Chapitre 17

Malgré mon retard et mon arrivée en catastrophe, je ne me fis pas trop gronder par Augusta Londubat et pus rentrer à l'heure du dîner. La Grande Salle était bondée d'élèves stressés, les examens de fin d'année arrivaient à grand pas. Ginny me fit un rapide signe de la main avant de reprendre ses révisions de... potions? Il faudrait que je participe à une de leurs sessions, voir si je pouvais les aider un peu.
La table des professeurs était presque remplie, Hagrid m'adressa un gigantesque sourire avant de retourner à sa conversation avec Chourave, Mac Gonagal dans le fauteuil directorial m'attendait en découpant ses escalopes de poulet, les lèvres pincées. Rogue n'était pas venu. Cela valut mieux au regard de la conversation que nous eûmes la directrice et moi.

-Le moment est venu, vous êtes prête, Miss Lumare. Plus prête que bien des élèves avant vous.

-Je ne suis pas sûre...

-Lundi sera parfait. Je vous laisse encore un jour pour vous préparer.

Elle semblait si certaine de ce qu'elle affirmait. Alors que mes progrès étaient récents, tout précipiter me semblait encore risqué... Nous en discutâmes, tout au long du repas. Je demandai plus de temps, elle me rétorqua que j'étais fin prête et qu'elle ne pouvait pas permettre de mettre fin à mon apprentissage sans avoir observé plus de dix transformations régulières et m'avoir appris à contrôler la partie animale de mon Animagus.

-Mais je ne saurais même pas comment redevenir humaine.

La lueur dans ses yeux ne me rassura pas.

-Voilà pourquoi je vais demander à Severus d'assister à votre première transformation; lança-t-elle en avalant sa dernière bouchée de tarte à la mélasse. Au moindre problème il pourra...

-Non! Grondai-je.

-Je trouve, au contraire, mon idée excellente; rétorqua mon professeur.

-Un Animagus est quelque chose de très personnel. Je ne compte pas le dévoiler à tout le monde, et je n'ai pas particulièrement envie...

La dispute continua dans les couloirs menant jusqu'à son bureau. Mais en tant que maîtresse de stage, elle avait l'avantage. Et je la soupçonnais de suivre un autre but que celui de simplement pouvoir m'assurer de retrouver ma forme humaine... Ce n'était pas pour me faire du mal. Je finis par accepter. Son regard brillait presque autant que celui du portrait de Dumbledore derrière elle.

oo0oo

J'étais assise dans le grand fauteuil confortable qui me servait pour chaque séance de Métamorphoses, Mac Gonagal me faisait face comme d'habitude, juste un peu plus tendue, les mains dans le dos à la manière du professeur Nigerus. Rogue aussi était présent, il venait d'arriver, et finit par s'adosser à un mur de pierre près de la porte. Notre activité l'ennuyait manifestement.

-Bien, puisque Severus nous a rejoint, nous pouvons commencer; lança Mac Gonagal, tendant son visage ridé vers moi.

-Prenez tout votre temps; grommela-t-il, je n'ai absolument pas d'épreuves de BUSES et d'ASPICS à organiser.

Un sourire amusé effleura mes lèvres, Mac Gonagal pinça les siennes.

-Estimez-vous heureux que cette séance ne se passe pas durant un de vos cours. Croyez bien que je me serais arrangée pour vous le faire rattraper.

Merlin, quelle bonne ambiance. Et on allait bientôt me demander de me détendre, me faire croire que j'étais en sécurité! C'était tout de même intéressant de voir Mac Gonagal s'accrocher à ses théories romantiques plus qu'improbables et Rogue les démonter par son cynisme naturel. On revint à moi.

-Je vous ai déjà expliqué les dernières étapes qu'il vous fallait franchir. S'il se passe quoi que ce soit, si vous ne parvenez pas à sortir, si vous perdez la flamme bleue, vous devez nous appeler. Vous avez bien compris?

J'hochai la tête, contrainte. La présence de Rogue commençait à s'effacer de mon esprit, je ne me concentrais que sur Mac Gonagal, sur l'épreuve qui m'attendait.

-La première transformation est toujours la plus difficile. Vous savez ce qu'il en est, on ne retrouve un chemin précis qu'en sachant où l'on souhaite arriver. Le fait de ne pas encore avoir repéré votre Animagus rendra sûrement vos recherches assez longues, les prochaines ne nécessiteront que quelques secondes.

