2.
Chaleur… Mais le vent était frais, ma truffe remua. L'odeur de la terre, de l'écorce, des arbres. J'entrouvris un œil. La lumière était si forte! Elle me brûlait la rétine!
Je mis longtemps, pour retrouver ma respiration, pour voir de nouveau. Il n'y avait pas de lumière dans les cachots.
Il y avait de l'herbe, une clairière et des arbres loin. Gris. Je voyais gris. J'essayai de me relever, douleur dans mon épaule, mon crâne. Elle s'atténua rapidement, je me relevai. Mes quatre pattes rencontrèrent la terre et mes griffes s'enfoncèrent dedans, se retractèrent, s'enfoncèrent dedans… Le vent apportait les odeurs, personne, je scrutai tout ce qui m'entourait, oreilles baissées, j'étais à découvert. Je ne pouvais pas me trouver ici.
J'étais ici.
Je ne sentais pas d'humain. Pas de mangemort.
J'étais dehors. Pas dans ma tête.
Je filai me mettre à l'abri, sous le couvert des arbres. Aucun sortilège. Aucune attaque. La caresse de l'ombre sur mon pelage. Je frissonnai. Des brindilles sous mes griffes. Je marchai, oreilles levées, yeux ouverts, truffe au vent, attentive. Je sentais des odeurs, et j'arrivais à reconnaître… Peut-être… Ecureuil. Grive et merle. Renard… Araignée géante. La terre se rafraîchissait. Il y avait plus de fleurs et de mousse. Verte. J'accélérai, sautant par-dessus les racines et les rochers. Je courrais! J'avais mal. Mes muscles s'engourdissaient. Je ne voulais pas m'arrêter!
Mon épaule gauche finit par me lâcher. Ma patte ne me soutint plus et je m'effondrai au sol. Je glapis. Douleur. Des gouttes de sang dans l'herbe. Mon sang.
J'haletais.
Je relevai la tête, puis la laissai retomber dans l'herbe. Mes muscles tremblaient. Je gémis…
J'étais… fatiguée…
Ils allaient revenir. Ils me trouveraient au milieu de la route. Ils me captureraient. Je ne voulais pas. Non! Je redressai la tête et mon buste suivit, je réussis à me redresser, à me relever. Toute ma patte gauche était violemment douloureuse. Je boîtai, je continuai. Je boîtais. Je marchai comme je pus, longtemps, silencieuse, méfiante. Et puis une de mes oreilles se releva. De l'eau. Une rivière. Je courus sur trois pattes, heureuse! Quand je vis l'eau claire, la rivière, je plongeai dedans.
C'était frais!
Un flot de sang se répandait autour de moi. Je finis par remonter sur la rive. J'avais l'impression d'avoir soif. Je bus alors, me penchai et lapai à grandes goulées l'eau du ruisseau. Ma gorge me faisait mal. J'avais du mal à avaler. C'était frais. L'eau. Elle calmait ma gorge.
Bruit.
Je me retournai immédiatement, mon épaule gauche craqua. Hérisson. Il avançait lentement. Il faisait craquer les brindilles et les feuilles, les herbes ondulaient autour de son petit corps. Je boîtai rapidement vers lui, il n'eut même pas le temps de se rouler en boule. D'un coup de patte je le balançai contre un arbre, je sautai sur lui, mes griffes sortirent et je les enfonçai dans sa tête. Le sang gicla. Ma patte s'immobilisa dans les airs. Je me pétrifiai. Les yeux rivés sur son sang.
-Tu vois? Tu vois Lumare comme ton précieux petit Potter souffre? C'est à cause de toi. Tu les as trahi, tu m'as révélé l'emplacement de leur cachette. Concentre-toi Lumare…
-Non!
-Tu ne vois pas sa souffrance?
Voldemort éclata de rire en ouvrant grand ses mâchoires de serpent.
Je voyais le sang, celui d'Harry. Sur son visage, une tâche sombre sur sa chemise blanche, ses yeux verts éteints, éteints, ils étaient éteints et il ne bougeait plus, il n'était plus là, il ne me voyait plus.
-Endoloris!
-Non!
Il se tordait comme un pantin, il hurlait. Pitié! Non!*
Je convulsais. Même après que son image se soit effacée. Je convulsais. Je bavais. Mes yeux roulaient dans leurs orbites. Mes pattes tressautaient. Dans l' hérisson. Tout devint noir.
