8.
Je me réveillai, avec une horrible migraine, tremblante de fièvre. Cooky s'occupa de moi.
-Le maître vient de partir. Il était là. Il a demandé à Cooky de s'occuper de Miss.
Les potions commencèrent à faire effet, je n'avais plus ce voile devant mes yeux. Et je vis comme Cooky tanguait et comme ses yeux se fermaient tout seul, ils étaient rougis et semblaient encore plus exorbités que d'habitude.
-Cooky… va te reposer; murmurai-je.
L'elfe protesta. J'insistai. Il secoua la tête en balançant ses oreilles de droite à gauche, et puis il m'apporta mes tartines.
Quand je descendis au salon après mon bain, je lui proposai de rester avec moi, dans un fauteuil. Cooky finit par accepter. J'eus un sourire de Serpentard. Quelques minutes plus tard, je relevais les yeux de mon grimoire pour trouver l'elfe la tête rejetée en arrière, la bouche grande ouverte, profondément endormi. Je souris, et retournai à ma lecture.
J'avais avoué mes sentiments à Rogue, fonçant tête baissée comme une vraie Gryffondor, comme celle que j'étais avant, sans même me soucier de ce que Rogue pourrait ressentir. Et il était parti. Et il ne me croyait pas. Pourtant il me gardait au manoir… J'avais abandonné ma lecture, perdue dans mes pensées. Mon grimoire reposait sagement sur mes genoux et Cooky ronflait… Je ne comprenais pas. Ça n'avait aucun sens. J'étais perdue. Mais il y avait une seule chose de certaine, vraiment, une seule, je l'aimais.
Nous attendîmes jusqu'à quatorze heures avant de préparer le déjeuner, mais Rogue ne rentra pas au manoir. Je passai mon après-midi à lire, et à regarder par la fenêtre. Cooky fit la vaisselle, de menues tâches ménagères avant de s'installer avec moi dans le salon. Il s'occupait de choses cassées, il les retournait dans tous les sens, les posait à différents endroits du tapis et ensuite piochait dans une montagne de débris pour déterminer quel morceau allait avec quel objet.
Je ne me rappelais pas avoir cassé quoi que ce soit.
-Cooky, qu'est-ce que c'est? Demandai-je au milieu de l'après-midi.
-Des objets cassés du maître, Miss; répondit-il très concentré sur son travail.
-Rogue les a cassé?
-Oui Miss. Le soir de la Victoire.
Je clignai des yeux. L'elfe ne se rendait pas compte de l'importance de ce qu'il disait.
-Il était fâché?
-Très! Cooky n'a pas bien compris…
Il avait un débris de vase dans les mains, un gros débris, et il releva ses yeux globuleux vers moi. Cooky baissa un peu les oreilles tout en réfléchissant, il finit par plisser le front.
-Il s'est passé beaucoup de chose le soir de la Victoire. De mauvaises choses. C'était dangereux, pour le maître.
-Oui, il y a eu une grande bataille; proposai-je en agrippant les accoudoirs de mon fauteuil.
-Non. Mon maître sait se battre; répliqua-t-il.
Il se baissa vers un autre morceau et les mit tous les deux au sommet d'un petit tas de verre coloré. Je ne comprenais rien de ce que l'elfe disait, je continuai pourtant:
-Il était en danger après?
-Oui, Miss, après, avec lui.
Mon sang se glaçait, si je me forçais à trouver un sens à ce que disait l'elfe… alors…
-Il a utilisé sa baguette?
-Oui Miss. Il a détruit beaucoup de choses.
-Et ensuite?
Cooky arrêta encore son travail pour se tourner vers moi. Ses oreilles s'élevèrent un peu, je ne savais pas ce que cela signifiait, il réfléchissait en même temps.
-Ensuite le maître était immobile devant une fiole de potion, mais la sorcière professeur MacGonagal l'a fait exploser et a amené Miss ici. Et Cooky a pu rencontrer Miss.
