Londres, août 2013,
Rare les fois où l'air de Londres était presque irrespirable. La fin du mois d'août l'était. Pourtant, même avec cette chaleur, le MI6 se devait de continuer à tourner. Q se sentait légèrement chanceux, il avait refusé que son département ne soit déplacé dans un autre bâtiment où à un étage plus convenable. Il était resté dans le bunker, là où l'air restait légèrement frais. Q avait fait le tour de son agenda électronique. Quelques banalités à voir avec double-zéro quatre sur son briefing, le temps d'échanger également. Puis, donner le passeport et les documents suivants à double-zéro neuf. Et enfin, assister au debriefing de double-zéro sept, et de sa victime au repêcher au fond de la Tamise. Calculer les dépenses que le pays devrait - encore - faire pour les dégâts. Q n'osait même plus passer au service comptabilité. James Bond était un gouffre financier.
Q n'arrivait pas à lui en vouloir plus de trois jours. Oui, oui, il avait fait le calcul. Il n'était pas revenu en rampant non plus, mais il était revenu le voir. Parce qu'il était tombé amoureux. Et que c'était difficile de se défaire de ça. James le savait. Les sentiments de Q n'étaient pas très compliqués à déchiffrer. Il n'avait jamais joué dessus, ou avec. James avait simplement ouvert la porte quand la sonnerie avait retenti. Q avait fait l'impasse sur son manque de décoration. Et ils s'étaient embrassés. Puis, la nuit ne faisait que commencer. Il était deux ou trois heures du matin, mais Q avait réussi - ne serait-il jamais comment - à faire en sorte qu'un livreur sonne avec des pots de glaces et un pack de bière.
" Comment ?"
" C'est au moment où tu as décidé de me faire surveiller, tu sais ?"
James était pris la main dans le sac. Il n'avait pas vraiment demandé que Q soit sous surveillance. Juste protéger. Il lui avait demandé de changer son système de sécurité. Ce qui avait valu un changement d'adresse.
" Je ne te fais pas surveiller Q, le MI6 te protège, c'est tout."
" Cela étant, j'ai dû trouver un moyen de me faire livrer à manger sans qu'un agent ne file un coup de taser à n'importe qui."
" Ils ne sont pas tous comme ça."
" Vous êtes tous comme ça."
Q avait levé la tête vers le haut, en direction du torse et de la tête de James qui le regardait avec de gros yeux.
Ses gros yeux bleus…
Puis il s'était décalé pour enfiler de quoi aller chercher la commande. Q en avait profité pour se remettre contre le dossier du lit, mais n'avait pas bouger davantage.
" Deux pots de glace et de la bière. Quel dîner de qualité."
" Parce que tu dînes à trois heures et quelques du matin ?"
" Tout dépend de la personne avec qui je suis."
Il ne s'en fallait pas plus. Un frisson, mauvais sentiment, avait traversé le corps de Q. Pensant immédiatement que leur amour pouvait prendre fin rapidement. Il ne suffisait que d'un mot, une mauvaise chose, une balle perdue, pour qu'ils se perdent. Ils s'étaient, des tas de fois, dit des choses sans jamais en reparler par la suite.
" Q, je plaisantais."
" Oui, bien-sûr."
James avait posé le sac en papier puis était allé deux cuillères pour les glaces. Q était resté contre la tête de lit, perdu dans ses pensées. Qui sincèrement pouvait croire à ça ? Le quartier-maître et l'espion aux milles conquêtes. Q avait souvent pensé à ça, bien avant cette nuit. Qui sait ? Un jour, alors qu'il serait en train de lui parler par oreillette interposé, il serait le dernier à entendre son souffle, ses dernières paroles. Et à qui donnerait-il leurs condoléances ? Personne, évidemment. Car personne ne le savait. Et personne ne devait savoir. Passé quartier-maître était déjà signe de se balader avec une cible dans le dos. Et Q avait renoncé à toute forme de possibilité d'avoir une famille. Il s'égarait. Mais cela restait dans une partie de sa tête.
" Attends, laisse-moi faire…"
Q avait pris puis poser le pot de glace au sol, puis il avait pris celui de James dans ses mains.
" Tu me fais confiance ?"
" Toujours."
Alors Q c'était légèrement redressé avec le pot de glace en main. James semi-allongé avait décidé de se laisser faire. Q avait pris la cuillère à soupe et avait pris de glace, une partie fondue, l'autre non. Puis maladroitement, et en faisant exprès, il en avait fait tomber sur le torse de l'espion. Il avait seulement eu un léger frisson, la température de son appartement ne le laissait pas avoir froid.
