Chapitre 10

Le jour de la rentrée des septième années, le vieux château de Poudlard accueillit Harry, Hermione, Ron et Khorine dans toute sa splendeur retrouvée. Ils s'assirent aux côtés de Ginny, au milieu d'une promotion plus jeune d'un an. Ce soir-là, ils apprirent que Rogue avait démissionné, que le professeur McGonagall était désormais directrice de Poudlard, que le professeur Slughorn reprenait les Potions, et que Shackelbot enseignait la Défense contre les Forces du Mal.

Khorine ferma les paupières et le bouillonnement de ses émotions fut absorbé dans les profondeurs de ses yeux océan.

Durant leur septième année, Harry, Ron, Hermione, Ginny, Khorine et Luna furent inséparables. Et lorsque les deux couples prenaient du temps pour eux, Khorine et Luna partaient pour de longues promenades dans la Forêt Interdite. Khorine travailla plus qu'elle n'avait jamais travaillé. Tous ses devoirs étaient parfaits, ses révisions étaient finies six mois avant les Aspics. L'année s'écoula, à la fois filante et interminable. Le jour de la remise des diplômes, Khorine et Hermione furent appelées ensemble. Elles avaient toutes les deux des Optimal dans toutes les matières avec une mention spéciale en Arithmancie pour Hermione et en Potions pour Khorine. Elle était major en Potions. Elle avait réussi.

Elles furent félicitées par leurs professeurs, appelées les sorcières les plus prometteuses de leur génération. Khorine avait un petit sourire absent et serrait de temps en temps un bout de parchemin dans sa poche où McGonagall avait inscrit l'adresse de Rogue.

Khorine attendit un jour après la cérémonie. Puis elle transplana de Poudlard à Londres et prit les transports moldus jusqu'à l'Impasse du Tisseur. C'était une ruelle sombre, surplombée par une cheminée d'usine croulante et imposante, les maisons environnantes étaient toutes noircies par la suie et dans un état de délabrement plus ou moins avancé. La maison de Rogue n'était en rien différente, ou si, le heurtoir semblait propre, il scintillait doucement à la lueur du soleil de fin d'après-midi. Khorine avait dû passer plusieurs semaines ici, étant enfant.

Elle inspira fortement, referma ses bras habillés de vêtements moldus autour d'elle, puis se décida. Khorine avança, elle frappa trois fois contre la porte d'entrée.

Attendre, le cœur tambourinant contre sa poitrine, sembla durer une éternité.

La porte s'ouvrit dans un grincement effrayant et soudain, Rogue se tint devant elle. Cela faisait près d'un an qu'il lui manquait. Khorine soupira et esquissa un petit sourire à Rogue:

-Bonjour professeur.

-Que voulez-vous Magellus? S'éleva sa voix dans un grognement distinctif.

-Je… Je vous ai apporté une lettre de recommandation du professeur Slughorn, mes relevés de note aux Aspics et Buses et le parchemin de félicitations du jury. Je… J'ai majoré les Potions et j'ai toujours eu des Optimals en Botanique, Arithmancie, Soins aux créatures magiques, Soins de base et Runes Anciennes…

Il y eut un grand silence. Khorine priait, de toute sa ferveur, qu'il l'accepterait, rien que cette fois, juste cette fois.

-Professeur, vous êtes le meilleur maître des Potions que j'aie rencontré et je suis allée à plusieurs conférences, j'ai accompagné le professeur Slughorn au symposium des Maîtres en début d'année, j'ai lu tous les articles des potionnistes de ces trente dernières années, il n'y en a pas un qui a l'élégance de votre approche des Potions, la Tue-Loup était parfaite, professeur. Je…

Rogue leva une main et elle s'arrêta aussi sec. Il avait commencé à pleuvoir.

-Entrez.

Khorine obéit avant même de comprendre ce qu'elle faisait. La vieille porte noire se referma derrière elle. Elle se trouva à quelques centimètres de Severus, resté immobile. Ses yeux noirs hypnotisant l'enveloppaient, son corps était plus proche qu'il ne l'avait jamais été. Elle sentait sa chaleur. Ils étaient seuls, chez lui. Ses joues rougissaient malgré elle. Elle ne devait pas… lui montrer… Elle arracha son regard de sa contemplation et entreprit de le fixer sur le couloir devant eux. Couloir familier, oui… Un petit sourire tenta une apparition au coin de ses lèvres.

