Mercredi matin. 10h30.
Attablée autour d'un café au bord des canaux sétois, Candice écoutait attentivement les informations récupérées par Atger. Gabin Mauriac, 37 ans, travailleur actif au sein d'une agence de voyage située à quelques pas de l'école Ferdinand Buisson. Jusqu'ici, rien de bien inquiétant donc…
«Et on sait pourquoi il est venu s'installer ici?
- Pas vraiment… Mais il a beaucoup bougé. Mérignac, Grenoble, Clermont-Ferrand…
- Il a pas de famille?
- C'est là que ça se complique… En fait, il a vécu en foyer jusqu'à ses 18 ans. Gosse compliqué, sur son casier y a mention de vols, détérioration de biens, trafics… En 2015, il s'est marié. Ça a duré 3 ans, avec une certaine Nadia, avec qui il a eu une fille mais, elle a demandé le divorce 6 mois après sa naissance.
- On sait pourquoi?
- Elle l'a accusé de violence… Elle avait peur pour la petite…
- Elle a porté plainte?
- Oui mais classé sans suite. Les enquêteurs disent qu'il y avait pas assez de charges pour l'inculper et le mec s'est toujours déclaré innocent.
- Super… souffla-t-elle. Donc si ça se trouve, le mec a fait une fixette sur une maîtresse de l'école et il l'épie h24…
- Ça je ne peux pas te dire…»
Candice remercia Val, légèrement embrouillée par cette histoire qui prenait une tournure qu'elle n'aimait pas vraiment. Ajouter l'étiquette «violent» à ce type était désormais une source d'inquiétude pour la blonde qui réfléchissait activement à comment pénétrer son antre en toute légalité…
«Charlie?! s'empressa-t-elle de demander derrière son portable.
- Oui?!
- Tu vois l'agence de voyages, juste au-dessus de la rue des écoles? Gabin bosse là-bas. Tu m'y rejoins?»
Et moins d'une heure plus tard, les deux se trouvaient devant le bâtiment, juste avant la coupure méridienne. Depuis leur véhicule, chaque aller et venue était scrutée. Mais il ne fallait pas être repérée. Pas après avoir investi les couloirs de l'école quelques heures plus tôt. Si jamais l'homme les avait aperçues depuis son objectif, la suite de l'enquête en serait altérée…
«On fait quoi?
- On attend et on avise, déclara Candice d'une voix suspicieuse»
Et une bonne demi-heure plus tard, leur suspect sortit de l'agence, vélo en main. Il salua sa collègue d'un geste amical; «À demain Maude!», entendirent-elles. Les deux se jetèrent un regard, complices. L'agence allait fermer à 12h, Gabin m'y retournerait pas. Il ne suffisait donc que de revenir à la réouverture et prendre la température.
...
14h. Candice et son acolyte poussèrent la porte de l'agence avec détermination. Elles réceptionnèrent un chaleureux bonjour et s'approchèrent d'un comptoir où la fameuse Maude attendait sagement.
«Bonjour, sourit Candice. Euh, en fait, je voulais quelques renseignements concernant un projet de voyage.
- Bien sûr! Vous avez une idée de la destination?
- Euh pas précisément non. Mais avec mon mari, on aimerait quelque chose d'exotique. On avait pensé aux Caraïbes.
- Je note! Plutôt circuit ou voyage détente?
- Détente… sourit Candice avant de se cramponner au comptoir.
- Ça va? intervint Charlie.
- Euh je… Je me sens pas très bien...»
Paniquée, la grande brune fit claquer ses talons sur le sol et approcha Candice d'une chaise sur laquelle la blonde s'affala. La comédie avait donc commencé et Charlie s'en languissait, entrant elle aussi, dans cette partition amusante. Et puisque tout était calculé, elle trônait désormais devant le bureau de Gabin, approchant ses yeux des moindres détails posés sur son bureau.
«Je vais utiliser l'ordi de mon collègue.
- Merci… acquiesça Candice en s'essuyant le visage.
- Détente aux Caraïbes on a dit donc?
- C'est ça… confirma-t-elle alors qu'elle ouvrait son calepin pour y noter des informations.
- Une idée de la période?
