Chapitre 7

Katie Bell quitta Ste Mangouste le lundi 05 avril et Harry manqua de tuer Malfoy quelques heures plus tard. C'était en lançant un des sortilèges inventés par le Prince de Sang-Mêlé qu'Harry l'avait presque vidé de son sang. Rogue était intervenu juste à temps et Harry avait enfin accepté de se débarrasser du vieux livre de potions. C'était Ginny qui l'avait caché dans la salle sur demande, pour qu'Harry ne le retrouve jamais. Je n'avais révélé à personne l'existence de l'exemplaire que j'avais créé... Et personne ne s'en douta...

Rogue était encore furieux lorsqu'il me fit entrer dans son bureau pour ma retenue.

-Donnez-moi le manuel de Potions de Potter!

La porte de son bureau claqua violemment derrière moi.

-Non.

Il s'arrêta net, blême, et sûrement prêt à siffler quelques menaces, mais il referma ses lèvres fines. Il y eut un silence et il me fixait étrangement maintenant.

-Cinq points en moins pour Gryffondor; finit-il par grogner. Vous n'êtes pas consciente de ce que ce livre peut provoquer entre les mains d'un petit idiot comme Potter.

Bien sûr que si! Je l'avais lu ce manuel, et relu, relu, encore et encore, jusqu'à connaître chaque sortilège et chaque recette modifiés par le Prince de Sang-Mêlé!

-Il n'est plus en possession d'Harry; signifiai-je seulement après quelques hésitations. Et il ne le retrouvera pas.

-Voyez-vous ça! Se moqua mon professeur de Défense en croisant les bras son regard acéré rivé au mien. Vous l'avez caché sous son matelas? Ou bien dans une armure?

-Ce n'est pas le cas, professeur. Mais je peux vous certifier qu'Harry ne le retrouvera jamais, même s'il le voulait.

Ça n'aurait pas dû être suffisant pour Rogue, mais après quelques menaces et grognements, il finit par me conduire à son laboratoire privé.

-Poussos, pour l'infirmerie, le manuel est là, les ingrédients dans les armoires. J'en veux cinquante fioles dans trois heures!

Je ne pris pas le temps d'admirer les étagères aux murs, recouvertes de livres et anciens grimoires, fioles et alambics étranges, ni les vieilles armoires sculptées de formes arborescentes, ni les deux tables en bois de chêne lacérées et brûlées par endroit, ni les vieux chaudrons qui y bouillonnaient déjà.

J'ouvris le manuel que Rogue m'avait indiqué, courus chercher de la rotule d'hippogriffe et tous les autres ingrédients nécessaires, pris un chaudron au passage. Je ne perdis pas une seconde et n'aurais pas relevé la tête de ma potion sans les critiques narquoises de mon professeur. Lui faisait plusieurs chaudrons de Régénération Sanguine en même temps, et il trouvait encore le moyen de m'observer et de relever tout ce qu'il considérait comme «de nouvelles preuves de l'incompétence manifeste de tous les Gryffondor dans ce noble art qu'est la création de Potions».

-Pas… Cessez de massacrer mon crin de licorne, Lumare! Ce n'est pas ainsi que l'on coupe le crin en quatre! Poussez-vous!

Il contourna les grandes tables sur lesquelles nous travaillions tous les deux pour prendre ma place et m'arracher le couteau des mains.

-Ainsi, vous pliez d'abord le crin en deux et vous faîtes passer la lame dans la boucle pour le trancher d'un seul coup sec! Par Merlin, ce n'est pas compliqué! Et vous faîtes de même pour chaque nouveau crin, ce sont les propriétés différentes de chacune des quatre parties qui nous intéresse, pas la longueur spécifique du premier crin que vous coupez, ne vous avisez plus de tenter de les faire de la même longueur, vous m'entendez?

-Oui professeur; murmurai-je en reprenant le couteau.

Il avait cette lave en fusion noire dans les yeux, fascinante…

Je suivis à la lettre la technique qu'il venait de m'enseigner. Pour être critiquée quelques temps plus tard pour ma façon de tourner six fois dans le sens des aiguilles d'une montre après onze secondes d'intermittence.

-Où est-ce que vous vous croyez, dans une fabrique de confiture? Vous devez tourner énergiquement! La Poussos requiert avant tout de la poigne, vous devez maîtriser votre potion, pas l'amadouer misérablement en touillant comme vous le faites!

Il contourna de nouveau les tables mais prit ma main avec la cuiller au lieu de me repousser. Ses mains étaient nerveuses, à présent chaudes et rêches, je ne me rendis compte qu'à ce moment que le bout de ses doigts était brûlé par le feu des chaudrons.

Il piégeait ma main de la sienne, son poignet délicatement incliné mais sa poigne quasiment violente.

-Sentez-vous Lumare? Murmura-t-il d'une voix rauque à mon oreille. Sentez-vous la potion autour de votre cuiller, le tumulte que font naître les flammes, la force intrinsèque à cette potion?

Je ne sentais que l'odeur propre au maître des potions, et son torse et ses hanches contre mon dos, son bras qui encerclait le mien et ses doigts presque brûlants emmêlés aux miens.

Nous tournâmes encore une fois dans le sens des aiguilles d'une montre, puis dûmes attendre onze secondes. Il ne nous restait plus que trois cycles de six tours avant de passer au broyage et à l'ajout du lait de chimère en poudre.

-Vous devez dompter cette potion, Lumare…

Son souffle s'entortillait dans mes boucles brunes, il était trop proche, et je n'avais même pas envie de m'écarter.

-…, entrer dans la potion, et la soumettre; susurrait-il encore. Les ingrédients provenant des licornes sont les plus dociles qui soient, mais ils se lient avant tout aux autres composants de la potion, aux plus puissants, en l'occurrence le broyat d'os d'hippogriffe. Il faut que vous adaptiez l'intention et la vitesse de vos tours en fonction des ingrédients de votre potion.

Nous avions eu le temps de tourner douze fois avec un intervalle d'onze secondes, il ne restait plus qu'un tour.