Il eut un grand sourire pour moi. J'essayai de le lui rendre, puis il retourna à son ouvrage. Je m'enfonçai dans un profond silence. Je ne parlai plus de toute l'après-midi... Cooky finit par partir, préparer le repas peut-être, je n'avais pas écouté. Le soleil rougeoyait par la fenêtre. Rogue n'était toujours pas là… Un mangemort aurait tout détruit chez lui après la Victoire, quelqu'un de profondément meurtri aussi; il n'y avait aucun doute pour moi concernant la potion qu'il avait failli avaler. Je n'avais pas soupçonné, je n'aurais jamais pu deviner, ou, peut-être, il était blême et il ne mangeait plus, il ne dormait plus. J'avais peur pour Rogue.
Je quittai mon canapé et sortis du salon, dans le couloir je commençai à m'essoufler, et je finis par me retenir à la poignée de la porte. Mes muscles tremblaient, j'avais besoin d'air. J'ouvris la porte d'entrée en grand et trébuchai sur quelques pas. L'air était frais, le soleil violacé, la forêt bien plus sombre autour du manoir, et Rogue y était. Cooky me l'avait dit. Je n'aurais pas la force d'y entrer en tant qu'humaine, je n'avais même pas ma baguette pour me défendre. Mais en tant que louve, c'était autre chose.
J'inspirai profondément, je me concentrai, c'était facile je me remémorais les sensations que cela procurait d'être louve, d'être au chaud, bien, son pelage, ses griffes dans la terre. J'étais louve, et courrais, avant d'en être même à moitié consciente. J'atteignis rapidement le sous-bois, et l'humidité, la fraîcheur, ne me gênèrent pas. J'étais… en sécurité... Les sens aiguisés, la truffe au vent, je cherchais l'odeur de Rogue. C'était une odeur si particulière. Des effluves de potions s'y mêlaient aussi, sueur, fatigue, fièvre, je le sentais. Je courus plus vite, accélérais, mes pattes ne me faisaient plus mal, je bondis au-dessus de nombreuses racines, traversai la grande rivière, m'ébrouai rapidement, avant de reprendre ma course. Sa trace était de plus en plus fraîche, son odeur plus forte. Le sol se recouvrit de rocs petit à petit, leurs pointes sortaient de la poussière. C'était une partie plus sombre de la forêt, il y avait aussi des fils argentés aux branches qui ondulaient sous la brise. Je n'aimais pas cet endroit, mais son odeur m'y conduisait et je ne ralentis pas. J'entendais les cliquètements de leurs chélicères, les sifflements sourds, certaines se trouvaient sûrement dans les cimes des arbres. Je…
Je plantai mes griffes dans le sol pour m'arrêter net, le sorcier sombre, Rogue, était là, plus loin, au-dessus d'une corniche. J'avais froid soudain, pétrifiée. Rogue était immobile, comme une statue de marbre, son long nez dépassait de ses cheveux gras et il regardait en contrebas. Il fixait tous les nids d'acromentules.
J'avais peur.
Il devait être ici depuis très longtemps. Très longtemps. Et il fixait les nids d'araignées.
Une patte tremblante, j'avançai, elle faillit me lâcher, je faillis tomber. J'en avançai une autre et puis, et puis… Je gémis un peu, très bas, Rogue ne se retourna pas. Peur. Je marchai jusqu'à lui, et je frottai ma tête contre sa jambe, fermant les yeux. Il sursauta violemment. Je m'écartai un peu pour pouvoir l'observer. Il était furieux. Je me retransformai.
-Fichez le camp; murmura-t-il.
-Professeur je m'inquiétais, comme vous ne reveniez pas au…
-Fichez le camp! Répéta-t-il. Et cessez de me suivre comme un petit chien!
Je ne reculai pas.
-Qu'est-ce que vous faîtes ici? Demandai-je et il ne put manquer la peur dans mes yeux.
Rogue crispa les mâchoires.
-Je récupère des ingrédients pour mes potions Lumare! A votre avis! Retournez au manoir!
Des ingrédients? S'il disait vrai alors… Est-ce qu'il disait vrai?
-Vous revenez avec moi?
Il refusa et il m'insulta comme il ne l'avait pas fait depuis très longtemps. Il le fit si bas pourtant et d'un ton si grave qu'aucune des acromentules ne fut attirée par le bruit. Je sentais mes yeux me brûler, et je voyais un peu flou. J'allais pleurer. J'avais eu si peur pour lui. J'hochais la tête, vaguement, je ne voulais pas qu'il voit mes larmes, je ne pourrais plus les retenir très longtemps. Alors je me retransformai, me détournai, et puis je repartis dans la forêt.
