7.

Au dîner, le soir-même, Cooky se montra bavard. J'avais l'impression qu'il m'aimait bien.

-Cooky est content que Miss soit là, pas que Cooky soit content que Miss soit blessée, non. Mais le maître ne reçoit jamais de visite alors Cooky est content de connaître Miss.

Je souris devant son enthousiasme, tout en découpant le saumon et les légumes qu'il m'avait préparé. Le tout sentait délicieusement bon. Il y avait aussi un quartier de citron.

-Attends, tu veux dire que Rogue ne recevait personne au manoir?

-Ni au manoir, ni dans les appartements de directeur du maître.

Cooky secoua la tête. En même temps Rogue avait dû jouer un jeu très dangereux l'année passée. Il n'aurait pas laissé MacGonagal s'approcher trop près, ni aucun de ses collègues.

-Mais j'imagine qu'avant d'être directeur il avait des amis qui venaient le voir, lui parler.

-Cooky ne servait pas le maître avant l'année dernière, mais Citrus, le premier elfe de l'ancien maître, disait à Cooky que personne ne venait voir le sorcier Rogue et que le sorcier Rogue ne sortait voir personne.

Rogue… Alors il n'avait jamais eu… d'amis?

-Peut-être en tant qu'étudiant? Pensai-je à haute voix.

-Cooky ne sait pas Miss; répondit l'elfe en haussant les épaules.

Cela ne semblait pas le troubler tant que ça. Moi je me rappelais que MacGonagal m'avait prévenue, elle m'avait dit qu'il était quelqu'un de solitaire.

-Miss ne mange pas? Miss n'a pas faim? S'inquiéta Cooky.

-Si, si, je vais manger. Je… Voilà; annonçai-je en introduisant le premier morceau de saumon dans ma bouche.

Il était… délicieux! Fondant, et ce goût, avec juste un peu de citron pour relever…

-Tu es incroyable Cooky, c'est vraiment bon!

Ses oreilles frétillèrent comme elles en avaient l'habitude quand il était content. Je souris, et mangeai un peu de légume. J'avais toujours l'impression de faire plaisir à l'elfe à chaque nouvelle bouchée.

-Je n'aurais jamais cru pouvoir remanger quelque chose d'aussi bon; murmurai-je à la fin du repas.

-Et Cooky essaiera de faire encore mieux la prochaine fois! Lança le petit elfe comme après chaque repas.

C'était déstabilisant au début mais bien plus agréable, Cooky ne semblait pas aliéné à son maître, pas comme d'autres elfes en tout cas, il paraissait plus… libre. Il ne vouait pas une admiration sans borne à Rogue. En fait il ne semblait pas vraiment l'apprécier, alors qu'il était capable de me sourire de toutes ses petites dents jaunes, de prendre soin de moi et de s'inquiéter pour moi. Je me demandais qui pouvait être son ancien maître.

-Cooky va à la cuisine, le maître ne va pas tarder à revenir.

J'hochai la tête, Cooky disparut. Je restai seule un moment. J'eus le temps de penser à beaucoup de choses, même après que Rogue soit revenu. Il ne dit pas un mot et je me laissai bercer par mes pensées. Je me demandais combien de temps encore il resterait à me veiller ainsi, combien de temps je devrais garder mon attelle… J'avais bien mangé, je m'assoupis facilement au rythme de mes réflexions…

Sa grosse main qui caressait les contours de mon visage, son haleine, son regard luisant et surtout ce sourire tordu. Je le haïssais et il le lisait dans mes yeux. Il en rit, McNair, puis il déboutonna son pantalon. Un rictus mauvais m'échappa. J'étais prête.

-Tu vas déguster Sang-de-Bourbe.

Et il me cogna contre le mur, les chaînes cliquetèrent, il me mordit la lèvre. C'était répugnant. Je fermai les yeux… Je me concentrai… Et il y eut transformation! Même après toutes ces années!

-Que…

Louve j'étais, une louve sans chaîne sortant les pattes de ses menottes, une louve prête à se venger. Il sortit sa baguette, je me jetai sur sa main et la lui broyait. Le sang coula entre mes mâchoires, il me balança contre le mur, mais j'avais emporté sa baguette. Je ne sentais plus la douleur, je la lui brisai de mes crocs avant de la relâcher et de m'avancer vers le mangemort. Il tenait sa main ensanglantée. Il souffrait. Je bondis sur lui, il me repoussa, je plantai mes crocs dans son épaule, il hurla, il s'effondra au sol avec moi. Son sexe pendait, hors de son pantalon, je relevai la tête vers lui et il avait suivi mon regard, il avait compris!