-N'oubliez pas de faire de même après l'ajout du lait de chimère…

Nous tournâmes encore six fois dans le sens des aiguilles d'une montre puis il m'aida à retirer la cuiller en argent de la potion, et s'écarta. J'eus un peu froid. Mon regard s'éleva aussitôt vers le sien, si intense, c'était un regard fiévreux, comme si Rogue était très malade et qu'il souffrait.

Il cilla. L'instant d'après, son regard était noir et inexpressif. Nous retournâmes à nos potions respectives.

Ce ne fut qu'en ajoutant le prochain broyat que je me rendis compte que je tremblais. C'était ridicule! J'inspirai profondément, fermai les yeux, et ne me concentrai que sur ma Poussos.

J'avais passé près de six ans à créer des potions toutes les semaines à Poudlard, et il y avait tant de chose dont je n'avais jamais entendu parler! Personne n'avait jamais demandé de dompter une potion, ou d'adapter le rythme des tours de cuiller en fonction des ingrédients!

Je n'avais jamais rencontré quelqu'un d'aussi passionné que Rogue…

-Votre souffle, vous devez le contrôler! Grogna-t-il quatre jours plus tard. C'est de la Pimentine que vous créez pas une sauce au caramel! Votre respiration doit être efficiente, puissante… Ce sont ces propriétés qui permettent à cette potion d'annihiler la fièvre et de soigner le rhume.

Je suivis ses ordres, tentant de faire ce qu'il avait dit, d'entrer dans la potion, de la sentir autour de ma cuiller… C'était fascinant…

-Ajoutez les piments maintenant! Maintenant! Tournez! Plus de force dans chaque tour, l'ensemble des pigments de vos Capsicum annuum doit se condenser au centre du chaudron.

Trente minutes plus tard je remplissais près de soixante flacons de ma potion. Il ne restait plus à Rogue qu'à les vérifier un par un avant de les ranger dans les caisses qu'il confierait à Mme Pomfresh.

Je fermai d'un bouchon le dernier réceptacle de cristal.

-Le résultat devrait être acceptable, grogna Rogue penché au-dessus de son chaudron de Tue-Loup. Maintenant, nettoyez-moi vos ustensiles et votre plan de travail, et sans baguette!

Il avait travaillé tout l'après-midi sur la Tue-Loup et ce n'était qu'aujourd'hui que j'avais compris que sa préparation durait plus de sept heures sans interruption.

-Pourquoi est-ce que je ne peux pas utiliser ma baguette pour tout nettoyer? Grommelai-je à mon tour.

Le maître des potions claqua sèchement de la langue en ajoutant un pétale de Cereus peruvianus.

-Pensez-vous seulement qu'un sortilège de nettoyage jetez à la va-vite atteindrait le niveau de méticulosité requis pour un matériel de Potionniste?

… Dis comme ça… Je soupirai.

-Bien, professeur.

Je conjurai le matériel nécessaire pour tout nettoyer, ainsi qu'un tabouret pour qu'il vole jusqu'à moi. Pour commencer je plongeai l'ensemble des cuillers et couteaux dans un seau d'eau savonneuse puis nettoyai ma paillasse, ensuite je m'assis à un bout du laboratoire d'où je pouvais parfaitement observer le maître des Potions et m'astreignis à tout faire briller.

J'aimais bien passer mes soirées dans le laboratoire de Rogue, en fait. Il était illuminé par des candélabres au mur, un feu de cheminée, les flammes sous les chaudrons et des bougies sur les tables… Des bibliothèques de grimoires envahissaient tous les murs, ainsi que des armoires fermées remplies d'ingrédients. Il y avait deux grandes tables en bois épais au centre, accolées, pouvant recevoir plus de cinq gros chaudrons chacune et l'espace nécessaire à cinq potionnistes pour œuvrer confortablement. Un chaudron d'une potion inconnue bouillonnait continuellement à un bout de la table. C'était assez intrigant.

Et puis les morceaux de mur qui restaient visibles étaient des mêmes pierres grises que tout Poudlard et le sol recouvert de longues dalles -noircies pour certaines-. Il y faisait chaud et les vapeurs des potions, lorsqu'elles n'étaient pas entêtantes et qu'il n'était pas urgent d'ouvrir la fenêtre, étaient agréables…

Une ombre imposante se trouvait devant mon champ de vision.

Je cillai et relevai les yeux vers Rogue, son sourcil haussé et le coin de ses lèvres relevé en un rictus narquois micronisé.

-Rêvasser n'a jamais permis de finir plus rapidement ses corvées; se moqua-t-il.

-J'étais seulement en train de me dire que j'aimais bien votre laboratoire; révélai-je en haussant les épaules.

Je retournai mon attention au couteau tranchant que je nettoyais des oxydants du piment, il y eut un silence, mais Rogue ne bougea pas. Il se tenait toujours à moins de cinquante centimètres de moi.

-Vous pouvez laisser ce qui reste; dit-il soudain, je m'en occuperai.

Je plissai les yeux en retournant l'observer. C'était inhabituel, ça…

-Vous en êtes sûr?

-Dépêchez-vous avant que je ne change d'avis; grogna-t-il.

Ceci m'encouragea vivement à me hâter. Je laissai retomber le couteau dans l'eau savonneuse et me levai en me retenant au mur. L'instant d'après j'étais écrasée contre les pierres, le tabouret balancé dans un coin et les orbes de Rogue brûlaient.

-Qu'est-ce que vous faîtes? Couinai-je paniquée.

Il était trop sérieux tout à coup, il n'y avait plus l'ombre d'un sourire.

-Quoi qu'il se passe ici, ce sera votre parole contre la mienne; me murmura-t-il à l'oreille sans que je ne puisse reculer plus loin que le mur. En sachant que votre camp est encore moins précisé que le mien…

-Q-quoi?

Mes poignets se lièrent magiquement dans mon dos, je ne pouvais plus les bouger! Rogue me retenait l'épaule droite, s-son autre main remonta dans mes cheveux. Il soupira et son torse rencontra ma poitrine, ses hanches se calèrent juste au-dessus des miennes, ses doigts agrippèrent tout doucement quelques mèches…

-Hmm, Lumare…

Rien que ce soupir tordait mon ventre, je tremblais. Les orbes noirs dérivèrent vers mes lèvres entrouvertes, brûlant soudain comme l'enfer, j'haletai de peur.