Ce ne fut qu'une fois rentrée au manoir que je pus me rouler en boule dans un coin de ma chambre, et pleurer, vraiment. Les larmes et la morve coulaient, et je me berçai d'avant en arrière. Cooky apparut à un moment et il finit par s'accroupir près de moi en me tenant la cheville droite. C'était beaucoup déjà. Je mis du temps à me calmer. Quand je relevai mon visage tout rouge et congestionné, marqué par les larmes, Cooky me tendit un grand mouchoir à carreaux multicolore. Il en avait un pour lui aussi et nous nous mouchâmes bruyamment tous les deux.
-Rogue va très mal, je crois;murmurai-je au final.
-Cooky le sait… Cooky va faire un gâteau pour le maître alors.
-Un gâteau?
-Oui Miss, l'ancien maître de Cooky demandait un gâteau quand l'ancien maître n'allait pas bien.
-Oh!
Je clignai des yeux et me mouchai encore avant de répondre:
-C'est une bonne idée.
-Cooky pense aussi; dit-il en m'adressant un petit sourire.
-Il aime les gâteaux?
-Cooky a vu le maître en manger, avant, il mangeait de la forêt noire préparée par les elfes de Poudlard. Et de la tarte au citron avec de la meringue. L'ancien maître aussi en mangeait.
-On fera trois petites forêts noires alors, parce que je crois que j'en ai besoin aussi.
L'elfe accepta et nous descendîmes ensemble à la cuisine. Nous allumâmes le feu dans la cheminée, et les chandeliers parce qu'il faisait de plus en plus sombre. J'insistai pour préparer seule la part de Rogue. Cooky accepta. Ce fut extrêmement long, et compliqué. Il fallut tourner la pâte avec un fouet, monter les blancs en neige, et puis il fallut raper le chocolat pour former des petits copeaux, et il fallut tourner très vite pour obtenir une bonne chantilly. Mon bras tremblait si fort à la fin. Cooky me montra quoi faire, étape par étape. Nous eûmes besoin de plus de deux heures pour trois petites forêts noires de dix centimètres de diamètre. Les cerises furent ajoutées sur le dessus en dernier. Et ensuite je pus librement m'écrouler sur une chaise. Mon gâteau ne ressemblait pas beaucoup à ceux de Cooky, il était moins… symétrique comme le proposait le petit elfe tout à fait indulgent.
Nous attendîmes jusqu'à vingt-et-une heures que Rogue rentre mais il nous fallut dîner sans lui. Et j'étais épuisée. Je pris le temps, juste, de savourer la forêt noire que m'avait préparé Cooky, puis laissai la part de Rogue sur la table du salon, avec un petit mot. Ensuite je montai me coucher.
-Bonne nuit Cooky!
-Bonne nuit Miss.
Je trébuchai jusqu'à la salle de bain, me brossai les dents alors que mes yeux se fermaient, que la fièvre de ma crise de larmes me rattrapait, ensuite je me glissai sous les draps, ma tête s'enfonça dans les oreillers moelleux, et je m'endormis.
L'obscurité totale, tout autour… J'entendais des cris au loin. Il y avait quelqu'un qui pleurait. Moi je marchais, je le sentais, je ne voyais rien mais j'avançais, et ce fut ainsi jusqu'à ce que la véranda du manoir apparaisse. C'était le manoir de Rogue éclairé par la lune. Des ronces et des rosiers serpentaient, tout doucement, entre les herbes, sur les murs, autour des colonnes, leurs épines enflaient. Tout était calme. La lune était froide. Il y avait… C'était des sifflements, à présent, une menace. Je restai immobile. Pas Rogue. J'aperçus son ombre s'avancer, mon sang se glaça, l'instant d'après une épine gigantesque se fichait en travers de son corps! Je convulsai. Du sang giclait de sa bouche, son visage blême, ses yeux révulsés, bientôt… éteints… non…
J'étouffais, l'air ne rentrait plus, ne voulait plus. Douleur, déchirait, partout. Je gémissais sûrement, je ne savais plus, je… La main froide, sa poigne, Rogue. Je me réveillai aussitôt, dans un violent sursaut, et je le reconnus. Vivant. Il était…
-Vivant; murmurai-je avec un petit sourire.
