La première chose que fit Crowley en arrivant dans le pub, fut de les installer à une table pour deux tout au fond de l'établissement, légèrement à l'écart. L'étrange duo prit place, et Rose décida de ne pas se mettre trop à l'aise en conservant son blouson et son sac à dos sur elle. Crowley en fit de même en gardant ses vestes, bien qu'il fasse plutôt chaud au fond de la pièce. Il avait toujours ses lunettes sombres, qu'il semblait ne jamais vouloir quitter.
"Vodka?" proposa t'il.
Rose avait envie de refuser et de choisir quelque chose de beaucoup plus léger, mais sans trop comprendre pourquoi, elle hocha la tête en signe d'accord.
"Alors, que faites vous exactement ici, Rose...?"
Questionna t'il après avoir avalé une très longue rasade de l'alcool fort.
Rose hésita un instant, mais songea qu'il serait plus facile de le mettre en confiance si elle lui répondait, car elle aussi avait beaucoup de questions et elle se doutait que ce ne serait pas si simple de lui soutirer des informations.
" Je suis arrivée ici il y a peu… Je viens de Norvège, et mon ami… Enfin, je suis en quelque sorte à sa recherche. Je ne sais pas vraiment où il se trouve. J'espérais le trouver à Londres.
- Ami?"
Son sourire un peu narquois déstabilisait Rose, mais elle continua la discussion.
"Oui... compagnon, en fait."
Crowley sembla la regarder fixement alors qu'elle sentait un nœud dans sa gorge en parlant de cela.
"Que s'est t'il passé? Désaccord de couple, claquage de porte et maintenant vous ne savez plus où il est?
- Non! On s'entend à merveille… Je l'aime… Nous nous aimons… C'est juste… Il... On a été forcé de se séparer, et maintenant, on s'est perdu... Mais je ne veux pas abandonner. Je ne peux pas l'abandonner. Quand je le retrouverai, je repartirai avec lui. Nous voyageons… C'est notre vie. Lui et moi, on voyage... On ne vit jamais au même endroit. C'est une vie très excitante…»
Rose ressentit une vague d'émotion la submerger et Crowley s'assombrit, comme perdu dans ses propres pensées. Elle s'arrêta brusquement de parler, s'étonnant de dévoiler ainsi sa vie à ce parfait étranger qui lui faisait pourtant peur. En fait, ils s'étaient arrêtés tout les deux de parler, et ce silence s'installa pour plusieurs minutes. Curieusement, ce n'était pas désagréable, ni même particulièrement gênant, comme s'ils avaient chacun un tel poids sur les épaules qu'il leur fallait bien cette petite pause pour reprendre leur souffle, et, accessoirement, leur envie de parler. Rose pensait à son Docteur bien-aimé, et elle devinait sans trop d'efforts que Crowley, lui aussi, pensait à quelqu'un, ou à quelque chose, d'important.
Ce ne fut qu'après un instant qui sembla long et court à la fois, qu'il brisa le silence en demandant à un serveur une bouteille entière de vodka. Rose sortit de sa torpeur et répondit, un peu confuse:
«Je n'ai pas l'intention de boire autant…
- Moi, si, répliqua Crowley d'une voix neutre, mais qui ne parvint pas à dissimuler sa tristesse, du moins pas aux oreilles de Rose.
Alors qu'il se servait, elle osa l'observer plus attentivement. Maintenant que la surprise de sa ressemblance avec le Docteur était passée, elle pouvait mieux voir les différences, et il y en avait. Pas juste dans sa chevelure rousse et son total look noir. Il portait aussi un tatouage de serpent enroulé, juste au niveau de l'une de ses tempes. Le Docteur n'avait jamais eu de tatouage.
"C'est curieux, toutes ces références aux serpents qu'il porte sur lui…" songea t'elle.
