Chapitre 11

Ils commencèrent leur voyage en rendant visite à des amis de son père, un couple de gardiens des forêts du Peak District qui recensaient les populations de créatures magiques, ils les aidèrent à délivrer un augurey d'une vieille tente déchirée oubliée par des campeurs, ils faillirent se faire écraser par trois gros sangliers non magiques du Yorkshire, Rhajen les mena à un rassemblement d'une vingtaine de serpent opalins et ils découvrirent un vieux dragon blessé qui devait s'être évadé d'une ferme où on le maltraitait. Il fut envoyé en Roumanie. Après cela Khorine et son père se déplacèrent vers le pays de Galles pour trouver deux espèces de fleurs rares, vers l'Irlande pour vivre quelques temps avec les sorciers nomades des plaines désolées, les paysages étaient à couper le souffle, si proches de l'Angleterre et déjà extraordinaires, ensuite ils partirent pour l'Ecosse et la station de recherche océanographique sorcière des îles Shetland. Les mystères marins les plus insondables y étaient étudiés, Khorine put même faire partie d'une expédition de plongée avec un ami de son père et une nouvelle recrue. Elle vit trois gros serpents de mer, des sirènes, une néréide, une minuscule fée des eaux, elle en ressortit les yeux pleins d'étoiles. Ensuite ils partirent au Groenland dans le plus grand sanctuaire de dragon. Khorine trouva de magnifiques écailles, sous la neige, de nombreuses espèces et des griffes à peine abîmées. La gardienne, bourrue et taciturne, sortait de sa coquille dès qu'il était question de ses protégés. Sous toutes ses couches de glace, Mertha Kalakek, avait un cœur d'une rare pureté. Au fil des semaines, Khorine le découvrit et se fit sa première véritable amie depuis le début de son voyage, touchée par la bonté de cette femme, cachée par une férocité et une méfiance d'égales ampleurs. La neige tombait, drue, bleue, et le monde était silencieux. Elles pouvaient rester des heures à fixer la neige tomber, perdue dans un silence chaleureux qui crépitait comme le feu de bois. Rhajen et elle s'arrachaient quelques fois au feu de la cabane pour parler à la dragonne matriarche qui maîtrisait le Fourchelangue. C'était un dragon étrange sans patte et sans aile qui volait par lévitation en ondulant dans le ciel. Mertha leur avait dit qu'elle venait d'une colonie chinoise exterminée par des braconniers.

-Ton temps ssss'est écoulé; siffla lentement la dragonne.

Khorine sursauta, les grands yeux sombres étaient tournés vers Rhajen qui se serra un peu plus autour de son bras.

-C… Combien de temps? Demanda Khorine.

Elle n'avait rien vu. Cela ne faisait que sept ans qu'elles se connaissaient, elle n'avait pas vu de signe d'épuisement, de fatigue, elle était aussi vive et douce que d'habitude.

-Ne compte pas… Il faut vivre sssacchant que chhhaque mort est inéluctable.

Khorine en voulait à Rhajen de lui avoir caché que ses forces diminuaient. Elle ne lui en voulut pas longtemps, le serpent était réellement plus lent et plus fatigué. Mertha fut d'une aide prodigieuse pour soigner et apaiser les douleurs du vieux corps de Rhajen qui la quitta un soir de lune bleue, au coin du feu, sa belle petite tête dans le creux de ses mains. L'opale de son serpent glissa entre les doigts de la sorcière et elle la garda longtemps contre son cœur. Le petit corps fut transporté au cimetière des dragons et fut gelé par un dragon des glaces. Elle était partie si vite…

Le départ fut douloureux. Khorine souffrait, elle promit à Mertha et aux dragons de revenir. En retour, elle reçut un sec hochement de tête de la sorcière et la porte se referma. Elle suivit son père et ils transplanèrent au nord du Canada. Une longue marche les attendait avant de trouver le clan de sorciers nomades de la région. Khorine marcha seule de longues heures dans les forêts enneigées, l'esprit triste tourné vers sa compagne de toujours. Rhajen lui manquait. Ses doigts se refermaient sur la petite opale froide et terne. En marchant, elle aperçut des corbeaux aux pattes gelées sur les branches qu'elle réchauffa doucement de sa baguette, un petit élan qui gambadait près de sa mère à la recherche d'écorce, la vie s'écoulait, Rhajen lui manquait… Elle la rejoindrait un jour. Ses pensées se perdaient dans le brouillard de sa mélancolie et son cœur revenait vers ceux qu'elle aimait, Severus… Hermione, Harry, Ron…

Mais elle n'était pas là pour s'appesantir sur ceux qui lui manquaient, elle était là pour découvrir le monde. Elle referma son cœur lacéré qui pendait lamentablement et le cacha au plus profond d'elle. Elle savait si bien cacher ses sentiments. Elle revint au camp, un sourire timide aux lèvres et fut peu à peu acceptée par le camp, son père et elle s'entretinrent avec le shaman, Khorine adorait se mêler aux enfants pour entendre les anciens raconter leurs légendes. Ils restèrent longtemps au Canada, puis partirent vers les Etats-Unis, Khorine détesta aussitôt leurs grandes villes, mais les paysages étaient grandioses et la faune et la flore lui remplirent ses sacs d'ingrédients. Ils sillonnèrent aussi le Mexique, les îles Galapagos, la Colombie, le Brésil. L'Amazone la charma comme nul autre biotope avant lui. La Bolivie, le Paraguay, l'Uruguay, l'Argentine, les paysages de la terre de feu étaient à couper le souffle. Et puis son père les transplana en Asie. La Russie et ses steppes désertiques leur tendit les bras. Ils firent une halte dans une petite ferme sorcière russe, un vieux couple les accueillit avec générosité et beaucoup de vodka. La fermière les emmena dès le premier jour assister à la naissance d'un bébé istobensk. La mère souffrait dans un coin de l'étable, les yeux écarquillés, les naseaux frémissants, la fermière la caressait de ses grosses mains rugueuses et chantait dans un vieux patois qu'elle ne comprenait pas. Les larmes montèrent aux yeux de Khorine sans qu'elle ne comprenne pourquoi. Elles roulèrent librement sur ses joues lorsque le petit veau dégringola dans la paille, couvert de placenta et que sa maman le lécha doucement. Les sanglots l'étouffaient. Son père se retourna pour lui demander ce qui n'allait pas, inquiet et la fermière disparut.

