6.

Des ombres, son ombre partout, il était là, toujours; il était toujours là.Toujours là, derrière le trône de Voldemort, caché dans l'ombre, la baguette pointée sur moi, dans mon esprit…

-Vas-y, Severus !

-Legilimens !

Je criai, je souffrais! Je tombai… Bibliothèque. Je vis Hermione froncer les sourcils, tourner les pages d'un énorme grimoire, elle marmonnait, puis son regard s'illumina, je souris. Je percutai la pendule des Weasley. Mme Weasley me serrait tellement fort dans ses bras. Ginny haussa les épaules. Georges ricanait. Les yeux d'Harry scintillaient. MacGonagal dans son bureau, ses sablés écossais, le phénix de Dumbledore, Hermione qui riait, Harry, Pattenrond, Remus. Il n'entendait rien. Ce sale traitre ne pouvait rien entendre. Je fixai Rogue une dernière fois, son regard de ténèbres et ses cernes gris, son visage inexpressif, son teint cadavérique. J'avais gagné…*

Si… triste… si triste…

-Allez Rogue, joins-toi à nous, c'est gratuit la première fois ; lança MacNair.

-Je ne suis pas une bête MacNair ; ricana Rogue. Je ne touche pas les sangs-de-bourbe !

Et j'entendais sa voix dans ma tête. Je ne touche pas les sangs-de-bourbe. Je ne suis pas une bête MacNair. Je ne suis pas une bête… Je ne… suis… pas… une bête… Je ne suis pas une bête. Mais je pouvais en devenir une.*

Deux mangemorts entrèrent par derrière, j'entendais leurs pas. Et Rogue apparut derrière le trône du Seigneur des Ténèbres.

-… Par chance, mon maître des potions est enfin parvenu à créer ce que j'attendais de lui. Une potion qui brise la volonté,… , Gryffondor ?

Mes yeux s'obscurcirent de haine, de volonté, encore. Ils remontèrent fixer Voldemort qui tendait la main derrière lui et Rogue qui ferma les yeux, qui crispa les mâchoires, avant d'y déposer une fiole à potion verte.*

Ce traître… était de mon côté…

-Je t'aime tellement ; sanglotai-je avant de le prendre dans mes bras et de le serrer contre moi.

Je riais, et puis je sanglotais aussi. Il referma son étreinte sur moi et me berça, il me berça, me murmura des mots que je n'entendis pas. Je me blottis dans le creux de son cou… Son regard… était très doux… je ne l'avais jamais vu ainsi…

-Menteur…

Ma tête retomba contre le mur. L'image d'Harry se troubla. Rogue apparut à la place. Avec, ce rictus de dégoût. L'ombre. Voldemort approcha. Nagini aussi. Il leva sa baguette.

-Endoloris !*

L'assassin de Dumbledore, il m'avait serrée si fort contre lui, dans ses bras… Je réfléchissais au milieu de mes cauchemars, tressautant sans m'en rendre compte, l'esprit comme détaché du corps… Il finit pourtant par le rejoindre, il ne faisait qu'un, des sanglots convulsifs m'échappèrent tandis que je sentais contre mon front et mon épaule valide les mains froides de Rogue. J'entendis les mots qu'il murmurait, je sentis de nouvelles fioles contre mes lèvres. Mes yeux étaient fermés de larmes, je ne voyais rien, ils étaient ouverts, Rogue était là. Il avait toujours été là. Je levai, une main tremblante, vers lui. Il lâcha mon épaule pour la rattraper, et sursauta quand je refermai mes doigts sur les siens. Ce fut le dernier instant clair, avant que les potions ne fassent effet, que mon esprit ne s'embrume et que ma main ne retombe contre les draps, je me rendormis.

L'éclat de ses yeux sombres dans les ténèbres.*

Lestrange s'était… déchaînée. J'avais même, du mal à respirer, tant la, douleur était violente, elle m'opressait, elle enflait, dans mes veines, partout. Mon genou, droit, était explosé en, centaines de petits morceaux, et mon coude, et mon poignet gauche, la clavicule près de mon cou avait, éclaté. J'allais mourir! Mourir de douleur! A… troce… Atroce… Peu de, lumière. Il, entra. Mâchoires, crispées, orbes, noirs. Je ne pouvais, plus, me, concentrer sur, rien. Potions, ma gorge, chaleurs, chaleurs, craquements secs, je m'engourdis, la douleur, s'apaisait, elle fondait, la chaleur de sa magie, sortilèges, les os, bougeaient dans mon poignet. Je me tendis, sa main, me retint, douce… J'hurlai quand il replaça la clavicule. Et puis il resta agenouillé, je ne sentais plus mon corps, je n'avais plus mal… Je ne savais plus, les secondes, les minutes, mais Rogue finit par se lever, il partit, je fus seule à nouveau et je pleurai.*

