Chapitre 1
-Sortez; siffla-t-il.
Je soupirai de soulagement et m'empressai de ranger l'éponge dans son seau avant qu'il ne change d'avis. J'avais vu une vingtaine de bocaux poisseux encore entassés près de son bureau.
M'empressant de baisser mes manches, plisser ma jupe, je me relevai et jetai mon sac sur mon épaule. La retenue était terminée.
-Bonsoir professeur; marmonnai-je en tournant la poignée de la porte.
Rogue ne répondit rien. Je pus enfin quitter le bureau qu'il conservait dans ses cachots.
Oh Merlin! Fini! Je soupirai, à fendre toutes les pierres des murs de Poudlard. Heureusement ça n'arriva pas. J'aimais ce château, ces dalles rugueuses et froides sous mes doigts.
L'air des cachots était glacé. Le couloir lugubre n'était éclairé que de quelques torches et il devait être vingt-deux heures.
Je marchai d'un bon pas pour me réchauffer mais surtout pour retrouver ma salle commune où devait brûler un feu de cheminée. Mes amis devaient déjà être dans leur dortoir.
Tout le monde en fait, devait être dans son dortoir, excepté quelques professeurs, Rusard et Miss Teigne et un des deux préfets-en-chef. Ce pourquoi je m'immobilisai en entendant un chuchotement et des bruits de pas venant vers moi. La voix qui résonnait sous ces vieilles voûtes n'appartenait à aucun de ceux que je venais de citer. C'était la voix d'un serpent. La voix de Malfoy.
Il apparut devant moi au détour du couloir, accompagné de Zabini. Leurs deux baguettes étaient sorties.
-Je te l'avais dit que ce serait vers vingt-deux heures; ricana Malfoy.
Zabini grogna, ses yeux noirs scrutaient la pénombre tout autour avec inquiétude.
-Ne perdons pas de temps; lâcha-t-il.
Ma baguette en bois d'orme se retrouva aussitôt entre mes doigts.
-Qu'est-ce que vous voulez?
Ils étaient trop nerveux, jamais depuis tout le temps que nous avions passé à espionner Malfoy celui-ci n'avait montré cette... peur. Il était blême, ses cheveux blonds retombaient sans éclat sur ses tempes et ses yeux étaient délavés, la pupille presque invisible.
-Ne t'en fais pas Lumare; répondit-t-il. Tu ne sentiras pratiquement rien.
Et puis un sortilège noirâtre fonça sur moi. Mon Protego me sauva de justesse. Une foule de questions me submergea. Pourquoi est-ce qu'ils attaquaient? Comment est-ce qu'ils osaient le faire à Poudlard? Etait-ce le plan qu'il préparait depuis la rentrée? Est-ce qu'il voulait me tuer? Ou bien m'amener jusqu'au Seigneur des Ténèbres?
Un Doloris me frôla, je m'écroulai contre le mur, haletante.
-Mais Merlin, arrête de bouger! Craqua Malfoy!
Il balança un autre sortilège de magie noire, et un autre, ils fusèrent sans discontinuer et je ne pouvais plus les arrêter. Zabini aussi attaquait, en protégeant Malfoy. Mes défenses faiblissaient, il y avait trop d'attaques, je n'arrivais pas à toucher Malfoy.
-Expelliarmus! Sifflai-je en pointant la baguette de Zabini. Expelliarmus! Stupefix. Protego!
Leurs maléfices se fracassèrent contre mon bouclier et j'en eus le souffle coupé.
-Qu'est-ce que tu comptes faire...; baragouinai-je pour gagner du temps... me livrer à... Voldemort? Protego!
Je glissai d'un demi-mètre en arrière quand leurs attaques s'écrasèrent contre mes protections.
-Tu penses qu'il te félicitera? Ricanai-je.
Un sortilège de découpe zébra l'espace, me frôla l'épaule droite.
-Tu penses que ton père...
-Ferme-la! Cracha Malfoy. Je t"interdis de parler de mon père! Tu ne sais rien, sale...
Zabini tenta de le calmer d'un signe de la main et j'allais attaquer lorsque... une voix glaciale résonna soudain dans tout le couloir:
-Que vois-je? Trois élèves en dehors de leurs dortoirs, et à cette heure tardive.
