Zoro n'était pas encore en mesure d'assimiler la nouvelle de la situation de Sanji. Chopper avait rassemblé tous les membres de l'équipage dans la cuisine, qui semblait incroyablement vide sans l'énergique cuisinier qui virevoltait avec une assiette de nourriture à la main, et avait expliqué à tout le monde que le corps de Sanji s'éteignait lentement. Il utilisa un jargon médical qu'aucun d'entre eux ne comprenait, mais l'essentiel était que leur cuisinier était en train de mourir d'une maladie inconnue.

« Tu n'as vraiment aucune idée de la cause, Chopper ? » lui demanda Nami avec inquiétude.

Le docteur regarda ses sabots en les frottant l'un contre l'autre, honteux. « Honnêtement, je ne peux pas expliquer ce qui lui arrive. Je sais juste que le rythme de sa détérioration est constant, et qu'il atteindra probablement la fin de son endurance dans les prochaines 48 heures, et probablement moins. »

« Mais Sanji ne peut pas mourir ! Qui préparera tous nos repas ? » demanda Luffy. Son chapeau de paille était incliné de telle sorte qu'il jetait une ombre sombre sur son visage, mais Zoro pouvait voir que sa lèvre tremblait. Les mains du capitaine étaient serrées en poings, les doigts enfoncés avec défi dans ses paumes. « Comment trouvera-t-il All Blue ? »

La question semblait peser sur tout ceux qui se trouvaient dans la pièce, mais personne n'offra de réponse. Usopp, Nami et Franky avaient les larmes aux yeux, la main de Robin était pressée doucement sur sa bouche en signe de choc silencieux, et le crâne de Brook exprimait une profonde tristesse malgré l'absence de peau et de muscles pour former un froncement de sourcils.

Tout l'équipage fût inhabituellement calme ce matin-là.

Zoro n'avait pas attendu pour rendre visite à Sanji, même après les instructions fermes de Chopper de rester à l'écart de l'infirmerie jusqu'à ce qu'il puisse déterminer si l'état grave du cuisinier était transférable. Il était entré immédiatement après avoir appris qu'il restait peu de temps à son nakama, et il n'avait pas quitté la chaise à côté de Sanji jusqu'à ce que l'homme montre des signes de réveil. Zoro s'empressa d'aller lui chercher un verre d'eau et attendit avec impatience que ses yeux bleus s'ouvrent. Chopper n'était pas satisfait du manque de respect de l'épéiste pour son avis médical, et Zoro reçut l'ordre de se barricader dans l'infirmerie avec Sanji pour le moment.

« Tu as été exposé bien trop longtemps pour que je te laisse te promener dans le navire ! Tu ne veux pas mettre les autres en danger, n'est-ce pas ? »

Le renne offensé n'était pas en mesure de détecter un quelconque changement dans le métabolisme de l'épéiste, même si la maladie agissait relativement rapidement selon les calculs de Chopper. Zoro était sûr que l'ordre de rester en quarantaine était en fait censé être une sorte de punition pour lui avoir désobéi, mais ce que Chopper ne réalisait pas, c'est que Zoro était confiné dans le seul endroit où il voulait être, et c'était aux côtés de Sanji.

Dire que le cuisinier avait l'air d'une merde était le plus grand euphémisme de toute la vie de Zoro. La nuit suivante, après que Zoro se soit installé à l'infirmerie, Sanji avait vraiment l'air d'être rattrapé par la mort, et il ne fallut pas longtemps pour que son corps entier tombe dans un état d'épuisement et d'immobilité complets. C'était le quatrième jour depuis que le cuisinier affirmait avoir ressenti une diminution de sa force - cinq jours depuis qu'ils avaient accosté à Loa, ce qui signifiait que Sanji avait probablement contracté cet étrange état au cours du premier jour. Il n'avait pas dit grand-chose à Zoro, mais parfois l'épéiste sentait le regard de l'autre homme sur lui et surprenait un étrange regard contemplatif dans ces yeux bleus qui observaient Zoro depuis sa place sur le lit.

« Tu te sens vraiment bien ? Tu ne te sens pas du tout faible ? » demanda Sanji une fois que l'épéiste lui fit remarquer qu'il le fixait intensément. Zoro grimaça intérieurement devant la façon calme dont Sanji avait pris l'habitude de forcer ses mots.

