Chapitre 16
Le lendemain matin, Khorine se réveilla tout doucement, soupirant de bien-être aux caresses aériennes du pouce de Severus sur sa peau nue. Elle s'étira et puis ouvrit des yeux océan noyés de sommeil.
-Bien dormi? Murmura-t-elle à l'homme qui la fixait de ses orbes onyx impénétrables.
Ses caresses avaient cessé, elle se rapprocha un peu plus pour retrouver la main si talentueuse. Severus eut l'ombre d'un sourire.
-Il se pourrait; répondit-il en reprenant ses caresses.
Lorsqu'ils finirent par se lever, Khorine se rendit avec impatience dans le salon et près de la cheminée où les hiboux et chouettes avaient entreposés les cadeaux. Elle se figea, interdite. Il y avait deux tas distincts, celui de Severus n'était composé que d'un cadeau, venant de Mme Weasley. Ce constat lui serra le cœur. Severus grimaça de dégoût en déballant le pull tricoté par la matriarche Weasley avec un grand S vert sur fond noir; et puis il attendit patiemment que Khorine ait fini d'ouvrir ses cadeaux. Il ne savait quoi faire ensuite, de son temps libre, ce temps gâché. Khorine s'amusa comme une folle avec les balles de jonglage envoyées par son père. Severus finit par lire dans son fauteuil. Elle vint auprès de lui et se blottit contre son épaule, un grimoire de potions sur les genoux. Le temps s'écoula doucement. Il avait une teinte de tristesse que Khorine tenta d'ignorer.
Le Nouvel An fut une nouvelle mise à l'épreuve des nerfs du Serpentard. Il supporta le tout plus gracieusement qu'elle s'y était attendue, grognant seulement à la fin:
-L'abus de la compagnie de Gryffondor peut être dangereux pour la santé.
-Comme le whisky; rétorqua Khorine, mais ils se bonifient peut-être avec l'âge.
-Laisse-moi en douter; renifla-t-il avec une pointe de sarcasme dans la voix.
Ils rentrèrent chez eux, à l'Impasse du Tisseur, et puis alors qu'il venait de déposer sa cape, Khorine réussit à attraper la main gauche de Severus. Elle s'inclina pour la baiser et releva un regard de feu vers son amant:
-Peut-être accepterais-tu une autre façon de fêter la nouvelle année? Quelque chose d'encore plus festif.
-Je suis ouvert à toute proposition; l'entendit-elle ronronner en réponse.
-Monsieur Rogue; murmura-t-elle en enlevant cape et écharpe, que diriez-vous d'en discuter plus avant dans notre chambre?
-Cette proposition s'avère alléchante.
Ils rejoignirent ainsi le grand lit de la chambre et fêtèrent à leur façon le début d'une nouvelle année. Ils s'endormirent ensuite, épuisés, Khorine blottie dans l'étreinte possessive de son cher et presque tendre.
Elle n'avait pas remarqué les ombres dans son regard à l'annonce de cette nouvelle année, de ce renouveau qui n'existait pas, tandis qu'il se rappelait tous les êtres qu'il avait brisés et qui ne vieilliraient pas, ces vies détruites.
Il parla moins le lendemain. Quelque chose dans ses yeux l'avertissait de ne pas l'approcher. Khorine lui laissa de l'espace, sans comprendre, observant avec angoisse Severus s'enfoncer dans les ombres de ses yeux.
Le 9 janvier, elle se réveilla auprès de lui, sentant sa respiration régulière. Elle ouvrit difficilement les yeux et lui sourit en rencontrant son regard impassible.
-Bonjour Severus… Joyeux anniversaire.
Le sorcier fronça les sourcils, puis se leva sans un mot. Khorine en resta interdite. Elle ne l'avait jamais vu aussi taciturne. Ils travaillèrent toute la journée avec un nombre record de mots minimum, puis Khorine indiqua vers 19h qu'elle avait quelque chose à faire, qu'elle revenait rapidement. Severus resta muet et l'observa partir, un masque de neutralité collé au visage. Elle alla faire des courses et revint les bras chargés et le visage rayonnant. La porte s'ouvrit pour elle et elle la referma du bout du pied. Severus resta dans la bibliothèque, plongé dans un grimoire. Elle se mit au travail et réalisa en une heure un magnifique gâteau au chocolat, kirsch et cerises de trois étages. En parallèle des clubs sandwichs et des amuses-bouches avaient été préparés. Severus finit par entrer dans la cuisine et son visage se durcit instantanément.
-Qu'est-ce que tout ceci? Siffla-t-il.
Khorine était en train d'empiler des clubs sandwich concombre-menthe sur des sandwich bacon-œufs brouillés, elle manqua l'expression de son amant.
-Des sandwichs… et des petites tomates! Ne me demande pas d'où elles viennent c'est une sorte de miracle qu'elles soient aussi bonnes.
-Khorine…; lâcha Rogue d'une voix glaciale.
Celle-ci tressaillit.
-… qu'est-ce que tout ceci?
La sorcière se tourna enfin vers lui et avisa le froid polaire de son expression.
