
