-Je vois que rien n'a changé; murmura-t-elle.

Rogue s'écarta sans un mot et lui demanda de le suivre. Il ne portait pas de cape et Khorine ne put s'empêcher de détailler le corps du maître des Potions sous la tunique et le pantalon ajusté noirs. Le salon aussi lui rappelait de lointains souvenirs. Les étagères de livres, les deux fauteuils devant l'âtre éteint, la table basse sur laquelle reposait un service à thé. Elle accepta une tasse de thé noir et se retrouva dans le vieux fauteuil qu'elle avait l'habitude d'occuper. Perdue dans ses pensées elle ne perçut pas le lourd silence, jusqu'à ce que Rogue ne le brise:

-Montrez-moi les documents que vous avez jugé opportun d'apporter.

Khorine reposa sa tasse et tira de son sac à bandoulière les documents liés entre eux par une grande épingle aux armoiries des Magellus. Rogue les reçut sans un mot et les parcourut. Autant de silence, cela faisait des années qu'elle n'était pas restée, en compagnie de l'homme, simplement là. Et cette bibliothèque lui rappelait tant de souvenirs, elle avait lu des ouvrages qui…

-En quoi consistait votre épreuve Magellus? La sortit-il de ses pensées.

Elle haussa les épaules:

-Une goutte du Mort Vivant… et j'ai ajouté deux fils de vélane, un crin de licorne et un centilitre de lait de botruc pour favoriser un sommeil agréable. Ça avait bien marché la dernière fois que je l'ai essayée.

-Bien; grogna-t-il en se levant avec sa grâce coutumière. Nous allons voir dans ce cas l'habileté de:«cette jeune prodige potionniste à l'ingéniosité et l'audace comparable au Grand Paracelse en son temps.»

-Professeur; essaya de protester Khorine.

Il l'entraînait déjà vers son laboratoire et elle n'eut d'autres choix que de le suivre. Elle n'aurait peut-être pas dû apporter la recommandation du jury. Celle de Slughorn n'était pas mieux de toute façon. Dans le laboratoire de Severus, elle se sentit comme chez elle, si bien, pour une fraction de seconde, avant que le sorcier ne se tourne vers elle et ne siffle:

-Commencez.

Khorine soupira. La testait-il? Voulait-il la ridiculiser avant de la rejeter? Par Merlin… il n'y avait qu'une seule façon de le savoir. Prenant son courage et un chaudron en étain à deux mains, elle se mit au prépara son plan de travail, apportant tous les ingrédients qu'il lui fallait puis les classant par ordre d'utilisation. Elle commença ensuite sa potion, faisant bouillir de l'eau, ajoutant dix grammes de poudre rose de fleur de Cereus peruvianus, des fèves soporifiques liquéfiées, du lait de licorne et de botruc, des crochets de serpent en poudre…

-Plus mesuré le geste, vous ne jetez pas du sable sur un crabdefeu, utilisez votre spatule et tapotez-la jusqu'à ce que la potion ait la couleur turquoise attendue.

Khorine obéit. Puis elle ajouta le mucus de Veracrasse, délicatement, de la cervelle de paresseux liquéfiée.

-Passez la cuillère sur les parois du chaudron et tournez vers l'intérieur. Ne laissez pas s'agglomérer la pâte au fond. Chauffez plus doucement, adaptez la température des flammes à celle de la pièce... Il faut du goutte à goutte pour l'infusion d'armoise, pas de pleines lampées! Délicatement la poudre, plus délicatement que cela Magellus.

Après l'ajout des crochets de serpent en poudre, elle ajouta les deux fils de vélane.

-Laissez les effleurer la surface au même moment, sur toute leur longueur.

Khorine serra les dents, elle n'y était pas arrivée. Elle ajouta de l'extrait de pensées au goutte à goutte, encore trop vite pour Severus, puis un crin de licorne sans réussir à le déposer de manière égale sur toute sa longueur. Elle laissa chauffer doucement et la potion devint améthyste, puis rose tulipe. Elle avait terminé. Elle coupa le feu sous son chaudron et se tourna vers Rogue. Il croisait les bras, un sourcil haussé et un rictus condescendant au coin des lèvres.

