Chapitre 8
Dimanche, vingt-et-une heures, Khorine regardait paisiblement les étoiles depuis la grande fenêtre de son salon. Elle était près d'un feu de cheminée ronflant, emmitouflée dans un plaid, le ventre bien rempli. Le ciel était dégagé ce soir, sombre, étincelant, la lune dévoilait son croissant parcheminé. Khorine se sentait reposée, sereine.
Elle était prête à affronter les deux premiers jours de la semaine au laboratoire, à quelques mètres du bureau de Severus.
Elle pouvait lui cacher les emballements de son cœur, ses mains moites, et sa crispation pouvait passer pour de l'antipathie. Quoi qu'il arrive, il ne devait pas savoir ce qu'elle éprouvait pour lui, jamais, Severus n'hésiterait sûrement pas à lui briser le cœur en refermant ses longs doigts fins dessus. Il n'était pas homme à ménager les sentiments de qui que ce soit. Mais ce n'était rien. Elle avait l'habitude d'être seule. Peut-être même qu'un jour ses sentiments disparaîtraient.
Elle resserra la couverture autour de ses épaules. Peut-être qu'un jour il n'y aurait plus ce feu qui lui brûlait les veines, lui rappelant qu'elle était bien vivante. Peut-être… Son regard se perdit dans l'immensité de la nuit, il était en vie, au moins, quelque part sous ce ciel étoilé, c'était tout ce qui importait.
Le lendemain matin, elle entrait au Département des Mystères, section Filtres & Antidotes et croisa Eric Donan qui l'accueillit avec le sourire:
-Bonjour Maîtresse Lumare!
C'était étrange… De se faire appeler par son titre.
-Je suis loin d'avoir 80 ans, Eric, vous pouvez me tutoyer et utiliser mon prénom; lui répondit-elle avec un petit sourire.
-T-Tu es sûre?
-Marilla le fait déjà; lui répondit-elle avec un haussement d'épaules. Et Robert Honeycomb aussi.
-D'accord; abdiqua-t-il les joues rougies.
-Tu as passé un bon week end? Demanda Khorine, prévenante.
La cohésion d'équipe était importante et elle devait se rapprocher d'Eric qui n'avait sûrement pas bien vécu son altercation avec Rogue.
-Oh, je…
Et puis Eric blanchit tout à coup, fixant un point, derrière elle. Des pas se firent bientôt entendre, secs, angoissants, puis s'éleva un sifflement:
-Lumare et Donan occupés à déblatérer sur leurs vies pitoyables au lieu de travailler. Pourquoi cela ne m'étonne pas?
La voix rauque de Rogue s'insinua dans l'oreille de Khorine pour lui arracher d'imperceptibles frissons. Elle inspira et ferma les yeux une seconde avant de se retourner vers le sorcier:
-Bonjour à vous aussi, Rogue. J'imagine qu'avec votre popularité vous avez été invités à de nombreuses fêtes au cours de ce week end et que cela explique votre gueule-de-bois d'aujourd'hui.
Eric ne put réprimer un sourire dans le dos de Khorine, alors que Rogue fulminait.
-Et vous et vos innombrables conquêtes de ce week end pourraient expliquer que vous draguiez tout ce qui bouge dès le lundi matin.
Eric devint rouge tomate et Khorine reçut le coup en blêmissant. Et puis elle se reprit, un éclair de colère traversant son regard, un sourire forcé aux lèvres:
-Innombrables, il ne faut pas exagérer. Il n'y a que quarante-huit heures dans un week end. Même moi j'ai mes limites.
La tension monta d'un cran supplémentaire entre les deux et Eric souhaita vivement pouvoir disparaître dans le premier trou de botrucs se présentant.
-Combien? Siffla dangereusement Rogue, surprenant Khorine.
Il ne pensait tout de même qu'elle était sérieuse, non? Pourtant, ses yeux noirs brûlaient de fureur, son visage cireux entier était crispé, ses poings serrés.
-Cette information restera strictement confidentielle. Si vous voulez bien nous excuser à présent, nous avons du travail; rétorqua-t-elle avant de se détourner.
Eric en profita pour foncer dans son bureau et Rogue sur la jeune sorcière. Il lui agrippa le bras et la força à le suivre jusqu'à son laboratoire. Sa poigne lui compressait les veines, bloquant le sang, il serrait tellement fort. Arrivé devant la porte, il l'ouvrit avec fracas et poussa la jeune femme à l'intérieur. Puis il la referma et se tourna vers elle, la dominant d'une tête, imposant, furieux, les narines de son long nez frémissant et ses yeux noirs lançant des éclairs.