-S'il vous plaît… professeur…Ne faîtes pas ça, s'il vous plaît; chuchotai-je la gorge nouée.

-Il ne me plaît pas; murmura-t-il en retour avant de rapprocher ses lèvres.

J'écrasai d'un grand coup contre le mur la main qui me retenait l'épaule et me débattis pour qu'il s'écarte. Je vous en prie! Laissez-moi! Professeur!

Il me repoussa violemment, mes omoplates s'éraflèrent contre les pierres, mon gémissement fut avalé par sa bouche. Non! Il me piégeait contre le mur, je ne pouvais plus utiliser mes mains, je ne pouvais pas le repousser, ses doigts tiraient sur mes cheveux, ses hanches osseuses creusaient mon ventre et il m'embrassait! Sa bouche torturait la mienne, il appuyait trop fort, il… ses dents… J'entrouvris seulement les lèvres et il y passa sa langue. Un frisson de dégoût me parcourut, je tentai de refermer mes molaires pour la lui déchiqueter mais il se retira juste avant, et il mordit ma lèvre inférieure.

Je gémis de douleur. Il mordit encore. J'essayai de me débattre, mais sans résultat, il ne… il ne lâchait pas! Je vous en prie! Lâchez-moi! Professeur! Professeur Rogue!

Il referma ses mâchoires trop fort et déchira ma lèvre. Le sang s'écoula de mon menton au creux de mon cou, je sentais des perles rougeâtres rouler sur ma peau. Rogue s'était reculé.

Il n'y avait plus ce feu brûlant dans ses yeux, juste un masque impénétrable. J'étais face à lui et je contrais son regard, mais je ne pouvais cacher ma peur. Rogue avait du sang au coin de la bouche. Il haletait… aussi…

-Vous avez mérité une… autre retenue Miss Lumare; susurra-t-il le souffle court. Demain soir, à la même heure… Ne soyez pas en retard.

Et sur ce il s'écarta tout à fait et rompit le sortilège d'encordage.

Je dus me retenir au mur, les jambes tremblantes. Mais je devais… sortir… Maintenant! Je fis un pas de côté, priai Merlin pour que mes jambes tiennent et fis encore un pas, je m'agrippai au mur derrière moi. Merlin! Merlin! Merlin! Rogue ne bougeait plus. Alors je me ruai vers la sortie et m'enfuis en claquant la porte.

Je courus dans les couloirs! De toutes mes forces! Toutes mes forces! Mes muscles brûlaient, je n'avais plus d'air.

Je tombai à genou.

Mes paumes et mes jambes s'éraflèrent contre le sol, je ne pouvais plus me relever…

Ma vue se brouillait, tout était sombre, je perdais mon souffle…J'allais perdre… connaissance… Non… Le sang bourdonnait moins à mes tempes et je finis par pouvoir distinguer les dalles du sol, mes mains tremblantes.

J'étais… en plein milieu d'un couloir… quelqu'un passerait, sûrement. Mes genoux et mes paumes me brûlaient. Je me relevai avec difficulté, pour vaciller jusqu'au mur, un pas puis l'autre, mes yeux s'embrumaient encore, mes doigts heurtèrent un renfoncement, puis la porte d'une salle désaffectée. Je m'y engouffrai et eus juste la présence d'esprit de la fermer avant de m'écrouler de nouveau. Je tombai sur le flanc, puis dos contre le sol malgré mes omoplates douloureuses. Il fallait respirer…

Inspirer, expirer, inspirer profondément puis expirer et inspirer pour expirer, inspirer…

C'était Voldemort.

Forcément. Rogue ne m'aurait jamais fait ça. En plus, il était du côté de la Lumière, et il m'avait serrée contre lui pour me consoler, il m'avait gardée dans son salon lorsque j'avais eu trop de fièvre pour retourner aux dortoirs des Gryffondor, il ne m'aurait jamais fait ça.

Voldemort lui avait ordonné de me torturer sous le nez du professeur Dumbledore et Rogue ne pouvait rien me dire parce que… parce qu'il était contraint d'ouvrir son esprit au Seigneur des Ténèbres. Je devais paraître surprise puis déchirée par sa trahison, je devais avoir peur, c'était exactement ce qui s'était produit.

Maintenant, je devais me lever. Je devais retourner chez les Gryffondor. Mes meilleurs amis m'attendaient, près du feu…

Lorsque j'arrivais dans la salle commune, je fus accueilli simultanément par le glapissement d'Hermione et les yeux écarquillés de Ron et d'Harry entre autres.

-Mais qu'est-ce qui t'es arrivée?! S'exclama Hermione en abandonnant son livre et son fauteuil.

-Je… Je suis tombée…

-Sans blague; grogna-t-elle en observant ma lèvre les sourcils froncés.

Elle sortit sa baguette.

-Au secours; murmurai-je en tentant un pas vers le canapé et Harry.

Celui-ci eut un petit sourire et se décala pour que j'atterrisse entre lui et Ron, l'instant d'après Hermione était devant moi et marmonnait un sortilège tandis qu'Harry refermait son exemplaire du Chicaneur et que Ron s'avalait une nouvelle chocogrenouille, les cadavres de plusieurs paquets reposaient en paix sur le bras gauche du canapé…

Après ma lèvre, Hermione s'occupa de mes genoux, puis de mes mains. Les plaies se refermèrent et ne resta bientôt plus qu'une chaleur désagréable à la surface de ma peau.

-Merci 'Mione, tu devrais être médicomage; chuchotai-je en m'enfonçant dans l'épaisseur de notre siège.

-Et toi; rétorqua-t-elle, tu devrais être en train de dormir!

-Mais il est même pas vingt-trois heures… dix-sept! S'offusqua Ron. Et demain c'est samedi!