" Mais quel maladroit je suis…"
" Q…"
Q c'était encore mieux redressé qu'au début et avait approché sa bouche de la glace, commençant réellement à fondre, et glissé. Très délicatement, la langue de Q était en train de glisser sous le corps de James, qui ne perdait pas un instant de savourer ce moment. Il sentait chaque coup de langue le remplir de cette énergie qu'il aimait particulièrement. Une fois qu'il n'avait plus senti aucune surface froide au contact de son torse, James avait trouvé la force de reprendre ses esprits et de se remonter pour directement embrasser. Parce que, bon sang, il avait désespérément envie de remettre ça. Malgré la chaleur, malgré l'heure, malgré le fait que le lendemain, Q serait en face de lui, presque en train de lui faire la morale sur l'énième pistolet qu'il avait perdu, balancer où totalement détruit. Mais ça n'était pas grand-chose. Ils arrivaient à compartimenter. A faire la différence, à savoir où était la limite.
" Tu crois que quand j'aurais 70 ans - où un âge de ce genre - tu m'aimeras encore ?"
Parce que moi, je crois que oui.
Q était sur le dos, la tête complètement à l'opposé de celui qui venait de lui dire cette phrase, au premier abord, totalement banale. Puis il avait tourné sa tête et en voyant que James le regardait de façon très sérieuse, il avait accepté ce qu'il avait dit.
" A 50, 55, où 60 ans, moi, je t'aimerais. (Il avait attendu quelques instants, puis il avait repris :) on devrait dormir. Le soleil ne devrait pas tarder à se lever."
Et toi, m'aimeras-tu comme je t'aime ?
Car toute l'inquiétude de Q était là. L'aimait-il autant que lui ? Arriveraient-ils à le dire, en bonne et due forme, un jour ? Et si ce sentiment disparaîtrait ? Q avait souvent songé à le lui dire. Et à chaque fois, il s'était rétracté. Ils n'étaient pas de ce genre. James lui faisait comprendre. Oh ça oui. Q était plein d'attention. Lui aussi, à sa manière, il lui avait fait comprendre qu'il l'aimait, sans jamais lui dire.
Ça, c'était la nuit dernière. Maintenant, ils étaient tous assis autour de la table de débriefing, à la surface. Là où Q ne se sentait pas en sécurité le plus. Mais entouré de l'agent double-zéro sept, M et Eve, il avait réussi à se sentir en sécurité. Au début, M avait commencé par faire un récapitulatif de ce qui avait été demandé à Bond. Choses qui n'avaient pas été respectées.
" Et puis, la victime a été retrouvée au fond de la Tamise."
" Il avait sûrement trop chaud."
Q et Eve avaient presque souri face à l'insubordination de l'agent. Il n'avait que faire du protocole, entêté par son but. La vérité était que, oui, Bond l'avait jeté par-dessus du bateau de croisière sans sourcilier. Un terroriste de moins sur cette planète serait utile. Le seul problème, était que cet homme n'était pas un simple pion. Après les renseignements donnés par la CIA, ce type en savait énormément. Bond avait donc fait l'erreur de le tuer. Se retrouvant à répondre de façon arrogante à M.
" Il me semble que nous avons fait le tour. Q quelque chose à ajouter ?"
" Savez-vous à combien les dommages s'élèvent-ils, double-zéro sept ?"
" Je vous en prie Q."
Bond avait le sourire que Q détestait tant. Il voyait clairement qu'il se fichait du montant. La Couronne Britannique avait les moyens de protéger le pays, ils avaient également les moyens de le reconstruire.
" 3 millions de livres Sterling."
" Pour un bateau de croisière ?"
" Pas qu'un simple bateau. Il y avait des personnes dessus. Mais il y a aussi les débris - dû à l'explosion -, la route coupée en deux grâce à vos exploits."
" Un réel plaisir."
Voyant que Bond prenait tout cela à la légère, M était levé. Pensant que l'agent ne se rendait pas compte de tout ce que Q était en train de lui dire. Trois millions de livres Sterling. C'était trois millions de moins donné aux renseignements.
" Foutez-moi le camp Bond."
Chacun leur tour, ils s'étaient levés et avaient laissé la salle libre.
