Chapitre 19

Je rentrai à la maison et trouvai la table mise, Rogue près d'une poêle où bouillonnaient des bouts de viande, des légumes coupés finement, dans une sauce étrange. Je lui souris, lui ne tenta même pas de me le retourner, ni ne desserra les dents de la soirée.
Nous lûmes dans le salon chacun dans un fauteuil jusque tard le soir, sans qu'un mot ne rompe le silence. Puis partîmes chacun de notre côté. Après cela, une routine s'installa. Je me levais le matin et descendais en pyjama, encore fatiguée, pour retrouver Rogue toujours attablé devant un café, un journal à la main. J'essayais souvent d'établir un semblant de conversation, qui avortait. Ensuite nous nous installions dans le salon et travaillions sur sa potion. Les seules fois où il daignait parler devaient être lorsqu'il en était question. Nous pouvions faire des recherches, des équations, échanger quelques hypothèses. Ensuite le déjeuner, dont je m'occupais une fois sur deux. Après il m'arrivait de sortir, retrouver mes amis ou marcher un peu, me transformer en louve pour explorer la forêt aux alentours.
Lorsque je revenais, Rogue était invariablement au laboratoire, que ce soit le nez plongé dans un grimoire ou dans un chaudron. J'en profitais pour m'occuper des derniers préparatifs concernant le baume de Neville, puis reprenais nos recherches. Le soir, Rogue ou moi nous occupions du repas, nous lisions dans le salon, retournions nous coucher, et ainsi de suite...
C'était une catastrophe. Rogue me parlait encore moins qu'à Poudlard. Il regrettait sûrement le contrat, sa dette à payer, de devoir gâcher ses vacances avec une petite idiote comme moi. Il était même évident qu'il évitait de se trouver trop longtemps dans la même pièce que moi. Les jours passaient.
Je soupirai. Seule dans mon lit, incapable de m'endormir, et sans aucune envie d'avaler une nouvelle Insomnia. Il devait être dans les trois heures du matin, je n'avais cessé de penser à lui. Mon front brûlait, mes oreilles bourdonnaient et ma vision se brouillait. Je ne me sentais vraiment pas bien. Peut-être... un verre de lait? Mme Weasley en avait parlé quelques jours plus tôt. Elle avait dit que cela faisait dormir, chassait le mal de tête. Je voulais bien essayer.
Je me levai donc, sans bruit, quittai ma chambre pour descendre boire mon lait. En remontant, j'hésitai devant ma porte, avant de continuer mon chemin, jusqu'au bout du couloir. Je m'arrêtai devant celle de Rogue. Et allais sûrement passer une bonne partie de ma nuit à la fixer lorsque... un reflet. De la magie. C'était un flux ondulant, à la surface d'un sortilège. Et je le reconnus aussitôt. Le Silencio. Je ne sais ce qui me prit ensuite, mais ma main se tendit vers la poignée, je la tournai, entrai dans la chambre que je lui avais attribuée, mes pas me conduisirent jusqu'à lui. Quelque chose en moi me hurlait de faire demi-tour. Je n'écoutais pas. De fins rayons de lune perçaient entre les rideaux sombres de la fenêtre, et éclairaient le lit. Rogue s'y trouvait, endormi, et je m'approchai. Il était replié sur lui-même, agrippé à l'oreiller et aux draps assez fort pour faire saillir les tendons de ses mains osseuses, ses traits crispés, ses paupières scellées par le cauchemar qu'il devait faire. Il murmurait des demi-mots brisés par son souffle qui s'accélérait. Il s'accélérait, il paniquait. Je fus aussitôt auprès de lui. Je le retins lorsqu'il commença à se débattre.

-Professeur, professeur; murmurai-je. Calmez-vous, calmez-vous, calmez-vous...

