Chapitre 18

Je me levai assez tôt le lendemain et en profitai pour faire mes bagages avant le petit-déjeuner. Mes carnets, les grimoires de ma chambre que je rétrécis pour les fourrer dans mon sac, puis les vêtements qui iraient dans ma malle. Une pile de pantalons, de tee-shirts et de chaussettes dans les bras, j'entrai dans mon salon, et manquai m'écrouler sur une pile de grimoires. Je ne tardai pas à les ranger, ainsi que tous les parchemins volants qui peuplaient le sol. Ce n'était pas très glorieux à dire, mais j'en trouvai encore quelques uns dans la salle de bain. Je m'occupai des photographies que j'avais entreposées sur le rebord de la cheminée, de l'album photo que je fourrai dans mon sac. J'eus encore le temps de m'occuper de mes chaussures, de mes plumes et de mes pots d'encre -huit cachés dans l'ensemble de mes quartiers- avant qu'il ne soit l'heure du dernier petit-déjeuner que je prendrais à Poudlard.
Je m'y rendis en soupirant, emplie de nostalgie, de la joie de revoir bientôt mes amis, de la peine de quitter Rogue... Je l'aperçus dès que j'entrai dans la Grande salle, il se trouvait en bout de table, son énorme nez plongé dans le Daily Prophet du matin.
Et Mac Gonagal essayait de lui parler par-dessus la conversation qu'entretenaient Hagrid, Flitwick et Chourave. Ils étaient les seuls professeurs de restant, avec Vektor et Sinistra. Je les saluai tous, souriant doucement, refusant de jeter ne serait-ce qu'un nouveau regard à Rogue, puis retrouvai ma place, près de la directrice. Elle grogna un peu à l'encontre de Celui-que-je-voulais-oublier, puis soupira en contemplant les quatre grandes tables vides face à elle. Je la soupçonnais d'aimer vraiment ses élèves sous ses airs stricts et pincés.

-Un pain au chocolat?

-Non merci, je vais me contenter d'un thé; répondis-je, tout en sachant très bien comment cela allait finir.

-Balivernes!

Elle m'en mit un d'autorité dans ma coupelle, et ne cessa de me fusiller du regard que lorsque je croquai dedans. Merlin, elle allait me manquer... Tout comme Hagrid qui, lorsqu'il finit par sortir de table, fit un détour pour me serrer une dernière fois dans ses bras. J'aimais vraiment Poudlard. Et, perdue dans mes pensées, je ne me rendis pas vraiment compte qu'il ne restait plus que la directrice, Rogue et moi à table.

-Vous me semblez fatiguée, tout de même, Miss Lumare. Vous êtes certaine que votre potion fonctionne.

Je grognai férocement, en hochant la tête. Et bus une gorgée de thé.

-Elle fonctionnait. Pas le moindre rêve, ou le plus petit cauchemar.

-Ce n'est plus le cas? Demanda-t-elle, tout en poussant discrètement un panier de petites brioches vers moi.

-Non. Ou... je ne sais pas comment l'interpréter... En fait, ça ressemblait plus à des hallucinations, mais la dose de jusquiame que j'y avais inséré était à peine suffisante pour apaiser le rythme cardiaque alors pour provoquer de telles visions! Surtout qu'elle est censée être éliminée à peine cinq heures après ingestion! Marmonnai-je.

Mon professeur gloussa un peu. C'était un son étrange venant d'elle. J'avais été tellement surprise lorsque je l'avais entendu pour la première fois.

-Racontez-moi cette hallucination.

Je me frottai un peu la tempe droite et puis marmonnai, malgré la présence de Rogue et le fait plus que probable qu'il soit en train d'écouter:

-Des battements... Comme des grimoires qui tombaient les uns à la suite des autres, et une tempête. Tout était lumineux, et sombre, il y avait de l'encre partout aussi. Un parchemin. Du sang...

Je ne reçus qu'un haussement de sourcil pour mon récit décousu, et une remarque sur ma possible folie. Et puis nous dûmes bien finir par nous lever de table.
Le professeur Mac Gonagal ne tarda pas à me prendre dans ses bras. Je répondis à son étreinte, fermant les yeux, agrippée à sa robe de sorcière et respirant des odeurs de petits sablés, de thé et de savon.