-Non! Non! Non!

Ma gueule se referma sur son pénis et le déchiqueta d'un seul coup. Il hurla comme jamais, le sang gicla! J'étais satisfaite, je me reculai et crachai la chair, les muscles, le sang plus loin;sauf que… les humains en noir n'étaient pas encore là, je n'étais pas attachée, ce sale mangemort était enfermé avec moi dans cette cellule. La cruauté souilla mon regard, et je revins vers lui.*

Ma nuit avait été atroce, mouvementée, tout était flou, je ne me souvenais d'aucun de mes cauchemars. Je ne voulais pas vraiment savoir. J'étais plus faible aujourd'hui que la veille, j'aurais été incapable de me lever et de descendre au salon. Epuisée… Je ne prononçai que quelques mots, quelques phrases pour Cooky, et je demandai à Rogue s'il avait ma baguette. Il me rassura, me demanda de me reposer. Je lui faisais confiance et il m'apaisait. Je l'entendis ordonner à Cooky de renvoyer les gens à la porte. Je ne comprenais pas vraiment…

Quelques jours plus tard j'étais de nouveau capable de marcher, et de prendre un bain à mon grand plaisir. Rogue avait enlevé mon attelle le matin même, je me sentis plus libre. Je sortis de la salle de bain détendue et détachai le chignon que m'avait fait Cooky. Il avait voulu me faire des tresses compliquées qui s'entortillaient dans plusieurs sens et je l'avais laissé faire, sans savoir que ce serait aussi difficile à enlever. Rogue se moqua de moi quand il revint dans la chambre et qu'il me vit encore aux prises avec les tresses de son elfe. J'avais quelques mèches mouillées qui gouttaient sur les draps et sur ma chemise de nuit. Je grognai.

-Vous semblez moins apathique qu'hier; lança Rogue en s'installant à son bureau.

-C'est gentil; plaisantai-je.

-Peut-être êtes vous capable de sortir de cette chambre?

J'hochai la tête et défis la dernière tresse de Cooky. Rogue avait les cheveux moins gras que d'habitude. C'était une bonne journée.

-Je serai occupé dans mon laboratoire aujourd'hui, veillez à vous faire accompagner par mon elfe où que vous alliez.

-J'aimerais vous accompagner.

Il haussa brusquement un sourcil, je crois qu'il était choqué.

-Je ne ferai pas de bruit; plaidai-je, j'essaierai de ne pas vous déranger et si je ne touche à aucun ingrédient je ne risque pas de faire exploser vos chaudrons!

-Certes.

J'avais envie de rester avec lui. Rogue se leva de son fauteuil, et me toisa derrière son grand nez busqué. Ses yeux étaient si sombres, il semblait dubitatif. Moi j'étais attirée par ce regard de ténèbres, ténèbres… *Les cadavres de trois moldues baignaient dans leur sang quand j'entrai. Rogue se tenait à côté, le bout de sa cape imbibé du liquide rouge, il les observait. Froidement. Il demanda à son maître ce qu'il devait faire des corps.* Quand je cillai et revins à moi, Rogue était agenouillé devant mon lit l'air étrangement inquiet.

-Lumare?

-Hmm?

-Vous venez de vous mordre la lèvre jusqu'au sang.

C'était… vrai… Je sentais le liquide poisseux couler le long de mon menton. J'avais du mordre fort. Ma lèvre était coupée en deux. Rogue appela Cooky pour qu'il lui apporte des compresses et des potions. Il mit au moins dix minutes pour s'occuper d'une simple coupure. Lorsqu'il eut fini, je murmurai que j'étais désolée.

-N'en parlons plus, levez-vous.

Il ne me demanda pas ce que j'avais vu. C'était mieux comme ça. Je lui obéis et me retins à son bras. Je n'en avais pas vraiment besoin pour l'instant, mais j'aimais bien être auprès de lui, marcher à son rythme. Il me conduisit au sous-sol, à son laboratoire. Il ressemblait à n'importe quel laboratoire de potion à Poudlard, mais en plus grand et avec plein d'ingrédients que je n'avais jamais vu sur les étagères aux murs. Rogue se détendit très légèrement, je ne l'aurais pas senti si je ne lui avais pas tenu le bras. Puis nous nous séparâmes, j'allais trouver une chaise dans un coin et l'avançai plus près de la table de travail de Rogue avant de m'y asseoir. Elle était assez haute, je pouvais voir tout ce que préparait Rogue. Il était en train de passer son chaudron à l'eau claire. Puis il partit fouiller dans ses étagères pour des ingrédients certainement. Je pensais pouvoir l'observer tranquillement… j'étais naïve.