-Je vous interdis de vous payer ma tête devant des employés!
-Eh bien moi; lâcha Khorine déjà moins sûre d'elle, je vous interdis de parler de ma vie privée devant des employés!
Il était tellement impressionnant et le cœur de Khorine battait la chamade, ses mains étaient moites, sa respiration hachée.
-Combien? Gronda-t-il de nouveau, en avançant sur elle.
-Qu'est-ce que ça peut vous faire? Répliqua-t-elle, reculant d'un pas.
-Combien? Lâcha-t-il cette fois en avançant trop vite pour qu'elle puisse l'empêcher de la prendre par le col. Alors, Lumare, combien?
Les mains de Khorine s'agrippaient à son poing pour le faire lâcher. Elle tremblait de tout son corps, si proche de celui de Rogue, elle sentait son souffle sur son visage et ses yeux hypnotisant étaient à quelques centimètres des siens, ses lèvres fines étaient si proches…
-Au… Aucun; avoua-t-elle, détournant la tête.
Il y eut un silence, long silence, surtout pour Khorine qui tremblait sans bruit. Et puis Rogue ricana.
-Voyez-vous ça. Quelle surprise…
Il lui lâcha le col, la laissant retomber sur ses talons, haletante, se massant la gorge.
-Retournez à votre antidote au venin de doxies, au lieu de jouer aux idiotes. Et ne me mentez plus jamais.
-Je n'ai pas de comptes à vous rendre; répondit-elle en grognant.
-Je veux des employés dévoués à leur travail et non pas perturbés par des frivolités.
Le regard noir et glacial de Rogue la percuta et elle se tut, blême, accusant ce nouveau coup. L'amour, son amour, était une frivolité pour lui. Il ne l'aimerait jamais en retour. Il la quitta dans un envol de cape et Khorine resta au milieu de son laboratoire, droite et blafarde, le cœur lourd. A un moment, sans qu'elle l'ait vraiment voulu elle se mit à bouger, à aller chercher des ingrédients à les préparer, à suivre le dernier protocole qu'elle avait mis au point. Ni le cœur ni la tête n'y était, elle ne fit pourtant rien exploser. Sa grande horloge sonna les douze coups de midi et sans même y penser Khorine arrêta ses travaux, laissa son chaudron à feu doux et quitta son laboratoire pour retrouver la cafétéria, Harry, Ron et Hermione. Ils étaient en pleine discussion au sujet de l'enquête en cours, l'interrogatoire était prévu pour jeudi, un légilimens du Ministère avait accepté de venir, Robert L. Goode. Rougeaud, court sur patte, renfrogné, efficace. Il était un des seuls Langues-de-Plomb en bons termes avec la faction des Urgences Critiques. Khorine oublia un peu son mal avec ses amis. Puis elle dut repartir dans son laboratoire, tentant de cacher sa peine sous un masque neutre, comme lui le faisait. Lorsque Rogue passa le pas de la porte de son laboratoire plus tard ce jour-là, Khorine était en train d'ajouter dix milligrammes de broyat d'écailles de poisson globe.
-Comment réagit la potion? demanda-t-il d'une voix rauque comme s'il lui en coûtait de revenir, comme s'il voulait se faire pardonner.
-Elle vient de virer au bleu roi, plutôt visqueuse, pas de grain, le mélange est facile, je pense que le résultat est intéressant; répondit Khorine d'un ton neutre.
-Les prochaines étapes sont l'ajout de crin de licorne, de quatre fils de soie et de deux foies de Doxies. Vous devriez avoir fini d'ici deux heures. Venez me trouver lorsque vous commencerez à tester votre potion.
Lorsque sa voix était basse et grave comme en cet instant, elle lui donnait des frissons.
-Bien.
Rogue resta encore un peu puis se détourna dans un envol de cape ample. Khorine soupira, tourna quatre fois dans le sens des aiguilles d'une montre, sortit sa cuillère en argent et commença la découpe en longueur du crin de licorne. Un petit sourire se fraya peu à peu un passage au coin de ses lèvres. Venant de Rogue son entrée dans son laboratoire et sa manière de lui parler passaient presque pour une demande de paix. Elle ne la refuserait pas, quoi qu'elle ait pu penser dans sa jeunesse, elle n'était pas rancunière. Et elle l'aimait trop pour se priver de sa présence alors qu'il était enfin proche d'elle.