J'hochai la tête, inspirai profondément. Quelque chose grondait au fond de moi, m'appelait et m'attirait. Quel animal? Je me l'étais toujours demandé... J'imaginais que tant que ce n'était pas un rat, ou un insecte, ou quelque chose d'aussi ridicule qu'une langoustine, cela me conviendrait. Mais j'avais besoin qu'il me soit lié, qu'il représente quelque chose, quelque chose pour moi.

-Vous pouvez reprendre votre position habituelle, et commencer; lança-t-elle, tendue, presque aussi excitée que durant un match de Quidditch.

J'oubliais le reste... le monde... Me recroquevillai dans mon fauteuil, fis appel à la flamme, la flamme bleue. J'avais les yeux fermés, et marchais pourtant en contemplant les flammèches céruléennes, tous les cris, les appels, les hurlements et la douleur qui me broyait le cœur s'estompaient; j'entendais plus loin un appel auquel je ne pouvais pas résister.

-Lumare? Vous me souriez à présent?

Je ne répondis pas, continuai mon chemin.

-Vous n'avez plus peur? M'est avis que vous n'avez jamais eu peur. Rien que l'autre nuit, la manière dont vous vous êtes jetée sur moi... En fait, vous souhaitiez vous le cacher, mais en secret vous...

-Je vous ai pardonné; murmurai-je, les mâchoires serrées mais toujours concentrée sur le feu.

Il grandissait, et des étincelles jaillissaient tout autour.

-Vous...

La voix de Rogue s'éteignait, j'étais en sécurité, derrière toutes les barrières de mon esprit... Une minuscule langue de feu continuait à se mouvoir, juste devant moi. Et le silence serein venait peu à peu m'envelopper, la paix, cet endroit ni sombre ni lumineux, infini mais perceptible. Je m'agenouillai, et attendis. Attendis... Il n'y avait rien devant moi, et puis soudain deux grands yeux océan. Un gémissement lui échappa, puis un jappement. Je souris, avançai une main vers lui, jusqu'à effleurer le bout de ses oreilles. Et l'instant d'après, une explosion soudaine, de gigantesques flammes azur dansant devant mes yeux, ma transformation.

-Doux Merlin! Entendis-je soudain s'exclamer.

Je répondis à Mac Gonagal par un étrange petit glapissement. La salle de Métamorphoses, j'y étais. Et mon professeur qui jurait devant moi pour la première fois, qui rougissait d'excitation. Mon cœur était soulevé par la joie, enveloppé par la sérénité.
Je sautai au bas du fauteuil et m'approchai d'elle, qui n'hésita pas à passer ses vieilles mains fripées dans ma fourrure noire, à me caresser la tête.

-Vous êtes une louve, Miss Lumare. Une louve magnifique; murmura-t-elle.

Je m'étais vue, et je le sentais. Je sentais mes longes griffes racler les dalles, chacun de mes muscles tendus, mon poil sombre, et mes oreilles, mon museau si sensibles -les rangées de crocs qu'il cachait-. Il y avait une autre personne dans la pièce. Je tournai aussitôt mon regard vers lui, et le reconnus. Rogue.

-Je vais de ce pas prévenir Albus! Je vous laisse tous les deux!

Mon professeur se redressa et puis s'éloigna et finit par refermer la porte derrière elle. J'y avais prêté attention, sans vraiment le faire. Le maître des Potions se trouvait toujours là, les bras croisés, appuyé contre le mur, m'observant de son étrange manière. Mon cœur se compressa douloureusement devant lui, j'avais envie... besoin... J'avançai, vers Rogue. Les pattes tremblant, le regard voilé. Du plus profond de moi, à cet instant, je ne souhaitais qu'une seule chose. Qu'il me prenne, qu'il me serre, dans ses bras. J'en avais besoin, et approchai de lui, qui s'agenouilla. Son masque de froideur s'était brisé, son expression, son corps et ses bras tendus... Je m'y jetai sans hésiter. Fermant les yeux, les pattes contre ses cuisses et le museau contre son épaule, serrée si fort.

-Je suis désolé; entendis-je dans un murmure étranglé. Tellement désolé.

Trop... douloureux... Je hoquetai et redevins humaine, pour m'agripper en retour à sa cape. Des larmes s'amoncelaient dans mes yeux sans que je puisse rien y comprendre. Et cette douleur intolérable, qui m'arrachait de tels sanglots. Je m'agrippai à lui, cachai mes larmes dans son col sans pouvoir répondre. Son cœur qui battait presque contre le mien, sa chaleur, sa respiration saccadée en écho à la mienne, sa présence, juste... J'avais besoin de lui, près de moi. Besoin, besoin... Je ne pouvais plus le quitter, plus, jamais. Jamais.