-Quelles sont les propriétés de ces moustiques, Miss Lumare? Lança Rogue en en ramenant sur la table.

Je les fixai bêtement… Les propriétés de… de moustiques…

-Euh, ils piquent?

-Par Salazard, encore plus inculte qu'à Poudlard! Absolument pas Miss Lumare. Ils fluidifient le sang dans la plupart des potions. Et les possibles démangeaisons sont de toute façon endiguée par ceci, qui est?

Je voyais une grosse racine beige, allongée comme une chenille. J'essayai de faire appel à mes souvenirs, je fermai les yeux, rien… Tout était noir…Je ne me souvenais pas.

-Du… des racines d'aconit?

-Certainement pas! Les racines d'aconit ont une couche externe noire et un intérieur blanc, ici il s'agit du gingembre!

Il me critiqua moi, mon intelligence limitée de Gryffondor, puis il sortit un autre ingrédient et me demanda son utilité. Je ne pus pas plus répondre que pour les deux premiers. Il procéda de même avec tous les ingrédients dont il avait besoin pour sa potion. Et à la fin, il se pinça l'arête du nez.

-Vous êtes désespérante Lumare, je souhaite beaucoup de patience à votre futur professeur de potion.

Je sursautai.

-Ce ne sera pas vous? Vous ne reviendrez pas à Poudlard?

Il écarta son pouce et son index pour me fixer, un sourcil levé. Je ne voulais pas qu'il quitte Poudlard!

-S'il vous plaît; demandai-je agitée, ne partez pas, ne partez pas. Je… Je n'ai jamais vraiment aimé les potions mais je vais travailler, j'avais des bonnes notes je crois, je peux me rattraper.

Je m'agrippai à ma chaise, j'avais peur et j'allais essayer de me relever, de le retenir. Rogue leva la main, comme pour m'apaiser, je le fixai avec angoisse et il hocha la tête sans un mot.

Je ne savais pas quoi en penser.

Il prit un récipient rempli d'eau pure et la versa dans son chaudron, des flammes en léchèrent le fond, il commença sa potion. Tout était silencieux… tout était silencieux… Je restai encore crispée, jusqu'à ce qu'il ajoute trois tranches de racines de gingembre. Il ne faisait plus attention qu'à sa potion, je me détendis petit à petit. J'avais paniqué, un peu, parce que j'avais besoin de lui.

C'était fascinant, ses mains au-dessus du chaudron, lorsqu'elles tenaient un couteau et découpaient des tranches d'ingrédients de longueur identique, lorsqu'il broyait les moustiques en poudre, lorsqu'il changeait le feu sous le chaudron du bout des doigts par Informulé… Je l'observai faire toute la matinée. Cooky alla me chercher pour manger et lorsque je revins l'après-midi, Rogue avait posé des livres sur ma chaise, des grimoires de Potions. Je commençai le premier de la pile, au hasard, et l'après-midi s'écoula paisiblement, je relevais la tête parfois pour pouvoir observer mon maître des potions. C'était agréable.

Je n'eus presque pas de cauchemars durant la nuit et le lendemain nous retournâmes au laboratoire. Il m'interrogea sur de nouveaux ingrédients et sur certains de la veille puis travailla sur ses potions, je repris mon grimoire… Pourtant cet après-midi là, Cooky toqua à la porte du laboratoire et entra à l'ordre de Rogue.

-Maître, la sorcière professeur McGonagal est à la porte, elle demande à vous voir. Il y a d'autres sorciers avec elle.

L'elfe ne montrait rien, essayait, sauf que ses oreilles vibraient de joie. Il ne devait pas avoir vu grand monde ces dernières années pour être aussi content de ces visites. Rogue au contraire se renfrogna.

-Combien? Grinça-t-il.

Cooky compta sur ses doigts, et recompta pour être sûr avant de nous annoncer:

-Neuf sorciers et sorcières, dix avec la sorcière professeur MacGonagal!

Cela n'enchantait pas le professeur Rogue. Ce qui était un euphémisme. Je distinguai ses mâchoires se crisper… il y eut un silence… Un sourire commençait à apparaître sur mes lèvres, ils étaient là, tout près, c'était eux, ma famille! J'effleurai la broche pour être sûre, elle rougeoyait…

-Fais les entrer!

