Bonjour, bonsoir mes petits chats !

Alors celui-ci, il est pas du tout dans mes habitudes d'écriture ou de sujet, mais comme tout ce qui permet de sortir des sentiers battus, ça fait un bien fou de tenter un truc nouveau ! Un bon challenge des familles, que j'espère avoir pas trop massacré au passage (revenez lire l'intro une fois la fic finie, vous verrez, j'ai de l'humour XD).

Avant toute chose : je remercie du fond du coeur LiliCatAll, qui m'a fortement encouragé à aller dans la direction que je voulais prendre mais que j'osais pas prendre. Elle a très gentiment béta-lecturé mon tout premier jet pour ça, c'était absolument adorable (et l'univers sait que mon premier jet était pas topissime, la pauvre XD) ! Merci immensément – et du coup, j'espère que ça te plaira XD !

D'ailleurs, en dépit du thème peu usuel et du ton, j'espère que ça vous plaira à vous aussi (comme toujours, je vous réponds en fin de prochain chapitre) ! Et je vous souhaite donc une fort… bonne… lecture… Est-ce que j'ai vraiment le droit de dire ça considérant le thème XD ?

Allez, c'est Halloween à la fin du mois, on peut se dire qu'on dit bonne lecture même pour les démons !


Pour ceux qui tomberaient ici par hasard : cette fic fait partie de mon projet de Kinktober 2024, publié sur tout le mois d'Octobre 2024. Donc si vous appréciez le concept, hésitez pas à aller checker mon profil.


TRIGGER WARNING : Descriptions relativement graphiques de violence et blessures physiques. Meurtre. (Nan mais voila, j'annonce la couleur XD)


Chapitre 1 : « Plutôt crever. »

Les mots qu'il redoutait le plus tombèrent juste après le dîner, alors qu'il commençait à laver les bols et ustensiles dans l'eau gelée de montagne :

« Demain, j'irais chercher des provisions au village. » annonça Kannushi* Kirishima, serein et Katsuki se força à déglutir avant d'ouvrir la bouche :

« Bien. »

Ça ne servait à rien de discuter. Il avait essayé dès le troisième mois, mais toutes ses suppliques n'avaient pas entamé la décision de Kannushi Kirishima d'un iota, ni ébréché son sourire tranquille. « Il faut bien récupérer de la nourriture, prier pour les habitants de la vallée, mais il faut aussi que quelqu'un garde le sanctuaire. C'est quand même pour ça que j'ai accepté que tu me rejoignes. » avait-il expliqué, d'une voix pourtant douce, étalant plusieurs fois sa logique face à la panique sourde de Katsuki.

« Tu t'en sortiras ? » glissa Kannushi Kirishima, assez fin pour percevoir l'infime tension dans les épaules de son acolyte, qu'il savait d'ores et déjà fragile sur certains aspects. Après tout, c'était rare, qu'un héritier d'une grande famille de samouraï cherche le refuge dans la religion à un âge si tendre. Ça cachait forcément des fissures, quelque part.

« Bien sûr. » mentit Katsuki, ravalant un frisson qui préféra s'étaler sur sa nuque et le bol qu'il lavait lui échappa des mains.

Le feu ricana, derrière lui.


La silhouette de Kannushi Kirishima, harnachée de petits paniers et sacs en tout genre, vacilla en bas du chemin, sa chevelure une tâche rousse incongrue sur le blanc de la neige, et puis elle disparut, avalée par le relief. À son habitude, il était parti avant même que l'aube atteigne leur tout petit sanctuaire, perché au quasi-sommet d'une crête de montagne surplombant la vallée et le village niché au creux de cette dernière. Dans sa toute nouvelle solitude qui s'étalerait jusqu'au lendemain soir, Katsuki soupira, désabusé :

« Bon. » commença-t-il pour s'encourager et apaiser son rythme cardiaque un peu trop rapide à son goût. « Le bois, d'abord. »

Kannushi Kirishima disait que les habitudes saines formaient un esprit sain et suivant son précepte, Katsuki avait organisé ses journées autour de la méditation et des activités physiques nécessaires à la vie en solitaire dans la montagne. La priorité absolue, c'était la survie, bien entendu.

