Chapitre 6

Pause de midi, année *

Je déchiquetais la viande saignante dans mon assiette, suivant vaguement les imbécilités débitées par Malefoy junior, m'ennuyant en fait. Alors qu'avant… avec Lily, et Rogue… Sans m'en rendre compte, je levai la tête en direction de la table des professeurs. Un vague coup d'œil seulement, puis je me détournai. Il n'était pas là de toute façon. J'étais fatiguée. Un dernier regard au massacre dans mon assiette et je me levai. Ma lassitude se répandait peu à peu en moi. Mais je refusais d'en retrouver les raisons profondes, je refusais de me rappeler pourquoi… ma meilleure amie… Pourquoi… Pourquoi?!

-Lumare!

Mes yeux rouges flamboyants fondirent sur le garçon. Potter. Et sa clique évidemment.

-Nous devons parler.

-Certainement; sifflai-je.

Ils semblaient moins sûrs d'eux tout à coup. Je retins difficilement un sourire narquois mais les suivis sans protester. Nous montâmes jusqu'au premier étage, traversâmes quelques couloirs, jusqu'à arriver dans une salle désaffectée. Ils jetèrent quelques Silencio aux fenêtres et à la porte puis s'assirent sur des tables poussiéreuses, face à moi. Il y eut un silence. Puis Granger prit la parole, vraie petite lionne:

-J'ai fait des recherches sur le coffre aux tributs, sur le Nid des Fondateurs… Tout est vrai. Mais n-nous avons d'autres questions.

-J'écoute; fis-je, m'appuyant légèrement contre un vieux bureau.

-Le coffre, avec quel sang il s'ouvre?

Je crispai les mâchoires, avant de lâcher à regret:

-Le mien.

Mon sang… Mon sang souillé. Et tout ça par la faute de Dumbledore. Sans lui, je serai encore là-bas. Avec Lily, ma meilleure amie et avec le Rogue de 17 ans qui avait toujours son grand nez plongé dans de nouveaux manuels de potions. Largement le potentiel pour être un maître des potions à mon humble avis.

-Pourquoi tu es revenue?

C'était Potter qui parlait. Et un sursaut de colère me prit à la gorge tandis que je crachais:

-J'ai été piégée par ton vieux débris!

Mes mâchoires se crispèrent, la langue frémissante de toutes les horreurs qu'il avait provoquées dans ma vie. Cette vieille chèvre! Je me ferai un plaisir de lui briser sa colonne vertébrale avant de déchiqueter sa chair, morceau par morceau. Cependant, confier cela au gamin prodigue me semblait quelque peu contreproductif.

-Dumbledore l'a décidé; fut tout ce que je parvins à cracher.

Calme. Il fallait que je reste calme. Calme… Il y eut un silence, lourd, incertain. Qui me permit à moi de me contrôler enfin. Mes yeux redevinrent bleu océan, je rejetai doucement mes cheveux noirs en arrière, puis d'une voix calme leur enjoignis de continuer. Ils me demandèrent des précisions sur les Horcruxes, sur le coffre, sur les clefs, puis sur le Nid. Cette fois, je ne fus pas interrompue par les singeries du roux. Ce fut presque réconfortant de croiser par moment les yeux vert émeraude de Potter, ceux de Lily. Je me sentais mieux. J'avais envie, oui, envie de le protéger.

-Mais s'il n'y a que Voldemort…

Le roux trembla, Granger serra les mâchoires. Mais aucun d'eux ne le reprit.

-… qui peut les détruire. Comment on va faire? Demanda-t-il.

-Je crois que tu es relié à lui, non?

Potter hocha la tête, attentif. Granger avait déjà compris.

-Alors il n'y a que Lui et Harry qui peuvent détruire les Horcruxes.

Exact. Je commençais à apprécier la vivacité d'esprit de la lionne à la crinière touffue. Granger. Elle était en ce moment même en train d'entortiller une de ses mèches déjà bien ondulée, plissant les yeux sous la concentration. Tandis que le roux se grattait vaguement le crâne, et que Potter m'observait, pensif. Quel trio de choc.

-Alors; fit Granger, quand est-ce qu'on pourra prendre la première clef?

-Il faut attendre la première l…

Un hoquet déchirant me plia en deux. J'écarquillai les yeux sous la surprise et la douleur, avant de tomber au sol pour cracher mon propre sang. Comment…

-Khorine! Lança Granger en se précipitant vers moi.

Les deux garçons aussi, en même temps. Ils s'approchaient. Mais avec ce sang, j'avais… faim. Granger avança le bras vers moi. Son poignet, ses veines emplies du liquide vermeil.