-Je voulais te faire plaisir, en préparant le dîner, pour fêter ton anniversaire.
Il s'avança.
-Sais-tu ce que signifie réellement une année supplémentaire dans la vie de… quelqu'un comme moi?
-Quelqu'un comme toi? Répéta-t-elle sans comprendre.
-Il y a un nombre incalculable de moldus, d'enfants, de sorciers et de sorcières qui sont morts de ma main. Incalculable, Khorine; lâcha-t-il dans un souffle venimeux. Je ne me rappelle plus du nombre de personnes que j'ai tué. Leurs visages s'effacent de ma mémoire. Je ne sais plus combien de personnes j'ai torturé, les ai-je tués ensuite? Ont-ils été tués par d'autres mangemorts? Bellatrix? Greyback? Combien y a-t-il de morts sur ma conscience? Combien de sang sur mes mains? Siffla-t-il d'une voix très basse en s'avançant. Je revois des yeux injectés de sang, terrorisés, des corps se tordre, être démembrés, du sang éclabousser les murs, j'entends encore les hurlements et les gémissements de mes victimes. Je revois… les corps basculer, sans vie, projetés en arrière par le souffle de mort de l'Avada.
Khorine le fixait, blême.
-Vivre une année supplémentaire alors que, de mes mains, j'ai brisé tant d'existences, quelle ironie. Que tu veuilles fêter une aberration comme celle-ci me laisse… perplexe.
Un lourd silence s'étendit dans la cuisine… Et puis Khorine inspira, et murmura:
-Si tu tiens absolument à valoriser ta vie au nombre de personnes que tu as tuées, compte au moins le nombre de personnes que tu as sauvées. Ce serait au moins équitable.
-Qui te fait penser…
Elle le coupa:
-L'année de mes cinq ans, tu m'as sauvée d'une attaque de mangemorts sur mon village. Sans toi, je serais morte. Lors de mes onze ans je t'ai vu sauver la vie d'Harry qui était à vingt mètres au-dessus du sol sur un balai ensorcelé. Deux ans plus tard tu m'as protégée ainsi que mes meilleurs amis en te plaçant entre nous et un loup-garou. Tu nous as tous sauvés la vie ce soir-là.
-Ce n'est pas…
-Je n'ai pas fini! S'exclama-t-elle en relevant férocement le menton. Deux ans plus tard, c'est toi qui as averti l'Ordre de notre escapade au Ministère. Sans toi, nous aurions perdu la prophétie et nous serions tous morts. C'est toi qui as soigné Dumbledore pour lui laisser le temps de parler à Harry des Horcruxes, plus tard encore c'est toi qui nous as confié l'épée de Gryffondor. C'était la seule manière pour nous de détruire les Horcruxes et de vaincre Voldemort. Que crois-tu qu'il se serait passé si nous avions perdu durant la Bataille de Poudlard? Tous les membres de l'Ordre seraient morts, beaucoup d'élèves… Et ensuite? Cela va faire six ans que la guerre est finie, pouvons-nous seulement imaginer les centaines de milliers de personnes qui ne sont pas mortes grâce à toi?
-Severus; continua-t-elle encore alors qu'il restait muet, tu mérites d'avoir encore une année supplémentaire à fêter. Tu aurais déjà dû recevoir un Ordre de Merlin pour tout ce que tu as fait...
La réalisation la frappa violemment. Il avait été relâché d'Azkaban, oui, mais il n'avait jamais été récompensé pour tous les sacrifices qu'il avait fait pour le monde sorcier.
Et…; continua-t-elle. Je… Accio Ordre de Merlin.
La médaille argentée de Khorine vola jusqu'à elle, qui la saisit, l'embrassa et la tendit à Severus.
-Severus Rogue, au nom de tous ceux que tu as sauvé, pourrais-tu accepter cet Ordre de Merlin?
Le sorcier la fixait, interdit. Elle ne l'avait jamais vu ainsi. Il semblait… ébranlé. Sa main se tendit vers la médaille, juste avant qu'il ne cille et que son visage ne retrouve de sa neutralité. Ses longs doigts froids se refermèrent autour du métal et la ramenèrent à lui. Il ne dit rien, durant de longues minutes, et puis:
-Merci.
Sa voix profonde arracha un frisson à Khorine. Ils s'observèrent encore un moment, puis la sorcière osa demander:
-Est-ce que… on peut manger ce que j'ai préparé? Ou juste passer au cadeau?
Il fit un geste indiquant qu'elle faisait ce que diable lui plairait et puis tourna les talons et quitta la cuisine. Khorine se laissa tomber contre le meuble de la cuisine le plus proche, tremblant violemment. Elle n'avait pas eu conscience de toute la tension accumulée en elle, jusqu'à ce qu'elle retombe. Elle se sentait faible sur ses jambes.
Ils ne dirent pas beaucoup plus ce soir-là. Après le repas, Khorine lui offrit deux billets de portauloin pour la Chine. Leur départ était fixé à dans un mois. Ils lurent au coin du feu puis allèrent se coucher. Sous les draps, Khorine vint se blottir contre Severus qui la maintint fermement serrée contre son torse. Ils ne dirent rien de plus.