« Je me sens tout à fait normal. Ça ne peut pas être contagieux si je vais encore bien alors que nous avons partagé le même air toute la nuit. Comment te sens-tu ? » demanda-t-il en tendant la main pour vérifier la température du cuisinier dont le visage semblait rougir.

Sanji se recula instantanément, et Zoro ne put s'empêcher de se sentir un peu blessé jusqu'à ce que l'autre homme dise : « Ça peut encore se transmettre par contact, idiot ! Ne t'approche pas de moi ! », ce qui semblait assez redondant compte tenu de la proximité du chevet de Sanji, Zoro avait déplacé sa chaise, mais il ne fit aucun commentaire sur l'absurdité de la déclaration.

« C'est ce que Chopper t'a dit ? » demanda-t-il.

« Oui. Ce n'est qu'une théorie, mais la propagation d'une chose aussi grave ne peut pas se faire par voie aérienne, sinon toute l'île serait morte à l'heure qu'il est, » dit Sanji d'un air sombre, son ton se durcissant lorsqu'il prononça le mot "mort".

« As-tu pensé aux endroits où tu aurais pu l'attraper ? Tu n'as pas dû toucher beaucoup de monde depuis que nous avons accosté ici, » dit Zoro.

Sanji lui adressa un sourire penaud. « Tu as vu les femmes de cette île ? J'ai dû tenir une douzaine de mains rien que lors de ma première visite au marché. » Ses yeux se déplacèrent pour regarder à travers des cœurs teintés de rose et d'admiration alors qu'il se remémorait sa première nuit sur l'île.

Zoro écouta la plupart de ses bavardages amoureux jusqu'à ce qu'une certaine phrase le frappe de plein fouet : « ...et puis elle m'a attrapé et m'a embrassé à pleine bouche comme si j'étais le dernier homme qu'elle verrait jamais ! Tu aurai dû voir ses lèvres lorsqu'elle m'a souri au moment où elle se penchait sur moi - si timide et si dévergondée à la fois. J'aurais aimé l'emmener avec moi en mer ! »

« Attends une minute, quoi ?! » dit Zoro, incrédule. « Où as-tu dit avoir rencontré cette femme ? » demanda-t-il.

« Dans une taverne au large de la côte où nous avons amarré le Sunny. Je me suis arrêté pour boire un verre parce que la barmaid qui se tenait à l'extérieur était tout simplement magnifique et... »

« Épargne-moi un instant le récit de tes ridicules pâmoisons, et reviens à la partie où une femme aux mœurs légères t'a baisé la langue dans un bar miteux, au milieu d'une file de pirates ivres. »

Sanji le regarda avec horreur. « Ne parle pas de Lola-chan de cette façon ! Ce pirate a probablement menti pour me faire croire qu'elle était une sorte de prostituée afin qu'il puisse l'avoir pour lui tout seul ! D'ailleurs, même s'il disait la vérité, une femme a le droit d'avoir les mœurs légères qu'elle veut, et je ne vais certainement pas la juger pour cela ! Elle était d'une beauté absolue, un trésor pour les yeux ! Son existence même était l'incarnation de la grâce féminine, et je ne tolérerai pas que tu déshonores une si belle jeune fille dans mon... » Une soudaine quinte de toux interrompit le discours de Sanji avant qu'il n'ait pu finir de réprimander son coéquipier.

« Imbécile ! » grogna Zoro, courant remplir un autre verre d'eau au robinet du cuisinier. « As-tu parlé de cette femme à Chopper ? »

Sanji but timidement une gorgée du liquide, saisissant la tasse de ses doigts pâles et tremblants.

Zoro le stabilisa et il but la plus grande partie de l'eau avant de répondre. « Non. Je ne pense pas que Chopper ait envie d'entendre ce genre de... »

« IDIOT ! » rugit Zoro de nouveau. « Et si tu avais attrapé quelque chose d'elle ? C'est probablement le contact le plus intime que tu aies eu avant que les symptômes n'apparaissent. Le moment ne te paraît-il pas suspect ? »

« Peut-être... Je ne sais pas, » lui dit Sanji à contrecœur. Ses yeux commençaient à se déconcentrer, et il plissait les yeux comme s'il n'arrivait plus à voir le visage de Zoro. « Hé, Marimo. Arrête de bouger... tu me fais sentir... aussi vert que tes cheveux. » Sur ces mots, le cuisinier s'affaissa sur son oreiller et perdit connaissance.