En fin de soirée, plutôt tard, Bond s'était encore une fois allongé sur le canapé. Celui dans le bureau de Q, face à son bureau. Une partie des rideaux étaient tirés, et une partie des agents du MI6 étaient partis. Q tapait à une vitesse sur son ordinateur, tandis que James faisait quelque chose sur son téléphone portable, évitant le soin de couper le son. Regardant factures après factures, Q releva la tête et s'aperçut que oui, effectivement, James n'en avait rien à foutre des dommages causés. En plus de cela, le bruit de l'appareil commençait à lui taper sur le système. Il connaissait la musique, mais n'arrivait pas à remettre le nom dessus. Et son téléphone avait sonné. Le nom de double-zéro quatre s'était affiché. L'espace d'un instant, il n'avait pas envie de répondre, mais cela pouvait être important. En tout cas, il était hors de question de parler d'autre chose que du travail.
" Tom ! Quoi de neuf ?"
James avait lâché son téléphone et tourner la tête vers Q, qui l'avait remarqué.
Jaloux ?
" Que puis-je faire pour toi ?"
" Je voulais juste prendre de tes nouvelles, rapidement. Cela fait longtemps que je ne suis pas passé."
" Cela fait longtemps que tu es parti."
Les longues missions, voilà ce que double-zéro quatre - Tom - aimait. Mais là, ça n'était clairement pas le moment de discuter de la pluie et du beau temps. Il devait lui faire un rapport demain. Pas ce soir. Non ce soir, Q avait autre chose à faire. James avait décidé de ne pas le lâcher du regard. Fronçant presque les sourcils. Au diable qui était ce Tom qui, quelques instants, l'avait fait rire ?
" Je vais devoir te laisser. J'ai encore pas mal de boulot."
" Bien-sûr. Nous faisons une visio demain de toute façon."
" C'est ça. Bonne soirée."
" La journée va commencer ici."
Q s'était excusé, puis avait terminé sa conversation. Pour se remettre sur son ordinateur. Mais de l'autre côté, James attendait des explications. Pas du genre à être jaloux. Non, clairement. Mais il voulait être sûr que sa relation avec Q était exclusive.
" Tu comptes me dévisager encore longtemps avant de poser la question qui te brûle les lèvres ?"
" Quelle question ?"
Il avait levé son nez de l'ordinateur quelques secondes et avait rapidement réussi à comprendre l'humeur de James, à comprendre qu'il était contrarié.
" Ne sois pas jaloux."
" Moi ? Jaloux ?"
" Cela m'en a tout l'air. James, Tom est un ami. Un collègue."
" Tu parles toujours aussi amicalement avec tes collègues ?"
Mais bordel ! Oui, il est jaloux.
James avait levé les yeux en l'air puis s'était affaissé dans le canapé, le téléphone faisant toujours du bruit. Q n'allait clairement pas se priver de jouer de cette jalousie. Infondé ou pas.
" Oui. Et tu sais quoi ? L'un d'eux me baise."
" Q !"
" James !"
Q le regardait avec un grand sourire, n'ayant absolument pas honte de ce qu'il venait de dire.
" Je me trompe où tu ne sais même pas qui est Tom ?"
" Je n'en ai aucune idée Q."
James avait repris son téléphone et avait repris la partie, qu'il venait de perdre, pour en recommencer une autre. Il avait réussi à passer le niveau suivant, et encore après… sans que Q ne lui dise qui était Tom. Jusqu'au moment où celui qui était en train de taper plus vite que son ombre sur l'ordinateur avait enfin trouvé à quel jeu jouait James.
" Ne me dit pas que c'est… Candy Crush ?"
" Si, pourquoi ?"
Q c'était mis à exploser de rire. Et heureusement que les trois quarts du MI6 était vide, on aurait pu l'entendre jusqu'en Antarctique.
" Mon Dieu, je me tape vraiment un vieux."
" Quoi ?"
Q n'arrivait réellement pas à s'arrêter de rire. Il était tellement sincère, tellement entraînant. James le regardait avec ses gros yeux mais sans rien trouver à lui dire. Mis à part qu'il l'aimait, son rire. Qu'il avait aimé la façon dont il venait de rire aux éclats. Qu'importait le fait qu'il venait de lui balancer sans aucune gêne qu'il était vieux.
" Tu n'as qu'à me trouver une activité plus distrayante dans l'avion."
" Désolé. Oh là, oui. Désolé."
Q peinait à se calmer de son fou rire.
" Tu es exaspérant Q, je te l'avais déjà dit ?"
" Jamais, mais je me ferais une joie de rajouter cette qualité sur mon CV. Tu as trouvé qui était Tom ?"
" Crache le morceau."