Ses yeux étaient ouverts, ses yeux si sombres, mais voilés. Il ne me reconnaissait sûrement pas dans son demi-sommeil, pourtant il me retint. Ses doigts s'agrippèrent à mon pyjama, les miens repoussèrent quelques mèches de ses cheveux avant de se poser contre son front fiévreux et humide. Sa respiration s'apaisa, son regard se perdit dans le vague. Je m'en voulais de ne pas avoir compris plus tôt pour ses cauchemars, de ne pas être venue plus tôt. Mais pour faire quoi? Il n'accepterait pas mon aide, ni l'Insomnia si je lui en proposais, le simple fait qu'il accepte que je le touche ne venait que de sa torpeur. Je...

-Restez... Lumare...; murmura-t-il.

Et son regard soudain était accroché au mien, il n'était plus brumeux. Je tentai aussitôt de m'écarter, mais il me retenait.

-Je vous en prie...

Ses yeux se voilaient à nouveau.

-Ne me quittez pas... Khorine... Ne me... quittez pas...

Il ne savait plus ce qu'il disait. Rogue ne pouvait pas... Je n'étais qu'une gamine qui l'insupportait, si je restais, il me renverrait avec dégoût dès qu'il aurait retrouvé ses esprits.

-Je ne peux pas.

-Je vous en prie. Ne me quittez pas; lâcha-t-il d'une voix brisée.

Des tremblements, il commençait à trembler. J-je ne pouvais pas partir. Alors je me laissai faire. Je le laissai m'attirer à lui, refermer les draps sur nous et je le serrai dans mes bras jusqu'à ce que les tremblements cessent.
Sa respiration s'apaisa longtemps plus tard, Rogue dormait, et malgré ma torpeur, j'essayai de m'éloigner. Il resserra sa prise sur moi, marmonnant dans son sommeil. Après ça je ne tentai plus rien et Rogue me rapprocha un peu plus de lui. Cette étreinte familière... Je fermai les yeux, le nez dans son cou, les mains agrippées à sa chemise trempée de sueur. J'en paierai le prix, sûrement, demain. Mais à cet instant j'étais en paix, en sécurité, étreinte par l'homme que j'aimais.

ooOoo

J'eus la chance de me réveiller avant lui et, cette fois, parvins à lui échapper. Je m'empressai de le fuir, retournant dans ma chambre. Mon réveil indiquait huit heures, j'avais vraiment eu de la chance, Rogue était toujours réveillé à cette heure-ci en temps normal. Je pris une douche avant le petit-déjeuner, m'habillai, puis descendis. Rogue n'était pas encore dans la cuisine.
J'avais envie de pancakes moi... Oeufs, farine, sucre... Je m'aidai de quelques sortilèges pour diminuer le temps de repos de la pâte, en apposai dans la poêle brûlante. Rogue arriva peu de temps après.

-Bonjour, professeur.

-Bonjour; grogna-t-il.

C'était un bon point. Il ne devait se souvenir de rien pour me répondre, avant même d'avoir bu son café.
Rogue se dirigea vers la cafetière, je lui demandai s'il voulait quelques pancakes ce qu'il refusa. Nous nous retrouvâmes bientôt devant un café pour lui, trois pancakes pour moi. Et je me prenais à espérer qu'il n'avait aucun souvenir de cette nuit.

-C'est le grand jour; lançai-je en coupant résolument mon pancake brûlant. Neville va tester son baume. Je devrai partir juste après le petit-déjeuner pour que notre premier essai coïncide avec son pic d'activité hépatique. Ensuite je resterai plusieurs heures pour vérifier l'apparition de tous symptômes, et passerai voir le professeur Nigerus pour lui faire part des résultats. Comme dans l'après-midi je suis invitée au Terrier je crois que je ne reviendrai pas de la journée.

Je mordis dans la pâte chaude et moelleuse, avant de le fixer, encore un rien sur mes gardes.

-Bien; lâcha-t-il.

Il semblait juste un peu plus reposé que d'habitude, mais gardait un visage fermé, et j'étais incapable de déterminer si mon départ le soulageait ou l'agaçait.

-Après ça, je travaillerai exclusivement sur votre projet.