-Merci; murmurai-je sans me résoudre encore à la lâcher.

-Vous serez toujours la bienvenue à Poudlard, Khorine. N'oubliez pas.

J'hochai la tête et puis nous dûmes nous séparer. Le professeur Mac Gonagal remonta au troisième étage de la partie Ouest du château et je rentrai dans mes appartements de la partie Nord. Mes dernières affaires volèrent jusqu'à mon sac, ma malle. J'y fourrai aussi le sac des gros gâteaux pierreux de Hagrid, y ajoutai le récipient d'Augusta Londubat et m'amusai à rechercher mes derniers parchemins lorsque... on frappa à ma porte. Mac Gonagal, peut-être? Je n'étais pas certaine de retenir mes larmes si elles me serraient encore une fois dans ses bras.

-Entrez! Lançai-je, tout en retrouvant enfin la feuille qui me manquait sous mon canapé.

Elle ne contenait que des lignes de calcul, mais vitales pour saisir l'organisation et la dynamique des équations concernant les flux diffusifs, magiques et actifs (ceux qui se faisaient par consommation d'énergie). Grognant de satisfaction, je m'assis à même le tapis et... découvris des bottines sombres derrière mes rangées de chiffres, que... Je relevai la tête, les yeux écarquillés par la stupéfaction, et en tailleur devant Rogue. Qu'est-ce qu'il fais... Sa façon de me regar... Je m'empressai de me remettre sur pied.

-Humm; me raclai-je la gorge, gênée, un parchemin qui me manquait.

Il se permit un haussement de sourcil purement roguien, qui valait tous les sarcasmes du monde d'ailleurs, et je soupirai en me détournant. Je ne parvenais pas à rester impassible devant lui, je ne voulais pas le quitter, j'avais besoin de lui, et je ne devais à aucun prix le lui montrer. Jamais.

-Vous désirez quelque chose? Lançai-je par-dessus mon épaule en posant le parchemin au bon endroit dans la liasse déjà rangée.

Rogue était si près, et c'était ma dernière chance de... de quoi? Je ne pouvais rien lui dire, il ne devait rien savoir. C'était sans espoir. J'étais fatiguée, et triste. Je voulais qu'il s'en aille.

-Vous devez connaître la dose maximale de jusquiame sans effets secondaires.

-Bien sûr; rétorquai-je, et je dus me résoudre à me retourner et à lui faire face.

Il voulait parler de ma potion, alors? Me prouver que tout petit génie que j'étais, j'avais échoué.

-J'avais vérifié, et revérifié tous mes calculs, je ne comprends pas comment j'ai pu laisser passer une erreur aussi importante; murmurai-je entre mes dents serrées.

La colère, et la honte s'affrontaient dans mon regard, la fatigue aussi. Mes yeux étaient pourtant rivés aux siens et j'y cherchais du mépris. Je ne pouvais m'empêcher de le chercher. Mais Rogue ne montrait rien de tel, son masque de neutralité recouvrant chacune de ses émotions. Je ne voyais que son visage émacié et marqué par la fatigue, la fièvre.

-Votre dosage de la jusquiame était... acceptable.

Comment pouvait-il le savoir?

-Quelle grande confiance en mes capacités; me moquai-je. Mais si ce n'est pas ça alors, la seule explication,...

Oh Merlin, je blêmis. Non, pas encore... Je tournai un regard angoissé vers Rogue, plus rigide qu'à l'accoutumé. Ça ne m'interpella même pas. J'étais trop bouleversée, et atterrée. Après tous mes efforts, toutes ces heures de recherches, d'expérimentations, penchée au-dessus de mes chaudrons.

-Elle perd ses effets; murmurai-je. L'Insomnia perd ses effets.

Mon organisme s'était habitué à la potion, alors qu'il était trop tôt. Je n'étais pas encore prête. Prête à m'endormir sans filtre, sans être sûre de ne pas cauchemarder. Je commençai à faire les cent pas, sans m'en rendre compte. Je pensais à ce que tout cela impliquait, si les effets s'estompaient, si les cauchemars revenaient...

-Lumare! Tonna Rogue.

Je m'arrêtai aussitôt.

-Votre potion est adéquate, elle ne perd pas ses effets et la dose de jusquiame a été correctement calculée.