Rogue. Je me détournai aussitôt des deux Serpentard pour affronter leur directeur. Il allait m'enlever des points, même si c'était de sa retenue que je sortais, même si je venais d'être attaquée par deux élèves de sa maison. Hermione allait encore m'en vouloir.
Trop préoccupée par mon professeur je ne prêtai plus attention à Malfoy. Ce fut mon erreur. J'entendis trop tard le sort de magie noire quitter ses lèvres et eus juste le temps de me retourner pour le voir foncer vers moi et me percuter de plein fouet. J'hoquetai et m'écroulai, la magie rentrait. Elle creusait dans ma poitrine. L'air manquait, je... respirer... elle m'écrasait de tout son poids, des spasmes violents parcouraient mes jambes et mes bras! Je griffai les dalles au sol!
-Qui a autorisé... attaque... d'imbéciles! Sifflait Rogue.
Je n'entendais que des brides, le reste se perdait, tout s'embrumait.
-... Pensé qu'ils pourraient... bonne prisonnière... Le Seigneur des Ténèbres veut...
-Si nous étions aut...
Après je n'entendais plus, il parlait de renvoi et de...
-C'est un sortilège d'asservissement, il suffit de la toucher et...
-Oubliettes!
L'incantation fut répétée, moi je sentais le maléfice se distiller et remonter dans mes veines. Mon esprit était encerclé par la brume et l'obscurité, comme un étau. Le sang cognait contre mes tempes. Des chaussures claquaient contre les pierres des couloirs. Je ne distinguais rien devant mes yeux vitreux, rien, que du noir, des ombres. Rogue. Je perdis connaissance.
ooo0oOo0ooo
Quelque chose, un brouillard, entourait mon esprit. Je ne pouvais faire le moindre effort, ni bouger quoi que ce soit. Je sentais seulement ce qui venait à moi, l'éclat chaud du soleil, sa lumière malgré mes paupières fermées, la douceur des draps et leur odeur de propre.
Les elfes devaient passer beaucoup de temps à nettoyer tous les draps de Poudlard...
Je me demandais où était Dobby à cet instant... Et puis je trouvai la force d'ouvrir les yeux.
Une vague de nausée m'empêcha de me relever immédiatement. Alors je restai immobile à observer les draps blancs, le plafond de l'infirmerie. Le jour était levé bien sûr, et j'avais l'étrange impression que nous étions au beau milieu de l'après-midi. Ce qui était impossible. J'avais un train à prendre aujourd'hui à onze heures du matin.
Qu'est-ce que je faisais à l'Infirmerie?
-Madame Pomfresh? Madame Pomfresh? Appelai-je l'infirmière d'une voix rauque.
Sa coiffe blanche m'apparut à l'autre bout de la pièce près de caisses de filtres et de potions sûrement procurés par le professeur Rogue, elle marmonnait pour elle-même, et je dus prononcer son nom encore plusieurs fois avant qu'elle ne se retourne. Ses grands yeux clairs se fichèrent enfin sur moi, puis elle s'empara d'une grande carafe d'eau et fusa me l'apporter.
-Ah, enfin réveillée! Je me demandais si les perfusions allaient être nécessaires ou non. Hum, j'ai bien fait d'attendre. Tenez, buvez.
J'avais les lèvres craquelées et je ne m'en rendis compte qu'en y appuyant les bords du verre. Ça brûlait un peu.
-Vous devez avoir faim, ce sera sandwich et compote pour vous Miss Lumare.
Compote, toujours de la compote! A chaque fois que l'on se retrouvait à l'infirmerie nous avions droit à sa compote!
-D'accord... Mais quelle heure est-il? Je dois prendre le Poudlard Express aujourd'hui, ma tante m'attend.
L'infirmière écarquilla les yeux et son grand cou flétri s'allongea encore un peu. Ensuite elle secoua la tête. Je n'aimais pas du tout ça.
-Oh non, j'ai bien peur que ce soit impossible. Il est 17 heures Miss Lumare.
Je hoquetai, paniquée.
-Et il est hors de question que vous quittiez le château dans votre état.
