Chapitre 16

La tempête enfla au cours de la nuit, sifflant à mes oreilles, déchaînant des tourbillons de plus en plus violents, se brisant contre les parois de mon crâne... Je pus dormir un peu pourtant, au chaud, dans ses bras. Le réveil sonna soudain, l'orage explosa! Je me roulai en boule, enserrant ma tête dans mes mains. Douloureux, c'était trop douloureux...

-Lumare, Lumare, où sont vos potions contre la gueule de bois?

R-Rogue?

-Mon bureau; haletai-je avec difficulté, premier... tiroir. Les trois.

Une perte de chaleur soudaine, intolérable. Et puis Rogue revint, apposa contre mes lèvres le premier goulot, le deuxième, le troisième. Je soupirai les yeux toujours fermés, avant de revenir me serrer contre lui. Ça allait bientôt passer, dans dix minutes... La tempête s'apaiserait, mais je ne pouvais pas le laisser partir tout de suite. Mes doigts restèrent accrochés à sa chemise, mon front brûlant caché tout contre sa peau, dans le creux de son cou.
Je restai longtemps ainsi, puis la douleur s'estompa... Il devait être plus de sept heures, ma séance de Métamorphoses commençait dans à peine une heure, et j'avais des documents écrits de la main de Nigerus qu'il me fallait lire avant midi. Soupirant, je me détachai un peu de Rogue, pour aviser l'étreinte qu'il ne relâchait pas.

-Professeur? Murmurai-je, relevant la tête vers lui.

Ses yeux emplis de fièvre étaient cernés de gris, sa peau cendrée, ses lèvres sèches, ses cheveux graisseux étalés contre l'oreiller. Il semblait très fatigué, et malade.

-Ne me quittez pas; souffla-t-il...

Caressant ma mâchoire, les longues boucles de mes cheveux sombres, il se rapprocha de moi et finit par poser son front contre le mien. Je me laissai faire en fermant les yeux, sans éprouver ni peur ni dégoût. Pourtant...

-Il va bien falloir que j'aille en cours, tout comme vous professeur.

Je le sentis se crisper, rouvris les yeux pour tomber au plus profond des siens.

-Il... n'est que sept heures.

Rogue était étrange. Et je retrouvais ce regard particulier qu'il me destinait déjà avant mes ASPICS...

-Juste le temps pour se doucher et aller manger à la Grande Salle, alors; répondis-je en échappant rapidement à ses bras.

Il eut un réflexe dont la raison m'échappa, je me contentai de m'écarter du lit d'où il ne bougeait plus, de m'enfermer dans la salle de bain. Il ne forcerait pas le loquet, et s'il le faisait je pouvais me défendre aujourd'hui, ma magie sans baguette était assez puissante pour le repousser, s'il... Rogue ne tenta rien. Je sortis quelques temps plus tard vêtue d'une chemise blanche légère, d'un pantalon, pieds nus, les cheveux toujours détachés et à peine dégoulinants. Il n'avait pas bougé du lit, le regard perdu dans le vague.

-Professeur? Vous viendrez au petit-déjeuner ensuite?

Il se tourna vers moi...

-Oui.

Je ne me sentais pas en danger, je n'avais même pas honte de l'avoir pratiquement supplié de dormir avec moi, de l'avoir embrassé. Je me contrôlais. Mes peurs commençaient à s'écrouler devant moi.

-Je vous attends alors; répondis-je en allant chercher quelques papiers rangés dans la bibliothèque.

Les documents de Nigerus. J'entendis Rogue quitter le lit à ma gauche... Ne me quittez pas... Est-ce que... Il marchait vers moi. Je me retournai, l'observai. Son masque de neutralité était de nouveau en place, mais ne cachait pas les marques de sa fatigue, ni l'éclat particulier de ses yeux.

-Allez-vous continuer le processus de transformation Animagus?

-Oui.

Je ne pouvais pas abandonner maintenant.

-Il est à espérer; susurra-t-il, que Minerva ne vienne plus m'interrompre en plein milieu d'un cours pour me supplier de vous sauver.

Je crispai à peine les mâchoires.

-Je demanderai au professeur Mac Gonagal de ne plus vous déranger, quelles qu'en soient les raisons.

Il était encore capable de remarques méprisantes. Ça ne m'étonnait pas, contrairement à ce qu'il avait murmuré un peu plus tôt... Ne me quittez pas.