Un regard soutenu de ma part... Etait-ce pour cela qu'il m'en voulait? Mes travaux sur le baume en plus de ses expériences? Rogue vida sa tasse de café, puis siffla:

-Vos dossiers suffisent par eux-mêmes.

Ne rien montrer, ne rien montrer. Je lui souris, comme d'habitude. Et finis mon petit-déjeuner avant de me lever et de lui lancer:

-Alors je vous laisse avec mes merveilleux dossiers!

Je fuis ensuite, comme une lâche, allai chercher mon sac et mes fioles de baume, mes carnets, quelques plumes et de l'encre, passai devant Rogue pour ma cape d'été dont je me drapai, puis j'ouvris la porte et le quittai. Un chaud soleil m'attendait, éblouissant. Je me permis une petite promenade d'abord, entourée des chênes et des noisetiers de la forêt. Je me calmai... Avant de transplaner, de commencer ma journée.

oo0oo

J'apparus soudain près de chez moi les bras chargés de livres et de pochettes bourrées de recettes. Augusta Londubat avait voulu remédier à mon incompétence culinaire. Bien sûr, en entrant au Terrier avec tout ça, Georges s'était bien moqué de moi, Ron aussi malgré le coup de coude d'Hermione. Je soupirai, avant de trébucher sur une pierre, ma pile de livres s'ébranla, mais je parvins à rétablir l'équilibre. Merlin, Merlin, j'ouvris le portillon de mon jardin d'un sortilège discret, manquai d'en perdre quelques uns dans l'action, avançai dans l'allée, butai contre la première marche des escaliers et fis une tentative désespérée pour garder la pile droite mais j'allais... Les livres m'échappèrent des mains, lévitant soudain, et avant que j'ai pu m'en étonner, j'étais retenue par deux bras. Je me retournai malgré la poigne qu'on maintenait serrée, mais savais avant même de le voir, qu'il s'agissait de Rogue. Il devait revenir de la forêt, comme il sentait la terre, les feuilles de chêne, le millepertuis...

-Merci; prononçai-je en lui souriant.

Quelque chose vacilla au fond de ses yeux sombres, ses doigts se resserrèrent sur moi, puis me lâchèrent soudain, il s'écarta.

-Etiez-vous incapable d'utiliser un sort de lévitation ou trop idiote pour vous rappeler que vous êtes une sorcière? Siffla-t-il.

Je haussai un sourcil.

-J'ai des voisins vous savez; répliquai-je, je ne suis pas tellement sûre de leur réaction en apercevant une vingtaine de livres de cuisine voler derrière moi.

-Vous n'aviez qu'à utiliser une sortilège de Désillusion! Cracha-t-il avant de me contourner et d'entrer dans la maison.

Merlin, il était d'encore plus mauvaise humeur que ce matin. Soupirant, je mis fin au sortilège de lévitation et récupérai mes recettes de cuisine. La pile vacilla encore une ou deux fois, mais je parvins à passer la porte, la refermer et en plus les apporter jusqu'à la table de la cuisine sans en faire tomber une seule. Rogue devait déjà être au laboratoire à conditionner les plantes qu'il avait ramenées de son excursion. Je m'installai donc et ouvris courageusement le premier pavé que m'avait confié la grand-mère de Neville... Rien que les noms me désespéraient. Je n'avais jamais entendu parler de sauté de veau Marengo, de poulet basquaise, de piperade ou de rösti, de diplomate à la confiture et encore moins de cramique. Il n'y avait même pas de photos pour certains! Mme Londubat m'aurait certainement ri au nez en me voyant aussi dépitée. Rogue se contenta d'un rictus moqueur en remontant du sous-sol.

-Ne me regardez pas comme ça; bougonnai-je, je suis sûre que vous ne savez même pas ce qu'est un... un turinois.

-Il n'y a que les gamines comme vous pour l'ignorer; rétorqua-t-il en me dépassant pour se laver les mains à l'évier.