Il avait aussi, de manière générale, une allure plus androgyne, un mélange de masculinité envoûtante et de féminité séduisante. Elle ne pouvait pas nier qu'elle le trouvait beau, mais c'était quelque chose de plus étrange que de la beauté classique. C'était plutôt comme un charme indéfinissable, comme une sorte d'énergie qui émanait de lui plus encore que de son visage ou de son aspect physique. En se concentrant un peu, elle pouvait presque avoir l'impression que c'était quelque chose de mystique, mystérieux, pas quelque chose de naturel en tout cas. Rose avait gardé de son aventure «Bad Wolf» un soupçon de communication presque télépathique avec le Docteur quand ils étaient assez proches, mais elle pouvait aussi, parfois, ressentir certaines choses chez les gens, sans savoir le définir, et ça semblait être le cas avec Crowley. Elle percevait quelque chose de très étrange en lui, et son observation la mena à penser qu'il n'était peut-être pas, tout comme le Docteur, parfaitement humain.
«Et vous? Que faîtes vous par ici?» finit t'elle par demander, trouvant que le silence était devenu gênant désormais qu'elle l'observait depuis, sans doute, un peu trop longtemps, d'autant qu'il s'en rendait compte et faisait de même avec elle.
«J'habite ici… Soho. J'y habite, travaille, tout ça…» Il balaya la fin de sa phrase de la main, comme pour indiquer que rien n'était très important. Rose fronça les sourcils.
«C'est quoi votre job?»
la question sembla complètement déstabiliser Crowley, qui bégaya une sorte d'enchevêtrement de consonnes inaudibles ( ressemblant à un curieux «ngk») que Rose avait déjà entendu plusieurs fois de sa part. Elle se demanda s'il avait juste un léger problème d'élocution ou si c'était autre chose. Elle avait beaucoup de mal à saisir le personnage, mais ça lui donnait envie de creuser.
«Je travaille… Ngk… Je suis, envoyé pour des missions, parfois, des sortes de contrats… Mes employeurs aiment garder ça un peu secret…
- Comme une sorte d'agent secret pour le gouvernement? Demanda malicieusement Rose, provoquant un furtif demi sourire de son interlocuteur.
-Non. Ils sont beaucoup plus puissants que le gouvernement.» répondit-il finalement, avec sérieux, et Rose sentit au son de sa voix qu'il ne fallait pas plaisanter sur le sujet.
Ses yeux s'agrandirent d'incompréhension, ne comprenant pas qui pouvait être important à ce point. Plus elle avait de réponses, plus elle avait de questions…
«La femme de tout à l'heure, qui nous a suivi sur la route… Elle en fait partie, n'est-ce pas?
- C'est pour ça qu'elle est dangereuse et que vous n'avez pas envie d'en savoir plus…
- Ou peut-être que c'est justement pour ça que je veux savoir… Elle vous menace? J'ai l'habitude d'aider les gens, c'est ce qu'on faisait toujours avec mon ami… Je peux peut-être vous aider...
-Vous voyagez et vous aidez les gens… Un docteur, vous avez dit… Et vous, vous êtes quoi? Une sorte d'infirmière, de psy? Sembla se moquer Crowley, toujours avec ce sourire un peu narquois aussi énervant que charmant.
-Non, pas ce genre de Docteur… C'est un homme avec d'immenses connaissances, particulièrement scientifiques, mais on aide les gens en partant à l'aventure, et on aide ceux qui en ont besoin et qui croisent notre chemin…
-Trop aimable! De vrais anges, vous deux!»
Le ton moqueur qu'il prenait agaçait beaucoup Rose.
«Pourquoi êtes-vous désagréable?
-Pourquoi restez vous avec moi?
-Vous m'avez aidé vous aussi!
-Alors… Trinquons! A ceux qui aident et à ceux qui en ont besoin… Probablement l'humanité toute entière… A l'humanité, alors!» proclama t'il en levant son verre, un sourire triste sur les lèvres.
Rose l'imita, décidément de plus en plus intriguée.