Tout en brassant sa potion et en coupant, broyant, malaxant, incorporant ses ingrédients, son esprit divaguait. Elle mit plus longtemps que Rogue n'avait prévu pour finir sa préparation, nettoyer sa paillasse, faire apparaître un homonculus et préparer les tests sur cellules et sur venin de Doxies. Ensuite, elle se dirigea vers la porte de son laboratoire, passa l'embrasure et percuta une grande ombre noire. Relevant les yeux, elle percuta ceux de Rogue, si sombres et profonds qu'elle pouvait s'y noyer. Elle avait les deux mains contre ses pectoraux recouverts de deux couches de vêtements. Elle sentait le rythme de sa respiration profonde et les battements sourds de son cœur.
La jeune femme aux cheveux ondulant sauvagement releva ses grands yeux bleus vers lui, ses mains posées sur lui, son souffle lui chatouillant la joue. Elle était plus petite que lui d'une tête. Elle ne devait pas sentir le bout de ses doigts agrippés à son pull bordeau pour l'empêcher de tomber. Et le tissu était chaud. Il le tenait du bout des doigts, sans penser à le lâcher. Il fallait qu'il le lâche. Les beaux yeux bleus de Khorine étaient toujours ancrés aux siens.
Elle recula la première, stupéfaite qu'il ne l'ait pas repoussée avec dégoût.
-Testons votre antidote au venin de Doxies; susurra Rogue à voix basse.
Khorine en eut des frissons et se laissa dépasser par le sorcier qui s'introduisit dans son laboratoire. Elle était sûre de rêver de ce moment ce soir. Ses paumes avaient été parcourues d'électricité là où elles avaient été en contact avec son torse. Se secouant mentalement la tête, elle emboîta le pas à Rogue et tenta, tout à fait professionnellement, tous les tests auxquels elle pouvait penser. Sur cellules, sur venin, sur homonculus en aigu. Les résultats étaient bons.
Il lui apprit plusieurs subtilités, elle finit sur plusieurs organes isolés fonctionnels dans leurs fluides biologiques. A vingt-et-une heures leurs résultats étaient excellents.
-Bien, il ne vous reste plus que les effets chroniques à étudier sur un mois avant de la soumettre à la guilde.
Khorine acquiesça avant de se passer l'avant-bras froid sur le front. Il était brûlant. Elle était épuisée. Rogue la fixait de ses yeux de feu. On aurait dit un brasier de flammes noires, dirigé vers elle. Elle devait divaguer à moitié. L'heure tardive n'aidait pas, ils devaient être les derniers de tout le Département.
-Lumare…; entendit-elle Rogue commencer.
Elle se retourna vers lui, qui s'était avancé d'un pas. Il fronçait les sourcils à présent, les lèvres pincées en fixant un point derrière une des boucles rebelles du dessus de la tête de Khorine. Il y eut encore quelques secondes d'un lourd silence, et puis Rogue la fixa droit dans les yeux et s'avança encore pour être à un souffle d'elle. Là, il tendit sa main et agrippa spasmodiquement la sienne. La main de Rogue était froide, glaciale mais puissante. Le cerveau de Khorine eut le temps d'intégrer toutes ces informations malgré son hébétude apparente.
-Vos résultats sont acceptables; lâcha Rogue entre ses dents.
Et elle n'eut que le temps d'hocher la tête avant qu'il ne relâche sa main, la dépasse et ne quitte la pièce. Khorine resta longtemps à fixer sa paume, au milieu du laboratoire.
Eventuellement, elle finit par prendre ses affaires, ranger sa paillasse et rentrer chez elle.
Il ne touchait jamais personne. A moins qu'il n'y ait un danger de mort imminent. Elle ne l'avait pas menacé, rien n'avait explosé. Elle sentait encore sa main d'homme autour de la sienne… Son antidote était terminé, une bonne chose de faite, elle travaillait dessus depuis trois ans, et Rogue y avait contribué aussi, il avait placé la dernière pierre. Rogue… A quoi jouait-il? Son regard sombre l'avait brûlée. Est-ce qu'il avait… Par Merlin… essayé de se rapprocher d'elle? La prenait-il pour une alliée? Une sorte d'amie? Etait-ce pire? Ne pourrait-elle pas s'en contenter? Pouvait-elle espérer quoi que ce soit d'autre?