Mais quel état? J'allais parfaitement bien! A mon froncement de sourcil et mon mouvement pour me relever, elle appuya sur mes épaules. Je n'avais pas récupéré assez de force pour me débattre et dus retomber contre mon oreiller.
-Vous avez reçu un très puissant sortilège d'asservissement. Reposez-vous, et mangez le déjeuner qui vous sera apporté. Les professeurs Dumbledore et Rogue ne vont pas tarder à vous rendre visite.
-Attendez; grognai-je...
Mais Mme Pomfresh n'écouta pas, elle s'était déjà détournée pour marcher à longs pas énergiques vers son bureau. Je soupirai et me renfonçai contre le moelleux du matelas et de l'oreiller;
Un sortilège d'asservissement? Je ne sentais rien, n'étais-je pas censée être comme sous Impero?
Je me demandais si mes amis étaient au courant de ce qui m'arrivait. Et ma tante? J'étais tellement contente à l'idée de lui rendre visite pour les vacances.
Et puis que m'était-il arrivé au juste? Tout était flou. Il y avait eu cette retenue avec Rogue, la pile de chaudrons graisseux qui ne diminuait jamais, la petite éponge qui noircissait d'heure en heure. Je me rappelai qu'il m'avait laissé sortir assez tard, ce qui était habituel, et puis un bruit dans le couloir, des chuchotements... Malfoy!
Tout était à cause de ce sale petit aristocrate arrogant de...
Je fus coupée dans mon élan par une pile de sandwich, elle atterrit sur ma table de chevet avec un bol de compote chaude. Mon regard s'y fixa, mon ventre gargouilla... Je finis par prendre un de ces petits losanges au poulet. Je mâchonnai en ruminant au sujet de mes vacances gâchées, au sujet de l'abruti de Serpentard qui m'avait attaquée!
J'étais assez affamée pour finir la compote de l'infirmière, et je me préparai à sortir du lit pour rejoindre le bureau du directeur lorsque les grandes portes à ma gauche s'ouvrirent.
Le professeur Dumbledore et Rogue entrèrent. Ils semblaient venir de clore leur conversation.
C'était étrange de les voir côte à côte. Dumbledore ne pouvait se départir de son sourire amusé, ses yeux scintillaient derrière les montures de ses lunettes en demi-lune, sa barbe blanche cascadait doucement jusqu'à sa ceinture et sa robe de sorcier était d'un beau bleu grisé très apaisant. Rogue à côté était vêtu de noir, du bout de ses bottes en peau de dragon jusqu'au dernier centimètre de tissu du col de sa robe de sorcier. Sa peau par contre était très pâle, il avait des cernes violets sous les yeux, des lèvres pincées, il semblait furieux et amer.
Je les fixai s'avancer tous deux jusqu'au pied de mon lit.
-Ah Miss Lumare, de nouveau parmi nous; commença le professeur Dumbledore.
Il jeta un coup d'oeil sur mon assiette de sandwich, mais je n'en avais plus un seul à lui proposer.
-Vous vous posez sûrement beaucoup de questions pour lesquelles Pompom, malgré ses innombrables qualités, n'a pas été en mesure de vous répondre.
J'hochai la tête, assez fatiguée, mais répondis au directeur:
-C'est assez flou. Je me rappelle de ma retenue jusqu'à vingt-deux heures, de Malfoy et Zabini qui avaient leurs baguettes et qui m'ont attaquée. Ils m'attendaient, et Malfoy a parlé de son père.
-Tiens donc; murmura Dumbledore alors que Rogue ne faisait pas le moindre effort pour prendre part à la conversation.
Je crois qu'il fixait la carafe d'eau à moitié vide sur ma table de chevet.
-Nous pensons en effet qu'ils vous attendaient. Vous n'êtes pas sans savoir que le père de Mr Malfoy purge une longue peine à Azkaban pour son implication dans ce qui vous est arrivé au Ministère de la magie. Son fils a sûrement pensé que capturer la meilleure amie de Mr Potter serait suffisant pour racheter sa liberté.
Oh Merlin... Alors...
-Il m'aurait emmenée jusqu'à Vol... (mon regard dévia vers le mangemort "repenti") le Seigneur des Ténèbres?