La soirée était désormais très entamée – plutôt la nuit, songea Rose en réalisant qu'il était en fait 3h du matin. - Elle n'avait absolument pas vu le temps passer. Au final, après un début de nuit des plus étranges, le duo improbable s'était surpris à plutôt bien s'entendre. La quantité phénoménale de vodka que s'était servie Crowley tout au long de leur discussion avait d'abord un peu effrayée Rose qui s'était vraiment demandé si c'était raisonnable de continuer à parler avec un inconnu aussi mystérieux et aussi alcoolisé, mais ses craintes s'étaient vite dissipées. Loin d'en devenir plus inquiétant, ou plus désagréable, cela lui avait juste permis de faire tomber un peu ses défenses et il était devenu comme beaucoup plus sincère, désormais incapable de cacher combien il y avait du désespoir en lui.
Rose n'était pas en reste niveau désinhibition, étant donné qu'elle l'avait finalement accompagnée avec de nombreux verres ( bien moins que lui cependant, elle aurait été strictement incapable de boire autant, elle ne comprenait même pas comment il parvenait encore à s'exprimer de manière -presque- compréhensible ).
Ils avaient en fait partagé leur désespoir toute la soirée. Elle avait appris beaucoup de choses de lui, bien qu'elle était quasiment sûre de ne pas avoir percé même un minuscule pourcentage des mystères qui l'entouraient. Mais, il semblait qu'il avait, pour on ne sait quelle raison, choisi, bien que beaucoup aidé par l'alcool, de partager avec elle des choses qu'il portait visiblement sans jamais en parler.
Elle avait appris qu'il vivait dans un appartement non loin de là depuis très longtemps, n'avait pas beaucoup d'entourage, même s'il avait parlé d'un café où il allait parfois car la gérante et sa compagne étaient des amies – ce qui pouvait le plus se rapprocher d'amis, cependant, au vue de son manque certain de communication avec autrui -. Il semblait tellement solitaire que Rose se demandait vraiment par quel miracle elle pouvait avoir le quasi privilège de passer autant de temps à lui parler.
Mais, surtout, elle avait appris quelque chose qui l'avait beaucoup secoué, tant ça lui rappelait sa propre histoire, celle de la perte de l'être le plus cher. Crowley était resté assez vague, même assez mystérieux, sur le sujet, mais plus la soirée avançait, plus il avait du mal à contenir ses émotions, pourtant soigneusement dissimulées derrière ses lunettes noires. Il lui avait parlé d'un homme nommé «Zira», un libraire du quartier qu'il connaissait depuis toujours (elle n'avait pas bien compris ce qu'il voulait dire par toujours, tant il avait insisté dessus par moment, sans vraiment s'en rendre compte). Il n'avait pas tout expliqué, mais suffisamment pour que la jeune femme comprenne que ce «Zira» était l'être le plus important de l'univers aux yeux de Crowley. Si elle avait pu voir ses yeux, elle était quasi sûre qu'il y avait dedans toutes les étoiles du monde alors qu'il en parlait. Elle n'avait jamais vu une personne évoquer une autre avec autant de passion, d'amour, d'adoration même, pas même elle envers le docteur et pourtant elle l'aimait plus que tout… Et ça l'intriguait. Vraiment. Elle s'était retrouvée à boire littéralement les paroles, pourtant souvent décousues, de Crowley parlant de son ami. Il lui avait appris que pendant un temps, il y a très longtemps, lui et Zira avait travaillé ensemble, du moins dans le même «camps», et avaient tout deux de très bonnes places. Et puis un jour, Crowley, avec son tempérament «curieux, et peu enclin à suivre les règles sans réfléchir», selon ses mots, avait été banni de son organisation ( Rose ne comprenait vraiment pas de quoi il pouvait bien s'agir, et elle voulait fermement percer ce mystère). Ce qu'elle avait compris entre les lignes ensuite, lui faisait froid dans le dos. Elle était quasiment sûre que Crowley avait été lourdement torturé en guise de punition, avant d'être livré aux mains de l'ennemi, qui l'avait, de quelconque manière, obligé à travailler pour lui depuis. Elle ne savait pas très bien ce que ça voulait dire, car Crowley semblait presque délirer en abordant ce sujet, évoquant un peu pêle-mêle «qu'il n'avait jamais demandé à devenir ce qu'il était devenu», «des douleurs atroces», et «des punitions qu'il ne méritait pas même si personne ne lui pardonnerait jamais, car il était impardonnable». Tout ce dont Rose était sûre, c'était que derrière son délire alcoolisé et désespéré, il y avait des chose terribles, et quelque chose lui disait que la femme en rouge n'y était pas étrangère.