- Février prochain?
- Bien. Ce que je vous propose c'est que je fasse plusieurs devis et qu'on en rediscute par la suite? Je veux pas vous retenir plus longtemps, vous semblez fatiguée…
- Ok, merci… accepta-t-elle.
- Vous pouvez simplement me donner les noms/prénoms et date de naissance des participants, s'il-vous-plaît? J'en ai besoin pour les simulations de devis.
Candice déglutit, se souvenant qu'elle avait menti depuis le début et qu'il ne fallait pas se tromper.
- On sera 3 alors…
- Votre mari donc ?
- Oui! Antoine Dumas, né le 17 mai 1976.
- Ah! C'est bientôt son anniversaire alors, constata la brune en avisant la date du 4 mai.
- Oui, sourit Candice. Et il y aura aussi notre fille, continua-t-elle aux côtés de Charlie qui faisait les gros yeux. Charlotte Dumas, 22 mars 2002.
- Très bien.
- Et moi, Candice Dumas, 15 février 1971.
- Bien. J'aurais besoin de votre adresse mail aussi, demanda-t-elle en tendant un stylo.
- Voilà!
- Parfait! Je vais imprimer ça et faire une photocopie de ce que vous me demandez pour ouvrir un dossier et je reviens. »
Une aubaine… soufflait intérieurement Candice qui attendit que la brune ne quitte la pièce pour se saisir des feuilles détachées sur le côté. Rapidement, Charlie sortit son portable et immortalisa son bureau alors que les talons claquaient à nouveau. Les deux remercièrent l'agent de voyage qui annonçait presque déjà commencer à plancher sur leur projet.
Dehors, Charlie souriait malicieusement face à sa collègue qui triomphait.
«Je savais pas que vous m'aviez adopté avec Antoine… s'amusa-t-elle.
- Oui bon ça va! J'ai pas eu le choix… Puis comme ça, elle a pas nos vrais noms…
- Nan c'était malin… Surtout le coup du malaise…
- Ça marche à tous les coups!»
...
À Paris, Antoine faisait désormais les cent pas dans ce couloir silencieux et froid. Téléphone en main, l'agacement se lisait sur son visage. Son ex… Encore et toujours… Et cette fois, elle avait réussi à bien l'énerver. C'était simple, Antoine ne supportait plus son nom, ni sa voix… Un cri de rage étouffé résonna subitement, laissant un commissaire furax raccrocher. Et quand il était dans cet état, ce n'était pas bon signe… Et dans son élan, il eut le malheur de reprendre son portable et tapoter sur son écran.
Derrière son bureau, Candice analysait désormais les photos prises par Charlie. Et comme un signe de la providence, la jeune avait réussi à prendre son emploi du temps. Chose inespérée… se satisfit Candice alors que son téléphone bipait dans sa poche. Elle avisa la photo d'Antoine sur son écran et arpenta un joli sourire en annonçant sortir pour décrocher. La blonde dévala les escaliers et appuya sur le bouton vert.
«Allo? lança-t-elle mielleusement.
- Euh ouais, commença Antoine sans amabilité. Jennifer vient de m'appeler complètement énervée là. C'est quoi cette histoire d'école?
Elle roula des yeux, agacée.
- J'attendais que tu rentres pour t'en parler mais visiblement, je crois que j'ai pas le choix de le faire maintenant…
- Me parler de quoi?
- J'y étais pour le boulot! C'est tout!
- Sauf qu'elle est furax que tu sois venue approcher Suzanne comme ça.
- Ah ok?! On en est carrément là maintenant?!
- Elle est dans sa période parano, qu'est-ce que tu veux que j'y fasse?
- D'accord. Donc au lieu de régler le problème en interne, tu m'appelles pour m'engueuler, c'est ça?!
- Non. Je t'appelle pour comprendre. C'est différent.
- Alors si tu veux tout savoir, la directrice d'école m'a contacté pour que je me renseigne sur un type du quartier qu'elle trouve louche, voilà. Donc il fallait bien que j'aille discuter avec elle, sauf qu'évidemment, Suzanne m'a vue et est venue me voir.
- Pourquoi tu m'en as pas parlé?
