Chapitre 5
Au matin du dimanche, j'étais vêtue d'une robe noire, d'une cape d'hiver, et sortais seule de mon dortoir. Dans le couloir qui menait à la salle commune je croisai Lavande, ses joues rondes un peu blêmes, ses tresses pendantes, ses cernes et ses yeux bleu délavés. Elle s'arrêta devant moi et me dit, les sourcils froncés:
-Je comprends ce que tu ressens Khorine. Ça fait vraiment mal. Je suis vraiment désolée.
Ses lèvres se mirent à trembler et des larmes apparurent. Elle renifla, ferma les paupières et les rouvris, pour renifler encore...
-Merci Lavande; marmonnai-je.
Elle ne sembla pas entendre et l'instant d'après partait en courant, murmurant des "Ronron" éraillés. Je soupirai, Ronald n'avait vraiment pas été très intelligent sur ce coup-là.
Je crispai les poings, continuai dans le couloir et descendis les marches menant à la salle commune. Harry, Hermione et Ron étaient près du professeur McGonagall. J'étais calme. Mes doigts se détendirent, mes muscles se décontractèrent...
-Suivez-moi, Miss Lumare; me demanda notre directrice de maison.
Elle allait me conduire jusqu'au bureau de Dumbledore et utiliser avec moi le réseau de Cheminette qui nous emmènerait directement au manoir de ma tante.
Elle y serait enterrée.
Je tournai doucement mon regard océan vers mes amis. Et soudain, ce fut violent, le besoin de les serrer contre moi. Il y eut une déchirure dans mes yeux, Hermione se jeta dans mes bras.
Je la serrai de toutes mes forces, de toutes mes forces. Harry et Ron nous étreignirent toutes les deux.
Hermione sanglotait pour moi. Ses larmes mouillaient ma cape, ses soubresauts vibraient dans ma poitrine.
Je ne me séparai d'eux qu'à regret. McGonagall marcha devant moi dans les couloirs, je me sentais dissociée de la réalité, sans émotion. J'avais besoin de revenir dans la salle commune, de retrouver mes meilleurs amis. A la place je montai sur les marches de pierre qui s'élevaient et menaient au bureau du professeur Dumbledore. Ce dernier me dit quelques mots, parla avec ma directrice de maison. Ensuite il fallut jeter de la poudre de cheminette et atterrir dans le salon du manoir de ma tante. Le professeur McGonagall fut éjectée au milieu des cendres au niveau des cuisines et des elfes de maison, comme à peu près tous les autres visiteurs.
Même privée de son Fidelitas, le manoir avait son caractère.
Ma tante y passait le printemps et l'été, l'hiver et l'automne elle séjournait dans une petite bicoque au nord de Blackawton. Je descendis les escaliers, traversai le gigantesque hall d'entrée et sortis à l'air libre. Des nuages gris s'amoncelaient.
Un représentant du Ministère se chargea de l'oraison funèbre, il y avait une dizaine de vieilles sorcières, quelques sang-purs de ses connaissances, et le professeur McGonagall.
J'étais proche de la pierre tombale mais à l'écart de tous les autres. Je donnais l'impression de m'ennuyer, je n'écoutais pas, je pensais au moment où Rogue m'avait découvert en pleine reproduction d'une guerre gobeline et des sourires m'échappaient.
Je sentais la brûlure de leurs regards, je sentais leur présence.
... On me demanda si je voulais dire quelques mots? Je répondis que je n'avais rien à dire.
Une des amies de ma tante se leva et parla d'elle. Sa voix s'éraillait tandis que je sentais un courant d'air froid ramper jusqu'à moi, soulever ma cape et sa poche intérieure, puis disparaître.
Je glissai discrètement ma main dans cette poche, pour en sortir une pierre. Je la fixai. C'était une anatase... Je connaissais ces gemmes, emplies de ténèbres, brisées et extirpées des tréfonds de la Terre, polies par l'usage, vibrantes de magie noire. Celle-ci me brûlait les doigts.
Il y avait un morceau de parchemin également, et quatre mots aux lettres acérées:
Première et dernière chance.