Nauséeuse je vomis le matin, puis l'elfe apparut, disparut, reparut, brusquement, Rogue était à son bureau. Rogue, hagarde, son elfe s'avança encore avec une panière pour draps. Les yeux noirs étaient rivés sur moi, du vomi entre mes lèvres, il fit un mouvement, un seul, vers moi, et je me retransformai. Mon attelle se déchira, je l'arrachai d'un coup sec et me débarrassai de ma chemise de nuit, mon grondement rauque s'éleva. Mes oreilles baissées, je descendis du lit, l'elfe tremblait, mes griffes raclaient le parquet. Et puis personne ne bougea, pendant longtemps… J'étais épuisée… Je reculai une patte après l'autre, sans cesser de les fixer. Ils restèrent immobiles, même l'elfe. Je finis contre le mur et une commode en bois, froids. Je m'y roulai en boule, oreilles pendantes, j'avais mal à l'épaule gauche et ma gorge brûlait. L'elfe fit un pas vers moi, je me relevai, grondant férocement, il s'écarta, je m'effondrai. Il prit le linge sale et le rangea dans son panier, refit bien le lit et puis il s'approcha encore de moi. Je me redressai. Il s'arrêta, se tourna vers son maître, vers moi, vers son maître puis disparut. Mais, je dus rester campée sur mes pattes, parce que Rogue se levait. Traître! Fatigué, il semblait malade, ses yeux comme fiévreux, il crispait les mâchoires, il me présenta quelque chose dans sa main. Je l'aurai déchiquetée s'il n'y avait eu cet objet à l'intérieur. C'était une broche au cœur rouge. J'avançai, hypnotisée, boîtant. Ma truffe effleura l'objet. MacGonagal était venue, mes amis étaient vivants… Je redevins humaine. Mes doigts se levèrent vers ceux de Rogue et s'y posèrent, effleurant à peine la broche du professeur MacGonagal. J'étais nue, la peau parcourue de vieilles ecchymoses et de cicatrices, mes os ressortaient, je n'avais d'yeux que pour la broche. Rogue me remit ma chemise de nuit et je serrai le bijou contre moi.

-Tenez-vous à moi; grogna Rogue.

Il m'aida à retourner au lit. Aucun commentaire sur ce qui venait de se passer, je n'aurais pas écouté de toute façon. Cooky revint avec du porridge, j'étais perdue dans mes pensées, Rogue n'était plus là, et puis il revint… Je restai étendue, de sombres pensées s'amoncelaient, la broche m'échappa des mains, je redevins louve. Et puis Rogue s'approcha de moi pour me présenter un bijou aux entrelacs d'argent avec une grosse pierre rouge rubis au milieu. MacGonagal. J'étais humaine de nouveau. Et puis louve quelques heures plus tard, humaine, louve… Humaine. J'hurlais de douleur, louve. Des geignements, la pierre, humaine. Le soleil se leva plusieurs fois. Personne ne me ramena auprès de Voldemort, il y avait la broche.

Mon coude sous le talon de sa botte. Je ne pouvais pas, les Doloris me secouaient encore mais mes muscles ne répondaient plus.

-Où sont-ils cachés, sale Sang-mêlé?

Gargouillis pitoyable. Tout, pus, répondre. Lestrange n'aimait, pas ça. Elle appuya plus fort contre mon coude, des décharges électriques commençaient déjà à le faire tressauter tout seul.

-Qu'est-ce qu'ils font? Répond! Répond!

Je n'obéissais pas, elle tapa du pied contre mon coude, plusieurs, fois, furieuse. J'hoquetais. Elle hurlait d'autres questions. Je n'aurais pas pu répondre, les souvenirs, étaient, caché m'écrasa le coude et mes os éclatèrent. J'hurlai!

-Endoloris!

Rien, ne sentis, de plus. Rien, plus. Rien.*

Je rouvris les yeux au milieu de la nuit, il y avait un croissant de lune dans la nuit, une bougie allumée et Rogue avait posé son grimoire pour me retenir par l'épaule. J'avais dû crier dans mon cauchemar, me débattre. J'étais calme à présent… Mon regard se dirigea lentement vers Rogue, et je finis par l'observer. Il ne m'avait pas encore lâchée. J'avais l'impression d'être le Lac Noir lorsqu'il n'y avait plus un souffle de vent pour m'agiter. Mais je n'étais pas apaisée. Cet homme n'était pas un traître. Il était du côté d'Harry et de Dumbledore, de notre côté. Et je ne sais comment je réussis, mais je finis par étreindre mon professeur de potion. Il resta figé. Mon bras valide encerclait son torse tandis que mon front reposait dans le creux de son cou. J'avais un peu de fièvre, le tissu de ses robes était doux contre ma joue. Je soupirai, il était très rigide, et fermai les yeux. Rogue m'avait étreinte tellement fort dans les cachots, il murmurait que tout allait bien, que tout était fini, je voyais Harry, des cercles apaisants dans mon dos…

-Lumare, vous feriez bien de me lâcher.

-Ah oui?

-Certainement; rétorqua-t-il les dents serrées.

J'acceptai, je retrouvai le moelleux de mon matelas et de mes oreillers. Rogue n'avait pas bougé. Il restait immobile, non il tourna brusquement la tête vers moi, ses cheveux graisseux captèrent un instant la lumière, je distinguai son sourcil haussé malgré la pénombre.

-Qu'est-ce que vous pensiez être en train de faire exactement, Miss Lumare?

Sa voix était froide… Il était très tard…

-Un câlin.

Il renifla et… Il fronça les sourcils, il pouvait être expressif quand il voulait.