Il fallut bien par contre, que je me contraigne à le lâcher. J'attendis que Rogue fasse de même et puis sortis, sans lui adresser un seul mot ou un seul regard. Je venais de comprendre. Je venais de comprendre pourquoi j'avais tant besoin de lui.

oo0oo

Je toquai à ses appartements une semaine plus tard, à l'heure du thé, et ne manquai pas de le taquiner en avisant toutes les copies qui attendaient d'être corrigées sur sa table basse. Il grogna un peu, mais me laissa entrer, me laissa commander du thé à Livvy et puis s'installa à l'autre bout du canapé. Je repris ma lecture sur les propriétés des botrucs... Durant les quelques semaines qui me restèrent, malgré mon stage, mon travail au laboratoire, la potion pour Neville, les rendez-vous avec Hermione, Ron et Harry, les visites à Hagrid, mes promenades dans la forêt Interdite ou dans le parc de Poudlard; je m'arrangeais pour passer chez Rogue à l'improviste quelques après-midi par semaine, lire dans son salon.
Il me laissait toujours entrer et acceptai de manger parfois, un peu. Ce n'était pas pour autant qu'il revenait prendre ses repas dans la Grande Salle, ou qu'il les prenait tout court. Il maigrissait, plus pâle et plus fatigué au fil des jours. J'avais besoin de le voir, même si ce n'était que pour lui lancer une remarque insolente et recevoir un sarcasme en retour. Il me fallait profiter du temps qui me restait près de lui, parce que bien assez tôt, je retrouverais ma grande maison vide impasse des Apothicaires.

oo0oo

Le tome 3 du Volumen Medicinae Paramirum de Paracelse en main, je sortis de mes quartiers, avec l'intention plus ou moins évidente de le rapporter à son propriétaire. Et puis, en marchant dans les couloirs, je m'aperçus que le soleil s'inclinait peu à peu vers le lac, que les premiers rayons rougeâtres apparaissaient, que les nuages alentours se paraient de violet. Je rêvassai à cette vision, comme il ne m'était pas arrivé de le faire depuis des mois. Mes pas me conduisirent d'eux-même à la Tour d'Astronomie, à mon balcon préféré...
Cela faisait si longtemps que je n'avais permis à mon esprit de se détendre de la sorte... La brise fraîche de cette soirée de Juillet laissait onduler mes longs cheveux noirs, apportait les odeurs du lac et de la forêt. La forêt Interdite sombrait peu à peu dans l'obscurité, le lac se teintait de rouge avec l'horizon... J'avais tenté de me tuer l'année dernière, et ce paysage particulier aurait été ma dernière vision de ce monde, avec le sang, mon sang. Je n'avais jamais su comment Rogue avait fait pour me retrouver, mais il m'avait sauvé la vie...
Une chouette passa à tire d'aile devant le balcon. J'avais peur pour lui, il ne laissait plus entrer la directrice dans ses appartements, refusait toute sollicitude et tous les plats qu'elle pouvait lui faire apporter par les elfes de maison. Le fait qu'il puisse manger un peu lorsque je passais, et qu'il me laisse entrer chez lui aussi, tenait du miracle. J'avais peur pour après. Lorsque j'aurais quitté Poudlard, sans aucun moyen ni aucune raison de le revoir. Je ne voulais pas. Il le fallait.
Je passerai certainement l'été au Terrier, avec toute la famille Weasley, Ron et Hermione, Harry et Ginny. Je rendrai visite à Neville et parviendrai à terminer son baume et à déterminer l'aliment qui n'interagirait avec aucun des ingrédients ou de ses métabolites et qui permettrait d'optimiser le fonctionnement hépatique. Il y aurait peut-être aussi quelques travaux aux laboratoires Nigerus... Ou alors je n'en avais pas envie... J'étais fatiguée. La vue était magnifique, le rouge et or du ciel et du lac se paraît de rosé, les montagnes écossaises au loin, les longues étendues de forêt. J'étais amoureuse de cette vue. De Poudlard. Cette magie ancienne et mystérieuse qui s'écoulait dans les pierres du château, comme la sève dans un arbre centenaire. En première année, dès que je l'avais aperçu depuis le Poudlard Express, je m'y étais sentie liée. Et en entrant par la grande porte avec tous les autres élèves, il y avait eu ce sentiment de bien-être, la sensation d'être chez-soi. Poudlard m'avait sauvée, j'y avais appris la sécurité, et l'amour.

