Très franchement, c'était probablement la pire journée que Daisy vivrait jamais, même si elle venait à mourir plus que centenaire dans les flammes de la Troisième Guerre Mondiale – en son for intérieur, elle pariait que ce serait la faute de la Russie plutôt que de l'Allemagne pour celle-là, regardez donc un peu ce désastre avec l'Ukraine, si ça ne servait pas d'indicateur elle était prête à se promener déguisée en clown dans les artères les plus fréquentées de Londres pendant une semaine entière.

Certes, une guerre était une catastrophe pour le monde entier, mais elle manquait de la touche personnelle. Un million n'était qu'une statistique, le dicton prouvait sa valeur, quand la tragédie ne s'appliquait qu'à vous et ignorait le restant du quartier, vous vous sentiez immédiatement plus atteint et vulnérable.

Et comment se sentir plus vulnérable qu'en découvrant que la quête vous ayant tenaillé depuis vos onze ans était vaine depuis un peu moins d'une décennie ? Que vous auriez pu réussir, seulement pour qu'un accident vous arrache la victoire sans que vous ne vous en rendiez conscience, parce que vous n'étiez même pas présent dans le pays correct ?

Daisy voulait se recroqueviller en un misérable petit tas et ignorer le restant de la planète jusqu'à ce qu'on vienne la chercher pour l'ensevelir, tant le désespoir et l'encouragement la submergeaient. À quoi bon s'essayer encore à quoi que ce soit ? Elle avait gâché sa vie à poursuivre une illusion, un mirage qui s'était cruellement dissipé alors qu'elle croyait enfin pouvoir le toucher du bout du doigt.

Viola était morte. Elle n'aurait jamais de grande sœur.

Et pour parachever cette effroyable nouvelle, Dumbledore avait jugé bon de mettre les pieds dans le plat. Peut-être que son accès de mauvaise humeur n'avait pas été digne d'une femme civilisée, mais Daisy n'en avait plus cure, pas à cet instant.

Viola était morte. Elle n'aurait jamais de grande sœur, n'avait jamais pu savoir ce que c'était que d'en avoir une, et cela uniquement parce que ce Gandalf d'opérette croyait obligatoirement savoir tout mieux que les autres.

Il avait tout gâché. Alors l'Anglaise brune ne se sentait guère pressée de le repêcher du pétrin diplomatique où il s'était fourré, à emprunter un transport irrégulier pour voyager sans visa sur le territoire du MACUSA – et mine de rien, les Américains avaient des opinions drastiques sur le non-respect de leurs frontières, l'amende conséquente serait vilaine.

Pour ses parents – un pincement grattouillait le cœur de Daisy alors qu'elle observait platement James et Lily se cramponner les mains, implorant du regard les Hamada qui refusaient de leur témoigner la moindre chaleur, le plus simple réconfort en face de leur intrusion imprévue. Se sentait-elle coupable ? Chagrinée ? Un peu malgré tout, on n'oubliait pas ses parents si facilement, et pour tous les silences entre elle et eux, toute la distance les empêchant de renouer véritablement le dialogue, ils avaient souffert la même absence, celle de Viola.

Cependant, elle ne pouvait se résoudre à marcher vers eux afin de les consoler. À quitter le côté des Hamada. À rompre l'étreinte de Hiro sur son bras.

Hiro, le plus jeune des enfants de Viola. Il ressemblait un peu à Li-Lu, si Li-Lu avait eu des cheveux noirs ébouriffés donnant l'impression d'avoir été victime de l'explosion d'un pétard, des traits impactés par un ascendant Asiatique et des yeux brillants comme ces gouttes de sève fossilisée enchâssées dans l'or le plus pur.

Il était beau, autant que son frère, dans le registre encore adorable et attendrissant de l'enfant précédant le grand chambardement des hormones de la puberté. Ils étaient beaux tous les deux, Tadashi et Hiro, beaux et inattendus et vivants, et elle ne voulait pas les quitter comme ça.

Pas tout de suite. Pas avant que la poussière ne soit retombée. Pas avant que le nœud menaçant d'étrangler son cœur ne puisse se défaire.