- Mais parce que t'es à Paris, Antoine, et que t'as autre chose à faire qu'écouter mes rapports d'enquête! s'emporta-t-elle agacée. Maintenant c'est pas de ma faute si ton ex est complètement folle et qu'elle me prend pour un monstre.
- Tu vas y retourner?
- Où?
- A l'école? Tu comptes y retourner?
- J'en sais rien. Si y a besoin, sûrement.
- Et tu peux pas y envoyer Charlie plutôt? Ça éviterait…
- Ça éviterait quoi? le coupa-t-elle. Que le monstre ne sévisse à nouveau? Tu sais quoi Antoine, je vais pas supporter longtemps que tu te mettes à genoux devant elle comme ça. Alors non, désolée mais je vais pas bâcler mon travail pour cette folle. Et écoute moi bien, si elle veut la guerre elle va l'avoir.
- Non alors c'est pas le but. J'essaye de temporiser les choses justement…
- Oui et résultat des courses, ça marche tellement bien que c'est moi qui me fais engueuler.
- Je t'engueule pas. Je cherche à comprendre je te dis…
- Et bien je viens de t'expliquer les choses. Maintenant, t'en fais ce que t'en veux!
- Candice… Elle raccrocha. Candice?»
Antoine souffla, partagé entre rage et tristesse. Son ex était clairement en train de diviser pour mieux régner, et le pire, c'est que cela fonctionnait. «Merde»! maugréa-t-il en faisant demi-tour.
Et à Sète, l'ambiance n'était pas plus à la fête. Et malgré 800 kilomètres qui les séparait, Antoine était parvenu à la contaminer. Candice était désormais énervée et ce n'était pas les quelques maigres trouvailles qui allaient la calmer. Elle qui s'attendait à quelques mots de son chéri parce qu'elle lui manquait, s'était finalement prise un savon en règle. Super...
...
18h30. Antoine avait finalement réinvesti sa chambre d'hôtel, l'esprit embué par les déclarations de son ex. La tournure que prenaient les évènements ne le rassurait guère et le commissaire commençait drôlement à paniquer. Et face à cela, seule une personne trouverait les mots pour le rassurer. Alors après moults hésitations, il finit par se saisir de son portable et le colla à son oreille.
«Allo?
- Oui maman, c'est moi… osa-t-il timidement. Je te dérange?
- Pas vraiment. J'étais en train de préparer le dîner pourquoi?
- Je… Y a Jennifer qu'est en train de vriller et je sais plus quoi faire là…
- Vriller comment?
- Elle devient parano. Candice a dû approcher l'école de Suzanne pour une enquête et Jennifer a pris ça comme une attaque.
Isaure souffla, agacée elle aussi.
Elle veut plus que Suzanne s'approche d'elle… Sauf que je fais comment moi?! On vit ensemble maintenant et…
- Et tu peux pas demander à Candice de partir parce qu'officiellement, c'est chez elle.
- Oui et puis, je n'ai surtout pas envie de donner raison à Jennifer. Mais, elle est tellement en roue libre que je commence à flipper quoi!
- Bon écoute, j'ai vu avec une ancienne consœur, on a trouvé quelqu'un qui accepte de te représenter.
- C'est qui ? Elle est bien ?
- Elle est très bien oui. Elle a une très bonne réputation et Iris est la fille d'une amie. En plus, elle connaît l'avocat de Jennifer et elle sait comment il fonctionne…
- Elle t'en a dit plus?
- Méthodes limites. Tente le tout pour le tout. Il est gentil d'apparence mais au fond, c'est un pourri. Et vu les honoraires, je sais même pas comment elle peut le payer.
- Bah parce que c'est sûrement sa mère qui l'aide. Toute façon elle me déteste depuis que j'ai trompé sa fille… Si elle peut me charger, elle le fera.
- Cette guerre ridicule, franchement! Ça m'en file des boutons.
- Et moi donc… pesta-t-il. Mais de toute façon, j'ai commencé à préparer un dossier là. J'ai une collègue qu'a perdu sa fille dans les mêmes circonstances et elle m'aide à savoir ce que je dois faire pour éviter le même sort…
- C'est très bien. Et Iris veut te rencontrer à son retour. On organisera un rendez-vous à son cabinet.