« Oi ! Cook ?! » Zoro le secoua violemment, mais il ne répondit pas. « Merde ! Ne bouge pas, crétin. Je vais trouver cette femme et voir ce qu'on peut faire pour toi. » Sanji ne donna aucun signe qu'il avait entendu, mais comme il n'allait manifestement pas partir de sitôt, Zoro courut trouver Chopper et lui fit part de ce qu'il avait appris.

« Je suppose que nous pourrions essayer de trouver cette Lola pour voir si elle est malade, » dit Chopper après que Zoro ait expliqué l'histoire du cuisinier, « mais je crains qu'il ne soit trop tard. Si elle a vraiment donné à Sanji cette... maladie... alors je doute qu'elle ait eu beaucoup de temps pour le faire. »

« Nous allons quand même essayer, bien sûr, » dit Zoro résolument. « Je vais aller en ville et me renseigner sur elle avant que le cuisinier ne rende son dernier souffle. Il n'est même plus conscient. »

« Quoi ?! Pourquoi ne l'as-tu pas dit plus tôt ? ! » Chopper se précipita à l'infirmerie pour s'occuper de Sanji.

« Je t'accompagne pour la recherche, Zoro. Nous ne voudrions pas que tu te perdes alors qu'il reste si peu de temps pour soigner son état, » suggéra sérieusement Robin. Pour une fois, l'épéiste ne se contenta pas de jeter un coup d'œil à la raillerie sur son sens de l'orientation abyssal.

« Tu es inhabituellement réservé aujourd'hui, » remarqua immédiatement Nami.

« Notre épéiste est juste occupé à stresser pour son cher cuisinier. Nous ne le laisserons pas mourir, à moins qu'une embuscade ou un accident prématuré ne l'atteigne en premier. »

« Ah, Robin ! Pourquoi faut-il que tu dises des choses comme ça ? Maintenant, je suis inquiet moi aussi ! » S'était mis à pleurer Franky.

« Ne vous inquiétez pas, les gars ! Le grand capitaine Usopp restera derrière et protégera la vie de Sanji à tout prix ! Rien ne pourra emporter notre cuisinier prématurément si je suis sur le coup ! »

« Je t'aiderai, Usopp ! Le VRAI capitaine doit défendre son nakama jusqu'à son dernier souffle ! » cria Luffy avec détermination.

« J'aimerais venir aussi, » dit Nami avec fermeté.

« Moi aussi ! Si cette femme est si belle et si libertine qu'on le dit, peut-être voudra-t-elle me montrer sa culotte ! » Brook l'interrompit avec excitation.

Nami lui donna un coup de poing fermé sur la tête et dit : « Tu restes ici pour aider à garder Sanji-kun et le vaisseau ! Nous n'avons pas besoin de pervers pour effrayer la dame, même si nous la trouvons en bonne santé. »

C'est ainsi que le trio composé de Zoro, Robin et Nami se rendit en ville à la recherche de la mystérieuse Lola. Heureusement, il était facile d'obtenir des informations sur elle, car il semblait que tout le monde sur l'île connaissait son nom. Ce qui était inattendu, en revanche, c'était sa véritable identité.

« Vous cherchez Lola ? Son service habituel à la Taverne du Pirate a commencé il y a quelques heures, alors vous la trouverez probablement là-bas. »

« Non, j'ai entendu dire qu'elle avait démissionné il y a quelques jours. »

« Ah bon ? C'est encore à cause de sa santé ? » demanda l'un des villageois à l'autre.

« Sa santé ? » demanda Robin. « Puis-je vous demander si la dame souffrait d'une quelconque maladie ? »

Les deux hommes se regardèrent, un petit sourire en coin. « Lola se sent mal par intermittence depuis qu'elle a la malédiction. Vous, les pirates, vous n'en savez rien, mais ici, sur Loa, c'est de notoriété publique. »

« Une malédiction ? » demanda Zoro d'un air sceptique, mais Nami le coupa avant qu'il ne puisse continuer.