Je m'agrippai à sa manche, lui, je ne pouvais distinguer ses traits dans les ténèbres. Je sentais juste ses doigts froids, retenant mon épaule, contre mon front. Je soupirai, et sombrai de nouveau. Je ne devais garder aucun souvenir de cette nuit.
Le lendemain matin je me réveillai avec de la fièvre, un peu moins que la veille peut-être… Cooky ne tarda pas à me faire avaler des potions.
-Bonjour Miss, Miss est réveillée! Le maître est encore au salon où il lit la gazette des sorciers. Il a mangé le gâteau de Miss le soir de la veille.
Un grand sourire m'échappa, à peine gâché par ma crispation de migraineuse.
-C'est une bonne nouvelle; marmonnai-je.
-Cooky pense aussi, Miss. Miss peut se lever?
J'hochai la tête, résolument, je n'en étais plus réduite à attendre que les potions fassent effet pour quitter mon m'adressa encore un sourire, ses oreilles vibrèrent, puis il disparut dans un crac sonore. Je pus m'habiller aujourd'hui, comme mes amis avaient ramené des vêtements la dernière fois. Je me mis en jean, agrafai mon soutien-gorge qui s'ajusta magiquement à ma nouvelle maigreur, et passai un tee-shirt rouge et or. Ensuite, pieds nus, je m'aventurai hors de ma chambre. Mes longs cheveux noirs cascadaient en désordre sur mes épaules. Je descendis assez lentement en me tenant à la rampe d'escalier jusqu'au rez-de-chaussée puis entrai dans la salle à manger. Rogue était effectivement présent, assis en bout de table derrière son journal.
-Bonjour professeur; lançai-je sans réponse.
Je soupirai, lui tourna une nouvelle page de la gazette, je m'assis devant mes tartines. Au moins avait-il mangé mon gâteau. Je mâchonnai mon premier morceau de pain, bus un peu de lait, un silence pesant planait. J'aurais voulu pouvoir lui parler, et entendre sa réponse, l'écouter s'exprimer peu importe le sujet. J'aurais voulu avoir une excuse pour le regarder. Je me perdis rapidement dans mes pensées et ma fièvre s'estompa. Je sursautai donc violemment lorsqu'il se leva en faisant racler sa chaise.
-Vos blessures physiques sont pratiquement guéries, il n'y a plus aucune raison pour que je vous veille. Ne me dérangez plus et n'importunez pas mon elfe de maison.
Je ne pus que le fixer bêtement, accrocher un court instant son regard de ténèbres, avant qu'il ne se détourne dans un envol de cape. La porte claqua. Je restai seule dans le salon. Son visage était fermé et sa voix glaciale. Il était encore pire qu'à Poudlard…
Ma journée fut très calme, je me reposai tout simplement dans la bibliothèque, plongée dans un grimoire de potion, une jambe se balançant dans le vide, tout le reste de mon corps confortablement lové dans mon fauteuil. Rogue ne mangea pas de déjeuner. Il ne fut pas présent non plus pour le dîner. Je lui préparai un gâteau au citron meringué, parce que Cooky m'avait dit qu'il aimait bien. Juste une petite portion ronde pour lui. J'étais en train de regarder la meringue gonfler dans le four lorsque je fis remarquer à Cooky:
-Je suis étonnée que Rogue aime le citron en fait.
-Cooky pense que le maître n'aime pas vraiment le citron.
-Mais tu m'as dit qu'il aimerait ce gâteau!
-Cooky pense que le maître aime ce gâteau parce que l'ancien maître de Cooky l'aimait.
Et là, je fronçai les sourcils. Quelque chose me disait que…
-Attends Cooky, tu es en train de me dire que Rogue connaissait ton ancien maître? Demandai-je, hésitant.
-Bien sûr, l'ancien maître a même laissé ce manoir au maître, Miss.
-Qui...; me demandai-je à voix haute.
Et alors le jeune elfe se redressa, son regard étincela et ses oreilles vibrèrent lorsqu'il lança:
-Le sorcier professeur Albus Dumbledore!
L'instant d'après il se recroquevillait, les yeux exorbités et ses mains tremblaient, et il cherchait… il cherchait… Il se rua sur une bouteille de vin vide et se cogna la tête de toutes ses forces. J'étais horrifiée. Il recommença. Il recommença. Je me ruai sur lui.