-Reculez! Criai-je, le regard flamboyant.

Je sentais un filet de sang couler sur mon menton, et mes yeux plus écarquillés que jamais. J'avais mal! Tellement mal! Et faim… Granger fit un nouveau pas vers moi. Et c'en fut trop. Dans un sifflement furieux, je me relevai pour fuser vers la sortie. La fille cria, la porte se referma, je me précipitai à l'extérieur. J'avais… failli… perdre le contrôle… J'étais malade.
Du sang s'écoulait toujours d'entre mes lèvres, projetant quelques gouttes dans mon sillage. J'avais mal. Sans m'arrêter, j'empruntai un passage secret pour quitter Poudlard, arrivai à Pré-au-lard, transplanai.
Ca ne venait même pas de Rogue. Ca ne venait pas de lui. J'en étais certaine. Je parvins à une ville aux confins de l'Ecosse, ses maisons, son église et ses paysages croulaient sous la neige. Il y avait quelques Moldus encore dehors par ce froid. Et un imprudent qui se dirigeait vers les bois où j'étais apparue. Je n'avais pas le temps, pas la force de courir derrière un animal sauvage.
Oh Merlin… L-la douleur…C'était en moi. Je titubais dans la neige, avançant vers ma proie. Son sang s'écoulait dans ses veines, mélodie alléchante. J'en avais envie, il m'en fallait. Un sursaut de vitesse, et je fus devant lui. Lily… Le mortel eut un sursaut grotesque, puis écarquilla ses yeux noisette. Après tout, j'étais pitoyable. Plus blafarde que sa neige, le sang s'échappant de ma bouche par filets, les yeux aussi vermeils que deux rubis à la lumière du jour.

-Q-qui êtes vous?

Je ne pris même pas la peine de lui répondre. Son cœur battait tellement fort! Je le plaquai avec une force incomparable contre un arbre qui craqua, avant de planter mes crocs dans sa carotide. Il hurla. Hmm, ce sang si sucré. Ses cris, le fait qu'il se débatte n'effleura qu'à peine mes perceptions. Non, tous mes sens étaient tournés vers cette nourriture qui se déversait dans ma gorge en longues goulées rafraîchissantes. Cela faisait si longtemps que je ne m'étais pas nourrie! Si longtemps! Je vidais l'homme de près de deux litres de sang avant de le laisser s'effondrer dans la neige rouge. Il était mort. Et moi enfin satisfaite. Cette maladie n'avait que trop dur… Une douleur inimaginable me frappa au ventre, se répandit dans mon être entier. Je tombai à genou dans la neige, incapable de supporter… Cette souffrance. Un horrible gargouillis s'échappa de ma gorge. Long, profond, terrible. Et tout le sang bu fut recraché. Je restai tellement longtemps dans la poudreuse, me tordant de douleur en laissant s'échapper le liquide vital. J'avais… mal. Tellement… mal.

Trois jours plus tard, cours de potion, année *

Un vampire malade… C'était impossible. Impossible!
Et pourtant mon corps était plus froid que jamais et je n'avais pas réussi à me nourrir depuis au moins une semaine. Plus rien. Ni viande, ni pain, ni fruit, ni sang. Et j'avais mal, faim.

-Et on finit tous en cœur par «Weasley est notre roi»!

Je reniflai vaguement de l'ombre où je me terrais, à la droite de Malefoy junior. Depuis quelques temps la lumière m'était devenue intolérable. Et même aux cachots j'échappais difficilement à celle qui perçait des soupiraux.

-Je crois que le prochain match de Quidditch va être excellent; minauda Parkinson en souriant.

-Moui; fit Malefoy assez fier. Maintenant, faîtes passer les paroles aux restes des élèves.

Ses deux gorilles, de leurs petits noms Crabbe et Goyle, attrapèrent un paquet de feuilles chacun et suivirent Zabini et Parkinson qui partaient déjà les distribuer. Le sourire toujours aux lèvres Malefoy junior se tourna vers moi. Je ne m'amusai même pas à l'imiter.

-5 gallions qu'il n'arrêtera pas un seul souafle.

-Tenu; lâchai-je vaguement.

Il me regarda un moment assez bizarre. Je crois que j'haussai un sourcil à son encontre. Ce qui lui fit lâcher d'une voix incertaine:

-Tu ne vas pas bien?

-… Légèrement malade; eus-je le temps de lâcher avant que la porte de la classe ne s'ouvre brusquement.