-Je le crains fort.
Moi je blêmis violemment.
-Heureusement votre maître des potions a pu intervenir avant qu'ils n'aient quitté Poudlard.
Oui... heureusement... Ils avaient sûrement prévu de me faire disparaître juste avant les vacances pour que personne ne s'inquiète. Seuls mes amis se seraient posés des questions en ne me voyant pas dans le Poudlard Express, et le temps que le message remonte jusqu'à l'Ordre, jusqu'à Dumbledore, il se serait écoulé au moins une journée... Et ma tante, n'aurait pas su quoi faire... Merlin, pourquoi moi? Nous étions quatre Gryffondor! Pourquoi est-ce qu'il avait fallu qu'ils m'attaquent, moi?
J'étais tellement plongée dans mes pensées que je faillis ne pas entendre la suite.
-Il est à déplorer le sortilège d'asservissement bien sûr, mais il ne durera pas plus d'une semaine. Celui-ci vous a liée à la première personne qui vous a touchée, Severus en l'occurence. Mais ne...
Je hoquetai.
-Quoi?!
Le regard noir de Rogue me percuta aussitôt. Oh... non... Cela ne signifiait quand même pas que j'allais passer toutes mes vacances au service du bâtard graisseux!
Je levai des yeux implorants vers le directeur, dont le sourire étirait le coin de sa longue barbe.
-Je suis certain que vous ferez tous les efforts qui conviendront pour garantir votre sécurité. Chacun de vous; annonça-t-il à Rogue et moi.
Les mâchoires de mon professeur se crispèrent distinctement. Moi j'aurais pu supplier Dumbledore à genou, s'il n'avait pas aussitôt continué:
-Ayant prévu un rally d'escalade de deux semaines sur des falaises bien plus vieilles que moi je vous prie de le croire, je ne serai pas là pour m'en assurer mais je suis sûr que vous vous entendrez à merveille.
La vision de Dumbledore avec une casque jaune et des harnais par-dessus ses robes de sorcier était assez fascinante et je crois que j'aurais éclaté de rire en d'autres circonstances. Mais comme les circonstances étaient ce qu'elles étaient et le restèrent, je me contentai de cligner vaguement des yeux.
-Bien, si aucun de vous n'a d'autres questions je vais partir à la recherche de mes mousquetons. Il me semble les avoir laissé quelque part dans la partie nord du château... ou peut-être ouest...
-Non, attendez! Demandai-je alors que le professeur Dumbledore s'apprêtait à faire demi-tour.
Il s'arrêta et m'observa de sa manière pétillante habituelle. Sa main gauche nécrosée resta visible quelques secondes avant que les plis de sa robe ne viennent me la cacher.
Aucun doute que Rogue à sa gauche était furieux mais il resta muet ce dont je profitai.
-Professeur, il y a quelque chose d'autre. A propos de Malfoy... Il arrive à disparaître de la carte du Maraudeur, des fois pendant des heures entières. Harry et moi nous sommes persuadés qu'il prépare quelque chose depuis la rentrée, quelque chose qui n'a rien à voir avec l'attaque d'hier.
-Tiens donc; murmura le directeur d'une étrange façon.
Il y eut comme une tension qui se propagea dans toute l'infirmerie. Rogue était blême. Et j'avais des doutes à présent, concernant les informations que je pouvais bien donner devant le mangemort. J'entrouvris les lèvres pour continuer mais aucun son n'en sortit.
Dumbledore ne mit pas longtemps pour comprendre.
-Le professeur Rogue à toute ma confiance; annonça-t-il sereinement, croisant sa main blanche et sa main noirâtre devant ses robes.
Mais comment le plus grand sorcier de notre siècle pouvait encore croire ce... Rogue?!
Mon regard se glaça, je refermai la bouche et m'empêchai de dire quoi que soit d'autre. J'étais certaine que si je parlais de la marque de Malfoy, Rogue allait nier et embrouiller le directeur.
-Il n'y a rien d'autre, monsieur.
Ses yeux azur me transpercèrent par-dessus ses lunettes en demi-lune. J'avais l'impression qu'il savait tout ce que je n'avais pas dit.