-Les standards des ASPICS ont bien diminué si vous avez réussi à obtenir plus qu'un Acceptable Magellus.

Ça ne la touchait pas, pas du tout, elle s'y était attendue.

-Très bien, j'ai compris. Je ne reviendrai plus vous importuner, professeur; répondit Khorine d'une voix égale.

Son visage était lisse et ne reflétait aucune émotion. Elle sortit sa baguette et lança un evanesco sur sa potion. Le reste des ustensiles fut posé au fond du chaudron et elle emmena le tout dans l'évier pour le nettoyer. Un lourd silence pesa dans le laboratoire. Elle n'allait pas pleurer, elle n'était pas peinée de son énième rejet. Avec calme et détermination, elle continua sa vaisselle, jusqu'à ce qu'une ombre la fasse sursauter. Rogue s'était rapproché, à sa gauche et le bout de son pantalon frôlait sa cheville.

-Quel maître allez-vous choisir, Magellus?

-J'ai reçu une proposition de plusieurs maîtres, BossuChaudron, De Windell, Beauregal, Etelenell, Peruviane et Officienne; répondit-elle dans un souffle.

Il y eut un silence.

-Tous des incapables; grogna Severus.

Se permettait-il de…

-Ecoutez; commença Khorine en sifflant, je ne…

-Revenez le premier septembre, à huit heures du matin. Nous commencerons par reprendre les bases, certaines vous font cruellement défaut.

-Je ne… Pardon? Hoqueta-t-elle en se retournant brusquement vers Severus.

Le sorcier avait reculé de deux pas sans qu'elle ne s'en aperçoive et l'observait à présent, avec un rictus narquois.

-Vous faut-il que je me répète?

-Non, … Oui… Ecoutez, je ne suis pas sûre d'avoir bien compris.

Il se détourna d'elle et monta la volée de marche qui ramenait dans son salon, elle le suivit en courant. Là, il s'installa à son bureau, fit voler plume et parchemin à lui et y griffonna trois lignes qu'il ensorcela avant de lui tendre. Khorine reçut le parchemin dans des mains tremblantes. «Moi, Severus Tobias Rogue, m'engage à prendre en apprentissage Mademoiselle Khorine Magellus selon les lois du Code des Potionnistes». La date. Sa signature.

-Signez Magellus; entendit-elle sa voix de très loin.

Elle reçut une plume, les oreilles bourdonnantes, sans y croire, s'attendant à ce qu'il lui retire le parchemin d'une seconde à l'autre. La pointe de la plume se posa sur le papier, à côté de la signature de Severus. Elle traça un grand M, rien ne se produisit, sauf ces étincelles de magie, crépitant autour d'elle. A,g,e,l,l,u,s, elle souligna le tout et détacha la plume du parchemin. Il y eut un dernier rush de magie et Rogue récupéra le parchemin, qu'il rangea dans son bureau.

-Premier septembre, huit heures. Ne vous avisez pas d'être en retard.

-Bien professeur.

La porte du numéro 15 Impasse du Tisseur se referma derrière elle, juste après.

-Bonne… journée…; murmura Khorine.

Elle était l'apprentie de Rogue. Dans un état second elle rentra au Square Grimmauld et l'annonça à son père, à ses meilleurs amis et aux Weasley. Ils célébrèrent la nouvelle le soir-même, Ron se prenant régulièrement des tapes sur la tête à chaque fois qu'il parlait de bâtard ou de chauve-souris des cachots, son père rayonnait de fierté et Hermione ne cachait pas son regard entendu. Elle était la seule à savoir pour son attirance pour Rogue.

Les deux mois de leurs vacances filèrent comme le vent. Harry et Ron furent acceptés dans la filière Auror du Ministère de la Magie, Hermione obtint un apprentissage chez le plus grand maître d'Arithmancie de Grande-Bretagne et Ginny chez un Médicomage de Sainte-Mangouste. Autant de raisons de célébrer.