« Allez, racontez-nous tout. Nous voulons savoir tout ce que vous savez sur cette Lola et sa soi-disant 'malédiction'. Racontez-nous tous les détails, et je ferai en sorte que votre temps en vaille la peine. Faites votre prix. » Zoro entendit sa nuque se hérisser et il se retourna pour la regarder, stupéfait. « Pourquoi me regardes-tu comme ça ? Si c'est pour sauver la vie de Sanji, je me séparerai volontiers de quelques berries, » murmura-t-elle avec indignation. Robin haussa les sourcils, et la sorcière de mer avide ajouta : « Je ne lui demanderai même pas d'intérêts lorsqu'il me remboursera. »

Les deux hommes délibérèrent un moment avant d'exiger une somme raisonnable pour leur temps et leurs informations. « Marché conclu, » leur dit Nami. « Maintenant, explique-moi ce qu'est cette malédiction. »

« Tout est lié à un vieux conte folklorique de Loa. Avez-vous déjà entendu parler de la malédiction des 100 baisers ? »

« Non, » répond Robin.

« L'histoire raconte qu'une belle prêtresse nommée Amara vivait sur l'île de Loa. Elle était amoureuse du plus fort combattant de la tribu des guerriers, Braun. Elle l'a choisi comme compagnon, ce qui était considéré comme le plus grand honneur qu'un homme puisse recevoir - même plus que ce qu'il pouvait gagner en remportant d'innombrables batailles. Être choisi comme compagnon de la prêtresse signifiait que l'on était élevé au rang de roi aux yeux du peuple. Braun respectait Amara en tant que prêtresse, mais il ne l'aimait pas. Il n'avait accepté de l'épouser que pour apaiser sa famille et le peuple de Loa, mais il était malheureux dans leur mariage parce qu'il était contraint de se conformer aux coutumes de leur île. »

« Après quelques années, Amara a commencé à sentir l'aversion de son mari pour leur mariage, et elle l'a finalement confronté à ce sujet. Braun ne pouvait plus cacher son aversion pour sa femme : c'était une femme cruelle dans l'âme, qui pratiquait la magie noire dans le temple la nuit, et elle était aussi impitoyable que les malédictions qu'elle jetait sur leur peuple. La fascination d' Amara pour les arts sombres n'était connue que de son mari et d'un petit groupe de fidèles. L'un de ces fidèles entendit Braun parler de son mariage sans amour et de son infidélité permanente. Il se vantait d'avoir embrassé une centaine d'autres femmes pour tenter de combler le vide laissé par une véritable compagne. Sa vantardise a été transmise à la prêtresse qui a immédiatement commencé à élaborer une malédiction pour donner une leçon à son mari infidèle. »

« Elle lui jeta la malédiction des 100 baisers, qui l'affaiblirait de plus en plus au fil du temps. Il mourrait au bout de 100 heures s'il ne remettait pas à zéro la détérioration de sa santé en embrassant un homme. Amara aimait toujours son mari, elle voulait donc le punir de manière à ce qu'il puisse surmonter l'épreuve et revenir vers elle s'il apprenait à la craindre suffisamment pour rester fidèle. Elle lui dit que pour avoir partagé 100 baisers avec des femmes qui n'étaient pas sa femme, Braun devrait partager 100 baisers avec des hommes qui n'avaient jamais embrassé Amara. »

« S'il ne recevait pas les baisers assez souvent, sa vie commencerait à s'éteindre. C'était un test d'endurance et de dévouement à leur mariage. Aux yeux d' Amara, s'il parvenait à survivre à la malédiction et à obtenir les 100 baisers, il serait en mesure d'apprécier sa femme fidèle qui ne s'était pas livrée à ce genre d'actes avec d'autres hommes. Cependant, une chose inhabituelle est arrivée à Braun pendant qu'il cherchait des compagnons masculins pour satisfaire la malédiction. Un ami proche de sa tribu a volontiers partagé baiser après baiser avec le guerrier pour le maintenir en vie, mais leur relation a évolué au-delà de l'amitié et leurs baisers sont devenus romantiques par nature plutôt que par nécessité. »