-Miss Lumare?

Cette voix, je me retournai doucement.

-Professeur Rogue? Murmurai-je, le regard océan profondément apaisé.

Lui ne l'était pas. Ses mâchoires crispées, ses yeux sombres s'effondrant comme des trous noirs sur un vide infini, le corps tendu, une main tremblante bien visible et l'autre cachée dans sa cape. Il... allait en sortir quelque chose... Non. Rogue la laissa retomber.

-Par définition même; susurra-t-il dans un souffle, les cachots se trouvent au sous-sol. Et si votre petit cerveau étriqué éprouve des difficultés avec les notions de base laissez-moi vous apprendre que la tour d'Astronomie et mes appartements sont diamétralement opposés. Problématique si votre but était de me rendre mon grimoire.

Le ton cinglant ne parvint qu'à m'arracher un léger sourire.

-Il est heureux que vous soyez venu me chercher alors.

Une brusque bourrasque laissa ondoyer mes cheveux sombres, à peine ceux graisseux de Rogue, sa cape seulement claqua derrière lui. Il ne répondit rien.

-Je me demandai si vous accepteriez de me prêter le dernier tome de la série des Volumen Medicinae Paramirum? Mon départ est fixé à demain mais je pourrais toujours revenir à Poudlard pour vous le rendre.

Il haussa un sourcil d'une manière à combiner la colère sourde qui grondait depuis peu à la moquerie.

-Je ne reste pas à Poudlard pendant les vacances. Croyez-le ou non, vos professeurs ont aussi une maison et une vie en-dehors de cette école.

-Bien sûr. Je vous l'apporterai chez vous dans ce cas, avec une forêt noire de chez Mme Pieddodu.

Pourtant ma malice ne tarda pas à disparaître devant l'air furieux qui venait assombrir ses traits.

-Prenez garde au ton que vous employez, Lumare. Je ne suis pas un de vos petits camarades auquel vous pouvez rendre visite avec n'importe quelle friandise sous le bras... Rendez-moi mon grimoire.

J'avais tout gâché, et je ne le reverrai plus. A regret, je m'avançai et lui tendis le livre. Nos doigts s'effleurèrent dans l'action, sa peau glacée, il s'écarta vivement et lâcha un dernier sarcasme mauvais avant de disparaître par la porte de la tour.
Je ne le reverrai plus... Ou peut-être de loin, de temps en temps. Je me retournai de nouveau, pour m'accouder au balcon, contempler le fin rai d'un soleil écarlate plonger dans les eaux du Lac Noir, oublier ma tristesse.

oo0oo

J'étais triste, et fatiguée... Il ne vint même pas au dîner. Mac Gonagal m'invita dans son bureau et nous discutâmes un long moment, de mes études, ce que j'allais faire, comment s'était passé ma déclaration d'Animagus au Ministère. Elle parla un peu de l'avenir de Poudlard, ce qu'il adviendrait, elle finit en parlant de ses professeurs... de Rogue. Je réfutai tout ce qu'elle put bien avancer et la quittai bientôt. Oh Poudlard..., je marchai doucement dans les couloirs silencieux, pensai à tous les élèves partis l'avant-veille, à Ginny me faisant de grands signes depuis le train. Cela m'arracha un léger sourire, puis j'entrai dans mes appartements, avalai ma fiole d'Insomnia, et n'eus que le temps de me mettre en pyjama avant de m'effondrer contre l'oreiller. Morphée était particulièrement accueillant ce soir...

On tambourinait, violemment, violemment... Un bruit saccadé, presque impatient et c'était comme si cela venait de ma porte. Etrange tout de même... Une brume opaque noyait mon cerveau... l'Insomnia... sûrement... J'ouvris un œil, parce qu'il le fallait, découvris qu'il n'était que quatre heures du matin. Je me recroquevillai sous les draps... Mais les battements étaient toujours insistants, et une voix, on m'appelait aussi, et c'était Rogue. Je me levai. Je vacillai difficilement en fait, et puis m'agrippai aux murs, à la porte de ma chambre, à la table du salon aveuglée par les chandeliers soudain enflammés, le canapé. Une pile de grimoires manqua me faire déraper, puis un parchemin par terre, je m'écroulai contre la poignée de la porte d'entrée. Toujours ces coups, ils résonnaient, dans ma tête aussi. Je déverrouillai le loquet. Dans le vague le plus total, les cheveux ébouriffés, en débardeur noir et pantalon de pyjama à carreaux rouge et or deux fois trop grand. Si je prenais le temps d'y penser, c'était un miracle que je ne me sois pas pris les pieds dedans.