Crowley et Zira avait continué à se voir en cachette, puis peu à peu à s'entraider, alors que c'était strictement interdit pour deux personnes du «camps opposé». Leur amitié s'était étoffée au fil du temps, mais il ne faisait nul doute pour Rose que Crowley était éperdument amoureux de son ami, qui lui, était très partagé entre des sentiments peut-être réciproques, et son sens du respect des règles qui lui interdisait ce genre de choses de toutes façons. La fin de l'histoire avait beaucoup touché Rose. Les deux amis-amoureux-ennemis avaient été démasqués, considérés comme des traîtres, manqués d'être tués, puis ils avaient réussi à se libérer de l'emprise de leur «organisation» respective, et après avoir retravaillé ensemble et noué des liens plus étroits pendant un temps, Crowley avait essayé de dévoiler ses sentiments (c'est ce que Rose avait compris, car il n'était pas très expressif à ce sujet), mais Zira l'avait trahi, lui proposant de revenir finalement travailler dans leur camps du début car c'était le «bon côté» au final… Il avait juste réussi à passer un marché avec l'organisation, négociant le retour de Crowley en même temps que le sien, ce qui équivalait à l'obliger à choisir l'impossible.
«Il n'a quand même pas voulu vous ramener auprès de ceux qui vous avaient fait du mal? s'était exclamé Rose, incapable de comprendre comment on pouvait faire ça à quelqu'un qu'on aimait.
- Non seulement il voulait qu'on y retourne, c'était la condition pour qu'on soit ensemble… Mais quand je lui ai demandé de plutôt me suivre, qu'on s'enfuit ensemble et qu'on soit un nous… Il n'a même pas compris que je puisse penser comme ça… Je devais le suivre sans rien dire et là, il me regarderait… En fait, je ne suis pas assez bien pour lui, c'est toujours moi le mauvais de l'histoire.» S'était presque étranglé Crowley et elle aurait parié qu'il y avait des larmes cachées par les verres teintés. Il avait levé sa pinte de vodka en balayant la pièce d'un geste, l'air encore plus éméché qu'il ne l'était juste avant et articulant avec peine:
«Je suis toujours le mauvais… Partout, toujours, regardez moi les gars… Mauvais pour faire le bien, et même mauvais pour faire le mal, et mauvais même à ssssssses yeux à lui… Je n'ai jamais demandé tout ça, pourquoi vvvvous vous acharnez sur moi, bande de bâtards… Je vous le demande et vous ne répondez jamais…»
Rose avait écarquillé les yeux, regardant partout autour d'eux pour comprendre à qui il parlait et de quoi, se demandant de plus en plus ce qui clochait chez lui, presque inquiète de son air délirant.
«Qui? A qui demandez vous?
- A l'enfer…
-Pardon?
-Enfin, c'est… ffffaçon de parler.»
Répondit il avec un faux sourire d'excuse, réalisant qu'il était sûrement parti dans ses propres délires un peu trop loin.