-Ce n'est pas ce que je demande, Lumare; fit-il en se rapprochant. Je ne veux pas qu'il vous arrive quoi que ce soit...

Est-ce qu'il venait de...

-Prouvez-moi que vous pouvez continuer; susurra-t-il en s'arrêtant à quelques centimètres de moi, me surplombant par-dessus son nez busqué.

Il avait un rictus particulièrement énervant; je ne parvenais pas à déterminer s'il pouvait s'inquiéter pour moi ou si ce n'était qu'une excuse pour me retenir contre lui.

-Je peux vous réciter n'importe quel poème d'Edgar Alan Poe ici-même, en face de vous. Chose que je ne pourrais pas faire si j'étais aussi terrifiée que vous semblez le croire.

Il haussa un sourcil, je crois que je parvins même à m'en amuser.

-Une démonstration? Que diriez-vous du Corbeau, ça a toujours été mon texte préféré?

Une lueur d'amusement brillait dans mon regard, de défi aussi. Rogue sembla s'adoucir à cela, et hésiter... Il finit par se détourner, utiliser la salle de bain à son tour. Il avait été si proche, si près de me toucher... Je grimpai sur mon lit avec les documents de Nigerus et entrepris de les étudier pendant que Rogue se douchait. Il me restait deux parchemins à parcourir lorsqu'il sortit de la salle d'eau. Et j'aurais été bien en peine de trouver une seule différence entre un être Roguien avant et après la douche.

-Nous y allons? Demandai-je, me levant déjà.

Il était plus de sept heures et demie mais en voyant Rogue à sa table, j'étais certaine que mon professeur de Métamorphoses excuserait mon retard. En marchant dans les couloirs sans un mot, j'eus le temps de mettre un peu d'ordre dans mes pensées. Le contrat était détruit, c'était une certitude, même si nous étions toujours liés... d'une manière que je ne m'expliquais pas encore très bien. Il pouvait me toucher, m'embrasser, j'éprouvais de l'apaisement en dormant contre lui; et Rogue m'approchait, me cherchait, me provoquait. Peut-être malgré lui.

-En ret... Severus! Quel plaisir de vous voir ici!

Il grommela vaguement en s'asseyant à ma gauche, la directrice à ma droite. Elle m'adressa un sourire triomphant dont je ne voulais pas vraiment comprendre la signification, puis insista pour servir des croissants à Rogue, des brioches et des petits pains, du café. Elle l'appréciait vraiment.

-C'est assez, Minerva; siffla-t-il finalement, excédé.

Il ne toucha pas aux viennoiseries. Deux cafés, juste... Mac Gonagal ne pouvait rien y changer.

-Nous pouvons consacrer les cours de ce matin à votre rapport de stage, Miss Lumare. Ne vous inquiétez pas, vous pouvez prendre tout votre temps avant de reprendre le processus de transformation.

Souriant un peu, je lui signifiai:

-Pas besoin d'attendre, professeur. Je peux continuer.

J'étais sûre de moi. Le professeur Mac Gonagal le découvrit et étira doucement ses lèvres pincées. Ce que je lisais dans ses yeux délavés me faisait penser à l'expression qu'avait Nigerus parfois...

-Vous êtes courageuse, Miss. Je suis fière de vous avoir dans ma maison.

J'accusai le coup en fermant les yeux. Profondément touchée. Et levai ma tasse de thé vers elle, un peu tremblante.

-Merci; murmurai-je.

Merci, merci...

oo0oo

Nous travaillâmes quatre heures, sans relâche. Je n'acceptai aucune pause, luttant au plus profond de mon esprit contre mes cauchemars et mes peurs. Elles ne disparaîtraient pas, en tout cas pas si vite, tout comme la douleur, la honte ou la haine que pouvaient faire ressurgir certains de mes souvenirs. Mais je n'y étais plus asservie, la flamme bleue me guidait, toujours, tout le temps. Elle m'entraînait toujours plus loin...

oo0oo

Je passai une grande partie de la journée du lendemain chez Neville et sa grand-mère, la création de sa potion avançait bien, et ses recherches botaniques étaient sans prix. Il avait découvert plusieurs candidats potentiels dont les effets additionnés pouvaient entraîner l'action recherchée sur son foie. Je devais encore faire de nombreux calculs, utiliser des notions et des méthodes chiffrées que nous avions mises au point avec Nigerus pour déterminer le mode d'action et l'ensemble des effets possibles d'ingrédients. Je dus manger le déjeuner avec eux et au moins six sablés à l'heure du thé. Neville m'adressait parfois un regard désolé lorsque sa grand-mère me forçait à en prendre un autre. L'heure du thé semblait le meilleur moment pour tenter les estomacs récalcitrants, ou non. Je m'en rendis aussi compte lorsque, après avoir quitté les Londubat, je parvins à White Road chez Hermione et Ronald pour déposer la gigantesque boîte de biscuit que j'avais dû emporter. Ron se jeta pratiquement dessus.

