Chapitre 3

J'étais plus ou moins occupée à séparer des opales en fonction de leurs tailles -tout en parcourant mon manuel de potion de 6ème année, et non la réplique de celui du Prince de sang-mêlé qui était resté caché dans ma table de chevet-, tandis que Rogue travaillait à son bureau tout à ma droite, lorsqu'il rompit le silence:

-J'ose espérer que vous avez au moins retenu les bases de première année, Miss Lumare.

Je relevai la tête en haussant un sourcil, je n'en étais même pas blessée.

-Répondez-moi; siffla-t-il.

Et je fus obligée d'obéir à son ordre:

-Je l'espère aussi, monsieur.

Je détestais ce sort d'asservissement, cette magie qui paralysait ma volonté, ces ordres, ce bâtard graisseux!

Il y eut un silence et Rogue griffonna quelque chose sur un parchemin devant lui et j'attendis. J'avais l'impression qu'il y aurait autre chose. Et effectivement:

-Venez ici; ordonna-t-il.

Mes jambes engourdies vacillèrent lorsque je dus me lever, Rogue pendant ce temps métamorphosa un presse-papier en siège à sa gauche. Bizarrement je sentais qu'il ne serait pas des plus confortables. J'obéis de nouveau lorsqu'il me demanda sèchement de m'asseoir, et je fus à son bureau, très près de Rogue.

Il y avait plusieurs tas de parchemins devant nous, quelques fioles d'encre, deux encriers près du professeur de Défense contre les forces du mal, un nouvel encrier qui apparut à ma gauche, une petite pile de vieux grimoires sur le coin droit du bureau, quelques fioles pleines de liquides plus ou moins ocre, et malgré tout cela nous avions encore assez de place devant nous pour travailler.

Rogue tenait une longue plume noire entre son pouce et son index droit, la pointe était en métal doré et finement ciselé. Celle qui apparut devant moi était d'un blanc immaculé, comme les plumes des Harfang des neiges, comme les plumes d'Hedwige, sa pointe était d'un gris argenté. Mes ongles glissèrent doucement sur ses bords... Puis une pile de parchemins atterrit juste devant moi.

-Des devoirs de première année; grogna Rogue, le professeur Slughorn étant actuellement en déplacement quelques centaines de copies déplorables m'ont été déléguées. Contentez-vous de barrer ce qui est faux et de mettre une note entre T et A.

Rogue avait accepté de corriger des copies qui ne relevaient plus de sa matière?

Le fait qu'il me demande de faire la vaisselle de son laboratoire personnelle et qu'il m'oblige à remplir les stocks de la Réserve dont il était en charge ne m'étonnait pas. Mais à moins que Dumbledore en personne n'ait interféré je ne voyais pas le mangemort accepter de rendre un service à Slughorn, ou à qui que ce soit...

Et donc notre nouveau professeur de Potions avait quitté Poudlard? Bien ce dernier point n'était pas très étonnant, il devait recevoir beaucoup d'invitations à des soirées, des cocktails...

Je revins aux parchemins tâchés de noir devant moi.

Les notes n'allaient que de Troll à Acceptable? Il n'y avait jamais mieux? Je lançai un regard interrogateur avec une pointe d'accusation tout de même au maître des potions, qui m'en rendit un glacial.

-Des questions peut-être, Miss Lumare?

-Et si je lisais un très bon devoir, monsieur? Demandai-je effrontément.

Un minuscule rictus apparut au coin de ses lèvres et ce fut le seul signe visible que je pus distinguer sur son visage inexpressif.

-Il n'y en aura pas.

Il se détourna ensuite pour reprendre ses propres corrections, moi je fronçai les sourcils en baissant la tête. Il était dur avec ses élèves. Je ne pensais pas bien sûr que des étudiants de première année puissent faire des miracles, mais il pouvait les encourager non?

Je me dis que je désobéirais si je lisais un devoir qui méritait plus, si un élève avait suffisamment travaillé pour obtenir un EE.

Et donc je trempai ma plume dans l'encrier rouge à ma gauche et commençai à lire le premier parchemin... Ce fut une catastrophe... Au deuxième je me rendis compte que la moitié du devoir était fait de ratures... La dizaine d'autres qui suivit fut consternante même pour des élèves de première année, même en sachant que mon niveau en Potion n'était pas exceptionnel, je connaissais tout de même les bases! Ce ramassis de phrases copiées dans des grimoires différents, mises les unes à la suite des autres dans l'espoir de former un ensemble cohérent, était désespérant!

Ensuite j'eus un devoir où était bien écrit le sujet, soit la nature des sirènes et l'action de leurs écailles dans les potions, mais qui traitait exclusivement des salamandres et de leurs propriétés dans les potions d'Invisibilité. C'était n'importe quoi. Ce fut le premier T que je mis.