-Vous avez de la fièvre.

Ce n'était pas une question, je lui souris parce que c'était une étrange conclusion. Il se déplaça vers ma table de chevet pour y prendre une fiole au contenu orangé. Il la déboucha, pressa le goulot contre mes lèvres. C'était ma première vraie conversation depuis des jours, et c'était agréable même avec Rogue. J'avais envie de revoir mes amis, même si c'était douloureux. J'en avais besoin. L'ancien espion retrouva sa place à son bureau, son grimoire, je fermai les yeux.

-Merci; murmurai-je.

Je m'endormis juste après.

Je n'étais plus aussi instable, même plus vraiment. Je ne me retransformai pas en louve, ni le lendemain, ni le surlendemain. J'étais plutôt calme, je reprenais des forces, il m'arrivait de passer des heures à fixer la broche de MacGonagal. Je n'avais plus besoin de dormir autant, et je mangeais plus. Je sortirais bientôt, dehors, la forêt, les senteurs du bois s'infiltraient dans ma chambre par la fenêtre… Le professeur MacGonagal revint me voir. Elle était directrice de Poudlard à présent. Rogue resta dans la chambre, avec moi.

-Comment allez-vous ce matin, Miss Lumare?

-Mieux; répondis-je.

Il y eut comme un sourire satisfait sur ses lèvres pincées. Elle me demanda à moi, plutôt qu'à Rogue, comment s'était passés ces derniers jours, si j'avais encore de la fièvre, si j'avais encore mal quelque part. Je mentis de mon mieux.

-Pensez-vous que vous pourriez reprendre votre cursus scolaire bientôt? Cela vous plairait de retourner à Poudlard pour votre 7ème année?

Retourner? Poudlard… Elle continua:

-La rentrée n'est que dans deux mois et demi, vous avez le temps de me donner votre réponse. Prenez votre temps.

-Ils seront là? Demandai-je.

-Vos amis? Si c'est ce que vous voulez savoir Monsieur Potter, Miss Granger et Monsieur Weasley sont tous trois inscrits pour l'année prochaine.

Ah… je voulais les voir…

-Le professeur Rogue sera là?

Il y eut un petit silence. En me tournant vers Rogue, je m'aperçus même qu'il paraissait extrêmement contrarié, il m'adressa un regard noir. MacGonagal de son côté était en train de sourire sans raison.

-Il n'y a encore aucune certitude à ce sujet. Mais vous pouvez toujours essayer de le convaincre de rester?

Ah… Aucune certitude… J'étais déçue, un peu, peut-être. MacGonagal restait debout face à mon lit, elle avait les mains jointes, à la façon de Dumbledore. Elle ne faisait pas ça avant. Je serrai la broche dans ma main, toujours la pierre polie me rentrait dans la paume, c'était apaisant.

MacGonagal parla d'autres choses ensuite, elle parla de l'Ordre, du Ministère... Elle me demanda si je voulais revoir mes amis.

-Oui; murmurai-je.

-Vous pourriez retourner vivre au Terrier avec la famille Weasley, Miss Granger et Monsieur Potter?

-Non.

-Elle n'est pas prête; intervint Rogue. Et je ne vous permettrai pas de réduire à néant mes efforts et ceux de mon elfe pour tirer cette gamine de son état d'abrutissement, en la renvoyant trop tôt entre les griffes de vos précieux petits Gryffondor.

MacGonagal lui lança un regard désapprobateur, elle répliqua:

-Très bien, dans ce cas Miss Lumare, vous devrez rester encore un moment auprès de votre professeur de potions.

-Oui.

-Ex professeur de potions; siffla Rogue.

-Bien sûr; répondit MacGonagal. Pourriez-vous me laisser un peu de temps, à présent, seule à seule avec votre patiente?

-Je ne suis pas médicomage, faîtes ce que vous voulez; fut la réponse de Rogue avant qu'il ne quitte ma chambre dans un envol de cape.

Non… Je ne voulais pas qu'il parte. Mon regard resta rivé sur la porte. Il pouvait revenir, d'un instant à l'autre. Rogue reviendrait.

-Miss Lumare; m'appela MacGonagal, y aurait-il quelque chose dont vous souhaitiez me parler maintenant que Severus n'est plus avec nous?

-Non; dis-je sans me détourner de la porte.

-Bien, pourriez-vous me dire pourquoi vous souhaitez rester ici?

Je cillai et puis je me tournai vers elle, ma tête pencha un peu, des rayons de soleil teintaient d'or les cheveux de mon professeur.

-Il sait.

MacGonagal ne répondit rien à cela, un silence, des ombres voilaient mon regard par intermittence. Elle hocha la tête.

-Je ne l'ai jamais vu prendre soin de quelqu'un, mais vous ne semblez pas manquer de quoi que ce soit.

Je fus étonnée ensuite de la voir crisper les mâchoires.

-Votre professeur a survécu à deux guerres… Il s'est toujours isolé des autres sorciers, il n'est pas habitué à la compagnie et ne saura probablement pas comment s'occuper de vous hormis… les soins médicaux. Vous devrez me le dire tout de suite si vous souhaitez quitter son manoir. Si je ne viens pas assez souvent, faîtes-moi parvenir un message par son elfe de maison, avez-vous compris?