Le premier septembre, le cœur battant à tout rompre, Khorine toqua à la porte de son maître et fut accueillie par un homme sombre et glacial. Elle le suivit jusqu'au laboratoire où bouillonnaient déjà cinq gros chaudrons. Son maître s'occupait de fournir une grosse partie des apothicaireries de Grande-Bretagne ainsi que Sainte-Mangouste et différents commerces en potions, onguents, cataplasmes. Il lui expliqua qu'elle pourrait être amenée à participer à ce travail lorsque ses potions seraient parfaites. Khorine avait des gants de protection en cuir de dragon, des chaussures pleines, un pantalon noir lui couvrant les jambes et un petit pull noir par-dessus son chemisier. Elle pouvait commencer en toute sécurité. Son maître lui montra où se trouvaient les ingrédients, les chaudrons, les différents instruments, ensuite le travail commença. Les cinq premiers mois, elle s'attela à refaire toutes les potions qu'elle avait faites au cour de son cursus, plusieurs fois, répétant chaque geste demandé jusqu'à ce qu'il soit parfait, pas de fils dépassant de ses cubes de botruc, la poudre fine de sélénite à granulométrie égale, la maîtrise du mélange, combien de quart de tour dans le sens horaire ou anti-horaire, sentir comment la potion réagissait, prévoir ce qui allait se passer et pourquoi, modifier la chaleur des flammes sous le chaudron en fonction des besoins, quelle était la température de la pièce, l'humidité, en quoi cela changeait les paramètres de confection de la potion. Ils partirent cueillir des ingrédients et elle apprit à les reconnaître, à savoir où ils poussaient, comment les dénicher. Durant son apprentissage elle n'avait droit qu'à un carnet, dont elle se servait uniquement pour noter ses idées. Elle en avait des dizaines au Square Grimmauld, remplis au fil de ses années de réflexion à Poudlard.

Un jour, après avoir enfin reçu un léger signe de tête approbateur de Severus à son quinzième chaudron de Felix Felicis, alors qu'elle était en train de ranger ses ingrédients et qu'il remplissait un panier de fioles de Pimentine, Severus l'informa:

-Un projet création est demandé aux apprentis avant la fin de la première moitié de leur apprentissage.

Ils passaient enfin à la partie création! Il la jugeait prête!

-Oh c'est parfait, j'ai beaucoup d'idées, je les ai toutes inscrites dans des carnets. Rien que celui-là; s'enthousiasma-t-elle en sortant celui qu'elle emportait partout avec elle, contient au moins une cinquantaine d'idées. Je…

-Vous en sélectionnerez une, que vous tenterez de me faire accepter; la coupa Severus d'un ton glacial avant de se détourner dans un envol de cape, le panier de flacons sous le bras.

Il sortit du laboratoire et Khorine, sans se départir de son excitation, entreprit de se replonger dans les idées couchées sur son carnet. Peut-être celle avec la poudre ocre et l'extrait de salsepareille, ou les dards de billywigs et le crin de kelpie, ou alors… Lorsqu'elle rejoignit son maître dans le salon, elle avait le nez plongé dans son carnet. Rogue était assis dans son fauteuil, l'air sombre, le regard tourné vers le feu agonisant dans l'âtre. Elle était sa pire torture, chaque jour, avec son sourire, son regard plein d'étincelles, sa voix cristalline résonnant dans son laboratoire, le tapement léger de ses pas contre les dalles, son odeur, le frôlement de son corps lorsqu'elle se penchait pour attraper un ingrédient. Il se serait damné pour ne serait-ce que tendre le bras et l'étreindre une fois, une seule fois, contre lui, son corps frêle emprisonné contre le sien. Elle ne pourrait pas s'échapper. Il était monstrueux.

-Maître; entendit-il, le tirant de ses pensées noirâtres, j'ai une potion que j'aimerais beaucoup tester! J'avais pensé à utiliser de la sève d'if avec du mélilot gâté et des fils de vierge pour créer un remède aigu à l'embolie. Je me suis dit…

Elle était meilleure que lui à son âge et il avait été encore moins présent que Slughorn à son époque. Le flot de ses paroles mourut sans qu'il s'en aperçoive. Et soudain, il cilla, Khorine le fixait droit dans les yeux, ses yeux d'un bleu océan, tout sérieux et inquiets:

-Est-ce que vous allez bien?

-Pourquoi n'irai-je pas bien Magellus?

-Je ne sais pas…; répondit-elle avec tact avant de se reprendre et de se conduire en Gryffondor. A cause de la fin de la guerre, de tous les morts de l'Ordre du Phénix et de beaucoup de sorciers, et de moldus, de l'attaque de Voldemort qui a failli vous tuer…de la mort de Dumbledore…

Il y eut un grand silence, et puis:

-Essaieriez-vous de me remonter le moral Magellus? Laissez-moi vous apprendre qu'il ne s'agit pas de la meilleure manière de faire.