Mais les garçons voudraient-ils seulement qu'elle reste ? Daisy était Anglaise, après tout, associée au douloureux passé de Viola, ce passé que la fille perdue des Potter avait renié et évoqué uniquement pour en dire du négatif à en croire Cass Hamada. La quinquagénaire brune demeurait liée à cette histoire dont les Hamada ne voulaient pas. Ce continent sur lequel ils ne mettraient pas un seul orteil.

Elle voulut presque glousser, quand Hiro déclara aussi aimablement que fermement qu'il n'irait pas à Poudlard, parce que l'institution ne lui offrait tout bonnement rien qu'il veuille comparé à son école précédente, au propre nez de Dumbledore. Le vieux bouc déployait des montagnes d'indulgence et de patience envers les gamins arpentant les couloirs du collège de sorcellerie, se posant en grand-père gentiment gâteux qui jouissait de l'adoration générale, ça devait rudement le vexer de voir un marmot pas encore pubère rejeter sans effort la perspective de se plier à son autorité.

Et le meilleur, c'était que le vieux barbu ne disposait d'aucune avenue pour se plaindre du choix du garçon. Il n'était pas obligatoire de se rendre à Poudlard afin d'obtenir une éducation – l'institution disposait du plus grand prestige au sein de la Grande-Bretagne, l'équivalent arcane d'Eton que fréquentaient les enfants royaux et les rejetons de l'aristocratie titrée, et c'était pour cela qu'une place là-bas était si convoitée, mais cela n'en faisait nullement l'unique école de magie en Europe, encore moins du monde.

Un enfant magique devait apprendre à contrôler ses pouvoirs, sous peine de lentement évoluer en une menace pour son entourage alors que ses talents se déchaînaient sans qu'il puisse les empêcher de nuire. Personne ne voulait assister à un retour de l'accident Bellebosse de New York en 1926, après tout, et les agents du gouvernement n'hésiteraient pas à intervenir pour forcer les familles récalcitrantes à envoyer leur progéniture dans un établissement adapté à ses besoins.

Et Hiro, et bien il bénéficiait d'une instruction, n'est-ce pas ? Daisy ne connaissait le programme de Mahoutokoro que très vaguement, conséquence de l'éloignement géographique, mais elle savait que l'institution était extrêmement bien notée et recrutait nettement plus tôt que onze ans, encore plus tôt que Beauxbâtons qui ouvrait ses portes à partir de neuf ans. Hiro n'avait probablement pas encore entamé la partie réellement poussée de l'apprentissage arcane, mais personne ne pourrait nier qu'il avait baigné dans un milieu visant à le familiariser avec ses pouvoirs et les possibilités que ceux-ci lui ouvriraient, dès l'instant où le recruteur envoyé par l'école japonaise avait frappé à la porte de Cass Hamada.

Hiro Hamada était hors de portée des griffes d'Albus Dumbledore, et vu la forte probabilité que Tadashi fusse un Cracmol, c'était une chance complètement perdue pour le vieux bouc de tenter de se racheter une conscience en persuadant les enfants de Viola, les enfants de sa victime, de le voir comme un malheureux bonhomme plus à plaindre qu'autre chose. Mais les garçons n'avaient pas grandi en Angleterre, étaient demeurés à l'écart de sa sphère d'influence jusqu'à maintenant, et vu les circonstances de leur rencontre n'étaient sans doute pas pressés de vouloir lui faire une fleur.

Oui, un châtiment approprié. Une punition devrait durer, autrement ce n'était pas une véritable punition mais un simple mauvais moment à endurer, en serrant les dents. Les Potter avaient été punis par la perte de Viola, il n'était que justice que Dumbledore expie en leur compagnie, en se voyant refuser l'opportunité de faire amende honorable par les enfants de Viola.

Daisy pouvait approuver. Même si cela devait lui coûter l'occasion de se rapprocher des ruines de son illusion, son mirage, de devenir une tante pour les enfants de sa sœur disparue et elle voulait ça, elle le désirait avec une ardeur que la découverte de son deuil n'avait pu éteindre.

Daisy voulait aimer les garçons de Viola. Vraiment beaucoup.