-Oui professeur.

Elle était inquiète pour moi. Et elle semblait préoccupée, mais elle ne dit rien d'autre à ce sujet. Elle finit par quitter ma chambre. J'avais besoin de réfléchir, ce fut Cooky qui apparut ensuite pour veiller sur moi.

-Cooky vous prie d'excuser le maître, le maître s'est enfermé dans son laboratoire. Cooky ne sait pas quand reviendra le maître.

J'hochai vaguement la tête, j'avais besoin de réfléchir. Cooky s'installa en tailleur dans un coin et fit apparaître des draps blancs déchirés. Je cillai, je ne me rappelais pas avoir détruit du linge. Le sol devait être très inconfortable, il était si maigre, ses os devaient appuyés contre le parquet…

-Cooky? Tu peux venir ici? Tu me ferais plaisir en t'asseyant sur mon lit.

Il ouvrit de grands yeux globuleux, à la manière de Dobby, non il n'avait jamais paru aussi perturbé.

-Cooky remercie Miss, mais Cooky n'a pas l'intention de déranger Miss, Miss doit se reposer et reprendre des forces.

-Ca me ferait mal aux fesses de rester assise sur le sol; lançai-je, et puis j'aimerai ta compagnie, j'aimerai que tu te rapproches, s'il te plaît?

A force de demandes, de demi-ordres et de sollicitations le petit elfe finit par céder. Il continua à coudre bien installer contre le montant en bois de mon lit, sur le matelas moelleux. Hermione m'aurait souri de toutes ses dents. Il fallait que je réfléchisse, pourtant je ne pouvais pas me concentrer, Cooky était plongé dans sa couture, ses grandes oreilles vibraient de temps en temps, les rayons de soleil entre les rideaux blancs, les bruissements du vent très loin. MacGonagal semblait préoccupée, j'étais bien ici, je pouvais me reposer, ne penser à rien, ne me soucier de rien. Je n'entendrais plus les talons de botte contre les pierres, les injures, il n'y avait plus de chaînes, le collier, je n'avais plus de collier, c'était une bonne chose… Je voulais juste me reposer, profiter des sensations perdues, les draps doux sur ma peau, les oreillers qui sentaient le frais, la chaleur du soleil et sa lumière…

Je ne me rappelai pas de mes cauchemars de cette nuit-là, et peut-être que je ne m'étais pas réveillée et que je n'avais pas réveillé Rogue. Il avait une mine horrible ce matin, blâfard, de gros cernes sous les yeux, un regard fiévreux. Il fronça les sourcils comme je l'examinai.

-Cessez ceci!

-Vous devriez peut-être dormir un peu plus?

-Je ne pense pas faire grand cas de vos conseils; siffla-t-il en réponse, alors gardez-les pour vous.

Il n'avait jamais été très agréable, mais ça ne me dérangeait plus. Le professeur MacGonagal m'avait dit qu'il n'avait pas l'habitude d'être trop longtemps en compagnie d'autres êtres humains, et je me demandais si, avec le temps, il parviendrait à me dire quelque chose de gentil. Rogue referma son grimoire et se leva dès que Cooky apparut. Il disparut rapidement.

-Pourquoi est-ce qu'il ne reste jamais pour les repas? Marmonnai-je pour moi.

-Maître Severus Rogue n'aime pas les repas.

-Il ne mange plus?

-Cooky ne sait pas ce qu'il peut dire ou pas à Miss… Mais Maître Severus Rogue n'aime pas manger.

Je n'insistai pas. A la place, je gimaçai devant le nouveau bol de porridge. C'était étonnant comme il était simple de parler:

-Je suis désolée Cooky, mais je n'aime vraiment pas le porridge. Tu n'aurais pas quelque chose d'autre pour le petit-déjeuner? N'importe quoi?

-Il faut du porridge pour guérir Miss; me gronda presque le petit elfe.

-Mais je suis pratiquement guérie!

Cooky m'examina et fronça son nez en trompette, il réfléchissait… Il avait les iris chocolat dans des yeux aussi gros que des balles de tennis. Quelques cheveux se dressaient sur le haut de sa tête.

-L'ancien maître de Cooky voulait des tartines à la confiture de citron, le matin.

-Ton ancien maître avait des goûts étranges; répondis-je avec l'ombre d'un sourire.

-Est-ce que Miss critique les goûts de l'ancien maître de Cooky?

-Non, non, c'est bien, je voudrais la même chose pour mon petit-déjeuner!

L'elfe hocha la tête, très sérieux et claqua des doigts pour disparaître, il reparut avec un plateau contenant de longues tartines de pain beurrées et un pot de confiture de citron ouvert. Je n'en avais jamais goûté, et je me régalai. Je n'avais pas mangé quelque chose d'aussi bon… je n'avais pas pris plaisir à manger… depuis longtemps. Je dévorai tout ce qu'il y avait sur le plateau, ce qui fit plaisir à l'elfe. Il finit par le reprendre et n'allait pas tarder à partir.

-Cooky? L'appelai-je. Les mouvements de poignet que tu fais et tes deux claquements de doigts avant que tu t'en ailles, c'est une sorte de Tergeo?