Il commença donc par fendre le bois, ranger soigneusement les bûchettes sous l'auvent construit à cet effet pour qu'elles sèchent, et prit sur lui pour ne pas jurer quand la pile qu'il venait de construire s'effondra sans raison aucune. À gestes presque mesurés, il la reconstruit méticuleusement, rangea sa hache qui refusa par deux fois de rester droite, posée contre le poteau.

« Tu es contrariante, ce matin. » commenta Katsuki dans une brave tentative de conserver sa sérénité, et le feu craqua dans son dos, pour agrémenter sa phrase. « Je t'ai rien demandé, toi. »

Un brusque coup de vent gonfla les flammes en guise de reproche ou de moquerie, le chassant de l'espace central du sanctuaire, où le foyer brûlait presque constamment. L'esprit définitivement trop angoissé, le blond s'attela au nettoyage de la salle de prière, respectant le programme habituel à la lettre. L'espace minuscule était déjà d'une propreté immaculée, mais il y avait de la sérénité à grappiller dans les allers-retours de tissu mouillé sur le parquet éculé, dans les gestes simples de soulever chaque boite, chaque soucoupe d'encens, de les nettoyer soigneusement avant de les reposer à leurs justes places. Une certaine satisfaction, même, de contempler le parquet impeccable dans l'odeur de pin et le calme de la pièce, où rien ne troublait le repos, jamais.

Dommage que Kannushi Kirishima refuse qu'ils dorment ici, par respect pour les dieux.

Mais son supérieur aurait considéré son apprentissage comme imparfait, s'il avait su que Katsuki y songeait seulement, et un bref pincement de culpabilité envers le roux le fit reconsidérer son emploi du temps.

« À esprit troublé, méditation assurée. » se récita Katsuki, blasé, et il s'installa en tailleur pour méditer dans le silence.

Qui n'en était pas tellement un, cela dit, avec les grincements du bois, les craquements du feu, les infimes tintements des grelots dans les cordes sacrées, les cris des oiseaux et des bêtes au-dehors, jusqu'à son propre souffle bien trop bruyant pour les lieux. Kannushi Kirishima lui aurait tapoté la jambe, pour lui rappeler de maîtriser son souffle. Il y avait une limite dans ce qu'il était capable d'endurer, cependant, et les exercices de respiration de son supérieur étaient trop lents pour lui. Pas assez efficaces.

À la place, avec une esquisse de sourire, Katsuki suivit ceux qu'il avait appris dans sa jeunesse, quand on lui enseignait le katana et le tir à l'arc. Dans une autre vie qui lui manquait à crever. Pourtant, la rudesse de son existence actuelle n'avait rien à envier à son passé, il se rappelait les ampoules sur les mains, les courbatures, l'épuisement, les crampes dans les bras à force de répéter inlassablement les mêmes gestes sous la houlette d'Aïzawa-senseï.

Mais il y avait aussi des rires, des rires à en avoir mal au ventre. Avec Shôto qui paraissait ne rien comprendre, jamais, et pourtant réussissait toujours à glisser un commentaire sarcastique au moment parfait, Denki et ses idées absurdes, qui avait plus d'une fois tiré Katsuki du sommeil pour lui demander de l'aide, dissimuler une connerie ou en faire une au contraire. Comme la fois où ils s'étaient glissé dans l'écurie pour nouer un fil de soie autour du fanon d'un cheval et faire boiter la pauvre bête. Dans le seul but de retarder le départ de la délégation de la famille voisine, parce que Katsuki voulait que… L'éclat du soleil dans des boucles vertes lui brûla l'âme, à l'instant où la structure en bois du sanctuaire gémissait autour de lui.