-Bien! Reprit-il d'une manière tout à fait enjouée. Dans ce cas je vous souhaite de bonnes vacances mes enfants! N'oubliez pas de vous amuser!
Ce fut soudain ce changement de ton, et le départ du directeur. Il partit dans une envolée de sa robe de sorcier grise, sans oublier une dernière salutation à son maître des potions.
Rogue n'avait jamais paru aussi peu loquace qu'en cette journée... Il semblait prêt à se rattraper...
-Levez-vous Lumare; ordonna Rogue alors que le professeur Dumbledore refermait les portes derrière lui.
Un voile obscurcit aussitôt ma vision. Je n'eus plus aucun contrôle sur mes gestes, mes jambes glissèrent d'elles-même hors du lit pour se poser contre le sol glacé. Ensuite je m'accrochai au montant du lit et parvins à me tenir debout.
Mes genoux tremblaient, je me sentais très faible.
Mes yeux retrouvèrent leur teinte océan.
Rogue me fixa lui obéir avec un rictus narquois. Son regard noir brûlait.
-Votre tante et vos amis seront prévenus de votre disparition plus tard dans la journée. Vous n'avez aucun besoin de les contacter. Je vous interdis de les contacter, de quelque manière que ce soit.
Le brouillard envahit mon regard.
-Vous ne vous éloignerez pas de moi, vous ne sortirez pas de mes quartiers de toutes les vacances. Aucun élève ne doit savoir que vous vous trouvez encore dans l'enceinte du château. Est-ce clair?
-Oui... professeur; prononçai-je malgré une nausée de plus en plus violente.
-Les elfes de maison vous apporteront vos affaires; siffla-t-il encore.
Puis sa baguette sombre fut pointée sur moi. Un sortilège parcourut le maigre espace qui nous séparait et... j'eus... la désagréable sensation d'un oeuf... qu'on écrasait sur ma tête... c'était comme un liquide froid qui dégoulinait sur mes cheveux, sur mon uniforme.
Rogue me fixa un instant supplémentaire, puis rangea sa baguette et se détourna.
Etait-ce... le sortilège de Désillusion? Etais-je invisible?
-Suivez-moi.
J'obéis. Je n'eus d'autre choix que d'obéir malgré mon état.
La robe de sorcier de Rogue flottait derrière lui, si noire, il avançait à grandes enjambées élégantes. Nous quittâmes l'Infirmerie et bientôt je me retenais au mur et haletais pour rester derrière lui.
Il n'y avait aucun élève dans les couloirs, ni de professeur, pas de Hagrid, de Rusard ou de Miss Teigne. Nous descendîmes jusqu'aux cachots sans aucun incident.
Les couloirs étaient humides, glaciaux et emplis de ténèbres. Mes yeux mirent du temps à s'habituer à l'obscurité et j'étais pratiquement certaine de ne pas réussir à retrouver mon chemin si je m'essayais à sortir des appartements de Rogue. Je ne connaissais pas bien les cachots. Rogue m'entraîna dans un dédale de souterrain tortueux. J'étais complètement perdue lorsqu'il s'arrêta enfin devant une lourde porte en bois.
Nous devions être proches des dortoirs des Serpentard, comme les quartiers du professeur McGonagall se trouvaient très près des nôtres, mais je n'entendais rien. Il n'y avait aucune voix, aucun bruit de pas, aucun chuchotis pas même celui des tableaux. Seule la chute de gouttes d'eaux était perceptible bien plus loin.
Rogue apposa sa baguette sur la lourde poignée métallique et marmonna une incantation avant que celle-ci ne tourne trois fois, ne provoque une série de déclics, n'entraîne la porte à s'ouvrir.
Un petit couloir menait à une autre porte fermée. Rogue entra et je me dépêchai de le suivre avant qu'il ne ferme la première derrière nous.
Un unique candélabre délivrait une lumière tremblotante.
J'avais du mal à voir où je mettais les pieds, je me demandais comment Rogue pouvait avancer aussi sûrement et être déjà face au nouveau battant. Ensuite il prononça une autre incantation qui entraîna la poignée à changer de place, il l'abaissa à la main.