Hermione grogna en retour, ce qui entraîna une petite joute verbale pas assez violente pour réveiller toute la tour Gryffondor, ni même assez violente pour m'empêcher de fermer les yeux et de m'endormir… Harry me réveilla lorsqu'ils eurent fini, puis nous montâmes nous coucher.

Je m'écroulai dans mon lit, fermai les yeux. Voldemort l'y avait obligé. J'en étais sûre.

Je sombrai dans le sommeil.

ooo0oOo0ooo

Nous fîmes nos devoirs durant une bonne partie de notre samedi, Ron grogna parce qu'il faisait beau et que nous étions cloîtrés à la bibliothèque, Hermione contrait en rappelant que c'était parce qu'ils avaient trop tardé qu'ils avaient autant de devoirs pour la semaine à venir, je repensais à la manière dont ma retenue s'était terminée, et Harry était préoccupé… par Slughorn… le souvenir qu'il devait obtenir de lui…

Au moment du dîner Ron grogna, pour ne pas changer, au sujet d'un bâtard graisseux qui donnait des retenues même le samedi! Neville hocha aussitôt la tête, Hermione les réprimanda, Ron insista, ils manquèrent de finir la soirée en s'envoyant de la purée dans la tête!

-Bon j'y vais, ne m'attendez pas!

-Etant donné que monsieur tient à veiller tard durant le weekend, il sera sûrement là à ton retour, grommela Hermione avant de croquer dans un cookie à la citrouille.

-Sûrement! Lança Ron le regard scintillant. A tout à l'heure!

-Bonne retenue; s'amusa Harry en me souriant.

-Pour une fois que ce n'est pas l'un d'entre vous; fit remarquer Hermione comme je remontais la grande table de Gryffondor.

Un minuscule sourire au coin des lèvres, je quittai la Grande Salle, marchai dans les couloirs pratiquement vides pour arriver au niveau des cachots où plus un seul élève ne s'aventurait la nuit venue.

Je toquai à la porte du bureau de Rogue, il m'ordonna d'entrer, et une fois que la porte fut refermée il m'intima de lire le chapitre 7 du manuel de potion placé près de lui.

Son visage était fermé, son regard sombre durci par la sévérité, il était rigide sur son siège. Je m'avançai, m'assis tout à sa gauche et ouvris le livre de cours. Rogue reprit ses corrections. Nous n'échangeâmes plus un mot. J'étais stupéfaite.

Deux heures plus tard et le chapitre sur les potions analgésiques lu, relu et apprit par cœur, Rogue me signifia que ma retenue était terminée. Je me levai… incertaine… Le maître des potions continuait ses corrections, sa plume grattait le parchemin, il ne faisait pas du tout attention à moi.

Comment… Pourquoi est-ce qu'il m'ignorait? Après ce qu'il m'avait fait la veille, ses menaces, sa violence, mon premier baiser qu'il m'avait volé, ma lèvre qu'il avait déchirée!

Je me détournai les poings serrés, m'éloignai vers la porte et j'avais déjà fait quatre pas, lorsque je me retournais brutalement. Rogue était toujours penché sur ses copies.

-Pourquoi est-ce que vous faîtes comme s'il ne s'était rien passé hier soir? Attaquai-je.

Rogue releva vaguement la tête, un sourcil haussé, narquois.

-Il ne s'est rien passé hier soir, Miss Lumare.

Il se moquait de moi. Puis il m'ordonna de retourner à mon dortoir.

Je ne bougeai pas d'un pied, le regard océan plein de tempêtes. Qu'est-ce qu'il pensait être en train de faire en osant nier ce qu'il avait osé commettre?

-Lumare…; m'avertit Rogue.

A cela je fis bien un pas, mais en avant, vers Rogue. Il se redressa dans son fauteuil et moi je comblai toute la distance qui nous avait séparés. Mon professeur de Défense resta immobile.

Je ne comprenais pas. Furieuse, j'en arrivais à son siège, une main agrippée à son dossier, l'autre au bord de son bureau.

-A quoi est-ce que vous jouez, professeur? Sifflai-je, tellement consciente d'avoir franchi les limites.

Il ne répondit pas, déposa seulement sa plume, avant que ses doigts rêches ne se déplacent vers les miens. J'eus un sursaut, il referma sa main sur mon poignet. Son pouce caressa ma peau.

Je savais… qu'il allait m'embrasser… qu'il allait se retourner et me retenir à son bureau, et m'obliger à me pencher vers lui. Alors lorsqu'il tourna la tête vers moi, je baissai la mienne et nos lèvres se rencontrèrent. Il eut une inspiration de surprise et je fermai les yeux.

Mon entaille brûlait encore de la veille mais sa bouche emprisonnait ma lèvre supérieure, doucement. L'instant fut comme piégé, lui aussi, comme dans une bulle de silence, hors du temps…

Puis Rogue se releva sans que nos bouches se séparent et me fit reculer vers le mur du fond. Je n'ouvris pas les paupières, le maître des potions ne fit rien de violent, sa main seulement se referma sur mon bras au lieu de mon poignet. Il me retenait plus proche de lui. Sa cape noire frôlait mes jambes… Quand nos lèvres se séparèrent, le nez tordu de Rogue vint se poser près du mien, son front contre le mien, quelques-unes de ses mèches graisseuses au contact de mes cheveux…

Une tempête d'appréhension me tordit le ventre et je cherchai quelque chose, dans son regard, s'il vous plaît! Mes yeux océan étaient grands ouverts à présent.

-C'est Voldemort qui vous l'a demandé, n'est-ce pas? C'est lui qui vous a demandé de me faire peur et… et de m'embrasser. Professeur?

Rogue se redressa et nos fronts se séparèrent. Je décelai parfaitement la brûlure dans son regard sombre…

-Non.

Je secouai la tête. Je ne voulais pas le croire! C'était faux. Ça devait être faux.

Il ne pouvait pas m'avoir menacé, m'avoir embrassée de force, seulement parce qu'il le voulait.

Rogue me retenait toujours par le bras et je ne remarquai que parce que ses traits s'étaient durcis qu'ils avaient été doux l'instant précédent.