Rose aurait juré à cet instant voir la silhouette menaçante de la femme mystérieuse devant la fenêtre la plus proche, un froid étrange l'accompagnant, et lorsqu'elle avait relevé ses yeux inquiets vers Crowley, l'ambiance avait changé. C'était encore imperceptible, mais il semblait avoir un peu repris ses esprits et ses épaules, qui s'étaient un peu affaissées lors de son douloureux récit, s'étaient redressées, sa posture désormais plus proche de ce qu'elle avait vu de lui au départ, distante et froide, son corps étonnement gracieusement affalé contre le dossier de sa chaise, son attitude initiale élégante et séductrice retrouvée. Lorsqu'elle reposa son regard à la fenêtre, il n'y avait plus rien.
Rose avait été assez effrayée à nouveau, pendant plusieurs minutes. Puis la nuit avait continuée, ils avaient repris leur conversation et à son tour, elle lui avait raconté comme elle pouvait, sa propre histoire, même si elle non plus, ne pouvait pas tout dire. Elle était sûre au moins d'une chose, c'était qu'ils se comprenaient au sujet de la perte. Pour des raisons différentes, ils n'avaient plus aucun moyen de contacter la personne qu'ils aimaient. Pour Crowley, c'était peut-être encore pire: il avait été abandonné par choix, l'amour de sa vie lui préférant un poste haut placé dans le camps de ceux qui lui avaient fait du mal, les condamnant à ne plus pouvoir se voir, puisque bien sûr, étant déjà des traîtres à leur camps, sans accepter le marché pour leur retour commun, Crowley ne pouvait plus espérer être réhabilité, encore moins avoir le droit de revoir son ami désormais. Rose ne comprenait pas du tout ce choix, qui n'avait aucun sens à ses yeux. Crowley devait certainement aimer Zira bien plus qu'en retour, sinon ce dernier n'aurait jamais fait cela. C'était pire qu'un choix, c'était un abandon. En comparaison, il lui semblait que sa séparation d'avec le Docteur était moins cruelle, car aucun des deux n'avait abandonné l'autre, et ils avaient encore une chance de se retrouver si c'était ce qu'ils voulaient tous les deux. Même si cela semblait très compliqué, c'était encore possible.
««««««««««««««
Lorsque Rose ouvrit les yeux, ce fut par la lumière du jour qui filtrait à travers ses paupières. Elle battit des cils, ne comprenant pas où elle se trouvait, et se redressa, s'apercevant qu'elle était sur une chaise, le nez sur une table. Récupérant alors très vite ses esprits, elle constata sans comprendre qu'elle était toujours dans ce pub où elle avait passé la nuit à discuter et à boire de la vodka avec Crowley.
«Oh mon dieu! s'écria t'elle, la crainte subite qu'il ne l'ait détroussé pendant son sommeil lui venant. Elle s'agita un instant, cherchant ses affaires, mais il ne lui manquait rien, elle portait toujours son sac à dos, son téléphone, son porte monnaie.
«Si vous pouviez éviter de prononcer ce nom…»
Rose sursauta, réalisant que l'inconnu – qui n'en était plus complètement un – de la veille était là lui aussi, regardant à la fenêtre et s'approchant d'elle désormais.
"Bien dormi?
-Oh non, sérieusement? J'ai dormi?! Combien de temps?
-Trois bonnes heures, au moins! Il est sept heures du matin!
-Quoi! Mais… Le pub est fermé! On a été oublié ici? Comment on va faire pour sortir? Je ne comprends pas… Je n'ai même pas mal à la tête, je devrai avoir une gueule de bois phénoménale! Vous avez mal à la tête?
-Pas plus que vous, on n'a pas bu tant que ça! Pourquoi aurions nous mal à la tête?
-Vous plaisantez!?"
Crowley la regarda avec un air à la fois moqueur et content de lui et il éclata de rire un bref instant, et Rose se demanda pour la première fois de la journée, mais pas du tout pour la première fois depuis qu'elle l'avait rencontré, ce qui clochait avec lui. Elle était pourtant vraiment certaine de ne pas tenir autant l'alcool, et elle était en pleine forme, ce qui n'avait aucun sens.