-Je… J'ai mal là; hoqueta-t-elle en montrant son cœur. Rhajen…

La douleur redoubla.

-Rhajen… me manque… Elle était toujours, toujours, là pour moi. Elle m'aimait. J'en suis sûre. Et personne d'autre... Morton, grand-papy, ma… ma mère, ils devaient me détester. Jamais personne ne pourra vouloir… de moi… Réussit-elle à hoqueter, repliée sur elle-même, se griffant le cœur.

Le visage de son père était glacé par une peine immense.

-Khorine; murmura-t-il tout doucement en s'avançant. Ce n'est pas vrai. Regarde-moi.

Les yeux bleus perdus, se fichèrent dans la douceur des orbes gris.

-Je t'ai adopté et je t'aime comme ma propre fille.

De grosses gouttes roulèrent sur les joues de la jeune femme. Livius continua:

-Rhajen a laissé un trou béant dans ta vie parce qu'elle était toujours là, auprès de toi, que tu pouvais te confier à elle et qu'elle te connaissait mieux que quiconque. Je sais. Perdre un être aussi cher vous déchire le cœur. Mais si Rhajen t'aimait aussi fort que nous le savons, il en est de même pour tes amis. Tu es aimée ici, n'en doute jamais.

Khorine haletait, la vue trouble, ses yeux sûrement fixés à ceux de son père.

-Severus ne m'aimera jamais; murmura-t-il si bas que Livius manqua de ne pas l'entendre.

Un fin sourire naquit au coin de ses lèvres. Les chagrins d'amour de sa fille…

-Pourquoi ne pas simplement demander au principal intéressé?

-Et… Et s'il me rejette?

-Cela signifiera peut-être qu'il n'était pas pour…

-Non! L'arrêta-t-elle paniquée. Il est le seul. Il m'a sauvé la vie, il m'a donné une raison de vivre, il m'a protégée toutes ces années. Je ne veux que lui. Il est…

-Je comprends; murmura son père. Peut-être faudrait-il passer à l'offensive dans ce cas?

-L'offensive?

-S'il te plaît tant que cela, pourquoi ne pas le charmer?

Une terrible rougeur envahit les joues de la jeune sorcière.

-Papa! Râla-t-elle.

-Nous allons prendre des leçons de charme; lança son père à la ronde.

La vache istobensk lui répondit d'un meuglement encourageant et peu après le bébé vacilla jusqu'à Khorine pour lui lécher le visage. Elle hoqueta de rire.

En rentrant chez les fermiers ils se remplirent de koulech au poisson et de thé en écoutant comment les deux russes s'étaient rencontrés et aimés. Khorine avait gardé les yeux grands écarquillés une bonne partie de la soirée. Et au fil des rencontres, au fil des couples qu'ils rencontraient, elle apprenait mille manières de mêler le fil de sa vie à celui d'un compagnon. Pour tous ces couples elle rencontra de nombreux solitaires qui jouissaient d'une douceur et d'un bonheur de vie aussi différent qu'enviable. Après avoir rencontré tant de gens différents et découvert tant d'histoires Khorine ne pourrait plus jamais s'appesantir sur son amour à sens unique.

Après la Russie ils descendirent en Mongolie, Chine, Japon, Indonésie et évitèrent de peu la mousson puis remontèrent par les Maldives, l'Inde, l'Iran, l'Arabie Saoudite. Des quantités de sociétés de sorciers vivaient reclus loin du monde des moldus, elle rencontra des sorciers de génie, des philosophes, des potionnistes, des herboristes, de grands mathématiciens et arithmanciens dont elle dévora les manuscrits et assista plusieurs travaux. Certaines rencontres étaient loin d'être aussi agréables mais ils s'en sortirent toujours sans blessures graves et continuèrent en traversant l'Afrique. Les paysages éthiopiens lui coupèrent le souffle. Elle entra dans le domaine de prédateurs magiques dont elle n'avait jamais entendu parler, participa à un rituel de chasse d'une tribu de sorcières guerrières. Ils bifurquèrent à Madagascar pour que Khorine puisse remplir son sac sans fond d'ingrédients endémiques de l'île, puis repartirent pour l'Afrique du Sud, le Nigeria, l'Egypte, l'Algérie et le Maroc. Des génies de sable manquèrent de les tuer, elle tomba dans un piège de goule et ne fut sauvée qu'in extremis par son père, elle aperçut des licornes d'Egypte à la crinière de feu et des phénix d'un noir de cendre. Et puis ils rejoignirent l'Europe. Le périple touchait à sa fin. Cela faisait plus de deux ans qu'ils étaient partis et ses amis lui manquaient, Severus lui manquait. Ils explorèrent les contrées sauvages de l'Italie, de l'Espagne, de la Suisse, de l'Allemagne et finirent par la France. Enfin… En ce début d'automne, Khorine serra le bras de son père et ils transplanèrent une dernière fois, en Angleterre.