-Arrête! Dobby arrête!
Je voyais l'elfe, et les entailles, le sang. J'agrippai la bouteille à deux mains. Cooky n'arrêtait pas de marmonner qu'il n'avait pas le droit, pas le droit.
-Cooky n'a pas le droit, pas le droit, pas le droit, pas le droit, de prononcer le nom. Pas le droit! Pas le droit! Méchant Cooky! Méchant elfe!
-Cooky; haletai-je. Arrête, tu te fais mal. Lâche la bouteille!
Il continuait. Je la lui arrachai des mains! Et puis je fus debout, la bouteille entre mes doigts, haletante, tandis que Cooky était au sol, à genou. Il y avait tant de souffrance dans ses yeux globuleux. Je fus stupéfaite ensuite de voir de grosses larmes apparaître, et rouler le long de ses joues.
-Cooky n'avait pas le droit, pas le droit de prononcer le nom.
Il s'étreignit, ses bras osseux se croisaient devant lui, ses longs doigts s'accrochaient à son dos. Et il griffa, fort, il se griffait. Il y avait déjà du sang sur son front… Dobby ressemblait à ça dans mes cauchemars. Je tombai à genou et lâchai la bouteille pour lui agripper les mains.
-Je t'en supplie, arrête, Cooky. Arrête… Arrête…
J'avais moins de force que lui, je n'en pouvais déjà plus. Mais Cooky arrêta. Il me fixa de ses yeux troubles, les larmes dévalant ses joues maigres et son nez en trompette. Une goutte de sang rejoignit les sillons d'eau. Il renifla.
-Il n'avait pas le droit... Il devait rester. Et Citrus aussi... Et l'ancien maître n'aurait pas dû demander à Cooky de se mettre au service de son meurtrier.
Il tremblait. Je restai immobile, sans savoir comment l'aider.
-Cooky…; finis-je par murmurer, tu es un bon elfe. Tu as respecté les dernières volontés d-de Dumbledore.
Il sursauta au nom, et d'autres larmes coulèrent. Je continuai à murmurer, à tenter de l'apaiser, et je finis avec un petit elfe renifleur dans mes bras. Je le berçai… Et puis le four sonna. Cooky se détacha de moi. Il y avait ce sang qui dégoulinait de son front, sa tempe…
-Miss devrait sortir son gâteau. Le gâteau de Miss est prêt; annonça-t-il avant de se moucher copieusement dans son vêtement.
-Oui… Oui… Et toi Cooky, tu devrais te soigner. Tu saignes beaucoup.
L'elfe protesta, la vue de tout ce sang commençait à m'étourdir et il finit par disparaître pour se soigner. J'avais du sang sur mes vêtements. Je sortis le gâteau du four. La meringue semblait correcte, étrangement. Je la laissai refroidir en cuisine et Cooky ne tarda pas à me servir mon dîner. Rogue ne fit pas l'ombre d'une apparition. Il devait encore être dans la forêt. Les étoiles scintillaient à peine et la nuit était si profonde. Je dus me résoudre à laisser mon gâteau sur la table, à laisser un petit mot et à monter dans ma chambre. De là, j'écrivis une lettre aux Weasley, leur demandai si je pouvais leur rendre visite bientôt, je me changeai aussi. Cooky accepta de la leur remettre. Et cinq minutes plus tard il m'annonçait que j'étais attendue demain.
-Merci Cooky, beaucoup.
Ses oreilles vibrèrent, il dit que c'était Cooky qui remerciait Miss, puis il me souhaita bonne nuit, il claqua dans ses doigts et s'eclipsa. Je me pris la tête dans les mains, me roulant en boule dans mon lit, son entaille était profonde. Elle était large et profonde et elle avait saigné, telllement, son sang brillait encore à la lumière de la lune. Cooky s'était contenté de sourire, ses grands yeux globuleux scintillaient dans le noir. Je commençai à me balancer, d'avant en arrière, encore et encore, lentement, j'agrippais plus fort mes genoux et j'avais la nausée. Ce petit elfe, et Dumbledore, Cooky, balancé de la tour d'Astronomie, le sang, s'écrasait en bas. Je tressautais, je manquais d'air.
La porte claqua brutalment, je bondis contre la tête de lit. Toute la lumière du couloir inonda ma chambre, j'en fus éblouie, je tremblais encore.