«Nous ferions bien de partir, lui répondit t'il finalement. Personne ne nous a oublié hier soir, j'ai juste payé le serveur de la fermeture pour qu'il nous laisse tranquille, vous vous étiez endormie, et vous n'aviez nulle part où aller, vous n'auriez eu aucun hôtel décent à quatre heures du matin!
-Vous m'avez laissé dormir ici? C'est… Bizarre, mais… Merci! Vous avez dormi aussi?
-Pas besoin pour l'instant… On bouge? Ils ouvrent dans trente minutes, mais vous pouvez passer dans les toilettes si vous voulez vous rafraîchir…»
Rose se leva, acquiesçant, après tout, elle ne faisait rien de mal même si elle n'avait techniquement pas le droit d'être là. Rassemblant ses affaires, elle regarda Crowley et éclata de rire.
«Quoi?
-Vous avez vraiment payé le serveur pour que je puisse dormir la tête sur la table au fond d'un pub?
-Oui! Évidemment que je l'ai fait!
-Vous êtes dingue!» Pouffa Rose qui ne pouvait plus s'arrêter de rire, et Crowley tordit ses lèvres dans une tentative de ne pas rire, avant de céder à son tour. La situation était vraiment ubuesque, et lorsqu'ils s'arrêtèrent de rire, ils s'aperçurent tous les deux que ça faisait longtemps qu'ils n'avaient pas eu un moment d'insouciance comme ça. Ils échangèrent un étrange regard – c'était ce que Rose avait ressenti, puisque qu'on ne voyait jamais son regard en réalité -, et ils se stoppèrent.
«Je vais aller me préparer un peu…» murmura Rose en s'éloignant. En dépassant la silhouette si élégante de son nouvel «ami», elle remarqua que contrairement à elle, il n'avait aucune trace de la longue nuit alcoolisé. Il semblait frais, propre, sa coiffure n'ayant pas bougé d'un pouce, son parfum boisé un peu entêtant toujours parfaitement présent dans l'air autour de lui. Elle l'observa avec étonnement alors qu'il s'était rassis, pianotant sur son téléphone. C'était une curiosité très forte qui la prenait toute entière, quelque chose qui la poussait à chercher à comprendre son mystère. Elle n'arrivait pas à se l'expliquer. Mais elle était quasi sûre qu'il était la personne la plus mystérieuse qu'elle ait rencontré depuis le Docteur, et ça, c'était vraiment, vraiment très intriguant.
Lorsqu'elle eut terminé de se rendre plus présentable, et qu'elle l'eut rejoint, ils sortirent dans la rue déjà bien animée à cette heure-ci. Crowley se tourna vers elle, semblant hésiter.
«Je vais rentrer chez moi, j'ai… Du travail… Et vous, vous devez continuer votre voyage... Je souhaite que vous retrouviez votre Docteur…»
Rose ne put s'empêcher d'avoir une moue de déception, elle avait espéré pouvoir continuer à enquêter sur lui, mais il avait raison, elle devait repartir et il ne pouvait pas l'aider. Cependant, elle ne pouvait pas le faire, sans son manipulateur de vortex, mais elle ne pouvait rien lui dire.
«Oh… Oui, bien sûr… Je le retrouverai! Et j'espère que vous vous réconcilierez avec votre ami, un jour… Qu'il reviendra vers vous…» lui répondit elle, sincère, et il se contenta de hocher la tête d'un air qui voulait dire qu'il savait que ça n'arriverait pas. C'était triste, pensa Rose, mais elle décida plutôt de ne rien relever et de lui adresser son sourire le plus chaleureux, car c'était elle, la jeune femme était comme ça, elle s'attachait vite aux gens qu'elle croisait et elle leur apportait, si ce n'est son aide, son sourire et sa sympathie. Elle ne l'avait peut-être pas fait avant avec lui, car ils avaient partagé un certain désespoir, et c'était d'ailleurs quelque chose qu'elle ne faisait jamais, en tout cas certainement pas avec un inconnu. La journée et nuit précédente, avaient été on ne peut plus étrange, et elle était quasi sûre qu'en attendant de trouver une solution pour repartir, ils allaient se recroiser.