-Je suis bien conscient; lâcha-t-il d'un ton amer, que vous n'avez jamais fantasmé faire quoi que ce soit avec le bâtard graisseux des cachots. Mais l'être humain peut s'habituer à n'importe quoi, soyez-en convaincue.

-Lâchez-moi; ordonnai-je crispée par le dégoût.

-Pour cette fois Lumare; susurra-t-il sachant pertinemment qu'il avait gagné.

Sa poigne se desserra sur mon bras et je me dégageai d'une secousse. Nous nous fîmes face. Rogue ne montrait plus qu'un rictus narquois.J'avais été tellement naïve de penser qu'il me protégerait de tout, de lui avoir fait si aveuglément confiance. Tellement naïve.

Je le repoussai et six pas plus tard, claquais de toutes mes forces la porte de son bureau.

Je rentrai à la tour Gryffondor, blême et bouleversée, pour y retrouver quelques cinquièmes années et Ronald ronflant avec un paquet de Bertie Crochue entre les mains. Un petit sourire m'échappa.

-Ron; murmurai-je en lui secouant l'épaule.

Il grommela vaguement quelque chose, sur le fait qu'il ne voulait pas dormir, mais me laissa le conduire jusqu'à la porte du dortoir des garçons. Ensuite il dut se retenir au mur.

Dans mon dortoir et la chambre de huit lits réservée aux sixièmes années, Hermione était plongée dans la lecture d'un vieux grimoire, Parvati et Lavande ronflaient à intervalles réguliers.

Ma meilleure amie releva sa tête touffue vers moi.

-Alors, comment s'est passée ta retenue? Chuchota-t-elle en me détaillant des pieds à la tête.

-… Je ne sais pas…

Je m'assis sur mon lit rouge et or, défis ma cravate, enlevai mon pull avant de me détourner pour prendre mon pyjama plié sous mon oreiller. Hermione me fixait toujours.

-Quelque chose ne va pas?

Si je lui disais, elle me croirait, Harry et Ron aussi, mais ils me pousseraient à défier Rogue, à refuser d'aller en retenue, à me plaindre auprès de Dumbledore et de McGonagall. Je serais protégée, je n'aurais plus à m'inquiéter du maître des potions, et tout ce poids sur mes épaules disparaîtrait… Mais Rogue me protégeait de Malfoy, de Voldemort et de mes parents. Et… et je crois que j'avais encore confiance en lui, il ne pouvait pas être mauvais. Pas lui…

-Khorine? Redemanda-t-elle en fronçant les sourcils

-Ca va… Je suis juste fatiguée, et Rogue agit un peu bizarrement. Mais ça va.

Je retirai mon pull et commençai à déboutonner ma chemise pour me mettre en pyjama. Hermione ne paraissait pas convaincue.

-Le professeur Rogue; ne put-elle s'empêcher de me reprendre, agit bizarrement?

-Il doit se passer quelque chose avec Malfoy.

Je finis de me déshabiller et de passer mon pyjama, puis me glissai sous mes draps, et comme dernières paroles Hermione prononça en éteignant la lumière:

-Oui, nous avons croisé le professeur Dumbledore en rentrant dans la salle commune. Il a dit que l'orage se rapprochait…

Je cauchemardai toute la nuit, à propos d'orage, d'hurlements de moldus, du sang partout, sur le pavé, s'écoulant entre deux petites pierres, du bout des doigts, du bras blanc de ma tante, d'entre ses lèvres. Ses yeux étaient vides, les mangemorts approchaient!

J'hurlai en me réveillant, les deux fois, les sortilèges de Silencio tinrent et je convulsai à l'abri des regards. Vers sept heures du matin, ne pouvant plus tenir, je m'extirpai de mes draps et vacillai, trempée de sueur, jusqu'à la salle de bain.

Nous travaillâmes à la bibliothèque le matin et Hermione et moi allâmes lire dans les gradins tandis que Ron, Harry et Ginny s'entraînaient au Quidditch.

Je sentais la brûlure des regards de Rogue durant les repas. Mais lorsque je tournais la tête vers lui, il fixait quelque chose d'autre, la table des Poufsouffle, celle des Serpentard.

En cours de Défenses contre les forces du mal, le lundi suivant, il agit exactement comme d'habitude, aussi partial, mauvais, sarcastique et blessant que d'habitude.

Je craignais la prochaine retenue qu'il me donnerait. Mais mercredi soir il me fit lire deux nouveaux chapitres de mon manuel de potions avant de me renvoyer sans rien tenter contre moi. La retenue d'après également, il n'y avait que les flammes dans ses yeux. Et lorsqu'une semaine plus tard il me retint par le poignet après une retenue, ce ne fut que pour le caresser brièvement, il me laissa me dégager et m'enfuir…

Plusieurs semaines passèrent et mon maître des potions pouvait me retenir après les cours, ou à la fin de ses retenues, ou au détour d'un couloir. Pourtant quoi qu'il tente, quel que soit le lieu ou l'endroit, j'avais une chance de lui échapper... souvent… Il lui arrivait de m'arracher un baiser, ou de me toucher, ou de caresser ma joue sans mon consentement, mais ces évènements étaient rares. Et j'étais consciente qu'il pouvait commettre bien pire.

Les mois de mars et d'avril filèrent entre nos doigts à tous.

Harry avait obtenu le souvenir de Slughorn.

Hermione et Ron avaient fini par se ranger à notre avis, et à soupçonner Malfoy de porter la marque des Ténèbres.

Neville s'occupait toujours aussi bien de son Mimbletonia.

Ginny m'avait révélé qu'elle était amoureuse d'Harry –ce qui n'était pas un scoop- et qu'ils allaient peut-être sortir ensemble.

Luna avait confectionné une maison à Smourgoulf avec des brindilles, l'avait installée quelque part dans la forêt Interdite et s'y rendait tous les soirs depuis près de deux semaines.

Lavande fixait toujours Ronald avec de grands yeux plein de larmes.

Dumbledore paraissait plus fatigué, sa main plus noircie que jamais.

L'anatase de mes parents n'avait pas encore brûlé mais très tard le soir, lorsque j'émergeais de mes cauchemars dans l'obscurité du dortoir, j'avais l'impression d'entendre les murmures des esprits emprisonnés.