Cooky s'inclina pour disparaître immédiatement. Rogue ne me regarda pas, il s'occupa de son chaudron.

-Je vais… Je vais dans le salon; le prévins-je en me levant.

-Attendez ici!

Ses ordres claquaient. Je dus attendre quelques minutes qu'il ait ajouté certains ingrédients avant d'enfin sortir du laboratoire. Il venait peut-être de finir sa potion. Moi je marchais devant lui, en robe de chambre pour ne pas changer, j'avais assez de force pour marcher toute seule et j'arrivais au salon essouflée, comblée. Ils étaient là!

-Oh! murmurai-je.

MacGonagal, Mr et Mrs Weasley et Ginny, Ron, Harry, Hermione, Bill, Fleur et un bébé… J'avais des étoiles plein les yeux, et Hermione me sauta dans les bras, je dus me retenir à elle pour ne pas tomber et on éclata de rire, puis Ginny, Ron me donna une bourrade très enthousiaste, Harry me serra dans ses bras et Mr Weasley me serra la main avant que Mme Weasley n'approche les deux bras ouverts. Je… Je… Je courus me blottir contre elle qui referma son étreinte sur moi. Mme Weasley, je fermai fort les yeux. Elle me serrait dans ses bras, son odeur, l'odeur de ses petits plats, son châle rugueux, sa forte poitrine contre mes côtes, cette chaleur, la chaleur, il faisait bon ici. Des petits ronds apaisants, dans mon dos. J'étais… en sécurité… Je sentais les larmes derrière mes paupières fermées. Je me cachai un peu plus contre elle, je crois qu'elle chuchotait à mon oreille, je n'avais pas besoin de comprendre…

-M'man, tu peux la lâcher quand même; lâcha Ron.

Ginny et Hermione se chargèrent de le rabrouer, Mme Weasley ne s'en occupa pas, murmurant toujours que c'était fini et que tout irait bien. J'étais apaisée et puis je défis mon étreinte, reculai un peu, le bleu dans mes yeux tout calme… Bill et Fleur s'approchèrent aussi j'eus du mal à détourner la tête vers eux. La française me serra la main, Bill aussi. Et ils… ils me dirent… merci. Pour avoir gardé le secret de leur cachette, de la Chaumières aux coquillages.

Où sont-ils? Où sont-ils?!* *Où se cachent tes amis? où est-ce qu'ils sont? Dis-le moi Lumare!* *Tout se que je te demande c'est leur cachette, révèle-la moi et tu seras libre Lumare… Lumare…* *Maintenant!*

Des doigts froids contre mon épaule, le voile devant mes yeux se déchira. Fleur semblait catastrophée, il y avait un silence, Rogue me tenait, il était derrière moi.

-Je vous prierai; l'entendis-je dire d'une voix glaciale, de garder vos remarques imbéciles pour une autre fois.

Bill rougissait, il était en colère peut-être, je tremblais, j'étais déjà fatiguée. MacGonagal appela le professeur Rogue et il dut se détacher de moi. Aussitôt mes amis se rapprochèrent et ils me parlèrent tous ensemble et ils m'amenèrent à m'asseoir et Mme Weasley me posa des questions et Mr Weasley remonta ses lunettes. Le bébé tendait les bras vers moi, gazouillant. Je demandai pour Fred et Georges… Fred était encore à l'hôpital, cela faisait deux mois… Georges était mort. Je ne savais pas. Remus et Tonks aussi, il ne restait que Teddy. Hagrid était en France pour l'instant. J'hochais bêtement la tête, à tout, et les larmes coulèrent sans un sanglot. Je demandai pour ma grand-mère. Hermione me révéla qu'elle était encore vivante, en Australie à quelques villages de ses propres parents. Je souris alors que les larmes continuaient de rouler le long de mes joues. MacGonagal finit par se rapprocher et ils parlèrent tous, et il y avait toutes ces émotions que je ne pouvais pas imaginer dans leurs yeux. J'avais la broche aux couleurs de Gryffondor dans ma main gauche, c'était réel, tout. Rogue n'avait pas quitté le salon, il restait à l'écart seulement, et il détournait le regard.

-Est-ce queuh tu veux prendrre Teddy dans tes bras? Demanda Fleur avec un doux sourire.

Ses cheveux blonds tombèrent délicatement de ses épaules alors qu'elle me tendait le bébé. Je n'eus pas le temps de paniquer, il était déjà sur mes genoux.