-Qu'est-ce que c'est que ça? Siffla Rogue. Lumare, j'exige des explications immédiatement!
Rogue était là, c'était mon professeur, le mien. Rogue… Mes yeux hagards étaient rivés sur lui, il tenait l'assiette avec mon gâteau dans sa main gauche. J'inspirai profondément et Rogue ne dit rien. Je me sentais apaisée près de lui.
-Lumare; gronda-t-il un peu moins violemment, Lumare qu'est-ce que c'est que ça?
Je déglutis, pour pouvoir parler.
-Un gâteau.
-C'est une tarte au citron meringuée!
Et cela faisait étrange d'entendre Rogue énoncer le nom d'une pâtisserie, même d'un ton renfrogné et même en fronçant les sourcils.
-Oui… Cooky m'a dit que vous aimiez.
Je distinguais très peu ses traits dans ce clair-obscur, seulement son long nez busqué, ses cheveux graisseux et la coupe de sa robe de sorcier. Pourtant je sentais que quelque chose n'allait pas. Ce n'était qu'un gâteau au citron, de la meringue, je ne comprenais pas. La meringue peut-être? Le citron? Dumbledore mangeait beaucoup de bonbons au citron…
-Mon elfe est un cornichon!
Et il repartit aussi sec, reclaquant la porte. Je restai les yeux écarquillés dans le noir, incertaine de ce qui venait de se passer. Ce ne fut que longtemps plus tard que je trouvai le sommeil. Je fis très peu de cauchemars, ils viendraient le lendemain soir.
Cooky me réveilla en souriant, il m'indiqua que le maître avait mangé tout mon gâteau, puis précisa qu'il était encore dans le salon à lire la gazette des sorciers.J'avais envie de le voir. Même un peu, juste un peu, j'avais besoin de voir Severus Rogue. Je me sentais fatiguée, je voulais son teint blême, ses gestes élégants, ses remarques cinglantes, son haussement de sourcil… Par Merlin qu'est-ce que j'avais envie de le voir! Je me dépêchai de m'habiller les mains tremblantes, j'avais du mal à respirer. Ensuite je courus dans l'escalier, je faillis tomber, mes jambes étaient encore faibles, et puis j'apparus dans le salon. Rogue resta caché derrière son journal. J'avais besoin de le voir.
-Bonjour professeur.
Regardez-moi s'il vous plaît, juste un peu, juste ces yeux de suie, ce visage, laissez-moi vous détailler encore une fois. Ce n'était pas assez hier soir dans le noir, pas assez, s'il vous plaît.
-Bonjour; grogna-t-il…
Mais il ne baissa pas son journal. Je m'assis. J'étais fatiguée. Aujourd'hui, je ne savais pas pourquoi, j'avais besoin de lui. Juste, besoin, s'il vous plaît.
-Je… Je vais voir mes amis, aujourd'hui, au Terrier.
Le journal se froissa des deux côtés. Baissez-le, juste, quelques secondes, ou moins, Severus, je vous en prie. Je vous aime.
-Tant mieux, faîtes comme bon vous semble!
Cooky apparut avec mon petit-déjeuner, il me fit un grand sourire et j'essayai d'y répondre avant qu'il ne reparte. Je n'avais pas très faim.
-Vous… Avez mangé mon gâteau? Murmurai-je.
-Cessez de parler pour ne rien dire.
Il tourna une page de son journal. Je me relevai bruyamment en faisant racler ma chaise, et la gazette se baissa enfin. Apparurent son visage, ses cernes, ses cheveux graisseux. J'étais trop furieuse pour m'en inquiéter.
-Je n'ai plus faim, je vais au Terrier!
-Lumare!
Je sortis de table et quittai le salon sans lui adresser d'autre regard, je traversai le couloir et j'entendis ses talons contre les dalles, j'accélérai, tirai de toutes mes forces pour ouvrir la grande porte, fus dehors et transplanai. Rogue n'avait pas réussi à me rattraper.
Il me détestait. Je ne voulais plus retourner au manoir, non, plus jamais. Je m'écroulai contre la porte du Terrier, puis dans les bras de Mme Weasley. Là, là, juste là, j'étais en sécurité. Je fermai les yeux et savourai l'étreinte qu'on m'offrait. Merci…