L'elfe était mal à l'aise, il serrait plus fort les bords du plateau.

-Cooky ne connaît pas de «sorte de Tergeo».

Il ne devait pas connaître le nom sorcier du sortilège.

-C'est un sortilège de nettoyage. C'est pour ça que je me sens plus propre le matin?

-Oui Miss; avoua-t-il.

-Dis, tu penses que je pourrais prendre un bain?

L'elfe gardait son plateau dans les mains, rempli de miettes et du pot de confiture, il ne voulait pas le lâcher tout en m'expliquant que le maître avait demandé que je reste allongée dans mon lit et qu'il ne fallait surtout pas qu'il m'aide à me déplacer.

-Mais si Rogue est d'accord, tu m'aideras à aller jusqu'à la salle de bain?

Il hésita…

-Si le maître est d'accord; acquiesça-t-il.

Pour ce matin, il relança son sortilège de nettoyage et disparut s'occuper du plateau de nourriture. Il ne me laissa seule qu'une poignée de secondes. Ensuite je lui permis de remonter sur mon lit, tandis que je me blotissais sous mes draps, le ventre bien rempli, apaisée. Cooky se remit à la couture. C'était calme. Les rideaux étaient ouverts sur le soleil du matin, ils flottaient dans la brise. Je me sentais bien, et j'avais prévu de demander pour mon bain dès le retour de Rogue… Seulement, à son retour, la chaude lumière du matin éclaira les traits tirés et blêmes, la fatigue, l'agacement intrinsèque de mon professeur. Je le vis avancer et ne trouvai rien à dire. Cooky avait vite sauté du lit et tenait le drap à moitié recousu. Il restait près de mon lit, figé.

-Qu'est-ce que tu fais encore là? Retourne aux cuisines; siffla-t-il et l'elfe lui obéit.

Quand à moi je venais de rentrer dans la catégorie très restreinte des personnes qui s'étaient un jour inquiétées pour Severus Rogue.

-Professeur; commençai-je…

-Suffit! Vos bavardages insispides me donnent déjà la migraine.

-Vous ne voudriez pas vous reposer? Je… vous laisse le lit et je prends votre chaise.

Il était tourné au trois-quart et je vis bien son sourcil se hausser sous la surprise, mais ça ne dura pas longtemps, et juste après il grondait d'un ton bourru:

-Non.

Il ouvrit son grimoire pour signifier que la conversation était close. J'allais rétorquer quelque chose, n'importe quoi, mais Rogue fronça les sourcils et me devança:

-Encore un mot de votre part et je quitte votre chambre.

Alors je me tus et me renfonçai dans mes oreillers, Rogue reprit sa lecture toujours les sourcils froncés comme perturbé par quelque chose. Je ne dis rien de toute la matinée, je ne parlai pas non plus à Cooky pour le déjeuner, la journée fut très silencieuse. Pas ma nuit, des cauchemars encore, Rogue resta auprès de moi, il me calma et murmura que je devais me calmer, que tout irait bien, ensuite ce fut des noms de potions, leurs ingrédients et leurs propriétés, douce berceuse agréable. La première fois que je comprenais ce qu'il me murmurait… Je finis par me rendormir en m'agrippant à un bout de sa manche…

A mon réveil le lendemain, un oiseau chantait près des murs du manoir, il faisait bon et Cooky avait déjà ouvert les fenêtres. Rogue était endormi dans son fauteuil qu'il avait rapproché de moi et son bras que j'agrippais encore reposait sur mon lit. Je l'examinai. Son visage endormi était tourné vers moi, il paraissait en aussi mauvaise santé que lorsqu'il était éveillé, le froncement de sourcil en plus, les lèvres pincées, il respirait fortement par son grand nez en étrave. Ses cheveux graisseux étaient en train de lui tomber sur le front. Doucement je détachai mes doigts du tissu de son vêtements et avançai ma main valide, je pus atteindre quelques mèches que je rejetai en arrière. Et puis il se réveilla, ses yeux s'ouvrirent en grand, j'écarquillai les miens, le bras toujours en l'air.

-Qu'étiez-vous en train de faire Lumare? Gronda-t-il en hachant bien chaque mot.

Son haleine matinale me percuta autant que son ton incisif.

-Euh… vous aviez des cheveux dans les yeux; me justifiai-je.

Il se redressa alors, dans un craquement de vertèbres. Rogue n'avait pas l'air très content. Mais je ne voyais pas ce que j'avais fait de mal.

-Ne vous avisez plus de me toucher, jamais. Mon elfe ne va pas tarder.

Et il se leva aussitôt malgré ses jambes engourdies, comme s'il voulait me fuir. Il allait quitter ma chambre sans un regard en arrière. Et puis une pensée me percuta:

-Attendez! Est-ce je peux prendre un bain? Professeur?

Il ne se retourna pas.

-Faîtes-ce que vous voulez, tant que vous ne vous noyez pas dedans.