-Ronald Weasley!

-Mais ch'ais faim, Mione!

Harry avait accepté de poursuivre son stage les Samedi également, contrairement à Ron. J'avais hâte de voir tout ce qu'ils avaient appris. En attendant, nous parlâmes le reste de l'après-midi et je revins à Poudlard un peu avant vingt-et-une heure pour écrire mon rapport de stage. Journée bien remplie... Je ne vis pas Rogue. Ni le lendemain. Une semaine passa sans que je relâche mes efforts. L'Insomnia prise chaque soir, par habitude; mais plus proche de jour en jour de passer la cinquième défense de mon esprit.

oo0oo

Le Samedi suivant, nous étions déjà début Juin, je marchais dans les couloirs qui menaient à la Grande Salle déroulant mentalement les listes de calculs sur la compatibilité entre le mélilot et les œufs de Runespoor, lorsque j'aperçus Rogue un peu plus loin.

-Professeur!

J'accélérai le pas pour le rattraper, et puis lui demandai s'il comptait aller déjeuner aujourd'hui. Comme il allait dans la même direction que moi...

-Je suis occupé; grogna-t-il en continuant sa route.

Il semblait surtout plus épuisé que jamais.

-Expérimentations?

-Rien qui ne vous concerne; siffla Rogue ce qui ne manqua pas de m'agacer.

Je n'avais rien à rétorquer pourtant et le quittai quelques minutes plus tard. Il se dirigeait vers les serres probablement, ou la forêt Interdite. Pour trouver des ingrédients?

oo0oo

Je m'inquiétai pour lui tout au long du déjeuner. La forêt était dangereuse, même en pleine journée et on ne savait jamais avec les plantes carnivores des serres de Chourave. Et s'il venait à faire un malaise tout seul, étouffé par la chaleur? Ou s'il se faisait attaquer? Plus tard dans l'après-midi je dus aller déposer mon rapport de stage au bureau directorial, je récupérai un grimoire important et... finis par descendre aux cachots. Il était presque l'heure du thé, non? Je toquai trois coups à la porte de ses appartements, passai la main dans mes longs cheveux ébouriffés. Puis la porte s'entrouvrit, Rogue apparut dans l'embrasure.

-Lumare... Qu'est-ce que vous venez faire ici?

-Vérifier que vous ne vous étiez pas fait dévorer par des plantes carnivores ou des Acromentules; répondis-je le plus naturellement du monde en haussant les épaules.

Ce qui me valut un haussement de sourcil de Rogue, une absence de réponse momentanée. J'en profitai pour apercevoir le journal officiel de Potions, qu'il tenait dans ses mains. Il contenait toutes les nouvelles potions découvertes, les travaux et articles des scientifiques les plus réputés de notre communauté.

-Inutile de vous demander ce que vous faîtes.

Mon pressentiment était enfin confirmé.

-Effectivement...

Il affichait une mauvaise humeur et un rejet évident, mais il ne m'avait toujours pas claqué la porte au nez. Rogue n'allait pas bien... Et je n'eus aucun mal à entrer dans ses appartements. Il referma sèchement la porte derrière moi, j'observai son salon. Il y avait des grimoires, des journaux et des parchemins étalés sur sa table basse, des piles d'ouvrages sur son bureau et une dizaine de fioles alignées près de son pot d'encre. Il faisait froid au cachot, loin du soleil de Juin, dans l'ombre et l'humidité.

-Sur quoi travaillez-vous? Demandai-je, en revenant à Rogue.

Il me... fixait, appuyé contre la porte de sortie. Renfrogné.

-Comme vous le voyez Lumare, je ne suis pas mort, ni à l'agonie, et il se trouve que je n'ai pas le temps pour vos petits tours de Gryffondor.

Recherches confidentiels, alors? Je m'appuyai contre son canapé de velours noir près de sa cheminée froide et d'un des pans de sa gigantesque bibliothèque personnelle.