Je grognai. Puis me replongeai dans des recettes... parfois incroyables, certaines demandaient plus de deux heures de préparation. Lorsque je relevai la tête, j'eus la surprise de le découvrir toujours dans la cuisine, m'observant. Il crispa les mâchoires dès que nos regards se croisèrent.

-Et que diriez-vous; lançai-je avant qu'il ne puisse se détourner, des haricots blancs à la bretonne? Ou des épinards à la romaine?

-Nous n'avons ni haricots blancs, ni épinards.

… C'était possible.

-D'accord, mais on a de la viande. Alors... un poulet basquaise? On a des tomates, des oignons et du riz; ça peut marcher.

-Hormis le fait que vous êtes une piètre cuisinière et que je n'ai pas l'intention d'attendre plus d'une heure pour trouver du riz mal cuit et un bout de poulet carbonisé dans mon assiette.

Je le fusillai du regard, lui restait impassible.
La lumière crue de la cuisine l'éclairait, ses robes sombres qui flottaient autour de son corps, sa peau blafarde, ses cheveux graisseux et ses yeux qu'il gardait sans passion. Je finis par le fixer ouvertement, me rappelant le jour où je m'étais réveillée à l'Infirmerie, Rogue à mon chevet. J'avais frissonné de dégoût en l'observant, et il s'en était rendu compte... Dans la salle de bain aussi, le soir où il m'avait rejointe, il s'était déshabillé et j'avais reculé jusqu'à me heurter au mur plutôt que d'être proche de lui. La salle de bain...

-Lumare?

Je revins à la réalité le souffle court, les pupilles rétractées par l'effroi, les ongles enfoncés dans le livre de recettes. Merlin... je fermai les yeux et inspirai, pour me calmer un peu.

-Un rôti au four alors, et des galettes de pommes de terre; proposai-je aussitôt. Ce sera prêt dans une demi-heure.

J'évitai son regard, les yeux détournés vers l'illustration du plat. La peur... c'était encore la peur, qui surgissait, à de rares instants. Mais elle ne lui était pas destinée, pas directement, ce n'était pas lui que je craignais. C'était... c'était cette sensation. D'un cœur qui se glace. L'impression de n'être qu'un objet, à peine humaine, pour celui qui me torture.

-Lumare, je...

Mon regard océan gela.

-J'ai tous les ingrédients qu'il faut et n'allez pas me dire que je suis assez stupide et inexpérimentée pour faire cramer des pommes de terre.

Je me levai et me détournai, mettant fin à la conversation. Je ne voulais pas de son remord ou de sa pitié. Je ne voulais pas en parler. Les pas de Rogue finirent par s'éloigner dans mon dos, il monta à l'étage. Je m'occupai de la poêle et du four, préparai le rôti, commençai à éplucher les pommes de terre. Cette boule d'émotions étouffante finit par s'estomper. Elle avait même complètement disparu lorsque j'enlevai la viande de la grille et tirai le plat à jus d'en dessous. En suivant la recette et les conseils il s'avérait que j'avais réussi à cuisiner un rôti assez tendre. Et les galettes de pommes de terre n'étaient même pas brûlées. Je montai lui annoncer que le repas était prêt et, comme c'était mon tour ce soir, mis la table.
Rogue me rejoignit quelques minutes plus tard, j'étais plongée dans un recueil de recettes gigantesque. Il s'assit à la table sans un mot.

-Dîtes-moi...; demandai-je en relevant la tête, vous aimez le pain d'épice?

-Non.

-Et la tarte briochée aux abricots? A moins que vous n'aimiez que le chocolat; laissai-je entendre en me rappelant des confidences des elfes de maison.

Au grognement que j'obtins, j'en déduisis que c'était le cas. Alors... combien y avait-il de recettes au chocolat là-dedans?

oo0oo

Non. Enfin, peut-être. C'était difficile à dire. Je ne le voyais pas vraiment faire ça, seulement tourner en rond dans sa salle de classe pour effrayer ses élèves, ou le nez plongé dans un grimoire ou un chaudron, ou fixant d'un regard mauvais tous les élèves de la Grande Salle. Mais certainement pas...