La porte s'ouvrit sur un gigantesque salon avec de grandes bibliothèques aux murs, deux canapés et un fauteuil face au feu de cheminée, une grande table de l'autre côté. Tout était aux couleurs de Serpentard naturellement. Il y avait beaucoup de portes.
Rogue ne me fit pas visiter. Il se tourna vers moi, réussis -je ne sais comment- à connaître ma position exacte et annula son sort.
-Je ne vous ai pas apposé un sortilège de Désillusion pour vous entendre souffler comme un phoque tout le long du chemin; grinça-t-il.
Je me retenais encore au mur, j'étais très pâle et je n'avais pas assez de souffle pour répondre quoi que ce soit. Un rictus dégoûté apparut sur ses traits et il se détourna pour me forcer à le suivre plus loin. Il devait déjà regretter de m'avoir touchée, de m'avoir sauvée...
Rogue m'avait... sauvé la vie...
La porte qu'il ouvrit ensuite mena directement à son bureau. Il n'avait pas changé depuis notre deuxième année, depuis qu'il avait manqué de nous faire renvoyer après notre accident avec la Ford Anglia de Mr Weasley. Même officiellement reconnu comme professeur de Défense contre les Forces du Mal, il le conservait. Et il y avait toujours ces étagères de gauche et de droite emplies d'insectes et de boullus gonflés, de serpencendre dans le saumure, d'yeux de scarabée, d'yeux de strangulots. Il y avait beaucoup de piles de devoirs sur son bureau, quelques grimoires, une bougie à moitié consumée... La lumière qui parvenait à entrer par le soupirail était teintée de verdâtre.
Les deux caisses pleines de fioles que j'avais laissées la veille étaient encore entreposées au pied du bureau.
Mon professeur de potion fit apparaître un seau et une éponge.
-Nettoyez-moi ces fioles, je les veux rutilantes à mon retour; ordonna-t-il sèchement.
Et puis il quitta la pièce dans un claquement de sa robe de sorcier.
Je n'en pouvais plus. Ma respiration devint plus hachée, je ne la contrôlais plus. Mes jambes tremblantes me portèrent encore sur quelques pas avant que je ne m'écroule près du seau.
Je mis plusieurs minutes pour retrouver un peu de force, et réussir à m'asseoir en tailleur.
Bien sûr, le bâtard graisseux ne pouvait pas attendre pour me donner des ordres et se servir du sortilège d'asservissement!
Mon regard s'embrumait de nouveau, mes mains fourmillaient. Je finis par capituler et prendre l'éponge, puis je commençai à frotter la première fiole.
Je ne m'étais encore jamais sentie aussi nauséeuse et peu maîtresse de mes mouvements. J'avais du mal à penser à quoi que ce soit d'autre que l'ordre de Rogue, l'éponge, l'eau mousseuse, la verrerie si sale et si fragile...
Mes autres réflexions s'effaçaient, qu'elles soient à propos de mes amis, de ma tante, du professeur Dumbledore ou de Malfoy, tout finissait par se disloquer dans mon esprit.
Les fioles de cristal étincelantes s'entassaient à mes pieds, j'y mettais toute mon énergie; mais je ne parvins pas à finir les deux caisses avant que Rogue ne revienne.
Il m'adressa quelques remarques cyniques avant de s'installer à son bureau et de me fixer. Je dus décrasser près de cinq fioles, en nettoyer une douzaine encore maculées de sève de botrucs, en frotter trois qui contenaient des résidus de charbon; tout cela en supportant le regard noir qui ne me quittait pas, le silence pesant.
Enfin, je pus déposer la dernière verrerie. Rogue se leva, je cillai le regard plus clair et comme libérée d'un poids. C'était étrange.
-Nous mangeons, suivez-moi; lâcha-t-il sans se retourner.
Nous repassâmes par la grosse porte qui menait à son salon puis Rogue agita sa baguette pour faire voler différents parchemins et différents ouvrages vers les étagères aux murs. C'était assez impressionnant.
Un bon feu de cheminée réchauffait toute la pièce. Nous étions bien loin de l'atmosphère humide et froide de son bureau.
Je me sentais fatiguée... comme vidée de mon énergie... Pourtant j'avais passé ma journée à dormir. Tout ce que je désirais maintenant c'était une bonne douche chaude et la possibilité de me rouler en boule sous une couette.