-Comment est-ce que vous pouv...

Rogue crispa les mâchoires, distinctement. Ce n'était jamais bon signe. Ce qui se confirma lorsque Rogue entreprit de me raconter qu'il avait toqué à ma porte, à plus de quatre heures du matin, que je lui avais ouvert et que nous avions discuté de potions!

-Une potion qui efface toute trace de cicatrice, qu'elles soient dues à des coupures, des sortilèges ou à des brûlures.

-C'est brillant!

Et je le pensais, mais quelque chose n'allait pas. Je le sentais d'instinct. P-peut-être que sous l'emprise de la potion, j'avais...

-Cependant, elle est émétique à ce stade.

-Problème de goût?

Il hocha la tête, lentement, sans rompre le contact visuel.

-Ce pourquoi j'ai demandé votre collaboration.

J'écarquillai les yeux. Non...

-Je... J'ai accepté?

Je l'observais, tendu et crispé au milieu de mon salon, et j'étais triste. Un brouillard de lassitude commençait à recouvrir chacune de mes émotions. En fait, je me fichais de la réponse. Cela m'obligerait juste à le voir un peu plus souvent, à cacher plus profondément mes sentiments, à me protéger pour ne pas lui permettre de me briser. Je ne voulais plus lutter. Il se tenait si près, ne pouvais-je pas me rapprocher? Le serrer contre moi? Oublier un instant cette peine immense. Je voulais me sentir protégée, encore, dans ses bras.

-Oui. En échange d'un nouveau contrat.

Je tiquai.

-U-un quoi?

Un contrat?
Mon cœur explosait, j'avais peur. Je fixais Rogue, sans vouloir le croire, lui qui maintenait difficilement son masque d'impassibilité en place.

-Un contrat qui vous donne tout pouvoir sur moi, durant la durée d'une collaboration réglementaire.

Lui? Un profond silence s'abattit sur le salon. Mon regard s'était voilé. J'étais figée et je souffrais. Aujourd'hui, ce matin, je n'en pouvais plus. Durant ces dernières semaines j'avais fait tout mon possible pour vaincre mes peurs, puis pour profiter des jours qui me restaient avec lui. Mais maintenant... je ne savais plus. J'avais l'impression d'avoir tout donné; de m'être battue jusqu'au bout, avec honneur. J'étais fatiguée, et des larmes s'amoncelaient entre mes paupières. Je me laissai tomber dans un canapé et cachai mon visage dans mes mains, pour pleurer, enfin. Je ne savais même pas vraiment pourquoi. J'aurais pu l'insulter, l'accuser d'abus de confiance, ou de trahison, lui ordonner de me livrer le contrat, et le détruire. Mais les larmes s'échappaient d'entre mes doigts pour rouler le long de mes mains, certaines le long de mes joues. Elles venaient goutter sur mes genoux. Rogue ne disait rien. Des sanglots silencieux me parcouraient et je n'en pouvais plus.

-Pourquoi? Murmurai-je finalement.

Je relevai les yeux, mais sans risquer de croiser son regard, juste assez pour voir qu'il s'était rapproché. Merlin, j'étais pitoyable. Je pleurais devant lui, devant Rogue !

-Pour rembourser ma dette.

Sa dette.

-Vous n'avez ni dette, ni obligation envers moi; répondis-je dans un souffle. Je vous ai pardonné.

Rogue ne répondit rien. Cela me laissa le temps de me ressaisir un peu, de passer une manche sur mes yeux et mes joues pour effacer les traces de ma faiblesse. Puis j'inspirai.

-Je suis désolée. Vos travaux sont passionnants, je me ferai un plaisir de vous aider dans la mesure de mes capacités. Mais le contrat n'est d'aucune utilité. Donnez-le moi, s'il vous plaît.

Je parvins enfin à le regarder dans les yeux à la fin de ma phrase. Et à regretter ce qui aurait dû être mon premier et dernier ordre. Son regard s'était durci, les coulées de lave sombre figées.

-Non.

Je blêmis bien avant lui, avant que le sang ne gicle d'entre ses lèvres. Il vacilla, je paniquai. Il ne devait pas souffrir, pas lui. Pas Rogue.

-Professeur! N-ne me donnez pas le contrat; lâchai-je tout contre lui.