Lentement, je repliai le papier, l'enroulai autour de la pierre, et les remis tous deux dans ma poche. Je ne cherchai pas à les repérer, retournai plutôt un visage inexpressif vers ces sorcières qui déposaient des petites calendula aux couleurs de feu sur la tombe de ma tante.
On me donna une de ces fleurs et je dus imiter les sorcières passées avant moi.
Il fallut rester quelques temps encore dans le cimetière. J'étais plus détendue, mes parents n'étaient plus là, ils m'avaient laissé une chance.
Lorsque j'apparus dans le bureau du directeur, peu avant le professeur McGonagall, j'aperçus un gobelin juché sur une chaise en face du bureau. Il y avait des documents devant lui et une sacoche en cuir de dragon au pied de son siège. Il avait un air mauvais.
-Miss Lumare; m'interpela Dumbledore dans un souffle, laissez-moi vous présenter M. Gaindur, le gobelin testamentaire de votre tante. Il est ici pour vous lire ses dernières volontés et son testament.
Sa respiration était hachée, il ne semblait pas au mieux de sa forme.
Il prit une gorgée de thé pendant que je m'asseyais à droite du gobelin et que McGonagall apparaissait à son tour. Elle comprit aussitôt de quoi il s'agissait.
-Souhaitez-vous que je reste auprès de vous Miss Lumare? Demanda-t-elle d'un ton concerné avant de repincer ses lèvres.
Je secouai la tête et mon professeur de Métamorphoses comprit. Ses doigts fripés dérivèrent l'espace d'un instant sur mon épaule, puis elle me dépassa et sortit du bureau.
J'avais beaucoup de respect pour ma directrice de maison.
Cillant, je retournai mon attention sur le directeur. Il n'était plus aussi blême, et son regard scintillait doucement. Il devait y avoir quelque chose dans son thé.
-Un bonbon au citron? Proposa Dumbledore en en faisant léviter une coupelle.
-Non; grogna le gobelin.
Je déclinai également, Fumseck se lissa les plumes sur son perchoir.
Au final, j'appris que ma tante m'avait légué son manuel d'élevage de gnomes, la bague ancestrale des Lumare, sa maison de campagne, son manoir, ainsi que plusieurs millions de gallion reposant présentement à Gringotts.
Le gobelin grincheux sortit lui-même de sa sacoche le livre et l'écrin qu'il devait me remettre. Je les reçus et ouvris aussitôt l'écrin. Il contenait une chaîne en or en plus de la bague, parce que ma tante ne la portait jamais au doigt, mais toujours autour du cou.
-La bague devrait revenir à l'aîné des Lumare; grommela M. Gaindur en grattant son gros nez.
-Ni mon père ni ma mère ne font partie de cette famille; rétorquai-je avant d'ouvrir la chaîne et de m'emparer de la chevalière
Un gros rubis rouge feu brûlant de l'intérieur était scellé au sommet de la bague, son or épais était ciselé d'un sombral du côté gauche, d'une licorne du côté droit.
Je la passai à mon pouce gauche et la pierre s'illumina.
Le professeur Dumbledore sourit de derrière son bureau.
J'avais l'impression que la chaleur se répandait dans mon doigt, dans ma main, qu'elle remontait le long de mon bras pour se concentrer dans ma poitrine, mon coeur...
C'était comme si elle était là. Et mes grand-parents. Et mes arrières grand-parents.
Je n'étais... plus... seule...
ooo0oOo0ooo
Le lendemain je reçus une retenue du professeur Rogue parce que j'avais éternué.
Harry sortit de sa rêverie pour froncer les sourcils, Ron me fixa bizarrement... Ils n'agissaient pas comme d'habitude, Hermione dut donner un coup de coude à Ron pour qu'il pense enfin à grommeler quelque chose contre la chauve-souris des cachots.
Notre comportement n'avait rien de suspect...
A vingt heures je me trouvais devant la porte de son bureau, au fin fond des cachots, j'avais les poings fermés et je pouvais frapper à la porte dès maintenant. Il suffisait que je lève le bras, que je baisse mon poignet avec suffisamment de force tout en gardant mes doigts serrés et que je réitère le geste.