Elle eut une moue gênée, adorable, et Severus sentit gonfler en lui le désir de l'approcher, si peu. Le feu vacillait dans l'âtre.

-Je ne ressasse pas le passé Magellus, une des raisons pour lesquelles je suis encore en vie, et je vous conseille de faire de même. Maintenant montrez-moi votre carnet.

Elle le lui tendit et leurs doigts se frôlèrent dans la manœuvre. Ils en furent tous deux électrisés. Khorine se mordit la lèvre pour ne pas montrer son trouble et Rogue laissa un long rideau de cheveux gras cacher son visage. Il ouvrit le carnet et l'étudia, il l'étudia un long moment avant de conjurer de l'encre et une plume. Il raya une idée, en entoura une autre, ajouta des notes, Khorine le regardait faire, stupéfaite. Le temps s'écoula, lent, crissant sous la plume de Severus, volant dans les discrets soupirs de Khorine. Elle ne savait pas s'il rayait ses idées et laissait des sarcasmes dégradants ou s'il y avait ne serait-ce qu'une seule de ses idées qui avait retenu son attention. Elle attendit. Une heure passa. Et, alors que ses paupières se fermaient toutes seules, endormies par le ronronnement de nouvelles flammes, Rogue lui rendit son carnet.

-Nous commencerons par la potion à base d'if, de mélilot gâté et de fils de vélane. Il manquera au moins deux ingrédients pour assurer un équilibre hypothétique, vous lirez mes notes à ce sujet. Il faudra tester leur réactivité en mélange et différentes concentrations. Ensuite nous passerons sur votre idée à base de scarabée et d'excréments de moonacre, ces deux ingrédients sont largement sous-évalués pour leur potentiel curatif; puis il s'arrêta, sèchement. Vous lirez mes notes pour demain, rentrez chez vous.

Khorine n'en croyait pas ses oreilles, elle resta à le fixer avec de grands yeux de hibou.

-Merci.

-Rentrez chez vous, il se fait tard.

L'apprentie finit par obtempérer. Et revint le lendemain, avec un grand sourire et un regard flamboyant. Ils commençaient vraiment son apprentissage! Et avec les trois quarts des idées de son carnet validées ils pouvaient en avoir pour des années! Rogue l'accueillit sèchement, comme à son habitude. Elle n'en prit pas ombrage, la vie était belle! Au fil des semaines elle en apprit plus sur les potions qu'en une année d'autodidacte. Elle connaissait les équations de Kinet, de Cromwell, de Lash & Cornell qui permettaient de calculer les concentrations optimales en ingrédients dans la plupart des potions. Cependant Rogue lui apprit qu'il en existait d'autres, plus complexes. Elle touchait du doigt l'art subtil des potions et découvrait l'élégante approche de son maître, les calculs minutieux, la synergie des ingrédients qu'il choisissait au lieu de les forcer à se mélanger. Ils parvinrent à terminer leur remède aigu pour l'embolie en deux mois, l'approche était osée et belle, il s'agissait de la première potion disponible pour soigner la pathologie et elle fut accueillie à bras ouverts par la communauté des médicomages et des potionnistes. Sans s'arrêter, l'apprentie, sous l'œil attentif de son maître, dirigea ses efforts vers un remède au déboulunement. La potion fut plébiscitée dès la publication de leur article. Au fil du temps et alors qu'ils commençaient ensemble à travailler sur une nouvelle potion qui s'avérait d'une grande complexité, Khorine se rendait compte des changements opérés dans leur relation. Severus était toujours aussi froid, mais il la laissait parler, il l'écoutait et à bien des égards il la traitait comme une égale. La vie au laboratoire était délicieuse, en arrivant le matin Khorine ne savait pas ce qui l'attendrait, si la potion risquait d'exploser, si leurs calculs les mèneraient vers une avancée décisive, si elle parviendrait à déceler un micro sourire caché au coin des lèvres de Severus.

-Monsieur, avez-vous pensé à prendre un associé? Demanda l'apprentie alors qu'une dizaine de chaudrons de pimentine bouillonnaient et retenaient Severus de se plonger avec elle dans les algorithmes d'Eschenschtet.