Je comprenais que Rogue m'ait délégué cette tâche... corvée...

Un soupir m'échappa alors que je laissais tomber ma tête dans ma main et m'ébouriffais les cheveux. Puis je continuai.

Sur la trentaine de parchemins que m'avait donné Rogue, je ne mis que deux Acceptable, et aucun Effort Exceptionnel.

Je déposai la plume blanche sur les parchemins criblés de rouge et me renfonçai dans mon siège. Je commençai à avoir mal au dos... Le maître des potions fit léviter une autre pile de devoirs jusqu'à moi, deux fois plus grosse que la précédente. Un grognement m'échappa.

-Ce sont des devoirs de troisième année sur la potion d'Aiguise Méninge; m'informa-t-il d'une voix veloutée. N'hésitez pas à me faire part de votre incompétence si leur correction s'avère trop difficile pour vous.

Je serrai les dents et repris ma plume. Qu'il s'en soit rendu compte ou non, je n'avais jamais baclé de devoir de Potions de toute ma scolarité! J'avais travaillé dur, fait des recherches, appris, étudié, passé d'innombrables heures à la bibliothèque avec Hermione, et j'avais déjà eu des EE dans sa matière! Mione aussi en avait reçu, et sûrement Malfoy en grand favori de la chauve-souris des cachots. Mais ces EE signifiaient bien que j'étais parfaitement capable de corriger un devoir sur l'Aiguise Méninge!

Je prélevai de l'encre rouge à ma gauche, puis commençai. Le premier devoir était illisible, il y avait plusieurs tâches noires dessus, le deuxième fut plus intéressant et je mis un Acceptable, le troisième était baclé, le quatrième et le cinquième aussi,...

Les heures s'écoulèrent sans que je m'en aperçoive et je crois qu'au beau milieu de tout ceci je me rendis compte que j'adorais les potions.

Lorsque j'eus fini mes dernières corrections Rogue me renvoya au triage des opales.

Les opales étaient utilisées dans une série de baumes cicatrisants si je ne me trompais pas, mon professeur ne devrait pas tarder à en fournir à Mme Pomfresh...

Je m'éloignai de lui et de son bureau sans protester pour retrouver ma place, mon manuel de Potions. Du coin de l'oeil j'aperçus Rogue reprendre toutes les copies que je venais de corriger et les étudier.

Il ne me fit aucune remarque.

Le reste de l'après-midi se déroula dans un nouveau silence, un silence que je trouvais apaisant.

ooo0oOo0ooo

Au dîner du dimanche nous eûmes du potage à la citrouille, Rogue ne toucha pratiquement pas à son assiette, mais il me parla une fois de plus:

-Les effets du sortilège d'asservissement devront se dissiper durant la nuit, mais vous resterez dans mes quartiers jusqu'au retour de vos petits camarades, et vous obéirez jusqu'au bout à tout ordre venant de moi.

Il me restait encore trois jours. Je venais de passer une semaine entière enfermée dans les appartements de la chauve-souris des cachots.

-Je ne pourrais pas sortir d'ici, un peu? Demandai-je presque suppliante. Même sous sortilège de Désillusion?

Les yeux de nuit du professeur Rogue se fixèrent sur moi, comme s'ils ne m'avaient pas regardé jusque-là, et je me sentis détaillée tandis que sa voix soyeuse s'élevait:

-Et pour quelle raison voudriez-vous "sortir d'ici", Miss Lumare?

Mon regard s'assombrit et je haussai les épaules.

-Pour marcher un peu, respirer de l'air frais, voler sur mon vieux Nimbus... ce genre de choses.

-Hors de question; trancha Rogue.

Et je savais bien qu'il ne changerait pas d'avis et que ça lui plaisait de pouvoir faire souffrir jusqu'au bout l'imbécile de Gryffondor qui était tombé dans son piège de serpent! Mais cette fois je répliquai:

-Pourquoi pas? Personne ne me verrait, et puis ce n'est pas comme si je pouvais aller voir mes amis, ils sont tous repartis chez eux, et ils passent leurs vacances en famille eux!

-Suffit; grinça Rogue avant de... se détourner vers son potage...

-Et pourquoi je ne peux pas envoyer de lettres à mes amis? Ni à ma tante? Je ne sais même pas ce que vous lui avez dit!

-Je vous interdis; siffla mon professeur en hachant chaque mot, de rouvrir la bouche de toute la soirée si ce n'est pour vous nourrir, est-ce clair?

Mes lèvres se scellèrent et je ne pus rien y faire, je fus contrainte de hocher la tête le regard noir.