Je restais là pourtant, à fixer cette porte. L'anatase brûlait contre mes côtes... et cette douleur faisait du bien quelque part.
Mes paupières se fermèrent, se rouvrirent, puis mon poing cogna contre la porte. Une fois. Elle s'ouvrit violemment.
-En retard Lumare; siffla Rogue.
Ses yeux sombres brillaient étrangement dans l'obscurité.
Je m'excusai puis fus autorisée à entrer. Le bureau était toujours aussi lugubre, il y flottait toujours cette lueur verdâtre qui léchait les bocaux d'insectes, de serpents et de poissons morts. Mais il y avait une seconde chaise désormais à une extrémité du bureau.
Je m'arrêtai au milieu de la pièce tandis que mon professeur se retournait élégamment vers moi dans un envol de cape. Je lui fis face, consciente qu'il était bien plus grand que moi.
-Comment était l'enterrement? Demanda-t-il sans tarder.
Je l'observai, penchai la tête le regard inexpressif... Cette question ne se posait pas.
-Il était très amusant, professeur.
Un rictus impatient déforma ses traits l'espace d'une seconde, puis il reformula:
-Qu'ont fait vos parents?
Je glissai lentement la main dans ma poche et sortis la pierre et le parchemin. Mon professeur de Défense déplia une de ses longues mains fines pour s'en saisir, il les examina, tous les deux. Il susurra quelque chose que je n'entendis pas malgré le silence. J'avais conscience du bouillonnement d'un chaudron dans le laboratoire d'à côté...
-C'est une anatase Lumare, une pierre de communication utilisée par les mages noirs et seulement les mages noirs. Son utilisation est très dangereuse.
-Pourquoi? Voulus-je savoir.
Le mangemort me fixa, gardant la pierre entre ses doigts pâles.
-Le coeur de cette pierre contient une magie incommensurable, noire, beaucoup d'esprits de sorciers et de créatures des ténèbres ont été attirés par cette source de pouvoir et s'y sont faits piégés.
Alors c'était ça que j'avais promené dans la propriété des Lumare et dans Poudlard.
-Les projections de l'esprit nécessitées pour communiquer d'une anatase à l'autre entraînent des modifications de flux et de forces que vous ne comprendriez pas, assez puissantes en tout cas pour libérer certaines de ces créatures ou pour se faire piéger par elles à l'intérieur de la pierre ou pour leur permettre d'aspirer la magie de votre sortilège de projection puis remonter jusqu'à votre personne et la source directe de votre magie.
Je blêmis.
-Vous voulez dire que si j'utilisais l'anatase ils pourraient voler ma magie?
Rogue me rendit la pierre ainsi que le parchemin, complétant pour moi:
-Et vous tuer.
Il y eut un silence. Et bien que je réfléchisse à ce que tout cela impliquait, je n'hésitai pas à ranger l'anatase dans la poche de ma cape.
-La gemme que vous avez est ancienne, usée, souillée. Vous ne tiendriez pas trente secondes avant de vous faire vider de votre magie.
J'acquiesçai.
-Tant que je ne l'utilise pas, elle ne représente aucun danger, non?
-Tant que Lord et Lady Lumare ne l'utilisent pas. Je vous conseille de vous éloigner de toute source de vie et de construire de puissants boucliers lorsque l'anatase commencera à vibrer. Vous allez vous faire tuer Lumare; susurra-t-il un rictus écorchant un instant le coin gauche de ses lèvres, mais je ne réagis pas. Asseyez-vous.
Rogue me jaugea un dernier instant de son regard de nuit, avant de se détourner et de prendre place à son bureau. J'obéis en m'installant sur la petite chaise de l'autre côté de son bureau, déposai mon sac à mes pieds. Il faudrait que je m'entraîne aux sorts de défense. Ceux que Harry avait appris à l'armée de Dumbledore l'année dernière n'étaient pas suffisants.
Un manuel de Défense contre les forces du mal atterrit devant moi dans un claquement sec.
-Lisez le chapitre 12 Kraken et autres créatures des profondeurs, prendre de l'avance n'a jamais tué aucun élève.