Puis il partit en claquant la porte. Je restai un long moment immobile, à fixer le panneau de bois, je devais vraiment le dégoûter pour qu'il me fuit comme ça. Pourtant il m'avait caressé les cheveux, et murmuré que tout irait bien. «Je ne suis pas une bête MacNair. Je ne touche pas les sangs-de-bourbe!»… je ne comprenais pas. Je ne comprenais pas plus sous l'eau chaude, tandis que Cooky me lavait les cheveux… Je décidai que ça n'avait pas d'importance et je fermai les yeux. Je ne savais pas quand, mais je pourrais bientôt revoir mes amis… Cooky rinça la baignoire sans m'y déloger, puis fit couler un bon bain chaud. Je le remerciai, ses oreilles frétillèrent de contentement avant qu'il ne me laisse. Bientôt je pus fermer les robinets et me rouler en boule dans mon bain chaud, un sort imperméabilisant mon attelle… Il n'y avait pas de mousse, mais l'eau était orangée et sentait l'abricot… J'étais bien, les vapeurs d'eau montaient doucement, très doucement, mes cheveux ondulaient autour de moi… Je crois que je m'endormis…

Au réveil mes doigts étaient tout fripés et je me faisais secouer par Cooky.

-Miss? Miss? Miss est en danger? Le maître a dit que ce n'était pas normal qu'elle reste aussi longtemps dans l'eau! Est-ce que Miss va bien?

Un peu déstabilisée, j'hochai la tête, me retenant à l'elfe d'un bras.

-Miss va bien? Elle ne peut pas parler?

-Si Cooky, ça va; marmonnai-je. J'ai juste l'impression que je me suis endormie… Je vais me lever toute seule, et m'habiller ne t'inquiète pas.

-Cooky veut aider, Cooky doit aider; protesta-t-il. Mais il faut qu'il prévienne le maître d'abord. Cooky revient.

Et sur ce il transplana. C'était un réveil mouvementé… Je soupirai, puis me retins au rebord de la baignoire pour m'extirper de l'eau tiède. Mes muscles étaient ankylosés, ce fut très lentement que ma jambe droite rejoignit le carrelage de la salle de bain… et puis Cooky reparut.

-Le maître n'était pas content.

Le petit elfe n'avait pas de sourcil, mais son front était plissé de soucis.

-Ne t'inquiète pas; haletai-je, j'irai lui parler, après.

Je réussis à poser mes deux pieds hors de la baignoire, et à tenir debout. Cooky approcha une serviette et, avec délicatesse, m'essuya le corps et enroula mes cheveux. Il m'aida à m'habiller. Je lui en étais reconnaissante, je n'aurais pas réussi toute seule. Puis d'un claquement de doigt il me sécha les cheveux. J'aimais bien qu'ils soient encore humides et eus une petite moue envers Cooky.

-Miss aurait attrapé froid avec les cheveux mouillés de Miss.

Cet elfe s'occupait mieux de moi que je ne l'avais jamais fait. Puis il me présenta dignement une nouvelle chemise de nuit bleu clair et précisa que c'était Cooky qui l'avait acheté pour Miss. Il m'avait aussi acheté la culotte de coton blanc. Je le remerciai et cela parut déjà faire plaisir à l'elfe, ses oreilles vibrèrent. Il me tendit la main et m'aida à quitter la salle de bain. Rogue attendait à son bureau, une lettre ouverte entre les mains. Je rejoignis mon lit, Cooky disparut, Rogue était mécontent. Quelque chose n'allait pas…

-Potter, Granger et Weasley seront au manoir en début d'après-midi; m'informa-t-il d'une voix froide.

Mon cœur battit plus vite, j'avais plus de mal à respirer et je souris. Rogue crispa les mâchoires et se détourna de moi et de la lettre, il reprit son grimoire et plongea son nez dedans. Ce n'était un secret pour personne qu'il ne nous avait jamais apprécié.

J'eus beaucoup de difficulté à attendre… J'étais tendue, crispée, ma respiration saccadée, j'avais la tête qui tournait, je pensais à tout ce que je voulais leur dire… Après le déjeuner, et dès que Rogue revint, je lui demandai de m'aider à me lever, je voulais les attendre dans le salon, où qu'il soit. Rogue… accepta… Je me retins à son bras et il avança lentement, pour moi. J'aimais bien qu'il me retienne lui aussi, qu'il soit près de moi. Nous traversâmes un long couloir sans portrait, un autre couloir puis descendîmes un escalier pour parvenir jusqu'au hall d'entrée, le salon était derrière une porte vitrée à droite. Je tremblais et j'étais épuisée quand Rogue m'aida à m'asseoir sur l'un de ses canapés. Haletante, étendue contre le dossier, ma tête reposait contre le haut du canapé et je mis longtemps à ne serait-ce que respirer normalement. Mon professeur de potion était resté dans un fauteuil tout près. Je finis par tourner la tête vers lui, il me fixait, impassible.

-Je vais bien; marmonnai-je

-Je vois ça; rétorqua-t-il narquois mais il resta tout à fait immobile et ses yeux étaient emplis de ténèbres.