« Allez, ça suffit ! » cria le blond en se relevant d'un bond, un nœud concassé dans la gorge. De toute façon, la méditation, c'était un truc à maîtriser uniquement pour les prêtres shintoïstes confirmés, il n'était qu'acolyte, merde !

Et puisqu'il n'était qu'un acolyte, il avait parfaitement le droit de prendre un petit-déjeuner, même si neuf heures du matin n'étaient pas encore passées, n'est-ce pas ? Il s'arrogea donc le luxe de manger son premier repas assis au bord du sanctuaire, avec la vue crue de la vallée et des montagnes alentours, pile quand le soleil dépassait enfin la ligne de crête en face de lui.

Kannushi Kirishima disait que la beauté de la nature était un don, que l'on devait la révérer comme l'air qu'on respirait. Bon. Katsuki se força donc à observer le paysage embrumé, enneigé, endormi et pourtant bruissant d'activité pour qui savait arrêter les yeux là où il fallait. Un bruissement d'ailes pour un oiseau invisible sur la neige, un léger flou quand un renard passait à la lisière de la forêt, même le simple retroussement de la lumière, en train de grignoter la pente raide de la montagne.

Et à l'orée de l'ombre laissé par la course du soleil, une silhouette de brume, au regard de braise qui rougeoyait en dépit de la distance, le dévisagea soudainement avant de s'évanouir dans le vent.

« Non. » refusa Katsuki, la bouche sèche d'angoisse.

Si, s'amusa le feu à côté, craquant joyeusement.

Deux heures après le coucher du soleil, Katsuki dût se rendre à l'évidence : il n'avait plus rien à faire.

Il avait fendu assez de bois pour deux semaines, s'était lavé en serrant les dents face à la température polaire du ruisseau, avait reprisé tous ses habits, même ceux de Kannushi Kirishima. Puis il avait lavé l'entièreté de la vaisselle, réparé ce qui devait l'être, ce qui pouvait l'être, et même taillé un nouveau manche pour la hache fatiguée de tant d'effort. Il s'était même tapé, dans un effort surhumain, deux autres sessions de méditation et de prières, incapable de retrouver dans la litanie de mot la sérénité habituelle.

En désespoir de cause, le blond mit une heure entière pour faire réchauffer son repas, étirant chaque tâche en une éternité méticuleuse, mais le temps ne s'arrête pas, et la nuit avait gagné, recouvrant montagne et sanctuaire. Et Katsuki voyait la lune se lever, lui rappeler qu'il allait bien devoir aller se coucher à un moment, laisser le champ libre à l'absence de lumière et de sécurité relative. Avec un grognement, il hésita, mains sur les hanches, devant les lueurs du feu et la danse de sa propre ombre sur le mur.

Une troisième séance de méditation, peut-être ?

« Quitte à faire… Je ne suis plus à ça près... »

Il alimenta plus que nécessaire le feu – une faiblesse humaine, lui aurait dit son supérieur, capable de passer sa soirée juste éclairé d'une minuscule bougie, à profiter de la nuit. Katsuki l'enviait viscéralement de pouvoir trouver du réconfort dans l'obscurité, quand sa nuit à lui engendrait un monstre. Y penser fit flamboyer le feu et le figea de peur, dans l'attente d'un mouvement des ombres. Mais rien, bien évidemment. Au bout d'une longue minute, le calme trompeur de la pièce dénoua assez de tension pour qu'il s'agenouille face au foyer, la chaleur des flammes lui mordant la peau découverte par son épais kimono.

« Je vais finir par devenir cinglé... »

Bon. Les exercices de respiration de son enfance, donc.

Ce qui était une connerie sans nom, que de simplement évoquer l'idée de son enfance, vu les circonstances, mais rien ne marchait à part ça. Il inspira profondément, compta mentalement les secondes jusqu'à ce qu'il soit temps de retenir sa respiration – Aïzawa-senseï expliquait à chaque fois qu'il fallait être ouvert autant qu'être immobile, laisser le monde venir à soi au lieu de se précipiter à sa rencontre.