-Oh Merlin., oh Merlin; murmurai-je. Il est si petit.

Il était si petit…

-Exactement la même remarque que Ron; fit remarquer Ginny, c'est mauvais signe.

Ronald grogna, Hermione lui donna un coup de coude.

-M'man!

-Tu es assez grand pour te défendre tout seul, non?

-M'man; grogna-t-il alors que Ginny lui présentait un sourire éclatant.

Le petit Teddy gazouillait en jouant avec mon pouce. Et je ne pouvais pas parler, j'étais tellement émue, et je pleurais toujours.

-Khorine, voudrais-tu revenir à la maison? Le Terrier a été reconstruit cet été, il est tout neuf; me dit Mr Weasley.

Je clignai des yeux, Teddy toujours sur les genoux, souhaitant à cet instant et plus que tout au monde rester auprès d'eux, pour toujours. Ils m'avaient tant manqué. J'allais parler…

-Non! Elle n'est pas prête.

Nous nous tournâmes vers Rogue qui venait de parler, de siffler. Il était furieux, cela se voyait aux ténèbres instables dans ses yeux.

-Je ne vois pas pourquoi elle ne serait pas prête; répondit Mme Weasley en fronçant les sourcils, elle peut marcher et Minerva nous a dit que la plupart de ses blessures étaient guéries.

-Elle n'est pas prête; répéta-t-il.

Et il se plaça de nouveau derrière moi, derrière le canapé, ses doigts s'enfonçant dans mon épaule. Je ne me débattis pas. Ils nous regardaient tous, tous les deux.

-Je ne comprends…; commença MacGonagal.

-Vous l'avez placée; coupa Rogue, sous ma protection, mes soins. Moi et personne d'autre. C'est vers moi que vous vous êtes tournée pour soigner une gamine instable que vous veniez de récupérez des geôles du Seigneur des Ténèbres, alors si je vous dis qu'elle n'est pas encore prête, elle ne l'est pas!

Il venait de tonner cette dernière partie, et Teddy éclata en sanglot, ses cheveux virant au jaune électrique. Il s'accrocha à ma chemise de nuit.

-Chut, chut; murmurai-je.

J'essayai de le réconforter, je ne voulais pas qu'il ait peur, qu'il soit triste.

-Eh, peut-être que ce serait à Khorine de décider! Lança Ron.

Rogue répondit sèchement sans desserrer sa prise sur moi, Mme Weasley et d'autres répliquèrent ensuite. Je ne suivis pas. C'était de moi qu'on parlait. Je réconfortais le petit bébé dans mes bras.

Rogue mentait.

Oui, je n'avais pas besoin de rester ici. Mais j'en avais envie.

J'avais envie de rester avec Rogue, et Cooky, surtout Rogue, il ne semblait pas aller très bien. J'en avais envie. Teddy se calma, je le berçais, ses cheveux se teintèrent d'une belle couleur chocolat. Mais j'avais aussi envie de retrouver ma famille, les Weasley, et mes meilleurs amis. Ça me brûlait le cœur.

-Alors de combien de temps pensez-vous qu'elle aura besoin Severus? Finit par demander Mr Weasley.

-Le temps qu'il faudra; lâcha Rogue acerbe. Et maintenant sortez de ma propriété, je ne vous y ai certainement pas invité!

Je rougis de colère. Le professeur MacGonagal protesta, Mme Weasley et mes amis aussi, Mr Weasley tenta d'apaiser tout le monde. Mais ils durent partir, je dus confier le bébé à Fleur et je fis beaucoup d'efforts pour me lever et les accompagner jusqu'au perron. Rogue se tenait près de moi. Je n'aurais pas pu partir. Je crois. La porte finit par se refermer. J'étais encore dans le manoir. Mes amis et ma famille de l'autre côté. Je n'avais pas dit grand-chose, mais j'étais très en colère.

-Vous alliez partir; siffla Rogue.

J'explosai aussitôt:

-Non mais, vous vous rendez compte de ce que vous avez dit! De ce que vous avez fait! Comment avez-vous osé les traiter comme ça! C'était ma famille! Mes amis!

Rogue avait reculé, la colère brûlait dans mes yeux et je criais, essoufflée:

-Qu'est-ce que vous croyez? Bien sûr que je voulais rentrer à la maison! Bien sûr que j'ai eu envie de rentrer au Terrier! Evidemment! Et vous…

-Taisez-vous!

-Vous les avez tous expulsé du manoir!