Je n'arrivais pas à savoir ce qu'il pouvait penser, pas comme si c'était simple, même Voldemort s'était trompé. Un sourire tordu me vint à cette pensée. Nous restâmes un long moment en silence dans le salon, il était très éclairé, il y avait de grandes fenêtres, des miroirs qui réfléchissaient la lumière. Et ce salon appartenait à Rogue. C'était étonnant. Mes pensées trébuchèrent, je voyais ma prison, les murs, le sang sur les chaînes. Je voulais repenser à mes amis. Je devais les voir… agonisants… en vie… S'il vous plaît, en vie. Je pliai les doigts dans mon attelle pour en extirper la broche de MacGonagal, je sentais sa texture tiède sous mes doigts et je respirai mieux. Quelques secondes, ou quelques minutes plus tard, on toqua à la porte. Je me tendis, Rogue enfonça ses doigts dans l'accoudoir de son fauteuil et Cooky de toute évidence alla ouvrir la porte. Je me tournai lentement vers la porte. Il y avait leurs pas, ils approchaient, c'était eux, forcément. Et puis Hermione entra, vivante, elle fronça les sourcils et s'arrêta. Ronald grogna en lui rentrant dedans. Harry avec ses cheveux en pétard et ses lunettes rondes arrivait un peu plus à droite. Il s'arrêta aussi en me dévisageant. Je tremblais et j'étais blême, avec mon attelle, et je devais être toujours aussi maigre, les joues creuses. J'ouvris les lèvres pour parler, elles tremblaient, les mots ne sortaient pas, mes yeux se remplissaient de larmes, ils étaient là, devant moi, ils étaient vivants! Hermione courut vers moi et me sauta dans les bras. J'haletai de douleur mais ne la laissai pas s'écarter. Non, je la serrai d'un bras et fus secouée de sanglots de joie.

-Oh Merlin, on avait dit qu'on pleuraitpas! Grogna Ron.

En relevant la tête je vis qu'il y avait de grosses larmes au coin de ses cils roux. Je lui souris, il nous rejoignit, et Harry nous serra tous les trois dans ses bras. On était tous sur le canapé, je touchais leurs vêtements, la chaleur des vivants je la sentais, leurs odeurs, les cheveux broussailleux d'Hermione dans mon visage, les reniflements d'Harry, les ricanements tremblants de Ron, mes bras autour d'eux et les leurs autour de moi. Tout, toutes ces choses. Ils étaient vivants. Vraiment. La guerre était finie. Elle était finie. On avait survécu. On avait tous survécu.

On resta dans cette position pendant longtemps, tout le temps qu'il me fallait, des minutes, des dizaines de minutes, juste nous quatre sur ce canapé, dans son salon éclairé comme pour la fin d'un cauchemar. Rogue était parti. Nous finîmes par nous relâcher, un peu, et je mis genou à terre, pour qu'on soit tous assis ensemble, en rond. J'avais les joues sillonnées de larmes et essayai encore une fois de parler. Pas un son ne sortit, il y avait cette boule énorme dans ma gorge, je les voyais devant moi et c'était eux. Hermione me dit que ce n'était pas grave, que je n'étais pas obligée de parler maintenant. J'avançai à genou vers elle, et puis, ma main se leva vers son visage, et je suivis ses traits réguliers, et séchai les traces de larmes et apprenais par cœur la forme du nez et des joues, son front, sa mâchoire. Elle resta immobile et ne dit plus rien.

-Mione; couinai-je enfin, c'est toi… C'est bien toi…

Les larmes revenaient dans mes yeux, si bien que je ne voyais plus grand-chose. Je me tournai vers Ron et suivis les traits de son visage, sans que mes pleurs cessent un seul instant. Je fis de même avec Harry, butant souvent contre ses lunettes en métal. Lorsque j'eus fini, nous restâmes à nous regarder, tous les quatre, je ne me lassai pas de les détailler Hermione, Harry et Ron. Pas un mot ne nous échappa jusqu'à ce que Cooky apparaisse.

-Le maître demande à ce que vous laissiez Miss Lumare se reposer et que vous quittiez le manoir.

-Sale chauve-souris; lâcha Ron.

Je tressaillis. Je n'aimais pas qu'on parle de Rogue ainsi. Pas du tout.

-Ronald, c'est grâce à lui que nous avons retrouvé Khorine, c'est le professeur Rogue qui s'est occupé d'elle et qui la soigne!

Il grommela. Je ne voulais pas qu'il parte.

-Vous reviendrez? Murmurai-je encore.

-Evidemment; assura Harry.

-Même la chauve-souris ne pourra pas nous en empêcher!

-Pas de noms d'animaux! Le gronda Hermione.

-L'homme graisseux des cachots alors?

Harry ferma les yeux en secouant la tête, Hermione rougit, et Rogue apparut derrière Ronald. Il ne montra rien d'autre qu'un visage impassible.

-Veuillez sortir de ce manoir à présent, et n'y remettre les pieds que lorsque vous en aurez reçu l'invitation.

Ron s'irrita, des larmes encore au coin des yeux.

-Et pourquoi est-ce qu'on devrait revenir? Pourquoi est-ce qu'on n'emmènerait pas Khorine avec nous? Elle est guérie.

Je commençai à secouer la tête sans m'en rendre compte, paniquée. Un sourire narquois s'inscrivit sur les lèvres de Rogue. Il toisait Ron avec un mépris non dissimulé, Ron en était encore plus énervé.

-Vous voulez tenté de ramener Miss Lumare au Terrier? Très bien, essayez.