-Vous êtes déjà allé faire des courses? Demandai-je, tout de même dubitative.

-Question idiote.

-Dans un supermarché moldu?

Je n'arrivais pas à y croire, à me le représenter parmi des moldus, en train de choisir des carottes ou un pack de lait, être tellement humain. Rogue boutonna sa redingote, dos à moi, sans se donner la peine de répondre. Etais-je blessante? Je ne le cherchais pas. Je ne savais seulement plus quoi faire, assistant, impuissante, à la déchéance de Rogue. Il n'était plus aussi insultant -preuve qu'il n'allait pas bien-, il restait des heures assis dans un canapé perdu dans ses pensées et son regard se voilait de jour en jour. Tout le laissait indifférent, même ses chères potions. E-et Rogue m'inquiétait, il n'était pas sorti de la maison depuis les deux semaines et demi que durait notre contrat.
Cela pouvait peut-être lui faire du bien?
Bien sûr, j'avais dû insister et le lui ordonner pour qu'il consente à sortir, m'accompagner faire les courses. Mais s'il y avait la moindre chance de chasser les ombres noires qui s'amoncelaient dans ses yeux, il fallait la tenter.
Je rangeai ma baguette dans mon jean et m'ébouriffai un peu les cheveux avant d'ouvrir la porte. Une brise fraîche, un soleil éblouissant et un ciel d'un bleu si clair, les odeurs de la forêt flottant jusqu'ici, celle particulière et si légère du lierre de ma maison...

-Vous venez? Lançai-je en me retournant, le regard illuminé de joie.

Il me fixa de sa manière impassible, puis fit un pas dans le couloir, encore un autre. Il parvint finalement à sortir, en pleine lumière. Je revins sur mes pas fermer la porte tandis que Rogue restait immobile. Les rayons solaires devaient le réchauffer comme rarement tandis qu'il se révélait à la lumière du jour.

-Saviez-vous que la vitamine D3, dont le lin est une source extraordinaire, doit d'abord être activé au niveau de la peau par les rayons UV avant d'être hydroxylé dans le foie et le rein pour synthétiser le calcitriol nécessaire au métabolisme du calcium?

-Evidemment; grogna-t-il.

Je repassai près de lui et il m'observa. Durant mon stage, il m'avait déjà posé des questions sur le cholécalciférol, et j'avais su y répondre. Je m'étais levée, lui avais rendu la fiche de réponses et ensuite... il s'était approché, soudain, pour m'embrasser en pleine classe, en pleine journée. Je n'avais jamais compris pourquoi. Aucune importance. Nous nous mîmes en route et, quelques temps plus tard, je découvris que Rogue pouvait parfaitement faire ses courses, dans un supermarché moldu. Les gens parlaient fort autour de nous, certains s'interpellaient, il régnait une forte agitation, les caissières étaient débordées au bout du magasin. Après cela, je réduisis nos articles et les rangeai dans un petit sac. Rogue me l'arracha pratiquement des mains comme j'insistais pour le porter, et le rangea dans sa redingote. Puis je voulus acheter de nouveaux ingrédients chez un apothicaire du chemin de Traverse. Et quoi qu'il ait pu dire pour m'en dissuader, nous transplanâmes quelques temps plus tard au beau milieu du Londres sorcier. Son animation était incroyable, entre les sorciers d'ici, les touristes, tous les élèves en vacances qui courraient de boutique en boutique. C'était tellement différent de deux années plus tôt, tellement... Du temps de Voldemort, tout était si froid et sale et dangereux. Le silence s'emparait de chaque recoin, un silence glacé. Un silence qui commençait à s'étendre ici. Je revins à la réalité. Les sorciers et sorcières du chemin de Traverse nous fixaient et s'écartaient sur notre chemin. J'eus du mal à comprendre au début, et puis les murmures et chuchotis augmentèrent de volume:

-C'est Rogue!

-...Rogue...

-...On dit... un meurtrier...

-Je vous assure que John l'a reconnu lors d'un raid de 94...