La table enfin dégagée, Rogue m'ordonna de m'asseoir, puis claqua deux fois dans ses mains. Winky apparut aussitôt, son nez écrasé tout rouge, ses grands yeux marron injectés de sang.
-Que peut faire Winky pour... pour monsieur le professeur Rogue,... Monsieur?
La petite elfe de maison tanguait sur ses pieds nus. Elle devait avoir bu, encore.
-Apporte notre dîner; ordonna Rogue d'un ton tranchant.
Il ne semblait pas d'humeur pour prononcer le moindre mot de plus. Winky tourna la tête et me vit, elle plissa les yeux comme pour ajuster sa vue, puis le bout de ses oreilles se releva, elle tenta un pas vers moi.
-Immédiatement!
Elle sursauta, s'excusa dans un baragouin plaintif, claqua des doigts, disparut. Le silence s'étira après son départ, nous attendions assis dans le salon, Rogue ne daignait fixer que l'horloge droit devant lui. S'il pensait m'intimider ainsi il se fourrait la baguette dans l'oeil! J'avais vécu les neuf premières années de ma vie avec des parents qui ne supportaient que le silence, mon silence particulièrement...
Quelque part, j'aurais aussi pu essayer de faire une remarque sur sa façon de traiter Winky, mais j'étais épuisée...
La petite elfe revint assez rapidement pour dresser notre table, déposer une grande assiette pleine de pâtés et de cornichons, un plat de purée fumante et un autre avec de gros morceaux de viande dans une sauce brune, pour le dessert nous avions une corbeille de fruit et la moitié d'une énorme gâteau à la crème de citrouille. Un panier de petits pains apparut en dernier et Winky s'inclina.
-Est-ce que Winky peut faire... quelque chose d'autre p-pour monsieur le professeur Rogue, monsieur?
-Non; grogna-t-il.
Je lui souris doucement.
-Merci Winky.
Les oreilles de l'elfe vibrèrent encore une fois et elle s'autorisa un petit coup d'oeil dans ma direction avant de claquer des doigts pour disparaître.
Je ne me servis pas immédiatement. J'attendis de voir ce que Rogue faisait.
Il dédaigna l'entrée pour ne se servir que d'un peu de purée et de quelques morceaux de viande. Il attendit que je me serve, puis sa voix s'éleva, doucereuse:
-Coupez-moi ma viande, Lumare.
J'écarquillai les yeux... Venait-il de... La colère me brûla les veines.
-Vous ne demanderiez même pas ça à un elfe de maison!
-En silence; ordonna-t-il encore.
Et c'eut beau être un ordre indirect, je ne fus plus capable de prononcer le moindre son. J'avais beau ouvrir la bouche et vouloir prononcer toutes les récriminations possibles, aucun mot n'était audible. Mon regard commençait à se voiler. Je fus contrainte encore une fois d'obéir, de placer son assiette devant moi et de découper les morceaux qui s'y trouvait.
Je crispai les mâchoires, furieuse, humiliée.
Je voulus la lui redonner ensuite, il m'ordonna plutôt de faire de plus petits bouts. Je les lui recoupai encore, jusqu'à ce qu'il soit satisfait. Mes joues et mon front étaient brûlants lorsque je pus enfin revenir à mon assiette.
Et le repas continua en silence.
Rogue ne prit pas de dessert, et moi qui avais eu le malheur de me servir une part de gâteau à la citrouille je dus supporter à la fin son regard noir suivant le moindre de mes mouvements.
A l'instant où j'avalai ma dernière bouchée, Rogue croisa les doigts au-dessus de la table.
-Vous utiliserez la salle de bain le soir, Lumare, et me ferez grâce de votre agréable présence dès la fin du dîner.
Je haussai un sourcil, d'une manière aussi interrogatrice que je pouvais me permettre.
-Vous vous terrerez où bon vous semblera, je ne veux plus vous voir après le dessert! Siffla Rogue.
-Bien professeur; répondis-je glaciale.