-Je vous ai dit de fermer votre vilaine petite bouche de Gryffondor, Lumare. Je n'ai de compte à rendre à personne. De plus… il ne me semble pas vous avoir entendu supplier pour suivre votre famille dans leur bouge.

Je serrai les poings.

-Je voulais rester aussi; répondis-je.

-Tiens donc, avec la chauve-souris des cachots? Quelle idée saugrenue Lumare!

Il ne montrait rien d'autre que du sarcasme, parce qu'il ne voulait pas comprendre. Mais il allait comprendre, je lui adressai un sourire insolent, ignorant ma peur, avant de répliquer:

-Oui, parce que je vous aime.

Il tressaillit comme frappé par la foudre, les mots mourant dans sa gorge, tout le sang quittant son visage. Il était blâfard, je l'observais.

-Vous mentez; finit-il par articuler. Vous mentez. Vous ne sortirez pas d'ici!

J'avais plutôt cru que cela entraînerait l'effet inverse. Rogue l'avait compris apparemment.

-Oh oui, vous pouvez tenter tous les stratagèmes que votre cerveau étriqué pourra concevoir, vous ne quitterez pas mon manoir avant que je ne l'ordonne! Vous mentez… Ne redîtes plus jamais ça!

-Pourquoi? C'est la vérité. Je vous aime.

Ces mots quittèrent encore mes lèvres et Rogue tira sa baguette pour la pointer sur moi.

-Cessez!

-Vous…

Et il balança sa baguette à terre pour se précipiter sur moi, pour m'agripper par le col et me cogner contre la porte d'entrée. Le bois épais trembla très peu malgré sa force.

-Taisez-vous! Ne savez-vous donc pas ce dont je suis capable? Avez-vous oublié, Lumare? Avez-vous oublié ce que je suis capable de vous faire?! Alors fermez-la!

Son rugissement avait résonné dans tout le manoir. J'étais effrayée. Mais j'avais dit la vérité. Je l'aimais, je le savais depuis des semaines, j'avais envie d'être auprès de Rogue. Et malgré lui j'étais certaine qu'il ne me ferait rien. Alors ma main se leva pour se glisser dans ses mèches graisseuses. Rogue en fut pétrifié. Je me rapprochai tout doucement, pour l'embrasser au coin des lèvres. Fines et froides.

-Je sais que vous ne me ferez rien.

Et Rogue se trouva encore une fois incapable de parler. Je l'observai. Il finit par reculer, se détacher de moi, il trébucha sur sa cape.

-Ne… refaîtes pas ça… Vous resterez au manoir; finit-il par grincer. Vous resterez au manoir!

Il recula encore, il y avait de la panique dans ses yeux, il se cogna à un petit buffet, se retourna, puis quitta le couloir. Des portes claquèrent, ses pas s'éloignèrent, je n'entendis plus rien.

Je… Je l'avais embrassé… Difficilement je remontai dans ma chambre et puis Cooky apparut. Il était soucieux. Il me dit que le maître venait de quitter le manoir. Il me dit aussi que son maître avait oublié sa baguette dans le couloir de l'entrée. Je fronçai les sourcils.

-Le maître avait arrêté de sortir des heures dans la forêt, Cooky pensait qu'il allait recommencer à manger. Mais le maître est parti, et Cooky est habitué maintenant.

J'hochai vaguement la tête. Ce n'était pas ce que j'avais voulu, je n'aurais jamais cru pouvoir le perturber. Il avait eu un tel regard… ses yeux… Merlin, jamais je n'aurais pensé voir Rogue ainsi. Même devant Voldemort il n'avait rien montré, même avec les cadavres et les tortures, et les moldues qui hurlaient…

Je fis des cauchemars atroces toute la nuit, je voyais Fred, Georges et Hagrid mourir, déchiquetés par les araignées, je voyais Rogue, le sang, ses yeux sombres dévorés par la terreur, j'entendais les cris! Ils suppliaient! Pitié! Pitié! Pi… Pitié! Ils sanglotaient, je sanglotais… La broche me rentrait dans la peau. MacGonagal… Rogue n'était pas là. Cooky gémissait au loin. J'avais besoin de lui, Rogue, où… Il n'était pas là, j'avais besoin de lui. Besoin…

-Miss, Miss, s'il vous plaît… que le maître n'est pas là. Vous appelez le maître mais il n'est pas là! Il…s'il vous plaît!

Le sommeil me rattrapa, je replongeai dans le noir, les cauchemars.