Dans le crépitement du feu, redevenu simple bruissement, il y eut un accroc, puis un deuxième, et aussi subitement qu'un cri, une seconde respiration se mêla à la sienne. Katsuki sentit une colère à hurler glacer son être avant même qu'il accepte mentalement la réalité de cette respiration, une colère qui maintient son immobilité plus fermement que n'importe quelle chaîne. Il entendit parfaitement la légère accélération dans le souffle étranger à sa droite, lequel le tendit dans l'attente de la moquerie posée qui allait immanquablement suivre :

« Pas très accueillant. »

Un, deux, trois, quatre, cinq, expirer lentement, le plus longtemps possible, en se concentrant sur le flux d'air quittant ses poumons, sur la circulation de son sang. Ne surtout pas penser à… au… à autre chose.

« Même si ça reste mieux que des prières et des sortilèges de protection, j'admets bien volontiers. »

Une fois les poumons bloqués et le corps entré dans cet état de grâce où l'absence de mouvement devient sereine, compter cinq, respirer à nouveau. Profondément, en prenant son temps. Combattre l'instinct de survie qui exigeait d'inspirer le plus vite possible, au risque de créer un vertige potentiellement fatal en plein affrontement.

« C'est mignon, tu sais. Et presque flatteur, de te voir m'attendre avec tant de… soin. »

Poumons remplis, s'arrêter cinq secondes pour habituer le corps à ne plus faire la différence entre absence d'air et présence de celui-ci, pour être capable de se mouvoir quelle que soit la situation. Dérouler la sérénité jusqu'aux extrémités de son esprit, s'y baigner sans s'y noyer, être attentif aux moindres mouvements de son adversaire et y dénicher une faille. Expirer lentement, le plus longtemps possible, en se concen...

« Cela dit… Pas aussi mignon que ton jeu d'acteur de parfait petit apprenti moine. « Oui, maître », « bien, maître », l'image même de la patience, du sérieux, du dévouement. Petit hypocrite. »

La mécanique s'enraya sous la flambée de haine qui remonta le long de la gorge de Katsuki et il rouvrit les yeux. Un réflexe presque désespéré lui garda le regard fixé droit devant lui, ignorant l'homme apparu par magie à sa droite dont il ne fallait surtout pas croiser les prunelles incendiées de rage. Trop similaires aux siennes, finalement.

« Dire que tu es un guerrier, à la base… Avec des capacités prodigieuses, en plus, mais t'es allé te perdre là, au beau milieu du néant. Tu es désespérant. »

En dépit de ses précautions, le mouvement de main à côté de Katsuki envoya un bref éclat métallique dans son champ de vision, à la jonction entre une peau humaine normale et une cicatrice profonde née d'une brûle qu'aucun être humain n'aurait pu survivre. C'était l'aspect de ses mains, recousues de morceaux de fer enfoncés à même la peau, qui avait indiqué à Katsuki lors de la première rencontre que l'être en face de lui n'appartenait pas à ce monde. Ça, et l'éclat surnaturel dans ses yeux.

« Dire que tu pourrais être un seigneur, si tu réussissais à te ressaisir… Besoin d'aide ? Un coup de main, peut-être, de la part de ton serviteur ci-présent ? »

La voix se fit plus amusée en le voyant se contracter dès les premiers mots pour mieux les encaisser. Malgré lui, Katsuki remarqua qu'une touche de chaleur se glissait dans la menace, et avec horreur, réalisa dans la foulée que s'il était capable de discerner une telle nuance, c'est que la voix lui devenait familière.