Nous étions retournés plusieurs fois à Pré-au-Lard Harry, Hermione, Ron et moi surtout pour nos réapprovisionnements en chocogrenouilles, pâtes à citrouille, dragées surprises, bulles baveuses, plumes et parchemins. Hermione insistait à chaque fois pour que nous passions par la librairie du village.

Nous étions d'ailleurs confortablement installés dans le canapé de la salle commune, avec assez de friandises pour tout le mois, lorsque je me relevai.

-Encore tes retenues? Cette sale chauve-souris graisseuse ne perd rien pour attendre! Grommela Ron.

-Merci de ton soutien; me moquai-je avant de me détourner. Bonne nuit tout le monde!

Aux cachots, Rogue m'entraîna jusqu'à son laboratoire. Il fallait brasser un nouveau chaudron de Régénération sanguine. Je disposai sur ma paillasse des ailes de moustiques, un rein de strangulot, de la betterave sucrière et une vingtaine de sépales de digitale pourpre, puis commençai.

Rogue s'occupait d'une autre potion en face de moi, celle qu'il gardait continuellement sur le feu, son regard sombre me brûlait parfois mais je n'avais… pas peur… Il ne m'effrayait pas. Malgré tout ce qu'il pouvait me faire, j'avais confiance en lui.

Ma retenue dura deux heures et nous ne parlâmes presque pas. Quand ma potion fut finie, je la versai dans cinquante petites fioles, me retournai pour prendre de quoi les ranger, et Rogue se tint devant moi. Je sursautai. Cela ne l'empêcha pas de s'avancer, de me faire reculer jusqu'à ce que mes hanches se heurtent à la table, de me piéger entre lui et mon chaudron vide.

Son regard sombre m'examinait avec attention, sans sarcasme ou menace. C'était extrêmement troublant. Surtout que nos corps se frôlaient et que son grand nez en était presque à toucher le mien.

-Prenez une cape chaude pour votre prochaine retenue; ordonna Rogue une de ses mèches graisseuses pendant soudain entre nous.

-Pourquoi?

-C'est un ordre.

J'haussai un sourcil, attendant avec insolence qu'il développe.

-Vous verrez demain Gryffondor bornée; grogna-t-il en secouant la tête.

Je ne savais pas pourquoi, ces mots sonnaient presque affectueux, et je ne pus retenir mon petit sourire victorieux sachant que j'avais réussi à faire parler le grand Severus Rogue, terreur des cachots, chauve-souris graisseuse de Poudlard, mangemort repenti, espion pour la Lumière.

Ses doigts froids s'élevèrent jusqu'à mon menton et le relevèrent, dans un contact particulièrement étrange. Mon regard océan se confronta aux ténèbres du sien.

-Vous moqueriez-vous de votre professeur de Défenses contre les forces du mal, Miss Lumare? Demanda-t-il d'une voix rauque, son pouce s'élevant tout doucement pour caresser la commissure de mes lèvres.

Je retins sa main, le faisant cesser.

-Bien sûr que non professeur.

Rogue inspira, ses yeux se voilant durant quelques secondes, puis il s'écarta.

-Vous pouvez partir.

Il ne me vint même pas à l'idée de protester pour nettoyer mon chaudron ou ranger mes fioles. Je souhaitais juste me calmer. Une boule de chaleur naissait au creux de ma poitrine.

-Bonne nuit professeur Rogue; répondis-je, neutre, en m'écartant et quittant son laboratoire sans me retourner.

Je revins à la tour Gryffondor pour cauchemarder toute la nuit, passai un mardi apaisant avec mes amis et me présentai à vingt heures précises –une cape d'hiver sur les épaules- devant le bureau que le professeur Rogue gardait dans les cachots.

-Entrez; grogna-t-il de derrière la porte.

Il se trouvait derrière son bureau, à peine penché vers les copies qu'il rayait d'encre rouge. Deux paniers reposaient à sa gauche, à ma place.

-Nous allons dans la Forêt interdite; m'annonça Rogue d'un ton revêche. J'ai besoin de certains ingrédients.

Il releva son grand nez en étrave vers moi, puis percuta mon regard du sien empli de ténèbres.

-Bien professeur.

Rogue me chargea d'un des deux paniers et nous partîmes. Dehors. Le vent était frais. Le ciel était sombre et quelques étoiles seulement brillaient près de la lune ronde. Mes longs cheveux noirs ondulaient sous la brise, j'avançais au rythme des pas de mon professeur, je fermais les yeux en me fiant uniquement au froissement de l'herbe sous ses pas et sa cape. Elle claquait derrière lui lorsqu'il marchait dans Poudlard, ici elle flottait simplement, il marchait lentement pour être à ma vitesse à peine un pied devant moi. Nous cueillîmes de la belladone, de la sauge sclarée, récoltâmes de l'écorce de saule et de bouleau, une plante des marais dont je ne retins pas le nom, des sisymbres dans une gigantesque clairière, quelques champignons. Nous étions assez éloignés de Poudlard lorsque Rogue annonça que nous en avions assez.

Sur le chemin du retour, toujours silencieux, je surpris Rogue à observer les alentours, fronçant les sourcils dans l'obscurité. Mais il ne semblait pas inquiété par les créatures de la forêt…

Je pouvais distinguer la tour d'Astronomie par-dessus la cime des arbres, pourtant Rogue nous fit faire un détour. Il cherchait quelque chose…

Soudain, Rogue s'arrêta. Il y avait des carcasses de chevaux noirs qui marchaient devant nous. Ils soufflaient par les trous au-dessus de leur bec, une gigantesque paire d'ailes de chauve-souris repliées pour chacun dans le retins mon glapissement de deux mains contre ma bouche, mon panier s'écrasa sur l'herbe.

-Les voyez-vous?

Il lui suffit de tourner la tête vers moi pour en être convaincue. J'étais horrifiée.

-Ce sont des sombrals; murmura Rogue d'une manière anormalement douce. Seuls ceux qui ont fait face à la mort peuvent les voir.