Khorine tourna et retourna ces questions dans son esprit tout en avalant un frugal dîner, en se douchant, en se brossant les dents et enfilant son pyjama. Elle mit du temps à s'endormir et ses rêves furent peuplés de l'homme qu'elle aimait en secret depuis plus de dix ans.
Le lendemain s'étira doucement, elle ne croisa pas Rogue une seule fois et put travailler comme elle l'entendait sur des gaz attracteurs de plante. Elle avait eu cette idée au cours d'un combat violent en forêt. Un sort existait déjà pour réveiller les arbres et les rendre pratiquement mouvants, ce qu'elle cherchait à faire maintenant c'était de créer un gaz, à envoyer sur l'ennemi, pour que les végétaux le prennent pour cible. Elle aimait bien cette idée.
Le lendemain elle revint au bureau des Aurors de sa faction et jeudi vint le temps de l'interrogatoire. Lattrymoor était dans un sale état au sortir d'Azkaban, le regard vide, ramassé sur sa chaise, un rictus de désespoir écorchait ses traits.
Harry arrêta Khorine juste avant qu'elle n'entre dans la salle.
-Tu es sûre de vouloir le faire?
-Certaine; répondit-elle le regard dur.
Elle était prête à faire son métier. Elle était adulte et en assumait toutes les conséquences. Alors elle entra dans la salle, suivie de Robert L. Goode.
-Henry Lattrymoor…
Il releva difficilement la tête, la gardant penchée, le fond de ses yeux hagard et fuyant.
-Vous souvenez-vous de moi? Poursuivit-elle en s'asseyant sur la chaise face à lui. J'étais là lorsque vous avez voulu tuer Severus Rogue.
Ce nom sembla provoquer des étincelles derrière la cornée du prisonnier. Ses mâchoires se crispèrent et lâchèrent:
-Meurtrier…
-Vous aussi vous êtes un meurtrier. Nous savons pour qui vous travaillez.
La réaction fut instantanée, il vira au gris cadavérique, paralysé, ses yeux fixaient un point à sa gauche, jusqu'à ce que Goode lui agrippe le menton et le force à le fixer dans les yeux. Khorine enchanta une chaise pour que le légilimencien puisse s'asseoir, puis poursuivit.
-Nous savons qui fournit en potions votre organisation. Nous savons qui a créé le poison que vous avez administré au premier ministre. Une de vos camarades de classe de Poudlard, si je ne m'abuse, n'est-ce pas? Son nom est Typhaine Wilyfox.
Un gémissement sourd quitta les lèvres du prisonnier.
-Ils sont amants; grogna Goode.
-Vous pourrez alors confirmer qu'elle habite au 681 avenue de l'hermine boiteuse à Hammersmith, qu'elle travaille à son compte et fournit principalement des potions à Sainte Mangouste.
Lattrymoor respirait lourdement.
-Nous l'avons suivi. Cette jeune femme a une vie presque normale, sauf les samedi soirs, étrangement.
Le sorcier commença à s'agiter. Goode murmura:
-Bar moldu à King's Lynn, le Nip and Growler sur Hight Street. Il y a un passage dans la pierre sous l'escalier près des cuisines. Un lion gravé, à gauche, il faut donner le mot de passe, il change.
Mary et Andrew de l'autre côté de la glace étaient sûrement en train de recopier toutes les informations. Harry devait les fixer, tendu et prêt à intervenir. Khorine eut un petit sourire, elle maîtrisait.
-Vous participiez sûrement à toutes ces réunions. Le but est de sauver les sorciers innocents d'Angleterre, évidemment. Vous agissez pour le plus Grand Bien. Pour qu'il n'y ait plus jamais de guerre. Votre but est aussi de punir les mangemorts qui ont échappé à la justice. Vous vengez les victimes de la première et deuxième guerre contre le Seigneur des Ténèbres.
Pendant ce temps-là, Goode marmonnait une suite de noms qui pouvaient appartenir à des mangemorts ou à des membres de l'organisation de Lattrymoor. Khorine le recentra sur ces derniers, obtenant de nouveaux noms. Lattrymoor s'agitait faiblement.
-Vos réunions sont importantes; continua Khorine. Vous travaillez pour le plus Grand Bien. Après tout vous êtes un gryffondor. Votre leader doit vous le répéter souvent, il est celui qui dirige vos opérations, celui qui vous rassemble…
Elle voulait un nom. Elle avait besoin d'un nom, et Robert L. Goode l'intercepta au fin fond de l'esprit du prisonnier.