" Tu es un double-zéro vraiment snob. C'est double-zéro quatre."
" C'est pas Sam, double-zéro quatre ?"
" Non, c'est double-zéro neuf ça. Pitié, fais un effort."
James s'était levé du canapé et avait pris soin de fermer le dernier volet du bureau ouvert, puis était venu jusqu'au bureau. C'était assis dessus, juste en face de la chaise à roulettes occupée. Il n'avait pas réfléchi à cette question, elle était presque sortie de sa bouche sans aucun contrôle. Mais il lui avait demandé. Cela faisait plus d'un an. James aurait sans doute pu avoir cette information en cherchant comment fouiller dans les dossiers de M - l'ancienne M. Où même l'actuel. Mais il avait préféré lui poser la question de lui-même.
" Et toi, c'est quoi ton vrai prénom ?"
Q avait ressenti une vague de frisson.
Comment ose-t-il ?
Q savait que James n'avait aucune retenue. Il voulait quelque chose ? Il le prenait. Il voulait savoir quelque chose ? Il ne passait pas par quatre chemins pour avoir l'information. James n'était pas doué pour pirater quelque chose, il était doué pour voler les informations. Q avait eu l'interdiction de dévoiler son véritable prénom. Tout était une question de sécurité. La sécurité de son emploi, du personnel au MI6, et la sécurité de son passé.
" Je… je ne peux pas te le dire."
Q c'était senti vulnérable. Il aurait tellement aimé lui dire. Il était amoureux. Ils étaient amoureux. Q n'était pas doué pour mentir, pour les secrets. Cependant, celui-ci relevait de sa vie, sa survie. Avoir changer de prénom, c'était avoir eu la vie sauve. Cela faisait à peine deux ans qu'il avait réussi à passer toutes les accréditations, tous les protocoles et exercices pour devenir quartier-maître. Il ne voulait pas tout risquer de perdre pour une question d'honnêteté, pour une question d'amour.
" Tu sais très bien que tu peux me faire confiance. De plus, toi tu sais tout sur moi."
" Non, pas tout."
Entre autres, Q n'avait jamais eu la version intime de ce qu'il s'était passé en Écosse. Ayant eu le droit qu'à la version du rapport. D'un côté, Q savait même jusqu'à la taille de t-shirt de James. Oui, il savait beaucoup de choses. Mais ces choses-là étaient en partie dans le cadre du travail.
" Q, tu sais très bien que…"
" Non James. Je n'ai pas le droit."
Q s'était levé et avait créé un espace entre eux. James s'était retourné et était en train de le regarder. Il avait besoin de mettre de la distance. Comment une conversation, partie sur de l'humour, avait pu devenir aussi sérieuse ? Q ne plaisantait pas avec son vrai prénom. Mais lui dire revenait à devoir lui dire toute la vérité. Les deux n'étaient pas prêts à ça.
" Qui le serait ? Il n'y a que toi et moi ici."
" Qu'importe. Il y a des protocoles, des règles. Je n'ai pas le droit."
James avait fait le tour du bureau pour se rapprocher de Q. Il s'en voulait de le voir aussi réticent à cet élan de confiance. Insister un peu plus n'était qu'une banalité. En tendant son bras vers lui, Q avait encore reculé de quelques pas - vers la porte.
" Non, s'il te plait."
" Attend Q. Je suis désolé d'accord ?"
" Ce n'est pas suffisant. Je… je refuse OK ?"
Putain, catégoriquement je refuse ! Mon cœur s'accélère, je dois me calmer, je dois respirer. Putain.
Ses mains tremblaient également. Son sang devenait chaud. Il reculait à chaque pas que James faisait dans sa direction. Son bureau n'était pas aussi grand qu'il l'avait espéré à ce moment. James entendant que Q avait la respiration de plus en plus forte et irrégulière. Et à chacun de ses pas, l'autre fuyait.
" James ça suffit. Stop !"
Q avait haussé le ton, mit sa main entre eux. Il y avait eu ce contact entre eux. La paume de la main de Q sur le ventre de James. Lui qui voulait juste se rapprocher de lui pour le calmer. Savait-il seulement ce qu'il venait de déclencher ? Non. Des heures avant de réussir à se calmer.
" Je suis navré, je ne voulais pas…"
" Je… je ne peux pas. Pas comme ça."
Il avait retiré la main, puis s'était rapidement tourné pour sortir de son propre bureau.
Lui dirait-il un jour ? Sûrement. Après tout, ils s'aimaient. Très sincèrement.