« Si tu veux pas de mon aide, t'inquiète pas, je trouverai bien de quoi m'occuper ailleurs. Le monde fourmille de tas et de tas de gens malheureux. Des mères désespérées de retrouver leurs enfants, des nobles au bord de la faillite, des vieillards en quête d'absolution. Des hommes malheureux dans leurs mariages... »

Katsuki tourna la tête si vite qu'il entendit son cou craquer au moment où l'homme lui souriait, apparemment ravi de se faire dévisager par l'envie de meurtre dans le regard du blond. Le sourire en face de ce dernier s'étendait jusque dans les poinçons de fer sur les joues, éclairant les canines d'une lueur métallique malsaine qui s'enfonça dans les entrailles de Katsuki en attisant le besoin viscéral de lui sauter à la gorge, de le tuer sur place. La simple idée que ce connard ose évoquer… ose évoquer ce qui ne devait jamais être évoqué le rendait malade de colère.

« Tu crois que ça l'intéresserait, de… »

Vif comme l'éclair, son instinct de combattant lui plongea la main dans le feu pour y saisir un brandon, l'envoya à pleine volée dans le visage de l'homme dont les contours s'effacèrent en un battement de cœur – bien avant que le bâton enflammé l'effleure. Katsuki lâcha le tison avec un juron, la paume de la main cloquée de sa colère autant que des braises, maudissant sa connerie.

Il n'y avait pas plus ignifuge qu'un démon, après tout, et Dabi ne faisait pas exception.


« Je croyais qu'on avait dépassé ce stade. » soupira Dabi, dans le noir de la pièce de vie où Katsuki s'était allongé tout habillé sur sa natte, la main proche du feu pour y attraper une arme au cas où. « Tu as conscience que tu ne peux rien me faire ? »

Katsuki conserva la bouche obstinément close, le regard fixé sur les mouvements des flammes devant lui pour éviter de trop penser au poids qui venait de se laisser tomber dans son dos, collé à lui. La chaleur surnaturelle de Dabi le brûla immédiatement à travers le coton épais, s'infiltrant le long de ses vertèbres, bien plus agréable que le feu juste devant.

« Entêté. »

Katsuki ne put s'empêcher de lâcher un ricanement, tant c'était culotté de la part du démon de se permettre un commentaire pareil alors qu'il ne cessait de venir le hanter chaque mois avec une ponctualité irréprochable. Et ce en dépit des refus systématiques de sa part. Il regretta immédiatement sa réaction en sentant Dabi se pencher sur lui avec un sourire :

« Je savais bien que t'allais finir par te dégeler. »

Pour toute réponse, Katsuki renifla de dédain, se renfonça dans sa mauvaise humeur obstinée en guise de bouclier. Il manquerait plus que ça, qu'il consente à se dégeler alors que l'autre l'emmerdait tous les putains de mois et pas uniquement quand Kannushi Kirishima partait. Dabi se faufilait dans chaque maladresse, chaque hématome et autres blessures du quotidien, il le savait. Il avait bien assez de cicatrices et plaies pour le prouver.

« Ah, me dis pas que tu m'en veux pour ça ? C'est pas de ma faute, aussi, t'es adorable à t'énerver comme ça à chaque fois que tu te cognes quelque part. »

Kannushi Kirishima ne le trouvait pas adorable du tout, lui, quand Katsuki explosait en jurons et insultes dignes d'un garçon d'écurie – il avait enseigné ses meilleures trouvailles à Denki, d'ailleurs. Indignes d'un vrai prêtre shintoïste.

« C'est normal, il sait pas s'amuser, ton maître. Personne a jamais réussi à le corrompre. »

Délicatement, presque distraitement, l'index de Dabi redessina la nuque de Katsuki, léger à en être immatériel sur sa peau, suffisamment proche pour que la température du démon le brûle. Il ne savait pas ce qui le répugnait le plus : le contact, la capacité de déchiffrer ses pensées ou le rappel subtil que contrairement à son supérieur, il était facilement corruptible.