Je me relevai quelques instants plus tard. Penchant un peu la tête devant le cadavre d'un hérisson. Il y avait du sang. Je me détournai. Je ne savais pas comment j'étais arrivée jusqu'ici. C'était… incertain… Ma gorge brûlait. Je n'étais pas dans ma tête. Je revins à la rivière, je lapai encore l'eau fraîche. Je ne pouvais pas me l'imaginer. Des poissons nageaient dans l'eau. Reflets dorés.
Sombre. Tout devenait sombre. Le ciel. Je levai le museau. Il y avait des nuages noirs et l'air était lourd. Il grondait. Je boîtai vers la forêt, tournant le dos au hérisson. L'orage éclata quelques temps plus tard. Il pleuvait. Très fort. Beaucoup, beaucoup d'eau. Je ne voyais plus où j'allais. Les arbres n'étaient pas assez rapprochés pour arrêter la pluie. La terre se transformait en boue. C'était de la boue. Elle collait à mes pattes. Je ne savais pas où aller. Je boîtais. J'avais froid. L'eau ruissellait sur mon pelage, tapait contre mes oreilles, mon museau. Je n'aimais pas. Je secouai la tête. Je tremblais. Il n'y avait pas d'abri. J'avançais comme je pouvais dans la boue. Fatiguée… Il y eut un arbre aux racines surélevées, la boue commençait à dévaler entre elles pour se loger dessous. Il y aurait plein d'insectes. Je me traînais jusqu'à l'arbre. Je n'en pouvais plus… Je… Je m'écroulai et basculai entre les racines. Il y eut des gerbes de boue sur mon pelage. Mon ventre baignait dedans, mes pattes… Je respirais difficilement. Juste la force de poser ma tête contre un nœud de racine, loin de l'eau et de la terre. Et puis je fermai les paupières, je perdis de nouveau connaissance.
Hermione était là, enchaînée avec moi. Elle tremblait, elle avait peur, ses yeux chocolat grands écarquillés. Je ne l'avais jamais vue comme ça.
-Hermione, Hermione… calme-toi…; réussis-je à prononcer la gorge sèche.
-Je ne peux pas…; sa voix était déformée et sifflante. Ils vont revenir… Dis-moi… où ils sont.
-Quoi?
-Où est Potter?
Un violent tremblement me secoua. Il était là, encore, Voldemort, dans ma tête!
-Non! Non!
Son ombre se découpa sur un mur, il ricana, il leva sa baguette.
-Non, par pitié!
-Non? Alors dis-moi où est caché Potter et j'épargnerai peut-être la vie de ta chère petite sang-de-bourbe.
Non! Non, elle ne lui ressemblait pas. Ce n'était pas elle. Elle n'était pas là. Ce n'était pas elle. Elle était en sécurité! Oui! En sécurité! Je n'avais rien dit!
-Plutôt mourir! Crachai-je avant d'être frappée par le Doloris.
J'hurlai. Des rires, tout autour. Des mangemorts. Hermione disparaissait.
-Hermione, Hermione; suppliai-je.
Ils sortaient leurs baguettes, un par un, leurs masques scintillaient à la lumière des torches. Voldemort était assis là-bas, Nagini enroulée à ses pieds. Les mangemorts approchaient.
-Elle est toute à vous; annonça Voldemort.
Les tortures recommencèrent…*
Je tressaillais, convulsais, convulsais, gémissais, finis par hurler en ouvrant les yeux.