Je n'avais plus faim alors je n'ouvris plus la bouche de la soirée. Rogue retourna son attention à sa soupe, tournant le liquide sans jamais en boire. Aucun de nous ne prit de dessert.

Je ne comprenais pas! Pourquoi ce bâtard graisseux m'avait touchée? Pourquoi je ne pouvais pas envoyer la moindre lettre ou en recevoir? Pourquoi il refusait de répondre? Pourquoi le mangemort avait gaspillé ses vacances à me surveiller? Pourquoi avait-il l'air tellement malade? Pourquoi?!

Pourquoi est-ce qu'il ne me renvoyait pas dans ma chambre? Pourquoi est-ce qu'il me montra d'un signe de tête le canapé face au feu?

Cela n'avait pas été un ordre et j'aurais pu refuser, mais je m'approchai jusqu'à m'asseoir sur le vieux cuir noir. Il n'y eut pas un mot d'échangé et après un moment je me relevai pour prendre un livre de Paracelse puis revenir à ma place. Tout s'embrouillait, je n'arrivais plus à réfléchir. Je savais seulement que lire dans ce salon serait apaisant, aussi improbable que cela puisse sembler.

Je ne comprenais pas encore ce qui m'arrivait, mais cela n'allait pas tarder à changer.

Le lendemain, un Lundi, je m'éveillai vers neuf heures et entrai dans le salon. Rogue était encore attablé devant des viennoiseries qu'il ne touchait pas, il détournait la tête vers le feu et ne lisait pas le Daily Prophet. Ce fait m'interpella parce que normalement mon professeur lisait toujours son journal lorsque j'arrivais. Aujourd'hui il ne se trouvait ni sur la table, ni près de son fauteuil.

-Bonjour, professeur Rogue; dus-je le saluer.

Il hocha la tête sans un mot et je décidai que cela n'avait aucune importance.

Je dus enchaîner des corvées toute la journée et finir par corriger d'autres devoirs au même bureau que le maître des potions. Le soir nous ne parlâmes pas beaucoup, le dîner fut ennuyeusement long, puis -enfin- nous retrouvâmes fauteuil et canapé et je pus finir le troisième tome des Liber Paramirum. Il n'y eut rien d'extraordinaire durant le mardi, le mercredi matin je dus encore ranger tous les ingrédients de la Réserve par ordre alphabétique et cela me prit plusieurs heures.

Après le déjeuner je fus autorisée à lire dans le salon, en compagnie de Rogue, étrangement.

Je ne tenais que difficilement en place. J'étais heureuse de retrouver ma liberté ce soir, de retrouver mes amis, mon dortoir, mon Nimbus!

J'avais le sentiment que je pourrais en pleurer de joie et que je pourrais sourire d'un instant à l'autre. Ça me brûlait le coeur. Et j'avais la violente impression que je réapprenais à ressentir tout autant qu'à le montrer. Pourtant je n'avais dû tenir qu'une semaine et demie avec Rogue, je n'avais pas été maltraitée, il n'avait même jamais tenté de me frapper -un exploit pour un mangemort-...

J'étais encore plongée dans mes pensées lorsque Rogue sortit soudain sa baguette et marmonna une incantation. Il y eut comme un déclic très loin, des pas se firent entendre et finalement Rogue déverrouilla la deuxième porte, celle qui menait hors de ses appartements.

Dumbledore entra. Il portait une robe gris terne à arabesques noires, c'était assez perturbant après toutes les couleurs exotiques auxquelles il nous avait habitués.

Je levai la tête vers ses lunettes en demi-lune, son regard azuré... il ne pétillait pas... et son teint était cendré. Mes yeux se baissèrent sur sa main nécrosée, celle qui tenait des lettres.

-Bonjour mes enfants; annonça-t-il en s'approchant doucement.

-Bonjour, professeur Dumbledore; répondis-je un peu inquiète en le voyant s'approcher du fauteuil entre moi et Rogue.

Le directeur s'y assit et ferma les yeux, inspirant doucement. Rogue n'avait rien dit.

-Je peux vous assurer que l'escalade de certaines de nos falaises ne sont pas de tout repos, encore moins quand vous tombez, par inadvertance bien sûr, sur une corniche remplie de nids de mouettes.

Un sourire m'échappa, et j'en fus surprise. Je clignai des yeux, détournai mon regard vers le feu, lorsque j'en revins à Dumbledore il tendit des lettres vers moi.

-Votre correspondance, Miss Lumare. Vos amis se sont inquiétés.

Je récupérai doucement les enveloppes pleines. Sur le haut il y avait une lettre de Ronald -ce qui était fascinant étant donné qu'il n'écrivait pratiquement jamais-, puis deux de Hermione, une de Neville -qui devait me parler de botanique ou de potion-, deux de Harry, une de Luna -ce qui était assez étrange-, une de Mme Weasley -pourquoi?- et une plus grosse enveloppe tout à la fin. Elle portait sur le coin gauche le M noir du Ministère de la Magie. En la retournant je découvris un sceau apposé à la cire noire. Le sceau était rouge normalement. Il devait être rouge.