«Merci!» lui dit t'elle sincèrement, et même si lui était loin d'avoir un caractère aussi solaire que Rose (c'était même le contraire), il y répondit avec son petit demi sourire qui le caractérisait, avant de s'éloigner un peu.
«Je vous ai laissé mon contact dans votre téléphone, pendant que vous dormiez… Mais vous ne l'utiliserez QUE si vous avez besoin d'aide, si vous m'appelez un jour, je veux que ce soit uniquement si vous avez absolument besoin de moi en urgence! Promesse?»
Rose était surprise de cette demande. C'était vraiment bizarre de donner ainsi son numéro pour ne faire promettre de ne l'utiliser qu'en cas d'urgence. Mais, qu'est-ce qui n'était pas étrange chez Crowley?
«D'accord, je promets… Mais… Crowley… Dans quelle genre de situations, pourriez vous m'aider?
- Le genre désespéré, où il faudrait presque un miracle pour s'en sortir… répondit t'il avec son plus charmant sourire, avant de s'éloigner définitivement. Cela aurait pu très bien vouloir dire «ne m'appelez jamais», mais Rose était presque sûre qu'il était sincère dans son offre. Elle s'éloigna à son tour, le sourire retrouvé, ressentant combien ça avait soulagé un peu son âme de confier ses douleurs et de les partager.
««««««««««««
«Qu'est-ce que tu fais, Crowley? Elle est où la fille?
-L'auto stoppeuse? Pas intéressante…
-C'était le deal! La PREMIÈRE personne que tu croises! Et c'était elle!
- Elle s'est mise ivre cette nuit! Je lui ai fait boire de la vodka, je suis sur qu'elle n'avait jamais bu autant avant!
- Et tu crois que ça va suffire? Crowley, tu n'as pas l'air de comprendre, c'est un test… Tu sais ce qu'«elle» te fera si tu échoues?
-J'en ai bien une petite idée, oui… Mais je n'échoue jamais, tu me connais voyons! Mais cette fille, elle n'était pas intéressante pour nous, crois moi…
-Alors débrouille toi pour qu'elle le devienne! C'est ton TRAVAIL, Crowley!
-Ngkkkk… Je connais mon travail, je te rappelle que je suis beaucoup plus plus haut placé que toi à la base…
- Mais moi, je ne suis pas un traître, j'ai toute la confiance de qui tu sais… Et toi, tu n'as la confiance de personne parmi nous, malgré ton pacte… Alors si tu veux faire tes preuves, tu vas retrouver cette auto stoppeuse, la ramener chez toi, la pervertir par tous les moyens possibles, et faire TON TRAVAIL pour une fois! Et fais ça bien!
- Je ferai ce que j'ai à faire… Mais je veux choisir ma cible. Je te l'ai dit, cette fille, je la sens pas… Elle doit certainement avoir un lien quelconque avec… Tu sais, l'autre camps… Et c'est une voyageuse, il me faut quelqu'un qui soit d'ici, à Londres, que je puisse y mettre le temps qu'il faudra… Vous aurez ce que vous voulez, mais il va falloir me faire confiance…
- Jamais… Tu sais ce qui t'attends si tu ne nous fournis pas la bonne personne et à nos conditions… A très vite, Crowley. Si tu échoues, c'est moi qui m'en occuperait. Et je choisirai l'auto stoppeuse…
««««««««««««««««
Rose avait passé la journée a essayer de réparer son téléportateur. Depuis qu'elle avait été séparée du Docteur, elle avait travaillé pour UNIT, en tout cas celui de la Terre alternative où elle habitait désormais. L'unité de défense de la Terre contre les menaces extraterrestres était performante, et elle avait beaucoup appris auprès d'eux, bien qu'elle aussi, leur ai apporté nombre de connaissances précieuses qu'elle avait de par son expérience solide d'aventurière de l'espace temps auprès de la personne la plus qualifiée qui soit dans le domaine, le dernier Seigneur du temps, le Docteur. Elle était donc normalement tout à fait capable de réparer l'appareil, mais il semblait que cette fois-ci, ce n'était pas possible. Il semblait avoir complètement grillé de l'intérieur et elle commençait à penser qu'elle ne pourrait plus jamais repartir.