L'homme lui avait interdit quelques jours plus tôt de l'appeler par son titre, elle avait alors demandé avec hésitation si Monsieur pouvait convenir et il avait accepté d'un sec hochement de tête avant de la remettre au travail.

-Serait-ce à dire que vous me jugez incapable de concevoir une trentaine de chaudrons par jour? Répliqua-t-il avec un dédain palpable.

-Non, évidemment! Mais vous diviseriez votre temps de travail pour votre société par deux et vous pourriez avoir plus de temps pour la recherche; tenta-t-elle d'expliquer avec l'aplomb qui lui restait.

Le regard qu'il lui lança évoquait tout le bien qu'il pensait de son idée. Khorine soupira, et se replongea dans ses algorithmes. Voilà ce qu'elle gagnait à penser tout haut. Surtout qu'elle ne voulait pas partager son maître avec qui que ce soit.

Le temps continua de s'écouler, ces mois devinrent les plus enrichissants, les plus extraordinaires, les plus heureux de la vie de Khorine. Ils finirent trois nouvelles créations, son maître déposa des brevets à leur nom, plus le temps passait et plus elle avait de latitude. Durant un de ses jours de repos au Square Grimmault, son père lui proposa de partir avec lui pour une semaine chercher des ingrédients rares dans le désert péruvien. Pourquoi pas? Cela ferait partie de son entraînement et elle avait déjà une idée de potions à partir de plusieurs ingrédients rares. Rogue ne s'y opposa pas. A son retour, ils créèrent un enduit pour attirer les éclairs lors d'un orage.

Insidieusement, cependant, la fin de ses trois années d'apprentissage approchait. Elle commençait à recevoir des propositions d'emploi. A vrai dire, si elle se risquait à compter, il pouvait bien ne lui reste que cinq mois.

Elle mettait de l'ordre dans ses notes et ses carnets avant une expédition avec son père de quelques jours au plus profond de la Forêt-Noire d'Allemagne, lorsque l'ombre de Severus se propagea sur ses parchemins. Elle releva lentement la tête, prête à l'entendre grogner pour la énième fois qu'elle avait besoin de comprendre ce qui n'allait pas avec leurs derniers tests et pas de batifoler dans les bois à la recherche de plumes de wolpertinger. Mais lorsque leurs regards se rencontrèrent, le bleu océan contre le noir de nuit, rien ne vint. Elle continua à le fixer, un brin dérouté. Rogue fronçait les sourcils, les lèvres pincées, les mains serrées dans son dos.

-Nous avons déjà discuté des offres de travail qui vous ont échues. Il serait sage de prendre une décision à votre retour d'Allemagne.

-Oui, bien sûr.

-Il pourrait exister une autre opportunité; continua-t-il de son ton sec et froid coutumier. Il m'a été fait la remarque qu'un associé à la société de Prince Potions et al pourrait être avantageux.

Khorine ne put que le fixer, ébahie. Rogue maintenait sur elle son regard de suie et ses lèvres se fermèrent. Un étrange silence s'abattit dans la pièce. Khorine mit du temps avant de comprendre qu'il s'attendait à une réponse. Elle cilla, demandant la première chose qui lui passait par la tête:

-Quel pourcentage?

Un rictus naquit au coin des lèvres de son maître:

-80/20.

-50/50; attaqua-t-elle aussitôt.

-Vous ne jouerez pas longtemps à ce petit jeu, Magellus. Il est hors de question que je descende en-dessous de 70/30.

-Pensez à toutes les plantes rares que je peux ramener des confins du monde. Et qui, mieux que moi, pourrait vous montrer les ravages de l'alcool après seulement deux verres de whisky?

-Vous vous vendez à merveille Magellus; renifla-t-il.

-Qui vous satisfera par son travail, mieux que votre seule et unique apprentie? Et…

-Cessez de vous morfondre. Je consens dans ma grande mansuétude à 69/31.

Une heure plus tard, ils étaient encore dans de grandes négociations qui ne manquaient pas de piquant.

-Mais vous vous attendrez à ce que votre associé fasse la moitié des commandes, à ce rythme-là pourquoi ne pas accepter du 50/50?

-67/33, ceci est mon dernier mot.