« Tu boudes ? »

Katsuki se releva d'un bond, incapable de rester immobile et collé contre le démon en le laissant le recouvrir de sa voix. S'il ne connaissait pas la dangerosité de la montagne, particulièrement l'hiver et encore plus la nuit, il se serait enfui en courant jusqu'à mettre un minimum de deux heures de course entre lui et Dabi, mais il était coincé. Coincé dans un bâtiment grand comme trois pièces, seul dans la nuit qui l'offrait à ses démons – enfin, à un seul, mais c'était amplement suffisant vu le vice de celui-ci.

« Je me fais chier à venir te voir chaque mois et à peine arrivé, tu veux déjà t'enfuir ? »

Il tenta d'expirer lentement, s'accrochant à tout et n'importe quoi dans l'espoir d'éviter à la colère de déborder de sa bouche : le bois gelé sous ses pieds, la morsure du feu contre lui, le vent mugissant dehors pour lui rappeler qu'il était en vie, qu'il avait le choix de ne pas répondre, d'ignorer et...

« Bon, ben je vais aller voir quelqu'un d'autre alors... »

« N'y pense même pas ! » hurla Katsuki en se tournant vers lui si violemment qu'il faillit presque faire sursauter Dabi. Presque. À la place, le démon le dévisagea dans une expression proche du ravissement, ou de la gourmandise, s'attardant plus que de raison sur la manière dont le col de Katsuki bâillait.

Le peu de gêne que ce dernier en éprouva se transforma immédiatement en colère supplémentaire, la façon dont Dabi redessina son corps des yeux l'agaçant si prodigieusement qu'il ne prit même pas la peine de rajuster son col. Il le savait, pourtant, que le défi était irrésistible pour Dabi, friandise suprême, mais il continua de le défier du regard, moue de colère sur le visage jusqu'à ce que l'autre se lève dans un mouvement trop vif pour être humain. Sans ciller une fois, il le rejoignit en trois pas lents, approchant sa chaleur au point que Katsuki sente sa peau surchauffer, à quelques centimètres du monstre. Ce qui ne l'empêcha pas de ne pas bouger d'un millimètre, par pure bravache.

« Je t'interdis d'aller le voir ! »

« Dire que mes collègues ne me croient pas quand je leur parle d'un humain avec assez de culot pour oser donner des ordres à un démon. »

« Ils doivent croiser des humains pathétiques, tes collègues ! » siffla Katsuki en relevant le menton, dévoilant dans le même mouvement ses dents en une menace primitive d'autant plus ridicule qu'en dépit de sa taille respectable, Dabi le dépassait d'un bon quinze centimètres. Qu'il soit certain que le démon remodelait son apparence exprès pour le faire chier n'y changeait rien.

« Mmm... Je dirais plutôt l'inverse. »

« L'inverse ? » releva le blond sans réussir à s'en empêcher. Maudite soit sa curiosité et l'adresse de Dabi à appuyer pile où il fallait pour le sortir de son indifférence.

Irréellement rapide dans ce qui était un bref aperçu de sa réelle nature, Dabi entoura son visage de ses mains, calant sa rage au creux de ses paumes vallonnées de cicatrices en une alternance de touche de glace au milieu de la chaleur de sa peau. Malgré l'aspect rebutant de sa peau, le contact était doux, la caresse enivrante, et Katsuki se haït d'apprécier autant que quelqu'un le touche de la sorte. Sans doute parce qu'une éternité au moins s'était écoulé depuis qu'on l'avait touché aussi délicatement, presque avec tendresse, et que pour tout aspirant moine qu'il était, il était encore trop humain pour ne pas l'apprécier.

« Je serais plus enclin à dire que contrairement à eux, j'ai de la chance d'avoir déniché un humain comme toi. »

« Ça marche pas, la flatterie, avec moi. Et lâche-moi. »

Le sourire s'agrandit un peu plus en se penchant sur lui, métal brûlant et souffle glacé sur les lèvres de Katsuki, dont l'âme se tordit d'envie à la simple idée que seul un centimètre les séparait. Il aurait presque pu avoir son goût sur la langue, là où le murmure de Dabi se déposa avec une douceur violente, si léger que les mots se dissolurent aussitôt dans la nuit :

« Tu sais que je l'ai vu ? »

« Tais-toi ! » hurla Katsuki, presque surpris du côté rauque de son cri tant il se chargeait de soufre.