-J'ai vu… ma tante; haletai-je de derrière mes mains…

Des larmes s'amoncelèrent dans mes yeux, elles rendaient les sombrals flous. Ma tante…

Harry n'avait pas menti, pour les sombrals, ils étaient… sombres… Seuls leurs yeux brillaient d'un blanc nacré dans toutes ces ténèbres.

Quelques-uns dormaient, il y avait des bébés, et d'autres créatures éveillées restaient immobiles devant nous. Je déglutis.

-Est-ce qu'on peut… s'approcher?

Il y eut comme un doux sourire sur le visage de Rogue, puis il déposa son panier de plantes et de champignons, pour murmurer:

-Suivez-moi.

Je ne l'avais jamais vu ainsi.

Nous sortîmes du couvert des arbres et Rogue marchait un pas devant moi, quelques Sombrals s'écartèrent, l'un d'eux garda ses sabots solidement ancrés au sol, piaffa dans notre direction.

-Doucement; murmura Rogue une main s'élevant avec lenteur.

Il posa le bout des doigts sur le bec noir de la créature et elle ferma ses yeux scintillant. Harry m'avait dit qu'ils étaient vitreux dans la journée…

Rogue caressa ses joues creuses, flatta l'encolure avec précaution, l'animal paraissait tellement rachitique… Pourtant, ces ailes qu'il entrouvrait, elles étaient puissantes, les muscles vibraient aux extrémités… Le sombral souffla profondément et donna un coup de bec dans l'épaule de Rogue pour l'embêter. Il grogna. Et j'eus l'impression que la longue queue du sombral s'agitait derrière lui.

-Venez Lumare, au lieu de sourire bêtement.

J'hésitai un bref instant, puis avançai d'un pas, d'un deuxième. La créature piaffa aussitôt, secouant la tête en ouvrant grand les ailes.

-Reculez, reculez; siffla Rogue.

Son bras était devant moi, il me protégeait en tentant de calmer le sombral.

-Ils sentent votre peur Lumare, si vous…

-Je n'ai pas peur; protestai-je.

La créature magique se calma, mais n'approcha pas, son regard luminescent fixé sur moi, droit sur mon cœur. Je ne comprenais pas. Elle n'avait pas fait cela avec Rogue et je…

-L'anatase? Demandai-je en fronçant les sourcils.

Il était possible après tout qu'un sombral ressente sa puissance, même sans la voir…

-Donnez-la moi.

Je détournai les yeux, incertaine. Non…

-Ils ne vous contacteront pas ce soir Lumare, alors donnez-moi la pierre; murmura Rogue en tendant la main.

-Non. Je ne peux pas…

Là j'avais peur, je ne devais pas quitter l'anatase. Et si c'était un piège de Rogue pour m'empêcher d'entrer en contact avec eux? Et si je me débarrassais de mon fardeau aussi facilement et ne parvenais plus à le reprendre?

-Croyez-moi lorsque je vous dis Lumare que vous sentirez, lorsque l'anatase s'ouvrira, la terre trembler, les esprits de l'ombre gronder et une vague de ténèbres parcourir la forêt.

La chevalière des Lumare brûlait à mon pouce. J'en avais le droit. Le droit de la poser un instant. J'en avais le droit… Ma main tremblait en se levant vers ma cape, en s'introduisant dans ma poche et en retirant la petite bourse en cuir de dragon qui renfermait la pierre.

Je la confiai à Rogue qui l'attacha à la branche d'un arbre plus loin. Ensuite il me fit approcher du sombral, me garda près de lui et amadoua la créature pour qu'elle me laisse la caresser. Au bout de quelques minutes elle frottait son bec contre ma main, mon épaule, soufflait par ses grands naseaux dans mes cheveux.

-Quel caractère; la moquai-je dans un murmure. Ah pas là!

Elle venait de passer son bec pointu le long de mes côtes… J'étais chatouilleuse… Et je préférais me coller un peu plus à Rogue que de subir la torture involontaire. C'était bien involontaire, non?

Le sombral releva la tête pour me regarder et je remarquai à peine le bras de Rogue autour de ma hanche. Il y avait quelque chose en lui de…

-Magnifique, tu es magnifique; chuchotai-je en lui caressant le bout du bec.

Rogue s'approcha alors, mais pour murmurer à l'oreille du sombral. Celui-ci étira aussitôt ses ailes et recula, pour avancer…

-Qu'est-ce que…

-Je pense qu'elle est prête; m'annonça Rogue les deux mains sur mes hanches.

-Attendez. Elle? C'est une femelle?

L'instant d'après Rogue me soulevait dans les airs et je me retrouvai sur le dos du sombral, agrippée à son épine dorsale et sa crinière.

-Oh Merlin!

Rogue m'y rejoignit et m'encercla de ses bras. Je n'eus pas le temps d'avoir une autre réaction avant que la créature magique ne s'élance dans les bois. Je m'accrochai de toutes mes forces, à l'avant-bras de Rogue, à la crinière du sombral.

-Merlin, Merlin, Merlin; murmurai-je en boucle les yeux grands ouverts alors que ses ailes s'étendaient et se mouvaient puissamment.

Le rocher! Trop près! Nous étions trop lourds! Mais le sombral se jeta dans le vide sans hésiter et ses ailes se déployèrent et le vent nous porta soudain si haut!

Nous dépassâmes bientôt la cime des arbres, et la petite rivière en contrebas, et j'éclatai de rire soufflée par l'extraordinaire paysage devant nous. La lune et les étoiles dans ces ténèbres profondes, si paisibles, cette lumière caressante, sélénienne, et les arbres noirs de la Forêt interdite qui s'éloignaient de nous. Les courants d'air nous portaient de plus en plus haut, mes cheveux ondulaient dans toutes les directions, le vent froid fouettait mon visage, et Rogue ne devait pas vraiment apprécier de derrière. Je sortis rapidement ma baguette et murmurai un sortilège de tressage pour dompter mes cheveux. Rogue ne m'en serra que plus fort et j'eus l'impression que ses lèvres avaient effleurées l'angle de ma mâchoire, je ne pouvais pas en être sûre… L'instant d'après le sombral redescendait en piqué vers la forêt. Je discernai un troupeau de centaures tout en bas et il y avait des tâches nacrées, des licornes, sous le couvert des arbres. Nous remontâmes encore et notre monture battit si fort des ailes que je manquai d'enfoncer mes ongles dans sa peau tendue, que Rogue me retint plus serrée contre lui.

