7.

-Sarcoptes, trois pleines poignées en fine poudre. Je les veux prêts dans quatre minutes.

Je fis glisser le bol de sauge sclarée vers le chaudron et ramenai à moi un bocal rempli de minuscules billes noires. Il y avait écrit sarcoptes dessus, si j'arrivais à lire correctement l'écriture en patte de mouche de Severus.

-De quelle maladie sont responsables les sarcoptes Khorine?

-Aucune idée; marmonnai-je en dévissant le couvercle.

-La gale.

J'arrêtai ma main à quelques centimètres des bestioles. Je n'avais pas mis de gants. Un regard furieux fut balancé vers Severus qui, narquois, arborait un fin sourire.

-Merlin, j'allais mettre la main dedans!

-Ces acariens sont morts depuis longtemps.

Je demandai en grognant les gants que j'avais refusé jusqu'ici. Ils étaient désagréables au toucher, gluant, à base de gélatine de méduse, ils asphyxiaient la peau, mais c'était ça ou la gale. Je les enfilai en grimaçant puis revint à ma paillasse. Trois pleines poignées que je plaçai dans mon mortier.

-Continuons votre éducation qui a été, jusque-là, tout à fait déplorable. Qu'est-ce que la gale?

-Une maladie provoquée par les sarcoptes; me moquai-je en les pilonnant.

-Et que font ces acariens?

Je répondis qu'ils creusaient dans la peau.

-Précisément, ils creusent dans la peau. Ou plutôt, la femelle creuse la peau et pond ses œufs au fur et à mesure. Les œufs donnent naissance à des larves qui retournent vers la lumière et se réfugient à la base d'un follicule ou creusent une poche dans l'épiderme.

Je me serais passée des détails…

-En quoi est-ce important de connaître les cycles de vie des parasites utilisés en Potion?

-Je ne sais pas; grognai-je les dents serrées.

-Ne faîtes pas votre cornichon. Le développement des parasites, des végétaux, des insectes et des animaux utilisés en Potion est primordial pour toute création; à ce mot une violente étincelle apparut dans ses yeux noirs. Un maître des Potions a le choix entre des dizaines de milliers d'ingrédients. Mais s'il existe des effets similaires, ils ne seront jamais obtenus de la même manière. Comprenez-vous, Lumare? Prenez la potion de Ratatinage par exemple, vous avez deux animaux suceurs de sang, le moustique et la sangsue. Seulement, de manière imagée, les sangsues vivent dans l'eau et les moustiques adultes dans les airs, ce qui fera que ces ingrédients aspireront le sang soit sur la peau en contact avec l'air soit sur les muqueuses humides de prenez-vous?

Les mots s'étaient bousculés, comme emprisonnés dans une violente rafale. Mais maintenant que ses lèvres étaient closes, tout était silencieux. L'étincelle avait disparu. Il avait un masque neutre sur le visage.

-Comprenez-vous? Répéta-t-il.

-Je… Oui. Mais Severus je n'ai pas envie de devenir Maîtresse des Potions tu sais?

Une drôle d'expression passa sur son visage à la lumière des flammes, et si rapidement que je ne la compris pas.

-Je sais. Cependant ce n'est pas une excuse pour se contenter d'un niveau passable en Potions; lâcha-t-il dévoilant ses dents jaunes. Les sarcoptes.

Je les lui il m'ordonna de décortiquer la pince d'une chimère aquatique au nom latin. Je lui obéis, il parla de beaucoup de choses cette après-midi-là, concernant les potions, ses ingrédients, les ustensiles à utiliser,… Il était fascinant, rien que pour la flamme dans son regard, ses mouvements plus saccadés, je ne l'avais jamais vu comme ça, pas autant, il n'était pas ainsi en cours. En fait, je ne l'avais jamais vu faire lui-même une potion devant ses élèves. Ses mains agiles, ses longs doigts pâles, le feu du chaudron, le trou noir dans son regard.

Cooky dut nous tirer hors du laboratoire pour que l'on aille dîner.

Le lendemain, nous y retournâmes, et Severus commença deux nouvelles potions. Ses gestes étaient toujours précis, jamais précipités, ses mains sûres, ses explications parfaites. Il savait tout. Le temps s'envolait. Quand j'eus envie d'aller dehors il me demanda de lui rapporter quelques plantes, et dès que je revins ce fut pour le rejoindre au laboratoire.