« La malédiction a évolué en réponse à cette trahison et est devenue sauvage : le dernier baiser qui aurait dû mettre fin à la malédiction a été transféré à l'amant de Braun, qui a dû continuer à embrasser des hommes qui n'avaient jamais embrassé Braun. L'homme finit par déménager dans un autre village, expliquant à Braun que c'était pour trouver suffisamment d'hommes répondant aux exigences de la malédiction, mais ce que Braun ne savait pas, c'est qu' Amara avait trouvé l'amant de son mari et révélé une autre méthode pour briser la malédiction - le baiser du véritable amour. Cela signifiait que Braun, en transmettant la malédiction, ne l'aimait pas vraiment. L'amant de Braun se sentit insulté par le fait que ses baisers n'avaient eu aucun sens pour l'autre homme et se résolut à ne plus jamais le revoir. Braun n'eut d'autre choix que de retourner auprès de sa femme et de lui rester fidèle plutôt que d'invoquer à nouveau son courroux. »

« La malédiction des 100 baisers a continué à être transmise d'homme en homme, revenant toujours d'une manière ou d'une autre sur cette île, comme si la terre elle-même était maudite. On dit que les habitants de Loa ont fini par se rassembler et par sacrifier la prêtresse maléfique dans l'espoir d'arrêter définitivement la malédiction, mais cela n'a fait qu'attiser la colère de son esprit, et la malédiction est devenue liée à l'île de Loa en conséquence. La femme nommée Lola sur laquelle vous vous interrogez est en fait un homme nommé Logan. Il se déguise en belle femme et fréquente les bars qui servent des pirates, car tous les hommes de Loa connaissent déjà la malédiction et refusent d'embrasser la personne qui en est victime, de peur d'être le centième à recevoir la malédiction à son tour. Maintenant que vous connaissez l'histoire, je suppose que vous avez un membre d'équipage qui a été victime du charme de Lola ? »

Zoro acquiesça, se sentant mal à l'estomac. Il assimila plusieurs détails importants de l'histoire qui expliquaient l'état du cuisinier ainsi qu'un détail qui aiderait à le sauver. Sanji était le centième homme à avoir embrassé Lola/Logan - il n'avait évidemment pas embrassé d'autres hommes depuis, ce qui expliquait pourquoi il mourait lentement - et le temps maximum que le cuisinier pouvait passer sans satisfaire aux conditions de la malédiction était de 100 heures.

Il avait du mal à faire le calcul lorsque Robin dit : « Il a donc quatre jours et quatre heures entre chaque baiser avant que la malédiction ne lui vole la vie... Quelle tragédie ! Zoro, à quelle heure Sanji a-t-il dit qu'il avait rencontré Lola à la taverne ? »

« Il ne l'a pas dit, mais nous avons accosté vers 22 heures et nous nous sommes séparés au marché. Sanji était de retour au bateau avant minuit. »

« Cela nous donne une période comprise entre 2 et 4 heures du matin. Il est presque 22 heures, ce qui signifie qu'il nous reste environ quatre heures avant d'atteindre la barre des 100 heures. Que devons-nous faire ? » demanda Robin avec impatience.

Zoro n'eut même pas besoin d'y réfléchir. « Ramenez-moi au bateau, » dit-il instantanément. Avec son incroyable capacité à se perdre, il savait qu'il pourrait très bien prendre plus de temps que cela pour trouver le Sunny alors qu'il était si désespéré d'y arriver, alors il n'essaya pas de cacher sa demande claire d'être escorté et suivit simplement Nami et Robin jusqu'aux quais. Il traversa le pont en courant, le reste de l'équipage sur ses talons, et fit irruption dans l'infirmerie, faisant sursauter Chopper au point que le petit médecin laissa tomber la seringue qu'il tenait à côté du corps de Sanji.

« Qu'est-ce qui se passe ? » demanda Zoro, car le nez de Chopper coulait et il était au bord des larmes.

« C'est de plus en plus grave. Sanji a perdu connaissance depuis que tu es parti. Il a commencé à avoir des hallucinations, des conversations avec des gens qui n'étaient pas là, et maintenant, il ne se réveille plus du tout ! Son rythme cardiaque ralentit aussi, alors je me préparais à lui administrer une dose d'adrénaline s'il descendait plus bas. »

« Sors une minute, Chopper, » lui dit rapidement Zoro. Pourquoi son cœur faiblit-il ? pensa-t-il, paniqué. Nous devrions avoir encore du temps...