J'avais brisé la distance, mue par la frayeur et je le soutenais à présent. Le tissu de sa robe de sorcier dans mes mains, son corps contre le mien, son souffle rauque à mon oreille. Je ne remarquai pas qu'il s'était tenu à moi lui aussi.

-Il faut vous asseoir.

Sa proximité... mais il était blessé.
Je parvins à le conduire jusqu'à mon fauteuil et à m'arracher à lui pour me ruer dans ma chambre, ma malle. Mon stock de potions! Stock... de... J'en avais une fiole quelque part, je le savais. Une fiole nacrée. Je balançai toutes mes affaires aux quatre coins de la pièce, fouillai les mains tremblantes, récitant des Amplificatum à tour de bras. Pour enfin trouver mon stock de Potions, la Cicatrix Partialis, et deux de mes RS. Je m'empressai de revenir à lui, pour paniquer devant son état. Il avait rejeté la tête en arrière, le teint cadavérique, et respirait difficilement, son torse se soulevait par spasmes... Je lui fis boire les potions et ne rencontrai pratiquement aucune résistance.

-Vous devez aller à l'Infirmerie, est-ce que vous pouvez marcher? Professeur; appelai-je.

Je ne pouvais empêcher l'inquiétude de transparaître dans ma voix, sur mon visage qu'il scrutait à présent.

-Non; siffla-t-il.

L'ordre que je voulus lui lancer mourut sur mes lèvres. Il aurait refusé et son état se serait détérioré. Il devait rester ici, je devais accepter son contrat... momentanément. Le silence s'abattit, sa respiration seule de moins en moins sifflante.
De longues minutes s'écoulèrent, puis, lorsque je fus certaine que les potions avaient fait effet et que son état était stable, je lâchai:

-Vous avez gagné, je ne le détruirai pas... Je vous promets que je ne détruirai pas le contrat tout de suite. Est-ce que vous pourriez me le remettre à présent, que j'en prenne connaissance?

Il ricana dans un souffle:

-Que vaut la promesse d'une Gryffondor?

Ses yeux sombres se voilaient et celui qui considérait sans doute comme une faiblesse de ne s'accouder ne serait-ce qu'à un mur par fatigue laissait reposer sa tête contre le haut dossier du canapé. Je ne savais où il trouvait encore la force de parlementer.

-Je n'ai qu'une parole; répondis-je, mortellement sérieuse.

Et je n'y avais jamais manqué.
Après cela il rétorqua encore un peu, puis sortit le parchemin de sa cape. Je le parcourus, consciente du regard de Rogue posé sur moi, sa brûlure. Il n'y avait qu'une phrase, celle qu'il m'avait citée. Pour en être certaine, je sortis ma baguette, la pointai sur le parchemin. Rogue se tendit dans le canapé, tenta un geste vers moi. Je ne fis que murmurer un: «Révèle-moi tous tes secrets...», le parchemin scintilla, mais aucune nouvelle clause n'apparut et je rangeai ma baguette. Lui se laissa retomber contre mon canapé. Je soupirai, mis le contrat dans une poche, avant de me renfoncer dans mon siège. Le silence s'étendit, de nouveau... Nous nous observions, je ne pouvais détacher mon regard du sien. Si sombre et profond, infini...

-Qu'avez-vous prévu ensuite? Lâchai-je, à peine mordante, sans parvenir à me détourner.

Ses orbes noirs se firent plus perçants et plus fiévreux. Il apparaissait faible, rongé de l'intérieur, seuls ses yeux étaient encore emplis de flammes.

-Que pensez-vous ?

Ce que je pensais? Que Rogue n'était pas idiot, et que, contrat ou pas, il finirait par découvrir ce que j'avais à cacher. Je ne faisais qu'accélérer les choses en acceptant. Et j'avais besoin de lui.

-Je pense que vous vous attendiez à obtenir la deuxième chambre de ma maison, la moitié de mon laboratoire et une complète liberté dans vos recherches.

L'ombre d'un sourire apparut sur ses lèvres.

-Est-ce tout? Murmura-t-il.

-Vous aviez prévu aussi de pouvoir accéder à la totalité de ma bibliothèque personnelle, de pouvoir apporter tous les grimoires et les chaudrons qu'il vous faudrait malgré mes moyens impressionnants; lançai-je.