-Un... problème? Marmonnai-je.

J'entrapercevais malgré ma difficulté, l'habit toujours sombre, la cape ample, sa peau blafarde même à la lumière des chandelles, sa crispation générale... Vraiment, il y avait un problème.

-Aucun; siffla-t-il. Pourriez-vous me laisser entrer?

J'obéis, avant même d'avoir compris ce qu'il me demandait. Il passa la porte, et s'avança dans mon salon, sur le sol peuplé de livres et de parchemins. Je restai un instant, désœuvrée à fixer la poignée entre mes mains. Vague impression qu'il fallait la pousser, et puis appuyer dessus pour refermer quelque chose. Je le fis, sceptique tout de même. Rogue me parla.

-Insomnia?

… C'était toujours plus difficile de savoir de quoi il parlait lorsqu'il ne se contentait que d'un mot par phrase. J'hochai la tête à tout hasard. Il eut une réaction incompréhensible, un rictus, un geste vers l'intérieur de sa cape. Il arrêta sa main. Longue et fine main blanche...

-Vos travaux sur le goût, ses exhausteurs, vous les avez conservés? Lâcha-t-il encore.

Ses mots n'avaient aucun sens, il les avait prononcé dans un ordre bizarre, et certains avaient été trop bruyants, éclatant, comme des bulles. Ils résonnaient encore. Je levai des doigts tremblants jusqu'à mon front, ma tempe droite. Mal, ça commençait à faire mal... J'agrippai mes cheveux, cachant mon œil sous ma paume. Toute cette lumière aussi.

-... discuter... plus tard; baragouinai-je.

-C'est important; gronda-t-il.

Le bon sens voulait... J'étais fatiguée, je ne pouvais pas; je ne pouvais plus.

-Laissez-moi, je ne sais plus.

Les deux paumes contre mes yeux et les tempes parcourues par des afflux de sang brûlant. Mes oreilles bourdonnaient et j'avais la nausée. Jamais, jamais, je n'aurais dû me réveiller. On m'entraîna, m'allongea sur du tissu doux. Une main froide vint apaiser la brûlure de mon front, éloigner mes haut-le-cœur, je m'y accrochai de toutes les forces qui me restaient. J'étais recroquevillée comme je le pouvais, les yeux fermés sous la douleur mais toujours accrochée à son bras. Il ne devait pas me laisser, pas maintenant, Rogue...

-... potions émétiques... C'est pourquoi vos travaux et vos compétences pourraient s'avérer utiles. Je vous demande de...

Il parlait, d'une voix rauque, si peu maîtrisée. Pourquoi tenait-il tellement à parler de ses potions? Je n'étais pas en état.

-... en collaboration. Acceptez-vous ?

Rogue se tut. J'avais entendu comme une question, mais les vagues de douleur qui submergeaient mon cerveau ne me laissaient pas vraiment le loisir d'approfondir la chose. J'ouvris les yeux quand même, un tout petit peu, pour tomber dans deux orbes noirs envahis de ténèbres. Hypnotiques. La souffrance s'effaçait. J'aurais pu passer ma vie dans leurs profondeurs.

-Acceptez-vous ?

Le ton était plus pressant, sa main glacée contre ma peau. Je n'avais pas remarqué l'autre, dans mes cheveux, qui les avait carressé un moment. Rogue souffrait. C'était évident.

-Oui.

Après ça, je vis une de ses mains se lever vers une poche intérieure de sa cape, en sortir un parchemin. Quelque chose, en mon for intérieur, sombra sous la terreur. Je paniquai. Ce fut la voix de Rogue qui vint me chercher encore, il m'apaisa, déposa une plume entre mes doigts. De l'encre au bout. Que je rapprochais du parchemin, du contrat.

-Non... Non, pas ça.

Sa voix, ses mots qui s'écoulaient de ses lèvres exsangues, sa main glacée contre mon front. Je signai. Puis il me fit déposer une goutte de sang. Est-ce que... Je... L'instant d'après, il avait disparu de mon salon. Je tremblais en me relevant, mais il n'y avait personne, et j'avançai difficilement vers ma chambre. Il n'y avait personne, Rogue n'était pas là, il ne l'avait pas été. Une hallucination, ou un rêve... Oui, un rêve... Je devais avoir rêvé.