-Victo…
Et soudain, des liens de lumière éclatante gonflèrent autour du bras droit de Lattrymoor. Ils gonflèrent, gonflèrent. Un Serment Inviolable! Khorine entendit la porte s'ouvrir avec fracas. Elle fixait les liens qui vibraient, Lattrymoor tressautant sur sa chaise, Robert Goode hoquetant. Elle se rua aussitôt sur l'auror et le fit s'écraser au sol, brisant le contact visuel, juste avant que les liens n'éclatent dans un crissement violent. Le corps d'Henry Lattrymoor s'effondra face à eux, sans vie. Ses orbes bleu ciel étaient mortes. Khorine détourna le regard. Elle fixa plutôt le Legilimens qui haletait mais dont le regard était encore vif.
-Merlin de merde; souffla-t-il entre ses grosses joues rouges. J'aurais pu y rester.
Harry s'agenouilla auprès d'eux, ses yeux verts étincelant d'inquiétude. Khorine roula sur le côté pour laisser Goode respirer.
-Ça va? Est-ce que vous allez bien?
Khorine secoua la tête. Elle avait failli perdre un collègue dans cet interrogatoire.
-Par Merlin; cracha-t-elle, c'était un Serment Inviolable! On aurait dû y penser! On aurait dû chercher avant!
-Eh; l'apostropha Robert encore haletant, ça fait trente ans que je mène des interrogatoires. Y en a jamais un seul qui s'est pointé avec un Serment Inviolable. Vous auriez pas pu le savoir. On n'aurait pas pu le savoir. Et vous venez quand même de sauver ma peau. Alors… merci.
Il lui tendit la main. Khorine la prit aussitôt. Elle sentait le sang battre à son pouls, la chair chaude sous ses doigts et la froideur de l'anneau à son annulaire gauche. Khorine lui sourit. Harry s'assura qu'ils allaient bien tous les deux puis donna des ordres pour transférer le corps.
-Venez dans mon bureau; ordonna-t-il aux quatre autres aurors de la pièce.
Ils le suivirent. Là, Harry demanda un compte-rendu des dernières minutes. Khorine raconta brièvement ce dont elle se souvenait, de la lumière blanche, de Robert qui tressautait. Le rapport du legilimens leur fit froid dans le dos. Il s'était retrouvé prisonnier dans un esprit en train de mourir. Il avait été aspiré avec l'esprit de Lattrymoor au cœur d'une brume épaisse et étouffante; et sans rupture du lien visuel, son esprit aurait quitté son corps et il serait également mort.
Harry soupira et proposa à Goode de rentrer chez lui pour la journée. Il accepta, se leva en inclinant la tête, fixa une dernière fois Khorine, puis sortit du bureau.
-Khorine, tu peux également te reposer. Tu as mené l'interrogatoire du mieux qu'il était possible nous avons beaucoup de noms, des endroits à cibler…
-Harry, je vais bien. Je veux continuer.
Mary et Andrew se tournèrent vers leur chef qui croisa les doigts au-dessus de son bureau. «A la manière de Dumbledore»; pensa Khorine.
-Laissez-nous seuls, s'il vous plaît; leur demanda-t-il.
Ils s'exécutèrent avec un hochement de tête discipliné. Peu de personnes refusaient un ordre direct du Survivant.
-Khorine, on a laissé l'empoisonneur du premier Ministre se faire tuer et on a failli perdre un homme pendant l'interrogatoire. Ça fait beaucoup à encaisser, surtout pour celle qui se trouvait dans la même pièce que les deux. Je pense que tu as mérité de te reposer.
-Ne trouves-tu pas plutôt que je ne peux pas suivre le rythme? L'accusa-t-elle avec un regard peiné. Tu me demandes souvent de faire des potions au lieu d'aller sur le terrain, alors que je suis auror à part entière. Je veux affronter le danger avec vous!
-Qu'est-ce que tu dis? Tu en fais plus que n'importe lequel d'entre nous! Tu as deux boulots et tu abandonnes tes potions pour être avec nous.
Khorine secoua la tête:
-J'aime faire des potions, c'est un loisir qui peut servir, au Ministère. Mais mon travail, il est ici, avec vous.
-Tu t'épuises, tout le monde le voit. Et après ce qu'on a vécu je trouve normal de t'accorder une pause. Tu peux retourner à la section Filtres et Antidotes si tu veux, mais je veux que tu te reposes.
-Harry…; voulut-elle protester.
-C'est un ordre de ton chef de faction. Repose-toi, le contre-coup de ce qui vient de se passer va être plus dur que tu ne le penses.