J'avais de plus en plus envie de vomir. Et je me sentais si fatiguée, lasse de tout. Ma mission ne me paraissait qu'une vaste plaisanterie. J'aurais seulement dû tuer le vieux lorsque j'en avais eu l'occasion et m'exiler aux confins de la Terre en emportant toute ma douleur. Oui, j'aurais dû le faire… J'entrai en Potion et pris place à côté de ma "partenaire". Parkinson, qui d'autre. Il n'y avait presque aucun bruit dans les cachots. Rogue parvenait à merveille à calmer les envies de discuter, de bouger, ou même de respirer. Ca venait sûrement de ses longues robes noires et sévères. A moins que ce ne soit son terrible regard ou sa propension à distribuer à la pelle punitions et sarcasmes. Ca ne ressemblait pas totalement au Rogue que j'avais connu.

-… Je veux deux fioles par paillasse de la potion de Force à la fin de ce cours. Ceux qui seront dans la malencontreuseincapacité; son regard se porta comme par hasard vers Longdubas, à me les fournir se verront en retenue avec le concierge jusqu'à la fin du mois.

… Sadique.

-Pas de question? Demanda-t-il d'une voix doucereuse, comme si quelqu'un pouvait s'aventurer à en poser une. Bien, commencez.

Et personne ne se fit prier. Parkinson me jeta un regard étrange puis marmonna:

-Hmm, je vais chercher les ingrédients.

Un vague mouvement de tête dans sa direction fut ma seule réponse. Cette gamine insipide! Lily, elle, aurait déjà… J'étouffai dans ma manche la quinte de toux qui me parcourait. Tellement mal. Puis j'essuyai mon sang. Personne ne sembla y faire attention, encore moins Rogue, son gros nez plongé dans des copies d'élèves. En fait, je l'aimais bien son nez. Et pour ses capes et robes, j'étais heureuse qu'il ne porte plus les haillons que lui laissaient ses moldus de parents. Un éclair de colère passa en moi, puis s'évanouit avec la douleur. Parkinson revint avec les ingrédients nécessaires. J'inspirai, expirai. Ma vision devenait trouble. Pourquoi… J'allumai le feu sous le chaudron. La Serpentard versa l'eau, puis tout le venin d'Acromentule.

-C-comme d'habitude, tu prépares les ingrédients et je mélange.

Un bref hochement de tête lui répondit. Elle me fixa alors et son regard dévia vers les commissures de mes lèvres.

-Khorine, tu…

J'essuyai le sang qui s'y trouvait puis grognai:

-C'est rien. Ca va passer.

Elle hésita, mais finit par se détourner pour tourner la cuiller en argent. Typique d'un Serpentard. Tes problèmes ne regardent que toi. Mais si j'avais été malade dans l'autre époque, Lily… se serait inquiétée. Et Rogue aurait fait des recherches. Je me serai moquée bien sûr, et il aurait sûrement rétorqué qu'il ne le faisait que pour s'informer, acquérir de nouvelles connaissances… Le professeur Rogue avait quitté son bureau sans que je m'en rende compte. Il passa près de notre table. Mon cœur convulsa. J'hoquetai de manière fort peu gracieuse.

-Un problème, Lumare? Siffla-t-il en se tournant vers moi.

Et ce que je vis brûler dans son regard s'apparentait étrangement à de la haine. Et ce que je sentais de derrière ses barrières mentales, ne pouvait être qu'une rage sourde. Contre moi. Je voulus lui répondre, employer un ton plein de morgue pour lui faire ravaler sa colère. Mais me tordis de douleur à la place. Si soudain. Mon tabouret s'écroula contre le sol dans un vacarme étourdissant. Le bruit se répercutait dans ma tête, cognait, cognait. Je toussai violemment, enfonçant mes ongles dans la paillasse au rythme de mes convulsions. Je ne pouvais plus me contrôler.

-Lumare…

La voix venait de trop loin, pourtant je ne pouvais que la reconnaître. Inquiétude et mépris, se mêlant, pour me parvenir. Rogue était tellement… Un terrible hoquet me tordit en deux, avant que je ne vomisse un long jet de sang.

-E… Ecartez-vous; sifflai-je, vomissant encore.

Le sang. Partout. Le liquide échappait de mon nez, de ma gorge en feu. Je ne pouvais plus respirer. Les goulées d'air refusaient d'entrer. Tout brûlait. Même ses prunelles plus sombres que la nuit, dernière de mes visions, avant que je ne m'écroule à terre et ne sombre dans l'inconscience.