Dabi le jaugea un instant, et le blond sut immédiatement qu'il évaluait la meilleure manière de l'énerver davantage. Ce qui bien entendu, l'énerva davantage :

« Arrête ! »

« Quoi encore ? »

« Arrête de m'analyser et fous le camp ! »

« Mais je ne fais rien... »

Il agrippa la tunique du démon et faillit la déchirer dans le mouvement, mettant assez de force pour faire vaciller Dabi, à sa grande satisfaction.

« Je t'ai dis d'arrêter ! Et de dégager ! »

« Mm, me voila terrifié. » commenta le démon, effleurant du bout des doigts la joue de Katsuki et celui-ci sentit sa peau s'hérisser d'une envie de plus. Instinctivement, il tourna la tête vers la main pour prolonger le contact en se maudissant de ne pas réussir à étouffer cette envie, toute surnaturelle soit-elle. « Tu me brises le cœur, tu veux vraiment que je m'en aille ? »

« Loin ! Dégage ! Fous-moi la paix ! »

« Mon menteur adoré. » ronronna le démon, sa main crochetant la nuque de Katsuki en savourant le frisson né de ce simple geste. Il était trop proche, trop présent pour que le blond puisse encore se rappeler qu'il existait un monde autre que le démon. « Alors que tu crèves d'envie de me demander de te le ramener. »

« Personne peut me le ramener, connard ! »

« Tant qu'il est pas mort, tout est possible. »

« Pas ça ! »

« Tu veux tenter ta chance, petite chose ? Imagine, » et Dabi posa son front contre le sien dans un geste qui rendit Katsuki malade d'envie et de dégoût en même temps. Ça, plus la prise sur sa nuque, ça l'empêchait de devoir songer à s'il s'écarterait réellement une fois que Dabi lui en laisserait la possibilité. Il n'était pas sûr de la réponse. « Imagine, je te laisse ce soir et je passe le mois suivant à le hanter, jusqu'à pouvoir l'enlever sans même qu'il s'en rende compte. Sans même qu'il proteste. Et je te le dépose là, au seuil de ton temple de merde. »

« Plutôt crever ! » siffla Katsuki, crocs dénudés sur une esquisse de morsure qu'il n'acheva jamais.

« Ça peut s'arranger, ça. » l'embrassa Dabi, chaud de ses flammes et froid de tout son fer, une fraction de seconde avant qu'un affreux craquement dans le feu dissipe sa présence aussi soudainement que le vent efface des traces de pas sur le sable.


Le silence dans la nuit tendit Katsuki plus que la présence de Dabi, qu'il sentait pourtant à la lisière de sa vision, de son esprit, tapi dans la moindre ombre comme une marche dissimulée dans le noir, prêt à se régaler de sa détresse. Non. Occupé à se délecter de sa peur, plus exactement, parce que le blond était tout bonnement terrorisé. Trois fois qu'il avait vu le démon, en trois mois, trois nuits de tourment et de rage à laminer tous ses efforts de se construire un quotidien serein pour se reconstruire, et jamais Dabi ne l'avait menacé aussi directement.

Plutôt crever.

Ça peut s'arranger, ça.

Un craquement à l'extérieur de la pièce le redressa d'un bond, en nage de froid malgré la chaleur du feu, le cœur dans la bouche tant il battait fort. Et que rien ni personne ne bouge jusqu'à ce qu'il baisse légèrement sa garde n'arrangea pas sa peur, ni la tension dans ses nerfs, persuadé que Dabi allait surgir derrière lui ou lui tomber dessus du plafond – mais non, celui-ci était vide de tout, hormis de ses propres angoisses.