Si cela était le cas, avec de la chance, son père et les autres équipes de UNIT viendrait peut-être la chercher, si encore ils parvenaient à trouver les coordonnées où elle se trouvait et surtout, dans lequel des univers parallèle elle était, et c'était tout le problème: ils ne pouvaient jamais être sûrs de là où ils allaient atterrir. Depuis que la faille entre les mondes avait été ouverte artificiellement à un endroit et de manière maîtrisée, il était certes possible de rejoindre d'autres mondes, mais pas encore de décider lequel. Ça voulait dire qu'elle était livrée à elle-même, et cette fois-ci, contrairement à quand elle avait échoué la première fois dans un univers parallèle sans le Docteur, elle n'avait pas sa famille avec elle. Elle était seule.
S'asseyant dans l'herbe du parc où elle avait passé sa journée, elle soupira avec lassitude, les larmes lui montant aux yeux.
«Docteur… Si seulement tu m'entendais, si je pouvais juste t'envoyer un message, je sais que tu viendrai me chercher… Tu me manques tellement, mon amour… Viens me chercher, je t'en pris… Je ne suis plus inaccessible, il y a une faille… S'il te plaît…»
Elle se concentrait, espérant que les capacités télépathiques du Docteur pourraient fonctionner, quelle que soit la distance, qu'il ressentirait son appel comme elle avait ressenti le sien lorsqu'il avait réussi à lui faire ses adieux. Mais il pouvait être n'importe où, sans doute beaucoup, beaucoup trop loin, et elle n'était pas elle-même télépathe. Il était possible que lui, lui envoie un message, car son esprit était très puissant et ils avaient un lien fort, mais elle… Elle n'était qu'une simple humaine. Pour sortir d'ici sans téléporteur, il faudrait un miracle…
Aussitôt, ses pensées se dirigèrent vers Crowley. Il lui avait dit qu'il serait là si elle se retrouvait dans une situation «de celles où il faudrait presque un miracle pour s'en sortir». Elle sourit tristement à travers ses larmes, ça ne voulait pas dire grand-chose, et qu'aurait-il pu faire de toutes façons? Elle n'allait pas l'appeler et lui dire, «Hey, salut, j'ai besoin que tu m'aides parce que ma machine à voyager instantanément d'un univers à l'autre est cassée, je voudrai rentrer chez moi et aller rejoindre mon amoureux qui en fait vis dans un univers différent de celui-ci, ah et au fait, je suis en fait la compagne d'un Seigneur du temps de la planète Gallifrey et nous voyageons à travers le temps et l'espace dans un vaisseau spatial déguisé en cabine de police…»
Elle ne put s'empêcher de rire devant l'absurdité de la situation. Ici, elle devait garder secrète son histoire. Il n'y aurait personne pour l'écouter ni pour l'aider. Et d'ailleurs, la seule personne qu'elle connaissait dans cet univers, c'était un sosie de son Docteur en version punk mystérieux qui avait clairement beaucoup de choses à cacher. Ça semblait vraiment très absurde.
Mais elle n'avait rien d'autre à faire pour l'instant… Alors, cette fois-ci, c'était décidé. Elle avait du temps, et la quasi certitude qu'au fond, tout cela n'était peut-être pas une coïncidence. Elle allait chercher. Le retrouver, avoir des réponses. Elle tenta surtout de ne pas s'attarder sur sa voix intérieure qui lui murmurait…
"Tu sais pourquoi tu fais ça… C'est un tentateur… Te laisserais tu tenter?"