Mes mains tremblèrent.

-Prenez votre temps, Miss Lumare; murmura Dumbledore.

J'avais oublié qu'il était là, que Rogue aussi. Je relevai la tête vers eux. Le directeur observait, pas Rogue, il était tourné vers les flammes et restait aussi immobile qu'une statue cireuse.

Ma tête retomba vers la lettre.

Non.

Je quittai violemment mon fauteuil, les mâchoires serrées.

-Non. Je refuse; crachai-je. C'est impossible.

Je devais me tromper, il fallait que je me trompe. J'avais mal.

-S'il vous plaît...

Ma voix se brisa et je les suppliais du regard et j'aurais supplié n'importe qui d'autre, j'aurais fait n'importe quoi. Je ne voulais pas ouvrir cette lettre. Je me trompais. Je me trompais!

Les doigts tremblants je déchirai le cachet, tirai plusieurs parchemins. Le premier portait le tampon du Ministère sur le coin droit, le grain du parchemin était fin, les mots étaient tapés à la machine à écrire. Je ne devais pas lire. Je ne dev…

Miss Khorine Fenicia de Lumare,

Suite au décès de votre tutrice légale Mme Hydrion Erina Salmene de Lumare au matin du 23 février 1996, le Ministère de la Magie se doit de vous informer qu'une nouvelle mise sous tutelle aura lieu le 01 mars 1996 à 10h dans le bureau du directeur de l'école de sorcellerie Poudlard, le professeur Albus Perceval Wulfric Brian Dumbledore. En l'absence de tout nouveau tuteur volontaire le Ministère de la Magie se verra dans l'obl...

J'avais lu jusqu'ici... mais je ne pouvais plus... Les mots s'effaçaient, je n'avais plus la force de les lire, plus la force de rester debout. Je tombai dans le canapé derrière moi. Je ne respirais pas.

Ma tante était morte.

-Comment? Grondai-je dans un murmure.

Mes yeux océan se brouillaient de larmes et de ténèbres. La voix de Dumbledore me parvint:

-Des mangemorts ont attaqué votre tante sur le chemin de traverse. Cela n'a duré que quelques secondes, elle n'a eu ni le temps de combattre ni le temps de souffrir.

-Avada Kedavra; compris-je en fermant les yeux.

Deux larmes m'échappèrent alors que je renversais ma tête en arrière. D'autres papiers et des lettres m'emplissaient les mains. C'était de ma faute. Elle était morte à cause de moi, traîtresse à mon propre sang...

Elle ne reviendrait pas.

Je ne la reverrai plus, elle ne parlerait plus de gobelins, elle ne ferait plus de tricot, elle ne me cuisinerait rien, elle ne ricanerait plus de sa façon bizarre.

Je rouvris les yeux et me relevai.

-Je peux partir? Demandai-je en fixant les sorciers devant moi sans les voir.

...

-Oui.

C'était la voix de Rogue. J'avançai, dépassai le fauteuil du directeur et le sien puis j'ouvris la première porte, je marchai dans le corridor sombre, atteignis la deuxième porte, je marchai dans le couloir. Je remontai des escaliers, le soleil était encore haut dans le ciel mais le Poudlard Express était arrivé. En marchant j'entendis des bruits de conversation, loin, je me jetai un sortilège de Désillusion et personne ne me vit. Ensuite je montai jusqu'au septième étage, jusqu'à la Salle sur Demande.

Quand j'entrai il n'y eut qu'une pièce petite, juste assez grande pour un fauteuil et une cheminée. Elle était plongée dans la pénombre, si ce n'était les flammes à ma droite. Pas de fenêtre.

Je partis me recroqueviller dans le fauteuil, lâchai enfin toutes les lettres dans mes mains, et pleurai.

Ce fut violent.

Des soubresauts m'agitèrent, des convulsions, j'hurlai que j'étais désolée, qu'elle n'avait pas le droit, que c'était ma faute! Les larmes roulaient sur mes joues à présent, inondaient mes mains, mes vêtements, j'avais le front en feu et je la suppliais de revenir, de ne pas me laisser!

Des sanglots me soulevaient le coeur, j'avais tellement mal, de la morve m'échappait mais je ne voyais rien, je hoquetais que ce n'était pas possible, que ce n'était pas elle qui était morte, pas elle!

-Je vous en supplie... pas elle... J'ai besoin d'elle. J'ai besoin de ma tante! Ne me l'enlevez pas, s'il vous plaît...