Et je soutins son regard. Ce ne fut qu'à cet instant que je me rendis compte de l'état du maître des potions. Il semblait plus maigre que jamais, ses cheveux plus graisseux que jamais, il avait le teint cireux et des cernes vraiment violacés sous les yeux, sa pupille et son iris noirs se confondaient au milieu de la sclère injectée de sang, et il y avait comme un imperceptible tremblement au niveau de ses mains. Rogue semblait...
-Eh bien, qu'attendez-vous encore Lumare, il m'avait semblé être suffisamment clair?
Je cillai pour revenir à la réalité et me dépêchai de me lever. Il fallut que je dépasse Rogue et son rictus méprisant avant de faire face aux six portes encastrées aux murs du fond.
-La première et la troisième sur votre droite; entendis-je dans mon dos. Je vous interdis d'ouvrir les autres.
-Bien professeur.
La première menait à la chambre qui m'était destinée. J'y pris ma brosse à dent, mon pyjama aux couleurs de Gryffondor, puis revins au salon ouvrir la troisième porte, elle menait bien à la salle de bain.
La lumière n'était pas trop violente, la pièce était grande, assez pour contenir une douche et un gigantesque bain seulement deux fois plus petit que celui des préfets.
Je ne tardai pas à entrer dans la douche et soupirer sous le jet d'eau chaude...
Oh... Merlin...
J'en fermai les yeux, tellement fatiguée, et tellement bien...
J'étais presque sûre que Rogue m'obligerait à finir à l'eau froide, mais ce ne fut pas le cas. Je pus rester aussi longtemps que je le voulus. Puis j'enfilai mon pyjama, me brossai les dents et sortis. Mes longs cheveux noirs étaient dégoulinants d'eau, j'avais les pieds nus, les joues rouges et le regard voilé -par le bien être cette fois-. Avec les vêtements de la journée roulés en boule dans mes bras je repassai par le salon et aperçus Rogue lire dans un fauteuil.
Je ne tardai pas à retrouver ma chambre, fermer la porte derrière moi.
J'étais épuisée, le sang pulsait à mes tempes... Tout ce que je réussis à faire fut de laisser tomber mes vêtements sur une chaise à ma gauche puis d'avancer, difficilement, jusqu'au lit.
Je m'y écroulai. Quelques inspirations hachées. Mes yeux se fermaient, mon front brûlant reposait contre la fraîcheur de l'oreiller... Je me roulai en boule et parvins à me recouvrir de la couverture. Puis enfin je fermai les yeux et m'endormis d'un coup...
-Miss Lumare!
La porte de ma chambre claqua contre le mur! Je me réveillai en sursaut, hagarde, mes yeux bleu océan soudain accrochés à une ombre qui avançait. Rogue! C'était...
-Levez-vous! Immédiatement! La salle de bain est dans un état répugnant, où pensez-vous vous trouver? Dans une porcherie? Chez les cornichons qui vous servent d'amis? Levez-vous!
J'avais mal à la tête... sentais pas bien... brûlante.
Je ne parvins même pas à résister à son ordre et fus sur pied avant même de savoir que j'en étais capable. Les cheveux en pétard, le front en feu mais frigorifiée, je suivis Rogue jusqu'à la salle de bain. Là il m'indiqua que le tapis de sol ne devait pas être déplacé, ou aspergé d'eau comme je l'avais fait, que ma serviette devait être étendue...
-Vous êtes conscient, monsieur, de me priver d'une des dernières occasions qui me restent de voir ma famille; murmurai-je avant d'avoir pu ne serait-ce que penser à me taire.
Rogue me foudroya du regard, j'étendais ma serviette mouillée comme il me l'avait demandé.
-Vos pleurnicheries ne m'intéressent pas Lumare.
-Pourquoi est-ce que vous m'avez touchée? continuai-je le regard brumeux... Malfoy vous avait dit que le sort d'asservissement me...
-Suffit! cracha Rogue.
J'en sursautai. Il était effrayant à la lumière sélénienne avec ses yeux emplis de ténèbres, son teint cadavérique.
Il m'ordonna de retourner dans ma chambre. Mes jambes m'y conduisirent toutes seules, je refermai la porte derrière moi, retournai me lover sous la couette et l'apparition du bâtard graisseux fut noyée dans mes rêves...