- Ok… acquiesça-t-il.
- Et en attendant, tu tiens le coup et, je sais que c'est mal mais, va falloir tenir Suzanne à distance de Candice. Le temps que ça se calme…
- Mais je fais comment ce week-end moi? J'ai promis à Suzanne que je viendrai la chercher à l'école vendredi et… je comptais l'emmener à la maison…
- On va trouver une solution…
- Hum… tiqua-t-il la gorge nouée.
- Et Candice comment elle va?
- Mal… Je l'ai eu au téléphone hier, elle pleurait. Je… Je l'ai appelé tout à l'heure pour éclaircir cette histoire d'école et elle l'a mal pris… Je sais plus quoi faire... avoua-t-il tristement.
- Écoute Antoine, chaque chose en son temps. Pour l'instant, tu es à Paris et tu prends toutes les aides possibles. Ensuite, quand tu rentreras, on avisera. On trouvera une solution pour deux jours. Je garderai Suzanne à la maison et c'est tout. Et pour Candice, je sais que la situation est compliquée mais si elle t'aime, elle comprendra.
- Hum… chuchota-t-il avec émotion.
- Ça va aller, d'accord?! Puis Jennifer sait pas à qui elle se frotte! Chez les Dumas, on sait résister. C'est ce que je t'ai toujours appris.
- Ouais, finit-il par laisser sortir en osant un petit sourire.
- Allez, courage!
- Merci…»
Il raccrocha, déboussolé. Mais sa mère avait raison, chaque chose en son temps. Et pour l'heure il entendait bien s'excuser auprès de sa compagne. Il cliqua sur sa conversation et tapota quelques mots qu'il eut bien du mal à laisser partir: «Pardon pour tout à l'heure... J'ai été maladroit mais, je ne voulais pas t'accuser de quoi que ce soit. Je suis désolé…»
Et rapidement, la réponse débarqua dans la conversation comme un rappel de sa maladresse. Candice avait été blessée, et elle n'entendait pas l'excuser… «T'inquiète pas, j'ai bien compris le message. Bonne soirée.», lut-il avec douleur. Et pour gommer tout quiproquo, Antoine tenta de l'appeler, en vain. La blonde ne décrocha pas, laissant un Antoine en proie aux tergiversations. Et sur le rebord de son lit, il laissa ses deux mains frotter son visage. Peut-être était-il dans un mauvais rêve?
Soudain, son téléphone bipa et porté par l'espoir de voir une tête blonde s'afficher à l'écran, Antoine se jeta sur son portable avant d'aviser le prénom de son pote. Il souffla de déception et décrocha…
«Ouais?
- Mec, tu fais quoi ? On t'attend.
- Allez-y sans moi. J'ai pas la tête à sortir ce soir…
- Ok alors non. Je laisse pas mon pote dans cet état. Tu viens, point. Et tu discutes pas !
Silence…
Antoine sérieux.
- Vraiment… Je te jure, je préfère rester ici. J'irai grignoter un truc au bar de l'hôtel. T'inquiète pas.
- T'es sûr?
- Mais oui! J'ai pas envie de plomber l'ambiance avec ma mauvaise humeur.
- Ok… Bonne soirée alors.
- Oui! Amusez-vous bien.
- Et t'hésites pas si besoin.
- Ok!
- Allez Ciao!»
Sortir ce soir? Alors qu'il était au bout du rouleau? Hors de question! Au lieu de ça, le commissaire préféra une bonne douche chaude ressourçante, histoire de détendre ses muscles tendus par la situation. Et en sortant de sa salle de bain, il récupéra son téléphone, espérant lire quelques mots de celle qu'il aimait. Et à nouveau, le néant s'affichait. Perdu, il osa retourner sur leur conversation et tapota quelques mots. J'ai besoin de toi. Des mots forts, lourds de sens, dans un monde où ses repères s'effaçaient. Pourtant, cliquer sur «envoyer» était une tout autre histoire. Et face à ce manque de courage, il se résigna à les supprimer. Il balança le téléphone sur son lit, passa un pull et claqua la porte de sa chambre. Définitivement, ce soir, plus rien n'allait.