Khorine hocha la tête de bonne grâce en signe d'acceptation, une petite étincelle dans les yeux.

-Je vais y réfléchir, Monsieur Rogue. Mais je dois vous prévenir que ma décision ne change pas. Je veux faire un tour du monde avec mon père à la fin de mon apprentissage. Je ne reviendrai en Angleterre qu'après.

-Donnez-moi votre réponse à votre retour.

Khorine profita de ses longues randonnées dans les forêts secrètes d'Allemagne pour cogiter, elle demanda des conseils à son père, n'était-ce pas dommage de rester au même endroit et de toujours travailler avec la même personne? Il y avait tant à découvrir! Trouver et garder un lieu de travail épanouissant était rare, que pouvaient apporter les chercheurs du Ministère ou les professionnels de Sainte Mangouste de plus que le meilleur potionniste de Grande-Bretagne? Elle n'avait pas de contrainte d'horaires, elle pouvait partir chercher des ingrédients avec son père quand elle voulait. Secrètement son cœur s'emballait à chaque fois qu'elle repensait au moment où il lui avait fait sa proposition. Il devait au moins apprécier de travailler avec elle, leurs échanges d'idées au coin du feu, leurs repas face à face des parchemins de calculs étalés autour d'eux, les glougloutements apaisants des chaudrons de leurs expériences sur le feu…

-Viendra un jour où tu comprendras au plus profond de toi qu'il te faut toujours un port d'attache; lui dit son père en lui tenant une jeune branche pour qu'elle puisse sauter par-dessus.

-Je t'ai toi, et j'ai Square Grimmauld; rétorqua Khorine en haussant les épaules.

-Ne prends pas ton père pour plus bête qu'il ne l'est.

Osant un coup d'œil vers lui, elle ne put manquer l'étincelle malicieuse au fond de ses yeux gris. Sa tresse flottait au vent et il y avait ce petit sourire en coin. Savait-il… Elle fut coupée par l'exclamation de Livius qui venait de dénicher des champignons asphyxiants rares. Khorine suivit, hébétée. A son retour, elle s'engagea auprès de Rogue à revenir après son tour du monde.

-Je vous le promets; insista-t-elle devant son air sceptique.

-Ne vous donnez pas cette peine Magellus, nulle promesse ne m'a été faite qui n'ait été brisée.

Et dans sa voix et sur son visage, par-delà son masque neutre toujours en place elle sentait quelque chose, une vague de douleur, des ombres du passé. Elle ne sut quoi répondre, Severus se détourna vers le laboratoire où ils reprirent leurs expérimentations. Cette vision de lui qui souffrait ne la quitta pas de toute son absence.

Ils purent mettre au point une dernière potion ensemble avant la fin de son apprentissage. Durant son examen, elle eut des ingrédients à reconnaître, nommer leurs propriétés, plusieurs potions dans lesquelles ils étaient utilisés, elle eut plusieurs chaudrons à réaliser en même temps et pour finir elle dut proposer une modification de la potion de Sommeil Sans-Rêve. Cette dernière épreuve prit plus longtemps que prévu, elle trouva d'autres ingrédients permettant un sommeil doux et réparateur plutôt que le sommeil lourd au réveil pâteux de la potion initiale, elle venait d'y penser et commença devant le jury les algorithmes permettant de calculer les quantités d'ingrédients à ajouter. Son maître l'avait bien entraîné. Les vieux potionnistes du jury prirent des notes. Quelques jours plus tard, elle et six autres apprentis montèrent sur l'estrade de la Guilde des potionnistes et reçurent leur diplôme de Maître et Maîtresses des Potions. Leurs contrats d'apprentissage se brisèrent. Severus disparut de la salle avant même la fin de la cérémonie. Elle avait vu son ombre passer les grandes portes et son cœur l'avait senti partir. Elle ferma les yeux, inspira, et quelques temps plus tard rejoignit la foule, ses meilleurs amis qui continuaient à applaudir, et son père rayonnant de fierté. Elle leur sourit et oblitéra de son esprit les brisures de son cœur. C'était un jour de célébration par Merlin! Son père les laissa partir au Chaudron Baveur, ce fut une bonne soirée! Ronald n'avait pas été aussi ivre depuis des lustres, elle non plus d'ailleurs. Ce fut… une bonne soirée…