Je n'eus même pas l'envie de protester. Il me fallut seulement ouvrir le livre à la bonne page, me caler contre le dossier inconfortable et poser mes yeux sur les premiers mots.
J'oubliai mon professeur et où je me trouvais...
Quelque chose de sombre, un brouillard épais m'empêchait de comprendre ces mots. Cela commença après dix pages de description de serpents de mer.
Le plume de Rogue écorchait le parchemin à ma droite. Je finis par pencher la tête, fixer le vide.
-Qui vous a dit d'arrêter Lumare? Grinça Rogue en continuant ses corrections.
J'avais l'impression qu'aucun élève avant moi n'avait été autorisé à lire en retenue, ni même à s'asseoir face au même bureau que lui.
-Si j'avais été là, avec elle; murmurai-je. Elle serait toujours en vie, n'est-ce pas?
Je ne le regardais pas et Rogue cessa d'écrire... Il ne répondit pas tout de suite... mais quand il le fit, ce fut très sec.
-Vous seriez mortes toutes les deux.
-Si j'avais été là, ma tante n'aurait jamais posé un pied sur le Chemin de Traverse; répondis-je...
La plume noire fut posée délicatement, et je me tournai vers elle sans parvenir à relever les yeux sur le visage de mon professeur. J'étais coupable, je souffrais.
-Votre tante était perdue Lumare, mettez-vous bien ça dans le crâne. Vos parents connaissaient les emplacements de toutes ses résidences, ils l'auraient attaquée qu'elle se soit rendue ou non au Chemin de Traverse… Lumare, à l'instant où vos parents se sont échappés d'Azkaban le destin de votre tante était scellé. Regardez-moi.
Je ne pouvais pas.
Les longs doigts de Rogue entrèrent dans mon champ de vision, ils étaient froids contre ma peau et ils me relevèrent le menton. Mes yeux océan plongèrent dans les ténèbres des siens.
-Les seuls responsables de ce meurtre; me murmura-t-il en séparant chaque mot, sont vos parents. Uniquement vos parents.
Il y avait une tension, une magie qui vibrait, ses yeux sombres, si sombres et les mots qu'il prononçait et qui s'imprimaient en lettres de feu dans mon esprit.
Hypnose. Je ne cherchai pas à m'échapper pourtant, ni à quitter le contact de ses doigts glacés.
-Je n'ai pas besoin de ça; dis-je le regard clair.
Rogue fronça à peine les sourcils mais ne bougea pas. Nous étions très proches et maintenant que toute mon attention était concentrée sur cet homme, je savais.
J'entendais son souffle et le sentais effleurer ma peau, je sentais les vapeurs des potions imprégner ses vêtements, ses cheveux graisseux luisaient à la lueur des bougies et ses yeux qui ne brûlaient plus renfermaient des ombres, un passé sombre, ses ténèbres.
C'était un être humain, un sorcier, et il était du côté de la Lumière.
Il dut y avoir une étincelle particulière dans mon regard, parce que Rogue sut que je savais, et il brisa le contact.
-Ne pensez pas savoir quoi que ce soit; grommela-t-il avant de reprendre sa plume.
L'instant d'après il continuait ses corrections de parchemins, et moi je me replongeais dans l'étude des monstres marins.
Vers vingt-deux heures Rogue m'annonça que ma retenue était terminée. Je sortis de mon cocon de bien-être et dus refermer le manuel de 6eme année, prendre mon sac, me lever et contourner le bureau. Le crissement de la plume contre le grain du parchemin m'indiquait que Rogue ne prêtait déjà plus attention à moi. Je fermai les yeux, inspirai, puis prononçai:
-Merci. Pour tout.
Pas seulement le réconfort qu'il m'avait apporté aujourd'hui, mais son aide contre Malfoy, et le fait qu'il m'ait sauvée du Seigneur des Ténèbres, et qu'il m'ait sauvée de mes parents.
Mes trois mots étaient lourds de sens. Rogue ne releva pas la tête, il continua à écrire.
Je sortis de son bureau et refermai doucement la porte.