-Quelle abomination!

Je me tournai vers Rogue, inquiète. Lui se contentait de les fixer, tous, d'un œil morne. Alors que la colère commençait à gronder.

-Meurtrier!

Je crispai les mâchoires et me rapprochai de lui. Il ne fit rien pour s'écarter.

-Sale traître!

L'apothicairerie, tout près. J'y entrai avec soulagement, Rogue sans rien montrer d'autre que cette lassitude des derniers jours qui m'effrayait. Il prit tout son temps pour choisir les meilleurs ingrédients du magasin, remplissant les sachets en papier les uns à la suite des autres, comme s'il n'y avait pas toute cette foule haineuse derrière les vitres de la boutique. Et lorsque l'on put enfin payer et sortir, des voix s'étaient rajoutées au grondement ambiant, les insultes éclataient, plus violentes. Nous avançâmes de quelques pas, avant qu'une pierre ne soit lancée, vers nous, Rogue l'a reçu de plein fouet à la tempe. Il ne réagit même pas. Pas même un sortilège de Protego autour de lui, il restait amorphe. J'en créai un, moi, foudroyant la foule du regard, sentant monter en moi cette haine de tous ces gens qui s'étaient cachés durant la guerre et qui se permettaient ensuite de juger et haïr ceux qui avaient risqué leur vie en prenant position! Tous des lâches! Je conduisis Rogue dans la première petite ruelle qui se présenta, pour leur échapper. Et comme il n'y avait personne, excepté un homme au bout de la rue qui s'empressa de partir en courant, je m'arrêtai pour examiner Rogue. Il saignait.
Une coulée de sang s'échappait de sa tempe pour traverser sa joue et y coller des mèches.

-Professeur, vous...

-Ce n'est rien.

Non, non... Ce n'était pas rien! Il s'était fait agressé, lui! D'entre tous! Et moi qui croyais que quelques articles suffiraient à le sauver, quelle imbécile! Imbécile! Je m'en voulais tellement...

-Roooogue!

Le hurlement se répercuta en déflagration le long des murs, et cinq hommes apparurent au bout de la ruelle, dont celui qui était parti en courant. Ils avaient tous leurs baguettes en main, pointées sur nous. Rogue se plaça aussitôt devant moi.

-Comme on se retrouve, cracha celui du milieu, après ces cinq longues années! Je savais que je t'aurais un jour.

Rogue ne répondit rien, il n'allait rien lui répondre.

-Dégagez, maintenant! Sifflai-je rageuse, la baguette déjà au poing. Avant d'avoir une délégation d'Aurors aux trousses.

Les sorciers éclatèrent de rire.

-Qui viendrait nous arrêter pour le meurtre de cette pourriture? Tu peux laisser ta délégation d'Aurors là où elle est!

Je contournai Rogue et avançai de deux pas, rageuse. Mais il me retint.

-Tu es tombé bien bas Rogue, pour te cacher derrière une gamine.

Ils ricanèrent, en s'avançant.

-On te laisse encore une chance de déguerpir petite. Cette histoire ne te concerne pas.

Je commençai à me débattre, pour échapper à sa poigne d'acier.

-Faîtes ce qu'ils disent; lâcha Rogue d'une voix glaciale.

Sa voix et son regard étaient polaires. Et je savais qu'il pouvait les vaincre, tous ces idiots, si je partais. Mais je n'étais pas sûre qu'il le veuille. Je n'étais pas sûre qu'il tienne encore assez à la vie pour se battre.

-Jamais.

Je percutai ses orbes sombres de plein fouet, emplis de ténèbres gelées qui se heurtèrent à l'océan de fureur qui rugissait en moi. Sa poigne se resserrait sur mon bras, il savait qu'il lui faudrait m'y obliger. Je me détournai, criant aux sorciers:

-Je suis Khorine Lumare, diplômée de première année à l'Université des Aurors, attaquez-moi ou attaquez cet homme et je peux vous promettre que vous pourrirez le reste de votre vie à Azkaban!