-Quels tours? Je ne vois pas de quoi vous voulez parler; lançai-je, une lueur de malice au fond des yeux. En revanche, j'aimerai savoir si vous avez correctement mangé aujourd'hui. Je ne vois pas trace du déjeuner que vous auriez dû prendre dans vos appartements.

Rogue soupira.

-J'imagine que Minerva est derrière tout cela.

Une moue de vexation m'échappa.

-Pas du tout. Il se trouve que tout membre de la maison Gryffondor est aussi capable d'initiative... En parlant de ça, votre cheminée est toujours reliée aux quatre coins du château.

-Lumare?

-Il est l'heure du thé si je ne m'abuse, et un Earl Grey combiné à de passionnantes recherches dans un endroit si... chaleureux ne pourra pas vous faire de mal.

Je n'attendis pas qu'il me l'interdise avant d'utiliser un peu de poudre de cheminette. J'atterris aux cuisines, commandai du thé et discutai un peu avec Livvy, avant de revenir aux appartements de Rogue. Il s'était installé dans son canapé, son nez busqué déjà plongé dans un quelconque texte du journal officiel de Potions. Je m'assis en tailleur à l'autre extrémité et rouvris mon précieux grimoire, une édition récente spécialisée dans les bienfaits de l'écorce de botruc. Rogue ne tenta rien pour me renvoyer, retournant manifestement son attention sur des sujets qui en valaient la peine, comme ses mystérieuses recherches. Ce fut Livvy qui apporta la théière brûlante, les tasses et les soucoupes, ainsi que les petites parts de gâteau que j'avais demandées. A l'odeur particulière du chocolat fin, des cerises et du kirsch, mon ex-professeur de potions releva la tête. Je tâchai de cacher mon sourire en coin.

-Qu'est-ce que c'est que ça? Siffla-t-il en pointant du doigt ces gâteaux disposés sur un plateau à plusieurs étages.

-Même vous devez savoir ce qu'est une forêt noire, professeur. Surtout que, d'après quelques elfes dont je tairai le nom, il s'agit de votre dessert préféré!

Cela me valut un de ses terribles regards noirs, mais il ne me jetait toujours pas dehors.

-Ne vous inquiétez pas, je n'en dirai pas un mot au professeur Mac Gonagal... Un peu de lait avec votre thé?

-Non.

Je me levai et versai du thé dans nos deux tasses. Cela paraissait presque irréel... Après toutes ces années de tortures en cours de Potions, le stage où il avait abusé de moi, cette année entière loin de lui écrasée par la terreur qu'il vienne un jour me récupérer, et finalement cette après-midi où nous nous retrouvions au fond de ses cachots pour lire et travailler tranquillement en buvant du thé. La situation n'était pas déplaisante pourtant. Je mâchonnai un morceau de pâtisserie puis le reposai dans ma coupelle, repris ma lecture. Je me sentais assez bien ici, plongée dans l'étude d'un grimoire passionnant, tandis que le temps s'écoulait, que la théière se vidait... quelques parts de forêt noire avaient disparues aussi et j'avais comme l'impression de ne pas avoir été la seule à y participer. Rogue devait s'être détendu petit à petit, assez pour croquer dans quelques gâteaux. Lorsqu'il m'arrivait de relever la tête de mes lignes, je l'apercevais travailler sur des articles du Journal officiel, remplir des parchemins de son écriture serrée en patte de mouche.
Sept coups finirent par sonner à la tour Nord. Il était donc dix-neuf heures, et nous étions un Sam... Merlin! Je me levai brusquement du canapé, marmonnant des Merlin en boucle. J'avais dit à Neville que je passerai en fin d'après-midi pour faire un dernier point avant mes prochaines expérimentations! Ce n'était pas vraiment ce qu'on pouvait appeler une fin d'après-midi!

-Merlin! Grognai-je. Professeur, je vais devoir y aller.

Je passai une main nerveuse dans mes cheveux noirs, vaguement consciente du rictus narquois de Rogue. Il ne manqua pas de formuler quelques sarcasmes...

-Vous viendrez dîner dans la Grande Salle ce soir? Pensai-je tout de même à demander alors qu'il m'ouvrait la porte de ses appartements.

-Peut-être.

Ce qui pouvait me permettre de déterminer avec exactitude, que je ne le saurais qu'en y allant. Je soupirai un peu, eus droit à un petit sourire sarcastique, et puis le quittai en courant.