C'était une vraie tête de mule! Khorine se leva avec humeur et quitta le bureau dans un envol de cape. «A la manière de Rogue»; pensa Harry avec incrédulité. Mary et Andrew passèrent leurs têtes par la porte, incertains. Harry leur fit signe de revenir, les renseignements que Khorine avaient extraits valaient de l'or il fallait les exploiter tout de suite, filer les membres de l'organisation, aller discrètement au bar de King's Lynn.
Khorine, de son côté, pestait tout en se dirigeant vers la section Filtres et Antidotes. Ses longs cheveux noirs ondulaient en vagues souples autour de sa tête pâle, ses yeux océan étaient noyés d'éclairs. La jeune femme claqua la porte de son laboratoire, donna à l'homonculus un peu d'antidote anti-venin de Doxies, comme tous les jours, puis elle délivra son chaudron du Stasis et reprit son travail. Des racines de réglisse écrasées au mortier, trois chélicères d'acromentules adultes, des larmes de mandragore, une pousse de saule arrachée. Cette dernière lui échappa des mains. Alors, elle se rendit compte qu'elles tremblaient. Qu'elles tremblaient violemment et que sa respiration était hachée.
-Merlin; siffla-t-elle entre ses dents.
Elle se prit dans ses bras pour contenir les tremblements. Et soudain, Rogue était devant elle. Elle sursauta violemment.
-Vous êtes incapables de faire des potions dans cet état; annonça-t-il avec la langueur aristocratique qui le caractérisait.
-Quel état? Je vais parfaitement bien!
-Voyez-vous ça; se moqua-t-il en croisant les bras avec un rictus sardonique au coin des lèvres.
Khorine tremblait encore. Il avança d'un pas et elle recula aussitôt en criant:
-Je vais bien!
-Allons, Potter vient juste de m'écrire pour me demander de vous surveiller.
-Harry? Se surprit Khorine.
Rogue se rapprocha encore d'un pas et Khorine tressaillit et recula et se cogna contre le mur. Le maître des potions la fixa de son regard de nuit, attendant. Aculée, la sorcière avait perdu. Elle finit par soupirer:
-J'ai tué Lattrymoor. Et l'auror avec moi a failli y passer.
-Vous n'y êtes sûrement pour rien.
-J'aurais dû vérifier! C'était moi qui menais l'interrogatoire! J'aurais dû penser à tout! Cria-t-elle et ses tremblements reprirent encore.
Elle semblait tellement fragile à cet instant, son regard perdu empli de douleurs. Si Rogue s'était écouté il l'aurait…
-Suivez-moi; demanda-t-il délicatement.
Ce ton, il l'avait rarement pris avec elle. Et il se détournait déjà, elle n'eut d'autres choix que de le suivre. Rogue la mena jusqu'à son bureau, auquel il s'assit en lui jetant une liasse de parchemins remplis de son écriture.
-Qu'est-ce que…
-Lisez; ordonna Rogue.
Il s'agissait de différents projets décrits, avec des jets d'idées griffonnées, des noms d'ingrédients, des quantités. L'approche tirait du génie dans nombre d'entres eux, elle n'avait jamais vu un style si fluide. Elle arriva au dernier parchemin.
-Voudriez-vous; demanda alors Rogue, choisir une de ces potions à travailler?
-Bien sûr, pro… Monsieur Rogue.
-Severus; invita-t-il doucement. Nous y travaillerons ensemble le lundi et le mardi, cela me permettra d'avoir un aperçu de votre technique.
Le sang de Khorine lui brûlait les veines, son cœur battait à tout rompre, est-ce qu'il venait… Elle répondit, les joues rouges, les mains tremblantes mais de plaisir à présent:
-Bien sûr, Severus.
Son nom fut prononcé à mi-voix, avec délicatesse et une tendresse qu'elle n'avait pu cacher. Le regard de Rogue resta soigneusement poser sur la pile de parchemin frissonnante qu'elle lui rendait.
-Je…J'aimerai tester la numéro quatre.
Severus lui tendit les feuillets correspondants:
-Faîtes vos recherches. Nous commencerons lundi à 8h30, ne soyez pas en retard.
-Bien sûr. Et vous non plus Severus; répondit-elle avec une lueur sarcastique au fond du regard.
Son ancien professeur de potions grogna, puis dut la laisser partir. Sa fine silhouette disparut par le chambranle de la porte et Severus soupira.