-Et en ce qui concerne le thé? Grogna-t-il sans que son regard ait jamais quitté le mien.

-J'imagine que vous n'y couperez pas, au moins trois fois par semaine, tout comme vous serez obligé malgré votre emploi du temps surchargé à prendre tous vos dîners avec moi.

Il ne tenta même pas de s'y soustraire. Nous discutâmes encore un peu, puis il insista pour rejoindre ses cachots, empaqueter ses dernières affaires. Nous nous donnâmes rendez-vous dans le grand hall une heure plus tard. J'eus tout le temps de paniquer, de sortir le parchemin et d'être tentée de le détruire, de le ranger en soupirant, de m'inquiéter pour Rogue qui allait de plus en plus mal, de m'inquiéter de sa réaction lorsqu'il comprendrait tout.
A onze heures j'étais dans le hall, une malle à mes pieds, un sac en bandoulière, passant nerveusement la main dans mes cheveux sombres. Rogue arriva pile à l'heure, faisant voler près de lui deux malles imposantes.

-Professeur; l'accueillis-je en inclinant la tête.

Dans l'état où il était j'avais plutôt envie de courir vers lui, de l'insulter comme jamais avant de le forcer à aller à l'Infirmerie. Je n'en fis rien, me détournai sans plus parler et le conduisis jusqu'à l'extérieur de Poudlard. Les grilles s'ouvrirent devant moi exactement comme dix mois plus tôt. Nous fîmes quelques pas dehors, puis je lui demandai de tenir ses bagages, l'instant d'après nous transplanions.
Impasse des Apothicaires. Le soleil chaud et doux pour un mois de Juillet, les bruissements de la forêt sous la brise, mon gigantesque jardin et mon cerisier, les murs couverts de lierre de ma maison. Rogue lâcha ma manche, je m'écartai et bientôt nous posions nos malles, nos sacs, dans l'entrée. Je lui proposai une visite qu'il accepta, même s'il n'aurait pas dû, qu'il valait mieux qu'il se repose. Au rez-de-chaussée il y avait le salon bien sûr, assez grand, ces meubles en bois, ces étagères emplies de grimoires, cette cheminée dont le manteau était assaillie par les photographies et les albums souvenirs. Mon vieux nimbus était accroché juste au-dessus, et j'eus la nostalgie soudaine du vol, du vent fouettant mon visage, de l'ivresse d'une torpille aérienne. Cela faisait si longtemps. Nous entrâmes dans la cuisine pour accéder au porche intérieur, à mon jardin où trônait le cerisier, où s'étendait des parterres de plantes qui n'avaient aucunement besoin de mes soins pour s'épanouir. J'ouvris la porte du petit salon, encerclé par les livres, où j'avais l'habitude de me reposer. J'y avais invité Neville plusieurs fois, notre dernière partie d'échec et sa victoire sur mes pions blancs encore visible. Puis nous montâmes au premier étage, je lui désignai la porte de ma chambre, celle de la première salle de bain, fis traverser un long couloir à Rogue qui amenait jusqu'à la chambre d'amis, sa chambre. Elle était propre, comme chacune des pièces de cette maison malgré mon absence, spacieuse, il y avait même un petit balcon qui donnait sur le jardin et la forêt.

-Vous pourrez redécorer comme bon vous semblera; le taquinai-je alors qu'il restait muet.

Au deuxième étage il découvrit le grenier, les malles et les vieilles affaires familiales que j'avais voulu conserver, la grande fenêtre du plafond qui donnait sur l'immensité du ciel. Il y avait une autre pièce qui faisait office de deuxième salle de bain. Rogue se contenta d'observer encore une fois, sans remarque sarcastique, sans moquerie. Je commençais à en être gênée. Et pour finir, je lui fis descendre trois étages pour lui présenter le sous-sol, et le gigantesque laboratoire qui s'y trouvait. Merlin... c'était la première fois que je réalisais vraiment combien j'aimais cette maison.

-Des questions?

Rogue n'en avait aucune. Nous remontâmes et je lui annonçai qu'il pouvait s'installer et amener de chez lui tout ce qu'il pouvait juger nécessaire. Je m'excusai ensuite et lui annonçai que j'avais des choses à régler et que je ne rentrerai qu'à l'heure du dîner. Par magie, je fis apparaître un double de mes clefs.