Harry, Harry me regardait depuis tout à l'heure. Il posa enfin sa main sur mon épaule intacte pour me calmer, ces yeux verts étaient rassurants, je me calmai.

-Non; prononça-t-il.

Ron fronça les sourcils mais Harry continua:

-Elle préfère rester ici, encore un peu. On vous la confie, professeur.

Hermione hocha la tête puis lança un regard noir à Ron qui allait protester. Je me détendis, soulagée, je les aimais tellement, les coins de mes lèvres remontèrent vers le haut. Ils me serrèrent tous encore une fois dans leurs bras, me promirent de revenir très bientôt et puis quittèrent le manoir. Il ne resta plus que moi et le professeur Rogue dans le salon. Il me dévisagea, moi qui étais toujours à même le sol. Ensuite il traversa le salon pour rejoindre son fauteuil.

-Imbéciles de Gryffondor; siffla-t-il.

Je ne répondis rien. Je relevai juste mes genoux, pour les entourer de mon bras et cacher ma tête dedans. Je tremblais encore un peu, ma tête bourdonnait après ma crise de larmes. J'étais fatiguée.

-Remontez dans votre chambre, vous n'avez plus rien à faire ici; prononça Rogue les dents serrées c'était étrange comme je l'entendais sans même avoir à le regarder.

Mais je dus bien finir par relever la tête, tombant aussitôt au cœur de deux lacs sombres, sans fond. Je n'aurais pas la force de remonter, je le savais, tous mes muscles me faisaient souffrir, c'était lancinant, je ne tiendrais jamais dans les escaliers. Son regard me fascinait.

-Je préfèrerai aller dehors, un peu.

Rogue se renfrogna.

-Ils sont partis. Mon elfe ne les aurait pas laissé se balader sur ma propriété.

Il était possessif, non? Je secouai un peu la tête, pas assez pour le quitter des yeux.

-Non, je veux juste… respirer de l'air frais… voir un peu la forêt.

-Vous ne retournerez pas dans cette forêt.

-Je ne pense pas… en être capable dans… dans l'immédiat.

Je ne savais pas pourquoi j'avais déjà le souffle court. Rogue m'examina encore un instant, puis il se leva et, comme tout à l'heure, me permit de m'accrocher à son bras. Il ne prononça pas un mot lorsque je me relevai avec difficulté où lorsque je peinai à marcher à ses côtés pour ne serait-ce que sortir du salon.

C'était toujours aussi agréable, sa chaleur, son bras fort sur lequel je pouvais m'appuyer, son odeur subtile, la douceur de sa robe de sorcier, le moelleux du tissu. Les vêtements de MacGonagal étaient plus rêches.

Après beaucoup d'efforts, je parvins à avancer jusqu'au perron du manoir. Un vent frais nous accueillit, il fit onduler mes longs cheveux noirs. Je respirai lentement, profondément, et fermai les yeux. J'étais bien, le soleil était chaud, le vent, la forêt et toutes ses odeurs, c'était chez moi, avait été… La tête penchée, fatiguée, je la laissai appuyée contre l'épaule de Rogue qui ne dit rien. Il ne dit pas qu'il ne touchait pas les sales Sangs-de-Bourbe. Il avait menti à McNair… je le savais… L'herbe ondoyait devant nous et les arbres du sous-bois étaient loin, très loin. Je n'aurais pas pu arriver jusqu'à eux, des oiseaux pépiaient, je me sentais de plus en plus faible, mes jambes tremblaient.

-Prof…; commençai-je.

Mes genoux cédèrent, il me retint juste avant que je ne m'effondre. Et moi je m'accrochai à lui, à ses manches noires.

-Vous auriez dû remonter dans votre chambre; gronda-t-il, lorsque je vous l'ai demandé.

-Je n'avais plus de force.

-Ce qui est une raison de plus pour me le dire et pour monter vous reposer.

Je grognai un peu, la tête bourdonnante, et la laissai reposer gentiment dans le creux de son cou. J'étais mieux tout contre lui. Dans quelques minutes j'aurais retrouvé assez de force pour… Il se baissa un peu, et je sentis sa main sous mes genoux, dans mon dos, j'étais soulevée de terre l'instant d'après, mes yeux grands écarquillés face aux siens.

-M-mais qu'est-ce que…

-Je n'allais pas attendre indéfiniment; me coupa Rogue avant de détourner le regard droit devant lui.

Il me portait comme si je ne pesais rien du tout, et il retourna à l'intérieur du manoir. Il faisait plus frais, plus sombre, je m'accrochais à lui et j'étais gênée qu'il me porte comme une enfant. J'aurais pu marcher, il me fallait encore un peu de repos, juste du repos, j'étais une Gryffondor tout de même!

-Il faudra manger un peu plus Lumare; me réprimanda Rogue au milieu de l'escalier.

Je faillis lui retorquer que lui aussi, parce que je sentais ses côtes contre mes hanches et parce qu'il fuyait toujours les repas. Mais je ne dis rien. Pire, je retournai me blottir dans le creux de son cou. Et lorsqu'il me posa dans mon lit, quoi que je veuille rester éveillée et lui parler encore, mes paupières irritées par les larmes se fermèrent toutes seules, mon souffle s'apaisa, et je m'endormis.