Le docteur semble surpris, puis en colère, lorsque Zoro commença à le pousser vers le couloir. « Non ! Je ne peux pas quitter mon patient maintenant, il est dans un état critique ! Tu veux qu'il meure ? », s'indigna-t-il.

« Bien sûr que non, » rétorqua Zoro, « mais j'ai besoin d'être seul avec le cuisinier pendant une minute, alors emmène tout le monde dehors. S'il te plaît ! » supplia Zoro. Si Chopper parut surpris, le reste de l'équipage fut stupéfait de voir que le sabreur en était arrivé à supplier.

« Tu peux faire confiance à Zoro, Chopper. Laisse-lui un moment avec Sanji, » dit Robin d'un ton rassurant. Elle se rendit compte de ce que Zoro préparait car elle souriait comme le chat du Cheshire - c'était effrayant et bien trop connaisseur pour que Zoro puisse contenir le rougissement subtil qui s'insinua sur son visage.

Des protestations se firent entendre au sein de l'équipage, mais c'est le capitaine qui les fit taire. Il ajusta le chapeau de paille sur sa tête et dit : « Zoro est notre second. Il ne laisserait jamais rien arriver à notre cuisinier. Sanji est un membre important de l'équipage, et Zoro est l'une des personnes les plus dignes de confiance que je connaisse. Même si nous ne comprenons pas pourquoi, nous devons l'écouter quand il est aussi déterminé. Allons-y, les gars. »

« Je sais ce qu'il va faire, » intervint soudain Nami. « Zoro va embr-mmphf ! »

Une main délicate jaillit de l'épaule de Nami dans un tourbillon de pétales, couvrant sa bouche avec sa paume. Luffy adressa un grand sourire à son épéiste, et la confiance absolue qui se dégageait de ce sourire encouragea le reste de l'équipage à suivre leur capitaine hors de l'infirmerie, laissant Zoro seul avec un Sanji très inconscient.

Il se dirigea rapidement vers le chevet du lit et s'assit au bord du matelas. Même dans cette situation désespérée, il ne pouvait s'empêcher de profiter de l'occasion pour regarder Sanji d'une manière qu'il n'avait jamais pu faire lorsque l'homme était éveillé et qu'il y avait d'autres personnes autour de lui. Il contempla son visage, si calme qu'on aurait pu croire qu'il dormait. La frange de cheveux dorée et brillante reposait sur son œil gauche, les cils jaunes assortis jetant des ombres sur ses joues pâles et creuses. Ses lèvres n'étaient pas particulièrement invitantes, aussi immobiles que celles d'un cadavre et pressées en une fine ligne sur un bouc parfaitement taillé. C'est grâce à cette pilosité faciale que cet homme au visage autrement innocent avait un air de danger et de dureté qui correspondait mieux à la personnalité ardente du cuisinier combattant.

Zoro jura qu'il sentait son cœur se contracter lorsqu'il pensait aux yeux de Sanji qui ne s'ouvriraient peut-être plus jamais - ses longues jambes, emmitouflées sous des couches de couvertures, n'exécutant plus jamais le style de combat artistique unique qui préservait les précieuses mains du cuisinier et parvenait toujours à faire battre le cœur de Zoro chaque fois qu'ils s'affrontaient. Il se sentait mal à l'aise à l'idée de perdre la personne qui semblait le comprendre le mieux, qui le soutenait toujours dans les combats, et qui partageait le sentiment de profonde responsabilité envers l'équipage qui leur avait donné un endroit à appeler maison dans leur aventure pour réaliser des rêves presque impossibles.

« Ne meurs pas encore, espèce de salaud aux sourcils en vrilles. Tu manquerais aux gens, tu sais ? Tu me manquerais. »

Il ne perdit pas plus de temps avec des mots qui tombaient dans l'oreille d'un sourd et se pencha en avant pour presser sa bouche sur les lèvres de Sanji qui ne répondaient pas. Zoro ferma les yeux lorsque l'action ne produisait aucune réponse de la part de l'autre homme. Sanji ne broncha pas, ne montra aucun signe qu'il avait senti le contact d'un baiser ou la main de Zoro sur sa joue moite.