-Vous serez sûrement très occupé, mais s'il vous vient l'envie de cuisiner ce soir je serai ravie d'y goûter; lançai-je avant de partir.

Il n'y eut aucune réponse. Et malgré mon attitude désinvolte je ne pouvais empêcher mon cœur de se serrer d'angoisse. Que se passerait-il maintenant? Je passai voir mes amis et dus décliner leur invitation au Terrier, tout en jurant sur mon chaudron le plus précieux que je serais présente le 31 Juillet. Nous prîmes le déjeuner tous ensemble, Ron et Hermione se chamaillant de temps en temps, Harry presque détendue et Ginny s'entêtant à ne manger que d'une main pour pouvoir toujours s'agripper au tee-shirt de son petit ami. Nous discutâmes ensuite d'une superbe partie de Quidditch à organiser au Terrier deux jours plus tard. J'en étais bien sûr. Hermione leva les yeux au ciel, Ron s'empressa de nous vanter les qualités du dernier balai sorti, Ginny de rétorquer qu'il n'avait pas les moyens. Lorsque je quittai ces joyeux lurons, ce fut pour me rendre au domaine des Londubat, leur annoncer le résultat de mes recherches.

-Le baume n'est pas obligatoirement corrélé à l'utilisation d'une potion pour favoriser le fonctionnement du foie. Certains légumes peuvent tout aussi bien faire l'affaire.

Ce qui entraîna l'exultation d'Augusta Londubat.

-Je le savais bien que ces cochonneries ne faisaient pas le poids contre mes bons produits!

Neville et moi masquâmes notre gros sourire.

-Pour éviter les interactions moléculaires; repris-je, mais toujours pour optimiser l'activité hépatique et biliaire le meilleur plat est une salade de pissenlits, de radis ou d'orties. Une fois par jour durant toute la durée du traitement serait parfait.

-Ah ça! Pas besoin de tous vos calculs pour savoir que c'est excellent pour la santé. Et crois-moi bien Neville que tu continueras à en manger bien après la fin de ce soi-disant traitement.

Le regard que m'adressa mon ami contenait comme une supplique muette. Pour lui remonter le moral, tandis que sa grand-mère était occupée dans la cuisine, je lui annonçais que j'avais déjà préparé une vingtaine de fiole du baume et qu'il ne faudrait qu'une semaine de repos et quelques derniers calculs de sécurité avant qu'on ne la teste.

-Allez discuter dehors pendant que je prépare mes sablés! Nous lança-t-on depuis l'autre pièce.

Ce fut une après-midi très agréable, j'oubliais un peu de ma tristesse, de mon angoisse, de Rogue chez moi. Nous plaisantâmes en nous promenant dans la campagne aux alentours. Nous jouâmes un peu avec Merci, malgré le handicap de Neville. Après le thé, je passai aux laboratoires Nigerus et retrouvai mon professeur. Il s'enquit de mes progrès en Métamorphose, fier lorsque je lui annonçai que j'avais trouvé ma forme Animagus. Je le voyais à quelque chose dans l'éclat de ses yeux azur, dans le pli vertical de son front qui s'était atténué. Ensuite il m'interrogea sur l'avancée de ma dernière potion pour Neville, mes résultats. J'enchaînai avec les dernières trouvailles du laboratoire, ce qu'il était advenu de Trakchett... Nous ne fûmes que rarement interrompu durant notre conversation de plusieurs heures. J'étais contente de le revoir.

-Vous devez vous reposer à présent Miss Lumare. Les vacances sont faites pour cela après tout.

-Mais...

-Pas de mais! Reposez-vous, allez retrouver vos amis, vous amuser. Et ne revenez qu'à la rentrée de Septembre, détendue et un peu plus souriante.

Et c'était Nigerus qui me demandait d'être plus souriante! Je ne pus empêcher pourtant la commissure de mes lèvres de se retrousser, ce qui me valut un bref hochement de tête.

-Prenez soin de vous, Miss.

-Vous aussi, professeur; répliquai-je avant de le quitter dans un envol de cape.

Au sortir du laboratoire, je fus accueillie par un ciel sombre empli d'étoiles et d'un croissant de lune fabuleux. J'inspirai, fermai les yeux, puis transplanai.