Qui était-il, pour combattre un démon ? Un démon capable de se faufiler dans chaque interstice de vie pour y répandre maladresse, blessure et noirceur ? Un démon capable de disparaître en un souffle, de se rire des flammes et se jouer de toutes les règles naturelles, protégé par ses propres pouvoirs magiques ?

Personne. Juste un pauvre samouraï en devenir qui avait tout abandonné pour se faire apprenti prêtre. Que dirait Kannushi Kirishima, en retrouvant son cadavre dans le sanctuaire le lendemain soir ? Serait-il fâché de le voir arme en main, lui qui était censé avoir renoncé aux instincts de violence ? Ou aurait-il des remords de voir qu'il avait abandonné son élève à quelque chose qui les dépassait l'un et l'autre, visiblement ?

« Avec ma chance, il est tellement avancé sur le chemin spirituel qu'il va bien trouver moyen de rattraper mon âme et de la purifier dans la foulée ! » grommela Katsuki à la nuit, au-dehors, qu'il menaçait toujours de sa pauvre hache dans l'espoir de voir enfin la silhouette du démon se dessiner.

Mais Dabi ne revient pas. Ni cette heure, ni la suivante, laissant Katsuki dans une terreur qui frôla la folie et il finit par se réfugier, la mort dans l'âme, dans la salle de prière. Mains refermées sur le pied de bois d'un des petits autels, suppliant jusqu'à en avoir la gorge sèche une protection qu'aucun dieu ne pouvait lui accorder. Et que l'incorruptible maître qui était le sien aille se faire foutre s'il n'était pas d'accord pour que son élève dorme là. Il n'allait pas survivre sans être un minimum protégé par les prières que chaque prêtre avait murmurées avant même sa naissance, accumulées là depuis des années.

C'est là que Kirishima le découvrit en revenant, peu après le coucher du soleil le lendemain, mort d'inquiétude de ne pas voir de feu dans la pièce principale. Katsuki n'avait pas eu le courage d'alimenter correctement le foyer, vu qu'il n'était sorti de la salle de prière qu'à quelques occasions fort courtes, juste de quoi satisfaire un besoin naturel ou boire, avant de revenir se calfeutrer au pied de l'autel qu'il avait choisi comme tanière.

« Katsuki… » l'interpella son supérieur, inquiet et mécontent de ce qu'il retrouvait. Un seul regard sur le visage mâchuré du blond le fit s'accroupir en face de lui, soucieux. « Ça ne s'est pas bien passé, donc. »

« En effet. » croassa Katsuki, gorge rauque, comme s'il avait trop hurlé – alors qu'il n'avait pas émis une seule syllabe depuis la veille.

« Tu veux en parler ? »

Ben voyons. Comment expliquer la douleur en forme d'hématome, sur son âme, à l'endroit sur lequel Dabi appuyait sans cesse ? Comment évoquer la terreur que le démon nichait dans chaque son, chaque frôlement, dans tous ces instants de possibilités ou de suspension dans le temps, capable de rendre cinglé si l'on s'y attardait ? Et par-dessus tout, comment simplement parler d'un démon à un homme si bon, si droit que sa seule présence interdisait à Dabi ne serait-ce que de penser à se matérialiser dans leur monde ?

Katsuki secoua la tête, épuisé par avance à la simple idée de devoir prononcer le nom de Dabi à voix haute – une faute qu'il n'aurait jamais dû réaliser dans l'enceinte sacrée du sanctuaire, pour commencer.

« Comme tu le souhaites, mais je reste là si tu as besoin. Et tu sais ce que j'en dis : À esprit troublé... » lui indiqua le roux, s'efforçant d'être serein et faisant mine d'ignorer le grognement dépité de son élève.

Et en plus, il allait devoir se taper de la méditation.


Kannushi : Un kannushi est la personne responsable de l'entretien d'un sanctuaire shintoïste, ainsi que du culte d'un kami (dieu) en particulier. Peut aussi être appelé Shinshoku, mais j'ai trouvé mims de faire une répétition en K vu qu'il s'agissait de Kirishima .