L'épéiste manipulait son camarade avec autant de soin qu'il le faisait avec ses sabres, et il était tout aussi conscient de chaque centimètre de Sanji, de la douceur de ses lèvres à l'agréable rugosité de ses poils contre la mâchoire de Zoro, en passant par le léger chatouillement des cheveux soyeux qui traînaient sur ses doigts.

Il mémorisa la forme de ces lèvres tout en maintenant sa position, craignant que la malédiction ne l'accepte pas s'il y mettait fin trop tôt. Il comptait les battements de son propre cœur tout en absorbant l'étrange sensation que produisait le baiser - c'était comme si la chaleur du corps de Sanji inondait l'épéiste à travers chaque point de contact et se répandait dans son système sanguin. Il se sentait étrangement comme s'il volait quelque chose à l'autre homme, et une petite fleur d'appréhension fleurissait dans son esprit à la pensée lancinante qu'il faisait quelque chose de mal...

Sanji tressaillit - ce fut bref et faible, mais Zoro sentit clairement les lèvres sous les siennes trembler très légèrement. Soudain, il sentit que Sanji respirait par le nez à un rythme régulier contre la joue de Zoro, et le cuisinier haleta dans sa bouche, choquant l'épéiste qui recula jusqu'à la chaise à côté du lit. Un œil bleu s'ouvrit et le transperça d'un regard alerte et rassurant. Sanji se redressa d'un seul mouvement fluide, comme s'il n'avait jamais été malade.

« Zoro ? » demanda-t-il, se palpant distraitement les lèvres en examinant la pièce.

« Sanji ! » Le cuisinier sursauta en entendant son propre nom sortir de la bouche de l'épéiste, se retournant pour fixer son nakama dans un silence stupéfait. « Es-tu... comment te sens-tu en ce moment ? »

« Bien, » répondit Sanji instantanément, comme s'il ne comprenait pas pourquoi on lui demandait une telle chose. Cela lui revint un moment plus tard, et il se regarda avec surprise, sentant son corps avec un sourire satisfait sur son visage. « Oui, je me sens... très bien en fait. Qu'est-ce qui s'est passé ? »

Zoro essaya de ne pas avoir l'air aussi gêné qu'il l'était lorsqu'il évitait une question. « Chopper va tout expliquer. Je vais aller le chercher. » Il se leva pour aller chercher le docteur, et Sanji rejeta les couvertures pour le suivre. « Attends, ne te lève pas comme ça et ne commence pas à marcher ! Tu viens de guérir. Attends au moins que Chopper t'examine avant de reprendre tes vieilles habitudes, cuisinier de merde. »

« Je parie que tu as mangé comme une merde depuis que je suis ici. Combien de temps j'ai été absent, d'ailleurs ? »

« C'est toujours le même jour. Tu étais à peu près conscient jusqu'à il y a peu. »

« Oh oui... Je me souviens avoir vu un tas de choses bizarres avant de m'évanouir. A un moment, je jurerais que tu étais habillé comme Chopper, avec une fourrure et tout. »

« Ce n'était certainement pas le cas, ne parle plus jamais de ces hallucinations, » dit-il avec un frisson. « Je vais faire savoir au reste de l'équipage que tu es réveillé pour qu'ils puissent venir te voir. »

« Marimo ? »

Zoro s'arrêta, une main sur la poignée de la porte. « Oui ? »

« Pourquoi étais-tu assis à côté de moi sur le lit ? »

Merde ! Je ne peux pas dire comme ça que je l'embrassais, même si c'était pour empêcher une malédiction de le tuer ! Il faudra que je lui en parle plus tard. Merde, merde, merde, merde, merde ! maugréa-t-il intérieurement. A voix haute, il dit, aussi décontracté que possible, « Je m'occupais juste de notre idiot de cuisinier. Essaies de ne pas prendre une pause aussi longue la prochaine fois. Luffy a manqué sept repas - douze à son avis. »

Sanji resta silencieux un long moment avant de murmurer : « Je ne le ferai pas. Je le promets, » et Zoro s'enfuit de la pièce.