Il semblait avoir retrouvé quelque chose, il se tournait parfois vers moi en disant «vous comprenez?» et il y avait ce brasier dans son regard. Il mangeait de moins en moins. J'étais dans une sorte de brouillard, avec lui. J'apprenais des choses que je n'avais jamais imaginées et c'était fascinant.

-Miss est l'apprentie du maître à présent; dit Cooky un matin en souriant de toutes ses petites dents jaunes.

Je fronçai les sourcils.

-Non, non. Severus travaille seulement sur quelques potions pour l'Infirmerie et je l'aide un peu.

Cooky secoua la tête, et ses oreilles plièrent d'un côté puis de l'autre.

-Le maître a déjà rempli les stocks de l'Infirmerie.

Non? J'hochai vaguement la tête et Cooky m'annonça que le petit-déjeuner était prêt avant de disparaître. Du soleil, par la fenêtre, chaud. Il faisait bon dehors. Je l'ouvris et passai ma tête à l'extérieur, le vent frais, les odeurs de terre, de chênes, de noisetiers, dans la forêt si loin. J'avais l'impression de sortir d'un rêve. Je n'avais aucune idée du jour que nous étions. Combien de temps était passé? Pourquoi Severus était resté enfermé dans son laboratoire?

-Cooky? Chuchotai-je. On est quel jour?

Il réapparut, juste pour me dire que nous étions vendredi, et que notre rentrée était dans trois jours. Je blêmis. Ensuite je descendis manger. Severus se leva pour m'accueillir, me relevant le menton, et m'embrassant délicatement. Je fermai les yeux.

En les rouvrant je m'aperçus qu'il avait déchiqueté son pancake en tout petit bout, sans en manger.

-Severus que dirais-tu de se reposer un peu aujourd'hui?

Il cilla, une fois.

-Déjà lassée du laboratoire?

-C'est juste qu'on est en vacances; rappelai-je puis devant son air grognon je continuai, j'aimerais me promener dans une forêt qu'on n'a jamais vue! On pourrait pique-niquer dehors aussi.

-Je ne pique-nique pas, Lumare.

-Bon alors, mangez un sandwich dehors; me moquai-je alors qu'il retournait s'asseoir.

Je lui fis face à table. Il fut moins difficile à convaincre que prévu. Nous sortîmes une bonne partie de la journée. Vers quatre heures, en rentrant au manoir, Severus m'annonça qu'il avait des achats à faire dans le Londres moldu, qu'il rentrerait bientôt. J'acquiesçai, le regardai transplaner, me tournai vers le manoir et… pensai à mes amis. Je ne leur avais envoyé que deux lettres depuis le début des vacances. J'avais envie de les revoir. J'entrai au manoir, pour utiliser la cheminée, et fus au Terrier en moins de deux minutes.

Je les retrouvai dehors, au pied d'un chêne, Ginny était là aussi. Je leur sautai dessus, Harry ne m'en voulait pas trop pour la cicatrice, ce fut une fin d'après-midi paisible, avec mes amis.

-Dis Ron; chuchotai-je à un moment, ils se sont remis ensemble ou pas alors?

-Harry et Ginny? Bah, j'sais pas. Peut-être.

Ce devait être en partie grâce à elle qu'Harry n'était pas en train de bouder dans un coin. Il avait l'habitude de faire ça lorsqu'il était en colère. Le soleil d'automne était encore chaud, il y avait le bruissement des herbes sous le vent, des oiseaux pépiant tout près, le froissement des feuilles…

Nous nous demandions ce que nous voulions faire plus tard, juste entre nous, en plaisantant.

Harry était certain de vouloir être Auror. Ron voulait travailler au Ministère, et il disait que l'équipe de Quidditch des Aurors était pas mal…

-Et Mione?

Ils haussèrent les épaules, Ginny n'en savait pas plus qu'eux.

-Et toi? Demanda Harry, ses yeux verts brillants étrangement.

-Je… Je ne sais pas… j'ai besoin de réfléchir.

Je voulais protéger Harry. Je voulais, il fallait que je le protège. Ron également. La population sorcière. Des innocents.

Je ne pouvais pas supporter d'être enfermée dans un bureau, ou dans un laboratoire.J'avais besoin d'être dehors.