J'étais glacée, dans la boue, sous un chêne. Il y avait les racines, de l'arbre, elles étaient autour de moi, elles se tordaient, elles me protégeaient. Je ne voulais pas partir. Je ne pouvais pas. J'étais transie de froid et pourtant ma truffe brûlait. J'avais faim…
Je finis par me traîner dehors, boîter, boîter, lentement… Je m'aplatis dans les herbes hautes à un moment et laissai passer une araignée géante. Ses chélicères claquaient rapidement, elle passa, je me relevai. Je continuai, dans la forêt, les feuilles des arbres frémissaient avec le vent. J'étais glacée. Mais j'avais chaud aussi. J'arrivai longtemps après jusqu'à la rivière, et trempai ma truffe dedans. Je m'écroulai sur la rive. Un poisson frôla mes crocs. J'étais trop fatiguée pour bouger. Mon poil était sale, alourdi par la boue sèche et les brindilles et les lambeaux de feuilles. Je finis par basculer dans l'eau et me laver. Je brossais d'une patte ma fourrure, ma queue fouettait l'eau. Elle était fraîche. Les poissons s'écartaient des remous que je provoquais. J'avais faim. Je cessai de bouger, écartai les crocs et gobai le poisson le plus proche. Il se débattit dans ma gueule, sa queue battait l'air, je m'empressai de revenir sur la rive, me débattant avec mes trois pattes valides. Et puis je remontai, le poisson agonisait. Je déchirai ses chairs et avalai précipitamment. C'était mangeable! J'avais tellement faim! Je dévorai le tout! Merlin ça faisait du bien. Je n'avais pas mangé depuis… longtemps… Peut-être… Je tournai la tête vers l'eau, mon ventre se tordait encore. J'attendis, les muscles bandés, la queue ondulant lentement et puis sautai sur le prochain poisson. Je le dévorai avant même qu'il n'ait cessé de bouger. Et puis je recommençai, plusieurs fois, cinq poissons moururent entre mes crocs. Mais il n'y avait pas de sang, pas de sang du tout. C'était des poissons. Juste des poissons. Délaissant la rive, je retournai sous le couvert des arbres et restai allongée. Mon ventre était lourd et reposait par terre, il n'était plus habitué à toute cette nourriture, toute cette eau que j'avais bue. Je me reposai. Le soleil eut le temps de monter haut dans le ciel. Je respirais lentement, le regard dans le flou, ne pensant à rien, ne surtout pas penser, ne pas penser…
-Ne faîtes pas ça…
Il avait un couteau et il le faisait parcourir mon corps, caresser mes vêtements.
-Tu as entendu? Ne fais pas ça MacNair; ricana l'un des mangemorts.
L'autre rit, puis enleva son masque d'un geste de baguette avant de la ranger. C'était un sorcier, adulte, il avait une lueur répugnante dans les yeux. J'avais peur. L'autre aussi avec son atroce sourire avait le même regard. Le couteau ripa sur le col de mon pull.
-Ne t'en fais pas petite Lumare, tu vas aimer.
Je déglutis misérablement, la lame entama le tissu de mon pull gris. MacNair agrippa l'autre partie du tissu et tout se déchira dans un bruit sec. Il me restait ma chemise, mon jean, mes sous-vêtements. Il fit sauter le premier bouton de ma chemise au couteau et le deuxième, le troisième. C'était très lent.
-Tu fais durer le plaisir.
-Oh oui…
Non, non, non, je cachai mes larmes contre mon bras. Je ne pouvais rien faire. Mes poignets étaient accrochés par une longue chaîne au plafond, mes chevilles étaient enchaînées à des anneaux au sol. Je ne pouvais même pas me débattre. Harry… Hermione… Ron… Harry… Je ne pouvais pas retenir mes larmes, elles mouillaient mes manches. On me tira violemment le menton.
-Oh, j'adore quand elles pleurent!
-Tu pourrais pas te dépêcher un peu putain!
L'autre attrapa le premier bouton de mon jean. Un gémissement terrifié m'échappa. Il le détacha, il abaissa la fermeture éclair et il descendit d'un coup sec mon pantalon avec ma culotte. Non. Je tremblais de tous mes membres.
-Oh oui, hmm…
-Non; suppliai-je.
MacNair déboutonnait son pantalon. Non. Non! J'hurlai!*
Convulsions. Je ne voyais plus rien. Ou si. Je tremblais, dans l'herbe. De longues minutes s'écoulèrent avant que je n'oublie tout. L'herbe était fraîche autour de moi, il y avait une raie de lumière juste sur ma patte arrière gauche. J'entendais… l'eau s'écouler. La rivière était juste là, très proche. Je venais de manger des poissons. Je me reposai encore un peu, puis me levai. Je ne connaissais pas cet endroit. Je ne savais pas où j'étais. Il y avait peut-être d'autres loups, tout près. Je repartis dans les bois.