Sa chaleur m'enveloppait et l'air était glacial autour, je me sentais bien.

Je me penchai en reconnaissant les énormes toiles d'araignées qui captaient la lumière.

-Nous sommes au-dessus du territoire d'Aragog!

-Un de vos amis, à n'en pas douter; se moqua Rogue en détournant la tête vers la forêt.

-Un des amis d'Hagrid. C'est une araignée géante.

Je frissonnai en me rappelant notre rencontre en deuxième année. Et puis le sombral vira à gauche et ce fut comme si les arbres de la Forêt interdite s'étaient subitement ouverts sur le Lac Noir.

On aurait dit des milliers de fragments de lune et d'étoiles sur les vagues mouvantes… Et Poudlard… Poudlard se dressait loin devant, géant de pierre et de magie, seules quelques fenêtres étaient encore illuminées.

Comme j'aimais cette école.

Mon cœur s'enveloppait d'un tourbillon de chaleur, intense et doux en même temps. Mes amis y étaient, mes meilleurs amis, et le professeur Dumbledore, le professeur McGonagall, Hagrid, le professeur Rogue…

Je tremblais.

Lorsque le sombral retrouva terre et qu'il me fallut descendre, j'avais les jambes flageolantes et je dus me retenir à elle. Les bras autour de son encolure, je frémissais, les larmes aux yeux. J'entendis Rogue sauter à terre, et s'éloigner.

-C'était magnifique tu sais, merci beaucoup. Je n'ai jamais vu d'aussi belle créature que toi; lui murmurai-je à l'oreille alors qu'elle soufflait doucement et reposait sa tête dans mon dos. La lune était… Et le Lac, Poudlard… Si tu savais combien… combien j'aime cette école…

Ma gorge se serra et j'enlaçai plus fort le sombral. Nous restâmes ainsi, immobiles, longtemps.

Je me sentais fatiguée et mélancolique sans aucune raison, je n'avais plus de force. Il fallait que je reste, juste là, juste un peu…

-Nul doute que vous finirez par vous transformer en plante verte à rester aussi immobile.

-Oh.

Je m'écartai du sombral, un petit sourire d'autodérision aux lèvres. Rogue à deux pas de moi portait les paniers d'ingrédients sur un seul bras et ma bourse de cuir dans sa main gauche.

Je devais la récupérer.

-Pourriez-vous me rendre l'anatase, s'il vous plaît?

C'est ce qu'il fit, sans la moindre remarque. Puis il se détourna dans un envol de cape et se dirigea vers le château… J'aurais voulu le remercier, lui dire que j'avais apprécié, que ce vol à dos de Sombral avait été extraordinaire… Mais je ne parvenais pas à parler. Mes lèvres restèrent closes, et je le suivis.

Je devais réfléchir, mon esprit avait trébuché, épuisé, je devais réussir à me relever, à trouver la force de continuer. C'était seulement si confus. Mais je ne savais pas ce qui l'était, la situation, Dumbledore, Malfoy, mes parents, Rogue… Rogue m'avait sauvé la vie et puis il m'avait forcé au silence alors qu'il pouvait m'arracher des baisers et me serrer dans ses bras. Il n'avait rien fait d'autre, rien de pire. Et il y avait cette émotion qu'il trahissait, toujours, même lorsqu'il m'avait menacée le premier soir, il y avait eu cette lueur dans ses yeux onyx, quelque chose que je ne comprenais pas.

Je trébuchai contre une racine. Sans tomber, je pressai le pas pour rattraper Rogue.

Je ne me sentais pas gênée en marchant avec lui, enveloppés comme nous l'étions dans ce silence.

C'était apaisant. Je ne pouvais pas creuser plus profondément en moi, chercher ce que je ressentais vraiment, ce que le maître des potions était pour moi, je savais que c'était dangereux, je savais que je ne pouvais pas y faire face. Pas maintenant.

Mes pensées se tournaient vers tout ce qui nous restait à accomplir Harry, Hermione, Ron et moi. La détermination assombrissait petit à petit mon regard océan. Et je restai plongée dans mes pensées tout le long du chemin jusqu'à Poudlard, et même lorsque nous traversâmes le hall d'entrée, les couloirs, les cachots, pour arriver jusqu'au bureau de Rogue.

Je restai à plusieurs pas derrière lui tandis qu'il examinait tous les végétaux et les champignons que nous avions cueillis.

-Acceptable; grogna-t-il dans un murmure, je m'occuperai de ces ingrédients, vous pouvez y aller Miss Lumare.

Professeur… J'avançai d'un pas et comme il ne se retournait pas, je pus m'approcher, je pus l'étreindre par derrière. Rogue eut un bref sursaut et puis s'immobilisa. Je sentais que sa respiration était bloquée. Alors, doucement, je laissai reposer mon front contre son dos…

-C'était une soirée exceptionnelle.

-Evidemment; rétorqua-t-il en se reprenant et en reniflant d'orgueil.

J'étais certaine qu'il y avait déjà un rictus d'autosatisfaction au coin de ses lèvres. Qu'est-ce que ce sorcier était irritant! Je resserrai plus fort mon étreinte pour le punir, et Rogue resta tout aussi immobile si ce n'était ses lèvres:

-Auriez-vous programmé de tuer votre professeur en l'étouffant?

-C'est une idée; répondis-je en défaisant ma poigne.

Je m'écartai et Rogue fit volte-face pour pouvoir me regarder. Les flammes brûlaient dans ses yeux même s'il essayait de le cacher avec son rictus. Le silence allait s'étendre, et mon cœur me faisait mal. Je grimaçai alors comme lui, avant de lancer:

-Bonne nuit professeur!

Et puis je quittai les cachots et mon maître des potions n'essaya de me retenir.

Oh Merlin…