Mais je voulais que Severus soit heureux. Je voulais retrouver cette flamme dans son regard, ce rictus qui ressemblait à s'y méprendre à un sourire et qu'il ne montrait qu'au laboratoire. Je voulais l'entendre parler de plantes, de minéraux, d'insectes avec cette ferveur particulière.

-Fred m'a proposé de travailler à la boutique; fit Ron au milieu du silence. Ça pourrait être pas mal aussi.

Ginny se moqua:

-Tu n'as aucun humour, la seule chose que tu pourrais créer ce serait des plateaux d'échec.

-Eh bin, y'a de la demande figure-toi!

Je perdis le fil de leur chamaillerie. Puis Ron annonça:

-Ah et Charlie recherche un apprenti aussi, en Roumanie. Ça pourrait être sympa de s'occuper de dragons. Ou d'autres créatures magiques, il paraît qu'y en a plein là-bas.

-Oui, et Harry s'en sort très bien avec les dragons, hein Harry? Demanda Ginevra.

Il eut un petit sourire en réponse. Elle reprit:

-De toute façon on aura bientôt des interventions de sorciers et sorcières qui vont présenter leurs métiers. Il paraît même qu'il y aura des sorties pour voir où ils travaillent et ce qu'ils font.

-Peut-être qu'on finira tous assistants de Mme Pieddodu; suggéra Ron.

-Ça te gênerait pas, espèce de goinfre.

Harry et moi restions pensifs pendant que les deux Weasley se cherchaient des noises.

Je pourrais aussi étudier les dragons, travailler à l'extérieur tout le temps, partir en Roumanie. Severus viendrait avec moi. Il pouvait aller où il souhaitait s'il se consacrait à la recherche.

Ou alors étudier d'autres créatures magiques, les approcher de près en tant que louve, essayer de les comprendre…

-Hey on pourrait être des caricaturistes! On vendrait nos portraits dans l'Allée des Embrumes!

Je gloussai malgré moi, juste devant la porte du Terrier. Le soleil disparaissait à l'horizon, il devait être tard.

-N'importe quoi; fit Harry avant de me proposer, tu dois être fatiguée rentre par cheminette c'est plus sûr.

J'acquiesçai, j'eus le droit à un nouveau câlin de Mme Weasley, à l'assurance qu'on se reverrait tous à la rentrée, puis je jetai la poudre dans l'âtre et disparus dans un tourbillon de flammes vertes. Severus ne dit rien, il ne me fit pas un reproche. Mais il se vengea le lendemain matin.

Une caresse aérienne sur mon front, mes sourcils, effleurant ma mâchoire. Merlin, ma tête était lourde, j'étais encore fatiguée…

-Khorine, le jour va se lever.

Je grognai désespérément et partis me cacher sous les draps. Tout tournait et j'étais toujours en grande discussion avec un dragon albinos nain sur les goûts des tartes à la citrouille de Mme Pieddodu. Je soupirai. Puis je sentis les couvertures m'être enlevées. Je gémis. Severus avait un rictus moqueur, c'était démoniaque comme puni… J'hoquetai lorsque je le sentis me soulever, complètement, et me porter dans ses bras. Oh Merlin!

-Sev… Mais Severus, qu'est-ce que tu fais?

-Toute forme de résistance est inutile Khorine.

Et avec cela il resserra sa poigne. J'eus beau protester, je fus emmenée au rez-de-chaussée contre mon gré, jusqu'à la véranda, puis Severus ouvrit la porte de la verrière tout en me gardant dans ses bras, et nous fûmes dehors. Le vent était frais, il apportait les odeurs du sous-bois, le soleil rougissant dorait l'horizon. Je respirai à plein poumon, contemplant le spectacle, dans ses bras.

-C'est magnifique; murmurai-je.

Il y eut un hululement de chouette dans le lointain. Severus ne voulut pas me reposer. Nous restâmes tous les deux à observer le lever du soleil.

Longtemps plus tard je l'embrassai pour le remercier. Nos langues se rencontrèrent, se caressèrent, c'était très doux, calme, aimant.

Quand Severus me remonta jusqu'à notre chambre, je me blottis tout contre lui et fermai les yeux de contentement.

-Droit d'faire grasse mat'; négociai-je à deux doigts de me rendormir.

-Accordé; entendis-je rouler la voix du Serpentard entraînant des vibrations dans toute sa cage thoracique et contre ma joue.

Je dus sourire bêtement à ceci, puis je sombrai dans le sommeil. J'aurais voulu que ces vacances ne cessent jamais.