-Lumare? Lumare...

Mon nom passa entre eux, laissant apparaître de la retenue, de la crainte, ou même du respect, là où ma menace n'avait eu aucune effet. Me prenaient-ils pour une héroïne de guerre... moi? Seul le meneur du groupe continua son avancée.

-Vous choisissez mal vos amis, Miss Lumare. Il ne mérite pas votre protection. Rogue est perverti jusqu'à la moelle, rongé par la magie noire et ses meurtres. Vous ne savez pas, n'est-ce pas, ce que ce Mangemort a fait?!

Rogue voulut me faire reculer, me tirant par le bras. Je refusai de bouger.

-Il les a torturé! Il les torturé et tué devant moi; hoquetait le sorcier. Ma femme, et ma fille.

Sa baguette tremblait à présent, mais restait pointée vers la poitrine de Rogue.

-Rangez votre arme; sifflai-je.

-Laissez-le moi! Ce sale enfoiré... Elles criaient de toutes leurs forces, le suppliaient d'arrêter, le Doloris... Et son Sectumsempra... Le sang giclait; haletait-il, et leurs corps qui tressautaient sur le tapis.

Mon cœur, se brisait, à chacun de ces mots. Et je tremblais, et je voyais Rogue torturer ces gens, je voyais le masque indéchiffrable se tacher de sang, et les cadavres à ses pieds. Et je finis par briser sa litanie, et hurler, hurler à m'en déchirer la gorge:

-Et vous croyez que le job d'un espion, d'un putain de membre de l'Ordre, était de préparer du thé en attendant que les Mangemorts reviennent de leurs raids?! Vous croyez...

Ma voix se brisa. Les doigts de Rogue glacés, serrèrent convulsivement mon poignet.

-Vous croyez; lâchai-je en sentant deux larmes m'échapper, que vos précieux petits héros de guerre, ces imbéciles heureux, seraient encore en vie sans lui?

… Le silence me répondit. Il s'étendit. J'avais de la peine à retenir mes tremblements et à ne pas sentir ceux de Rogue autour de mon poignet. Et puis les quatre sorciers les plus éloignés reculèrent.

-Viens John! Laisse tomber.

-Ça n'en vaut pas la peine !

Ce dernier était immobile, mais vacillait, ses yeux voilés vaguement dans notre direction. Je ne compatissais pas. Il avait voulu tuer Rogue.

-John!

Les autres partaient. Lui restait en plein milieu de la rue, la baguette toujours en main, son regard plus dérangé d'instant en instant...

-Non; finit-il par cracher. Tu ne t'en sortiras pas comme ça! Tu ne t'en sortiras pas comme ça!

Sa baguette de nouveau pointée vers lui, nous, aveuglé par la haine et la douleur.

-Tu ne sauveras pas ta misérable vie en te terrant derrière nos héros de guerre! Tu veux que je te dise, Rogue? Siffla le sorcier en s'avançant. Tu n'es qu'un lâche.

La déflagration qui suivit fut immédiate. Elle fusa dans un grésillement phénoménal pour exploser contre la poitrine de l'ennemi, l'envoyer s'écraser contre un mur. Je haletai de rage, la baguette encore fumante. Et voulus me jeter sur la pourriture qui venait de parler! Mais Rogue me retenait, il me retenait!

-Lâchez-moi! Hurlai-je. Lâchez-moi! Lâchez-moi!

Je me débattais, les autres sorciers rappliquaient du bout de la ruelle. J'étais prête à faire un carnage! Un carnage! Seulement Rogue m'agrippait les deux bras à présent et... transplana. La ruelle, ses contours se brouillèrent, tout tournait, j'étais tirée par le nombril et piégée contre lui. Nous apparûmes au centre de mon salon et perdîmes tous les deux l'équilibre. J'étais encore emplie de rage.

-Lâchez-m...

Je fus incapable de continuer, pétrifiée, par le liquide rougeâtre que je sentais couler le long de mon bras. Rogue... Mes ordres. Il m'avait désobéi.