Aucune odeur n'indiquait qu'un de mes congénères vivait sur ce territoire. Pas d'hurlement. Je ne sentais rien. Que du gibier et des araignées géantes. Je m'appuyais plus souvent sur ma patte blessée, pour l'exercer, pour aller plus vite. Je foulai beaucoup de boue séchée et de feuilles, dépassai beaucoup de vieux arbres et montai sur une hauteur aux rochers escarpés. Plus je montais et plus le vent ébouriffait ma fourrure, et plus mes griffes rentraient dans la terre et griffaient les pierres. Le vide dans mon dos était vertigineux. Je sentais confusément qu'il y avait un autre chemin, plus sûr, mais que je voulais prendre celui-là. Pourquoi… Parce qu'il était plus dangereux. Je voulais risquer ma vie… C'était confus. Je sautai sur une grosse roche qui tangua dangereusement. J'attendis, pétrifiée, qu'elle se stabilise… Et puis sautai sur la prochaine. La montée dura des heures. Je ne pensais à rien d'autre que cette ascencion. Rien d'autre.
Enfin, je plantai mes dix griffes avant au sommet, et m'y hissai. Le vent était encore plus puissant ici, il me fouettait le museau. La vue était… extraordinaire… La forêt, les sapins, les clairières à l'herbe sombre, et plus loin, j'en étais sûre les scintillements de ma rivière. Plus loin encore, bien plus loin il y avait comme une habitation d'humain. La cheminée fumait. Je reculai. Reculai. Le regard rivé vers la fumée. Je reculais. Et soudain je fus incapable de reculer. Quelque chose, derrière.
Je me retournai. Effrayée. Il n'y avait rien. J'approchai mon museau, m'arrêtai, tendis la patte plutôt. Mes oreilles se redressèrent. Un vrombissement. Presque inaudible. C'était un sortilège. C'était… la magie… Je balançai ma patte plus loin et elle s'écrasa contre une barrière magique. Je montrai les crocs, sortis les griffes, et me jetai sur le sortilège.
Je finis par m'effondrer au sol, épuisée, furieuse, haletante. Le sortilège résonnait toujours devant moi, je ne pouvais pas aller au-delà du champ de magie. Je grondai. Puis je laissai ma tête retomber contre le sol. Je n'avais plus beaucoup de force… Mon oreille droite se releva, claquements secs, je sentais sa présence, une araignée géante se dirigeait par ici. Je rampai me mettre à l'abri sous un buisson. Et j'attendis. Seulement quelques minutes plus tard l'Arachnée apparut. Elle était loin, elle s'approcha, ses quatre paires d'yeux scrutaient les alentours mais elle ne me vit pas. Elle passa sans aucun problème la barrière de magie. Je baissai les oreilles. Elle me dépassa. Bien après qu'elle ait disparu, je réessayai de traverser le sortilège. En vain. Je grognai. Je ne pouvais rien faire d'autre. Je retournai au bord du vide pour que le vent siffle à mes oreilles et que mes yeux se remplissent de toute cette contrée devant moi. Je restai assise sur mon arrière-train, la queue enroulée autour de mon corps, le museau, les yeux et les oreilles pointés vers l'inconnu. Les heures passèrent. Je ne bougeai pas.
J'hurlai, j'appelai mes semblables dans le soleil couchant. Aucune réponse. Je recommençai. Aucun ne me répondit. Encore une fois, je les appelai. Non… J'étais seule… Je ne bougeai pas.
Je tremblais d'épuisement, de terreur, je ne contrôlais plus mes propres gestes. Je voulais que ça s'arrête, que tout s'arrête, par pitié! Pitié… J'avais vu des moldus, trop, torturés, j'avais vu Hermione, et Ron, et Harry, se faire tuer, devant moi, trop de fois. Et c'était eux, tout le temps. Mais, en sécurité. Je tirai sur mes chaînes. Elles ne cassaient pas! Ils allaient revenir… Tous. Mal. J'aurais mal. Mes doigts se repliaient, s'étiraient, tout seuls. Je ne contrôlais pas. Du sang partout, partout, sur les murs, l'odeur, de cadavres, partout.*
Je ne bougeais pas. L'obscurité avait recouvert le ciel, mon ventre se tordait de faim, les étoiles scintillaient très haut et très loin. Il me fallut une nuit entière pour retourner jusqu'à la rivière. Les premières lueurs de l'aube apparaissaient à la cime des arbres quand je me glissai entre les racines de mon arbre. La terre était sèche. Je me roulai en boule. Je sombrai dans un lourd sommeil.
